JOACHIM Gerhard

Par Christian Penot, Bernard Reviriego, Dominique Tantin

Né le 15 décembre 1910 à Berlin (Allemagne), massacré le 27 mars 1944 à Sainte-Marie-de-Chignac (Dordogne) ; Membre du maquis FTP de Palutras à Compreignac (Haute-Vienne).

Fiche de demande de carte d’identité de Gerhard Joachim. Arch. dép. Haute-Vienne, 985 W 2608
Fiche de demande de carte d’identité de Gerhard Joachim. Arch. dép. Haute-Vienne, 985 W 2608

Gerhard Joachim fut l’une des nombreuses victimes de la division Brehmer en Dordogne. Du 26 mars au 2 avril 1944, la division Brehmer, ou division B de l’initiale du patronyme de son chef, le général Brehmer, accompagnée par des éléments de la Sipo-SD et de la Brigade nord-africaine et bénéficiant de renseignements collectés par des délateurs, collaborationnistes ou non, et par l’administration de Vichy, traversa le département de la Dordogne, traquant les maquisards et massacrant des civils en représailles dans le cadre d’opérations de répression, mais aussi en conduisant une politique génocidaire à l’encontre des nombreux Juifs réfugiés dans le département ; les hommes furent abattus parce que juifs et, à plusieurs reprises, tandis que, bien souvent, les femmes et les enfants furent arrêtés, transférés à Drancy puis déportés vers les centres de mise à mort, Auschwitz-Birkenau principalement.
En zone dite libre puis zone sud, les Juifs avaient été recensés en application d’une loi de Vichy du 2 juin 1941, le jour même de la promulgation du second statut des Juifs ; un recensement spécifique des Juifs étrangers intervint en janvier 1942 ; enfin, une loi de Vichy du 11 décembre 1942 imposa en zone sud la mention « juif » sur la carte d’alimentation et sur la carte d’identité des Juifs français et étrangers. Il faisait partie des cinq victimes dont l’identité restait inconnue. Il fut identifié à la suite des recherches menées par Bernard Reviriego complétées par celles de Christian Penot.
Gerhard Joachim était né le 15 décembre 1910 à Berlin de Max Joachim et Else Kallmann. Malgré quelques recherches, y compris outre-Rhin, il est très difficile de reconstituer son parcours en Allemagne. Ses parents, originaires de Poméranie, s’étaient mariés le 26 juin 1902 à Charlottenburg et vivaient en mars 1939 à Schöneberg au sud-ouest de Berlin. Ils eurent au moins trois enfants. Son père exerçait la profession de commerçant et sa mère, femme au foyer, fut déportée au ghetto allemand de Riga (Lettonie) le 25 janvier 1942, où elle disparut.
Sa sœur, Helma née le 15 novembre 1904, était secrétaire au Deutsche Bühnengenossenschaft, revue proche du syndicat des membres du monde du spectacle à Berlin. Elle épousa en 1930 Jesekiel Kirszenbaum. C’était un peintre avant-gardiste d’origine polonaise dont les caricatures et illustrations étaient publiées dans la presse allemande de gauche et d’extrême gauche. Il était membre du Revolutionärer Bildender Künstler, association d’artistes proche du parti communiste. Juif et élève au Bauhaus de Paul Klee et Wassili Kandinski, il fût dénoncé par les nazis comme promoteur de « l’art dégénéré ». Il dut fuir l’Allemagne en 1933 pour Paris en compagnie de son épouse. Le couple vécut de menus travaux tout en fréquentant la diaspora artistique du quartier Montparnasse. En 1936, Jesekiel, peintre prolifique, participa aux activités du comité Amsterdam-Pleyel mais les 600 œuvres qu’il laissa à Paris furent détruites par les nazis. En 1939, le couple fut provisoirement séparé. Comme plusieurs milliers de ressortissants de « l’empire allemand », Jesekiel fut interné au stade Yves du Manoir de Colombes puis dirigé le 18 septembre 1939 vers le camp de Meslay du Maine (Mayenne). Refusé par l’armée, il fut versé au Groupe de travailleurs étrangers (GTE) n°313 (Saint Sauveur près de Bellac en Haute-Vienne). Jesekiel fut employé à des travaux de bûcheronnage et continua à peindre. Il fut libéré en 1942. Le 16 mai 1940, Helma fut invitée à se rendre au Vel d’Hiv et y fut internée avant d’être dirigée vers le camp de Gurs (Basses Pyrénées). Début août elle put enfin rejoindre son mari à Bellac.
