CHATON Jeanne, Henriette, Mélanie

Par Corinne Konrad

Née le 10 novembre 1899 à Arnaville (Meurthe-et-Moselle), morte le 18 octobre 1989 à Paris (XIVe arr.) ; professeure agrégée d’histoire ; présidente de la Fédération internationale des femmes diplômées des universités (FIFDU), présidente du Comité permanent des ONG à l’UNESCO, représentante de la France à la Commission de la condition de la femme à l’ONU, présidente à l’ONU de la commission rédactionnelle de la déclaration contre toute discrimination à l’égard des femmes.

Jeanne Chaton, fille unique d’Alexandre Chaton, maître répétiteur puis répétiteur général au lycée Louis-le-Grand, officier d’Instruction publique, et de Mélanie, Clotilde Woisard, fut confiée à ses grands-parents maternels après le décès de sa mère en 1905. Vers l’âge de huit ans, l’enfant fut placée dans une pension religieuse, rue de la Ravinelle à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Supportant difficilement cette claustration, Jeanne Chaton réussit à s’en échapper et, de retour dans son village après un voyage en train, elle parvint à convaincre son grand-père de l’inscrire à l’école primaire. Au décès de ce dernier, son oncle et sa tante prirent soin quelque temps de l’enfant, et c’est seulement peu avant la Grande guerre qu’elle s’installa à Paris avec son père.

En 1914, à l’âge de quinze ans, elle allait connaître une fois de plus une situation d’enfermement. Alors qu’elle rendait visite à sa famille avec son père dans sa Lorraine natale, elle fut prise en otage et condamnée à mort avec celui-ci par le Conseil de guerre à la suite d’un violent bombardement français. Les autorités décidèrent finalement de déporter la jeune fille en Allemagne dans un camp de travail situé dans le duché de Brunswick. Parlant un peu l’allemand, Jeanne Chaton fut nommée « chef du baraquement » et prit sous sa responsabilité soixante-dix-neuf femmes adultes, plus âgées qu’elle, issues de différents milieux sociaux et de différentes nationalités. Le spectacle douloureux des mauvais traitements infligés aux Polonaises et aux Russes fut à l’origine d’une prise de conscience et de la naissance d’une vocation dans l’esprit de Jeanne Chaton : « Je me jurais alors de consacrer ma vie à défendre les femmes. »

Sous l’effet du travail intense de blanchiment de couvertures avec du chlore, sa santé se dégrada rapidement. Après avoir été admise au lazaret en observation, elle bénéficia d’un traitement plus favorable puisqu’elle quitta le camp pour rejoindre une ferme dans l’île de Rugen, en mer Baltique. Un an plus tard, son état s’étant amélioré, on la ramena au camp. Mais c’était sans compter sa détermination de recouvrer sa liberté. C’est au moment d’une inspection de la Croix-Rouge qu’elle réussit à attirer l’attention puisque, six mois plus tard, reconnue tuberculeuse par la Croix-Rouge internationale, elle fut échangée contre une prisonnière allemande. L’échange et la libération des deux femmes se firent à Schaffhausen (Suisse) et Jeanne Chaton participa quelque temps aux activités de l’Organisation internationale qui l’avait libérée.

Cette expérience de la guerre, avec ses privations, ses souffrances, mais aussi ses espérances et l’enrichissement d’un environnement multiculturel solidaire, allait déterminer pour longtemps ses engagements de militante pacifiste féministe et sa vocation professionnelle. En effet, elle s’engagea très jeune dans les milieux internationaux, puisqu’à 21 ans, elle fut membre de l’Union mondiale pour la concorde internationale où elle resta jusqu’en 1958, date de fusion de ce mouvement avec les « Guides féminines ». En même temps, elle prit des contacts avec des groupes démocratiques allemands, et notamment, à partir de 1922, avec le mouvement de Gustav Stressman pour la réconciliation franco-allemande « Fraternité-Réconciliation ». Elle adhéra aussi à cette époque au Comité franco-germanique pour la révision des livres scolaires d’histoire.