Il est possible que Gerhard Joachim fût employé dans le cabinet d’avocat de son oncle Arthur Kallmann. Car l’interdiction professionnelle qui frappa ce dernier en mars 1938 coïncida avec son départ d’Allemagne. Il entra en France au poste frontière de Forbach le 12 mars 1938 et atteignit Paris quelques jours après. Il travailla chez un cordonnier et résida dans les 16ème et 15ème arrondissement. L’hypothèse la plus probable est qu’il rejoignit sa sœur et son beau-frère qui résidaient à Boulogne-Billancourt. Pour vivre, il travailla pour un cordonnier. Bien qu’il ait souhaité s’engager dans l’armée française, il fut interné comme tous les ressortissants des « pays belligérants », en septembre 1939. Sous prétexte d’un contrôle de routine, il fut enfermé comme son beau-frère au stade Yves du Manoir de Colombes. Pêle-mêle, partisans et adversaires du régime nazi furent enfermés alors que nombre d’entre eux souhaitait combattre l’armée allemande. Les conditions de détention furent effroyables. Le ravitaillement était très insuffisant, les conditions d’hygiène inexistantes, les brimades et les vols quotidiens. Mi-octobre, Gerhard Joachim fut dirigé vers le camp de Marolles près de Blois (Loir-et-Cher). Le 1er décembre il contracta un engagement pour la durée de la guerre dans la Légion étrangère et fut intégré au 4ème régiment étranger d’infanterie. Il faut souligner que cette décision de plusieurs internés allemands fit débat, car les membres du Parti communiste allemand (KPD), fidèles à la ligne de Moscou, refusèrent de participer à « une guerre impérialiste », ce qui incite à penser que Gerhard n’était pas membre du KPD. En mai 1940, il est affecté à Marrakech au Maroc. Durant les mois suivants, certainement grâce à la bienveillance d’officiers anti nazis, il échappe aux remises de ressortissants allemands aux inspecteurs, qui conformément aux dispositions de la convention d’armistice furent autorisés à intervenir en Afrique du Nord. Son régiment fut dissout en novembre 1940. On ne connaît pas son activité durant les mois suivants, mais il arrive le 4 avril 1941 à Limoges pour être démobilisé.
Il déclara aux autorités venir rejoindre sa sœur résidant à Saint-Sauveur près de Bellac, lieu d’implantation, nous l’avons vu, du 313e GTE. Il fut intégré à ce groupe et resta 6 mois en Haute-Vienne. Il entama des démarches en vue de la délivrance d’une carte d’identité le 25 avril et le précieux document lui fut remis le 13 mai pour une durée de 12 mois. Durant cette période, il travailla pour la société de transports Bernis à la fabrication de charbon de bois sur un chantier situé à Saint-Priest-Taurion au nord-est de Limoges, sans doute en détachement du 313e GTE. Il rencontra également Rose Hochstaedter, réfugiée juive allemande à Limoges, dont le mari était, lui aussi, interné au 313e GTE, avec laquelle il se lia. Le 17 octobre 1941, il partit une première fois dans le Lot. Il fit plusieurs allers-retours avant de s’installer le 21 avril 1942 à Lamativie (Lot). Il travailla pour l’entreprise Desmarais Frères. Le 31 décembre, il quitta cette commune pour s’établir à Comiac et se fit embaucher à Puybrun dans une entreprise de semelle de bois. A la suite de cette installation, il fit venir à Comiac Rose Hochstaedter, sa fille Doris et Helma sa sœur. La famille recomposée (il se déclara « marié » à Rose) habitat un moulin en contrebas du bourg de Comiac. Un industriel juif de Limoges, Monsieur Peigne, dont Rose était l’employée de maison, leur confia ses deux enfants pour les éloigner des dangers de la ville. La vie s’écoula dans une relative quiétude jusqu’au 9 décembre 1943, jour de l’intervention d’hommes de la gestapo de Cahors. Manifestement, ils avaient été informés de la présence dans ce village de réfugiés juifs. Il semble qu’à la base de cette dénonciation il y ait eu une banale jalousie de voisinage. Les enfants Peigne furent sauvés par l’intervention du garde champêtre qui les fit passer pour des enfants baptisés. Gerhard Joachim parti acheter du ravitaillement fut intercepté par l’adjoint au maire qui l’avertit du danger. Les trois femmes arrêtées furent dirigées vers Toulouse. Le 26 décembre elles arrivèrent à Drancy. Le 20 janvier 1944, le convoi n°66 les transporta vers Auschwitz où elles périrent le 25 janvier jour de leur arrivée.