Dès 1918, Jeanne Chaton manifesta auprès de son père, récemment libéré à Neuchâtel, l’intérêt qu’elle éprouvait pour l’histoire et pour le métier d’enseignante. Pourtant, suivant les conseils malveillants prodigués par un professeur de physique du lycée Louis-le-Grand – l’École républicaine en était encore à la hantise des « bas-bleus » et des « pécores » trop instruites – Alexandre Chaton inscrivit sa fille en 1919 aux cours complémentaires de la rue Monge et, l’année suivante, à l’école primaire supérieure Sophie-Germain dans le XIVe arrondissement de Paris. Jeanne Chaton fut reçue au brevet élémentaire, au brevet supérieur et commença à faire des suppléances comme institutrice, conformément à la décision de son père. Peu enthousiaste pour ce métier et toujours résolue à accomplir son premier vœu, elle s’inscrivit au lycée Fénelon afin de se consacrer à la préparation des concours des Écoles normales supérieures de Sèvres et de Fontenay.

Ces années 1920 furent fécondes en réussites universitaires et en décorations. En 1921, on l’honora de la médaille de la Reconnaissance française pour ses services rendus à ses concitoyennes dans les camps d’internement en Allemagne. Reçue à l’ENS de Sèvres cette même année, elle réussit en 1923 le certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire et, l’année suivante, une licence en lettres et philosophie et un diplôme de science politique à l’École nationale de sciences politiques. C’est en 1925 qu’elle couronna ce parcours avec une première place à l’agrégation féminine d’histoire.

À la faveur du cadre de vie cosmopolite régnant à l’ENS à cette époque, Jeanne Chaton en profita pour multiplier ses contacts avec des étudiants étrangers. De même, résolument à l’écoute des questions relatives à l’instauration d’une paix durable entre les peuples, elle suivit avec attention les efforts de Thomas Wilson dans son projet de création de la Société des Nations et fut largement initiée aux problèmes internationaux par son professeur de l’École nationale de sciences politiques, André Siegfried.

Elle fut affectée en 1925 professeur d’histoire et de géographie dans le plus petit lycée de France, à Lons-le-Saunier (Jura), sans pour autant mettre fin à ses études. En 1926, elle obtint les certificats de logique, de philosophie et de sociologie de la faculté de Lyon et, en 1927, un certificat d’histoire d’art antique et moderne à l’École du Louvre. Peu de temps après son affectation provinciale, elle rencontra Albert Thomas, directeur du Bureau international du travail. Ce dernier fut à l’origine de la participation effective de Jeanne Chaton aux instances internationales puisque, dès 1930, elle devint assistante secrétaire bénévole du président Herriot pendant les sessions d’été de la SDN.

Au moment de la montée de l’hitlérisme et de la fin des illusions d’une Europe pacifique, Jeanne Chaton multiplia les contacts avec des Polonais, des Tchèques, des Anglais et des Juifs victimes du nazisme. Ses actions en faveur de la promotion d’échanges culturels avec l’Italie et la Pologne furent récompensées par la Croix Victor Emmanuel d’Italie (1929) et la médaille de la Polonia Restittuta (1930).

Son engagement prioritaire pour les Droits de l’Homme et, corrélativement, son adhésion au principe de liberté comme condition indispensable à la paix entre les peuples, impliquait cependant qu’elle ne suivît pas les pacifistes radicaux. Cette véhémente définition résume bien sa pensée : « La paix est un grand travail que toute l’humanité doit accomplir du plus petit au plus grand. Elle sera ce que nous la ferons par notre valeur morale, par notre sens de l’honnêteté et de la justice, par notre sens du travail bien fait : se dépasser, rejoindre les excellents, entraîner les moins forts, voilà la compétition de la paix pour tous les pays, pour toute la France, pour tous les lycéens et toutes les lycéennes. Être partout fidèle à la leçon de ceux qui sont morts et ne pas permettre que leurs sacrifices si variés, si nombreux soient oubliés, méconnus ou perdus. »

Jeanne Chaton poursuivit ses activités professionnelles à Besançon (Doubs) à partir de 1931 et fut alors affectée sur un poste de professeur de première supérieure (khâgne). C’est en 1936 qu’elle entama une carrière parisienne au lycée Lamartine ; deux ans plus tard, elle fut nommée officier de l’Instruction publique. En accord avec ses convictions de militante, elle donnait une dimension internationale aux contenus de ses cours et accordait une importance toute particulière à l’histoire des civilisations à travers l’histoire des mentalités.

La Seconde Guerre mondiale n’allait pas altérer son indéfectible volonté d’agir et ses faits de résistance furent nombreux. Depuis l’aide accordée à une jeune Anglaise prisonnière à Fresnes, dès 1940, jusqu’aux combats de la porte d’Orléans en 1944, elle ne cessa de s’investir dans la libération de son pays. Rassembler des biens de première nécessité pour les réfractaires au STO, faciliter des passages de la ligne de démarcation, parcourir Paris déguisée en infirmière, diffuser la presse clandestine Résistance ou l’Université libre, effectuer des liaisons avec le Bureau central de renseignements et d’actions, héberger des agents parachutés, un agent émetteur, et des agents poursuivis par la Gestapo, telles furent quelques-unes de ses actions sous l’Occupation. Une telle agitation allait cependant susciter bien des méfiances de la part des Allemands et cette « grande résistante de l’Université » fut obligée de renoncer à l’achèvement d’une thèse consacrée au mouvement Wesleyen en raison de perquisitions de la Gestapo ; la confiscation d’une documentation patiemment collectée depuis des années réduisit à néant tout espoir de mener à bien cette recherche. Avant la bataille de Paris, elle assuma la responsabilité de secrétaire générale du comité directeur du Front national universitaire et, après la libération de la capitale, fut nommée vice-présidente du comité directeur de l’Union française universitaire. Une déclaration officielle lui fut adressée à l’issue des combats : « Mlle Chaton, soldat sans uniforme des Forces Françaises Combattantes, a participé en territoire occupé par l’ennemi au glorieux combat pour la libération de la patrie. » (Dewavrin)

À l’occasion d’une émission radiophonique diffusée à Londres en 1945, Jeanne Chaton, avec toujours autant de détermination, reprenait le chemin de ses interventions pour la paix en encourageant la jeunesse à construire le changement et à penser l’équilibre social. Ce fut dans cet esprit de renouveau qu’en 1946, elle fut chargée par le ministère de l’Éducation nationale de représenter la France au Congrès international de l’éducation nouvelle en Australie. En qualité de membre du groupe « Éducation nouvelle » dont l’intérêt était de penser les transformations de l’enseignement après les années de guerre, elle noua des contacts personnels et dispensa des interviews avec des journalistes australiens. Au cours de nombreuses conférences aux étudiants des départements français à Brisbane, Melbourne, Sidney... ou à des associations diverses, Jeanne Chaton aborda des sujets comme les tendances françaises nouvelles de l’éducation, les tendances littéraires de la France, le rôle de la femme, la résistance intellectuelle française entre 1940 et 1944, la France en 1946, l’Université française... Ce fut au cours de ce voyage qu’elle apprit qu’elle venait d’être promue chevalier de la Légion d’honneur.

À partir de cette époque, Jeanne Chaton prit une part active dans les associations féminines. Affiliée à l’Association des Françaises diplômées des universités (AFDU) peu avant la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin de ses jours, elle assuma la responsabilité du secrétariat général de cette association de 1945 à 1947 et la présidence du groupe de Paris de 1953 à 1956. Signe des temps, l’entrée des femmes en politique devenant une réalité, elle s’investit dans la préparation des femmes à ce nouveau rôle social à travers de nombreuses émissions de radio ; les thèmes les plus divers furent évoqués et c’est une véritable éducation à la politique et à la prise de responsabilités civiques qui mobilisa toute son attention.

Mais c’est dans la Fédération internationale des femmes diplômées des universités (FIFDU) qu’elle allait le plus s’impliquer. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que les valeurs fondatrices des pionnières étaient, entre autres, le respect des droits de l’homme, la défense de la paix, la solidarité internationale et la promotion de l’accès des femmes à l’enseignement supérieur. En 1947, Jeanne Chaton devint donc deuxième vice-présidente de la FIFDU et, cette même année, fut récompensée de la médaille de la Résistance et d’une attestation britannique pour ses services rendus pendant la Seconde Guerre mondiale. En même temps, elle adhéra à l’Union professionnelle féminine (UPF).