Gerhard Joachim se cacha durant plusieurs jours à proximité de Comiac. Il prit ensuite le train vers Limoges. En gare des Bénédictins, l’endroit étant surveillé, il ne prit pas contact avec monsieur Peigne avec lequel il avait rendez-vous. Il résida quelques semaines 9 rue Darnet au centre de la ville dans l’appartement laissé libre par Rose. Ayant certainement la volonté de passer à la clandestinité (c’est la phrase que Joachim utilise durant son interrogatoire pour justifier sa présence au maquis), souhaitant ainsi échapper aux recherches de la police allemande, il rencontra un contact dans un café près de la gare. Ce dernier l’orienta vers un maquis en formation dans les bois de Palutras près de Compreignac à une vingtaine de kilomètre au nord de Limoges. Il arriva sur place le 28 janvier. Le groupe était constitué d’une douzaine de jeunes de provenances diverses majoritairement réfractaires aux chantiers de jeunesse. Une partie du groupe avait participé à quelques actions et le 2 février, les plus expérimentés en marge d’une opération de réquisition de tabac avaient participé à l’exécution du docteur Thouvenet médecin à Nantiat. Dès lors, la police s’était mise en chasse. Très tôt le 8 février, au cours d’une tournée, des inspecteurs de la Section des affaires politiques (SAP) de la Police judiciaire de Limoges, procédaient à l’arrestation de deux jeunes membres du groupe partis rejoindre des camarades pour une nouvelle opération. Durement interrogés, ils livrèrent le lieu de cantonnement du groupe. En début d’après-midi, les policiers accompagnés de trois pelotons de gardes-mobiles et d’une soixantaine de membres du GMR Berry montaient une opération. Voyant arriver les GMR par le sud, les sept jeunes restés au camp eurent le temps de cacher le matériel dont les armes avant de partir vers le nord où ils pensaient trouver refuge dans une ferme amie. Malheureusement, les gardes-mobiles positionnés sur les collines faisant face à leur axe de retraite ouvrirent le feu. [Emile Jouandeau], grièvement blessé s’écroula et mourut dans la soirée à l’hôpital de Limoges durant une intervention chirurgicale. Un jeune s’échappa et les cinq autres furent pris. Transporté dans les locaux de la police, ils furent interrogés et écroués sauf Gerhard Joachim, qui selon une mention inscrite en rouge sur le procès-verbal de son interrogatoire, fut « laissé à la disposition de l’autorité administrative ». Selon toute vraisemblance, il fut remis aux allemands et incarcéré au quartier allemand de la prison de Limoges. Un concours de circonstances entraina sa fin tragique en Dordogne. La deuxième victime de l’affaire du bois de Palutras était André Boutaud, âgé de moins de vingt ans, arrêté le 8 février 1944 donc, disparu au camp de Dachau début 1945. La troisième victime était Joachim Gehrard.
Le 14 février 1944, en Dordogne, des Résistants FTP du groupe Gardette avaient ouvert le feu contre un convoi allemand revenant d’une mission dans le département au lieu-dit Les Rivières Basses (Sainte-Marie-de-Chignac), touchant plusieurs passagers et blessant très légèrement Hambrecht, responsable du SD de Périgueux, au bras gauche. Le 8 mars, un présumé milicien avait été victime d’une tentative d’assassinat à Saint-Pierre-de-Chignac (Dordogne). Le 9 mars, un homme soupçonné d’être un agent de la gestapo était retrouvé mort dans un bois près du même village. En représailles, les Allemands procédèrent le 16 mars à une série d’arrestations dans le département notamment de Juifs. Le 25 mars une embuscade près de Brantôme (Dordogne) coûta la vie à deux officiers du SD et faillit coûter celle de Ernst Bluhm adjoint du chef de la section IV du SD de Limoges chargé de convoyer des documents pour le compte du général Brehmer stationné à Angoulême. Le 26 mars, vingt-cinq résistants otages furent extraits de la prison de Limoges et dirigés vers [Brantôme] où ils furent exécutés par les hommes de la Brigade Nord-africaine et de la division Brehmer en présence d’officiers du SD de Périgueux et de Limoges. Le lendemain, le capitaine Ulbing, adjoint d’August Meïer, chef du Kds de Limoges, désigna un nouveau groupe d’otages, majoritairement juifs, parmi les prisonniers incarcérés à Limoges qui selon les indications du document de levée d’écrou signé de l’officier du SD devaient « être libérés ». Transportés en autocar via Périgueux ils arrivèrent vers 15h30 au lieu-dit Les Potences à Sainte-Marie-de-Chignac. Après avoir été délesté de leurs effets personnels, 25 otages furent fusillés par des éléments de la division Brehmer accompagnés de membres du SD de Limoges et de la brigade Nord-africaine. Deux d’entre eux, seulement blessés et simulant la mort réussirent à survivre. Gerhard Joachim était parmi les victimes. Après des années d’oubli, les noms des cinq inconnus du massacre, dont celui de Gerhard Joachim, ont été ajoutés en mars 2019 sur le monument commémoratif. Sa dépouille est toujours inhumée au cimetière de Sainte-Marie-de-Chignac.