L’année 1948 devait marquer un pas décisif dans le rapprochement des organismes intergouvernementaux et non gouvernementaux pour la paix et la défense d’un accès généralisé à l’éducation, conditions nécessaires à l’évolution positive de l’humanité. Jeanne Chaton participa avec René Cassin à l’élaboration de la déclaration universelle des Droits de l’Homme de l’ONU assurant que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » et ce « sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». S’il n’existait pas de dispositions légales interdisant l’accès des femmes à l’éducation, la situation de fait était bien différente de la situation de droit et Jeanne Chaton orienta prioritairement et stratégiquement ses engagements vers l’UNESCO. Promue présidente du comité permanent des ONG et consultante sur l’éducation des femmes à l’UNESCO jusqu’en 1951, elle assumait alors la responsabilité de tout le programme de formation et d’éducation pour les femmes. Animée par une volonté indéfectible d’efficacité et de consensus, elle insistait particulièrement sur l’importance d’une consultation de toutes les associations féminines françaises et sur la coopération et la coordination des activités de l’UNESCO avec les autres agences des Nations Unies.

Poursuivant son ascension dans les instances internationales, Jeanne Chaton fut élue première vice-présidente de la FIFDU en 1950. Avec constance dans ses prises de positions, à travers les divers articles écrits dans la revue Femmes diplômées ou ses interventions lors des congrès de la FIFDU, elle ne cessa de réitérer l’importance d’observer avec vigilance les indices défavorables à l’accès des femmes aux études et la nécessité de poursuivre l’œuvre du développement intellectuel féminin. De même, le début des années 1950 étant marqué par des progrès technologiques considérables, lors d’une réflexion consacrée aux bases éthiques des valeurs humaines dans le monde technique, c’est encore sur la force de l’intelligence qu’elle devait insister.

En 1953, après la fin de ce mandat de première vice-présidente, elle s’impliqua dans la Commission des relations culturelles au sein de la FIFDU et fut finalement élue présidente de cette fédération en 1956 à l’issue du congrès de Paris. À ce double titre, elle fut chargée jusqu’en 1964 du premier cycle d’études de la FIFDU en Afrique. Son souhait était alors de mobiliser les élites africaines sur le thème de l’égalité des chances et, pour ce faire, de développer une relation féminine marquée par la solidarité, la compréhension mutuelle et les échanges, quelle que soit la culture ou la civilisation des pays. À l’issue de ce cycle d’études, une attention particulière fut accordée à l’accès des femmes africaines aux études supérieures, à la formation continue et à l’élargissement de leur horizon professionnel. Jeanne Chaton insista beaucoup sur l’aide à apporter aux Instituts d’études africaines et sur la création de bourses spéciales. Il fallait alors encourager les étudiantes africaines à valoriser leur spécificité continentale et les inciter à se plonger dans des recherches sociologiques, historiques, archéologiques concernant leur pays. En décembre 1960, elle fut observatrice de la FIFDU au séminaire des Nations Unies d’Addis-Abéba (Éthiopie), le premier séminaire africain sur la participation des femmes à la vie publique. Sa grande admiration pour les femmes africaines ne fut pas démentie et Jeanne Chaton, opiniâtre, déclarait à cette occasion : « La FIFDU doit les aider à construire leur Afrique, à maintenir les meilleures de leurs traditions, à remplacer les survivances de leur passé de soumission par des notions de progrès. »

C’est toujours dans cet esprit de coopération interculturelle qu’elle remplaça Marie-Hélène Lefaucheux au conseil d’administration de la Maison du Liban à la cité universitaire de Paris, et pour récompenser cette fonction, elle fut nommée chevalier de l’Ordre du cèdre du Liban en 1959. En cette fin de décennie, elle continua à participer aux travaux du bureau exécutif de la FIFDU comme ancienne présidente et assuma la charge de vice-présidente puis de présidente du comité permanent des ONG de statut A et B auprès de l’UNESCO et en même temps de représentante de la FIFDU auprès de l’organisation internationale jusqu’à la fin des années 1960.
En 1965, Jeanne Chaton acheva sa carrière d’enseignante au lycée Claude-Monet, elle reçut cette même année le titre de Docteur Honoris Causa de l’Université de Brisbane (Australie). Cette nouvelle disponibilité professionnelle lui permit de renforcer ses engagements militants et, à partir de cette date, de participer au Comité français du travail féminin. Responsable de la commission Information pendant dix ans, elle cherchait particulièrement à mobiliser le grand public en mettant à la disposition des chercheurs, des associations et des journalistes les données relatives à la promotion ou à la discrimination des femmes.

En même temps, après le décès accidentel de Marie-Hélène Lefaucheux, elle fut amenée à la remplacer comme représentante de la France à la commission de la condition de la femme à l’ONU ; elle occupa cette charge pendant dix ans. Ce nouveau rôle lui permit de devenir, en accord avec l’esprit de concertation qu’elle avait toujours cultivé, le porte-parole des associations féminines. Elle fit alors campagne contre la prostitution et le proxénétisme mais s’attacha surtout à l’élaboration de la Déclaration contre toute discrimination à l’égard des femmes (adoptée le 7 novembre 1967). Toute forme de discrimination sexuelle était alors qualifiée d’injuste et d’insultante. Dans le rapport précédant l’adoption définitive du texte, signé par Jeanne Chaton, on pouvait alors retrouver toutes les idées forces qui avaient guidé sa mobilisation intellectuelle et ses stratégies d’infatigable militante : la participation politique des femmes, la redéfinition de leur statut en matière de droit privé, et notamment l’égalité des droits parentaux, la promotion de leur accès à l’enseignement, la reconnaissance de leurs droits économiques et la revendication de l’égalité professionnelle.

Cette œuvre représente donc un des points culminants et essentiels dans le parcours militant de Jeanne Chaton. Confrontée dès lors à des années de luttes et à des moments de confrontations passionnées, elle savait déployer son talent à convaincre, à rassembler, et fit en sorte de lever peu à peu les obstacles politiques et culturels venant entraver l’élaboration de la Déclaration. Son efficacité reposait, au-delà de ses qualités de diplomate, sur son autorité naturelle, son aménité et sur une croyance absolue en l’infaillibilité des idées justes. Il fallait seulement faire preuve de patience et savoir attendre 10, 15 ou 20 ans avant de les voir entrer en application.

Le début des années 1970 fut un moment décisif dans le renouvellement de la pensée féministe et de son ancrage institutionnel, rien d’étonnant donc de voir Jeanne Chaton au cœur de l’effervescence associative et politique caractéristique de cette époque. Elle multiplia ses adhésions et prises de responsabilités. On pouvait la retrouver, tantôt représentante à l’UNESCO de la Fédération internationale des femmes de carrière libérale et commerciale ou présidente de la commission « Éducation et culture » de cette même association, tantôt secrétaire de séance à la Ligue pour le droit des femmes en mai 1973, tantôt vice-présidente du Comité international de liaison des associations féminines (CILAF). Elle s’efforçait en même temps de trouver des solutions financières pour pérenniser les activités de l’AFFDU et fut à l’origine du financement des « séminaires Currier » par l’intermédiaire de Dorothy F. Leet.

La lecture du projet de programme pour l’année internationale de la Femme de 1975, dans lequel Jeanne Chaton avait la qualité de membre du comité consultatif à l’UNESCO, révèle une remarquable congruence entre les positions de Jeanne Chaton et les axes principaux développés. Il s’agissait en effet de mettre en œuvre une action intensive en direction de la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, de souligner l’importance et la responsabilité des femmes dans le développement économique, social et culturel des pays et de reconnaître l’ampleur de la contribution croissante des femmes au développement des relations amicales et de la coopération.