Voir Sainte-Marie-de-Chignac, 27 mars et 1er avril 1944

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article196500, notice JOACHIM Gerhard par Christian Penot, Bernard Reviriego, Dominique Tantin, version mise en ligne le 26 octobre 2017, dernière modification le 21 janvier 2022.

Par Christian Penot, Bernard Reviriego, Dominique Tantin

Fiche de demande de carte d'identité de Gerhard Joachim. Arch. dép. Haute-Vienne, 985 W 2608
Fiche de demande de carte d’identité de Gerhard Joachim. Arch. dép. Haute-Vienne, 985 W 2608
Joachim Gerhard. Arch. dép. Lot, 209 W 244. Dossier d'étranger.
Joachim Gerhard. Arch. dép. Lot, 209 W 244. Dossier d’étranger.

SOURCES : Archives du Consistoire du Bas-Rhin - Liste des victimes israélites dans le département de la Dordogne). Arch. dép. Dordogne, E dépôt Périgueux 5 H 3 et 5 H 5. Arch. Dép. Haute-Vienne 185W3-42, 985W, 1177W112, 1517W312 et 355. Arch. dép. Lot, 209W244. Arch. Préf. Police Paris, 328W. DCAJM dossier du Kds de Limoges (pièces 914 à 1019 et 1031). Archives du centre international des persécutions nazies d’Arolsen et du Mémorial de Yad-Vashem. Bündesarchiv R 58/2321 — Christian Penot, Questions autour de la mort de trois maquisards, Compreignac le 8 Février 1944, la fin du maquis de Palutras, La Geste, 2020. — Bernard Reviriego, Les Juifs en Dordogne, 1939-1944, Périgueux, Éditions Fanlac-Archives départementales de la Dordogne, 2003, pp. 237-242, 365. — Bernard Reviriego, « Ruttner-Sikove, « l’inconnu » de Sainte-Marie-de-Chignac », in Ancrage. Mémoire des métissages du Sud-Ouest, n° 74, octobre 2020, p. 17-25. — Jean-Jacques Ruttner, « D’un vide à l’autre », in Ancrage. Mémoire des métissages du Sud-Ouest, p. 26-27. — Serge Klarsfeld, Mémorial de la déportation des Juifs de France, FFDJF, 2012. — Guy Penaud, Les crimes de la division Brehmer, La traque des résistants et des juifs en Dordogne, Corrèze, Haute-Vienne (mars-avril 1944), Périgueux, Éditions La Lauze, 2004, p. 143-163, 401. — Paul Mons, La folie meurtrière de la division Brehmer, mars-avril 1944, Dordogne-Corrèze, Haute-Vienne, Brive-la-Gaillarde, Éditions Les Monédières, 2016, pp. 71-73. J.D. Kirszenbaum (1900-1954) La génération perdue, Somogy, 2013 — Mémorial de la Shoah-CDJC

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