Égalité, développement, paix, c’est certainement avec ces mots à l’esprit que Jeanne Chaton déclarait lors d’un discours à l’Union professionnelle féminine : « Le but des années internationales, c’est de provoquer une sensibilisation des masses, des journalistes, de mobiliser l’esprit critique des philosophes, les choix de décision des responsables sur toute la terre, c’est la lutte d’une conception de l’existence contre une autre conception. »

Lors de la première conférence mondiale au sujet des femmes, à Mexico en 1975, et de la mise en place d’un plan d’action mondial pour la promotion des femmes « visant à corriger les erreurs de l’histoire ». L’ONU décréta aussi la décennie 1976-1985 « décennie pour les femmes », les États furent alors sollicités pour rassembler des statistiques sexuées. Nommée officier de la Légion d’honneur en 1976, Jeanne Chaton eut la satisfaction de voir la résolution contre toute discrimination à l’égard des femmes devenir une convention adoptée par l’ONU. De portée politique plus contraignante, cette convention fut signée en mars 1980 et entra en vigueur en septembre 1981.

Engagée sur le terrain jusqu’à la fin de ses jours, Jeanne Chaton est décédée le 18 octobre 1989 et, parce qu’elle avait fait don de son corps à la science, il n’y eut pas de cérémonie funéraire. Un hommage officiel lui fut cependant rendu à l’UNESCO le 27 novembre 1989 ; l’AFFDU, l’UPF et le CILAF saluèrent solennellement son action dans une salle du Palais du Luxembourg le 9 janvier 1990. Aucune formule ne résume mieux la constance de son engagement et sa croyance en l’humanité que celle-ci : « Le féminisme n’est pas un épiphénomène variable selon les époques. Dans les efforts conjugués de toutes, il se développe et maintient sa foi dans les progrès de l’éducation et la pratique de la tolérance. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19621, notice CHATON Jeanne, Henriette, Mélanie par Corinne Konrad, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 13 août 2021.

Par Corinne Konrad

ŒUVRE : Jeanne Chaton a signé de nombreux articles dans la revue Femmes Diplômées ou Diplômées et dans d’autres revues féministes. Seuls quelques-uns sont cités ici, notamment ceux en relation avec les prises de position évoquées dans cette notice.
« L’Unesco et l’accès des femmes à l’éducation », Femmes Diplômées, janvier-mars 1952. — « Les Africaines et la vie publique », Femmes Diplômées, n° 38-39, 1961. — « Qui s’occupe aux Nations Unies des droits de la femme ? », Feuilles d’information de l’Association des journalistes de la presse féminine, 1968. — Avant-propos de la brochure d’A. Gillette, Les ONG et l’Unesco, s.l., 1968. — « The UNESCO Long-Range Program for the Advancement of Women », in The Annals of the American Academy of Political and Social Science, Philadelphie, vol. 375, janvier 1968. — « Les Femmes françaises en 1972 », Tendances, février 1972. — Étude pour l’AFFDU sur l’accès en France des femmes à l’enseignement, à la formation scientifique et aux carrières correspondantes (dir.), s.l., Commission française pour l’UNESCO, s.d. — « Femmes et féminismes », in Encyclopedia Universalis, s.l., s.d.

SOURCES : Bibliothèque Marguerite Durand, fonds « Jeanne Chaton ». — O. O’Reily, « Jeanne Chaton, Knight of the Legion of Honour », Australian Women’s digest, décembre 1946. — E. Lablenie, Aspect de la résistance universitaire, Bordeaux, 1969. — Nations-Unies, Assemblée générale du 11 janvier 1973. — Diplômées, n° 139 (décembre 1986), n° 151 (décembre 1989), n° 152 (mars 1990). — Femmes de l’Europe, n° 61, août-octobre 1989. — La Lettre du CNFF (Conseil national des femmes françaises), déc. 1989. — Autobiographie 1961, rédigée en anglais et traduite par Louise Poublan, s.l., 1990. — A. Dore-Audibert, A. Morzelle, Révolutionnaires silencieuses au XXe siècle, Laval, Kerdoré, 1991. — « Jeanne Chaton », Bulletin de liaison de l’Union professionnelle féminine, n° spécial, n° 18, s.d. — Soixante-quinze ans d’Histoire de l’AFFDU vus de Paris 1920-1995, Paris, 1997. — S. Chaperon, Les Années Beauvoir, 1945-1970, Fayard, 2000.

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