DÉSANDRÉ René, Auguste [alias « Grand-Père »]

Par André Balent, Frédéric Stévenot

Né le 15 janvier 1923 à Paris (VIe arr.), tué le 26 février 1944 lors des combats du mas de Serret, comm. de Labastide-de-Virac (Ardèche) ; tourneur-outilleur ; célibataire ; résistant FFI, maquis Bir Hakeim du Languedoc (AS)

René Désandré (1923-1944)

Olivier Bertrand (op. cit., 2019) a eu le mérite de redonner son identité à l’inconnu tué en action de combat dans le secteur des Crottes et du mas de Serret. Jusqu’à cette date, il était le "seizième homme", l’inconnu des Crottes. Il a maintenant son nom et on connait son parcours.

Au petit matin du 3 mars 1944, le village de Labastide-de-Virac fut investi par des Allemands de la 9e SS Panzer Hohenstaufen dont un groupe, partit à pied vers les Crottes afin d’isoler le hameau situé à trois kilomètres. La veille certains des hommes qui participaient à cette expédition, dont le lieutenant Ernst Güttman, avaient procédé à la pendaison publique de quinze hommes, otages ou résistants, dans les rues de Nîmes (Gard). Vers midi, les habitants de Labastide entendirent des coups de feu et des explosions mêlés aux cris des victimes. On aperçut des lueurs d’incendie. Vers 14 heures, les Allemands, de retour des Crottes traversèrent Labastide. Deux heures plus tôt, environ, ils exécutèrent quatorze des quinze habitants du hameau. Le quinzième, ayant pris la fuite, fut blessé puis achevé dans un terrier.

Dans la même commune (Labastide-de-Virac), un seizième homme fut tué — le même jour, pensa-t-on à tort — par les Allemands. Son acte de décès fut dressé le 5 mars sur la déclaration du Dr. Sicard, médecin à Vallon-Pont-d’Arc (à la différence des quinze habitants du hameau des Crottes tués le même jour dont le décès fut constaté sur la déclaration de son confrère de Vallon-Pont-Arc, le Dr. Abrial). Il s’agissait, d’après l’acte de décès, d‘un homme « âgé de trente-huit ans environ. Corpulence assez forte, taille 1 m 70 environ, vêtu d’un costume gris très usagé ». Il a été tué près du mas de Serret où le maquis Bir Hakeim (AS) avait établi précédemment son cantonnement (Voir Capel Jean).

Dans son ouvrage, Adolphe Demontès (op. cit., 1946, p. 50), évoque un « homme affreusement mutilé » ; « inconnu dans la région ». Il suppose qu’il faisait « peut-être partie du groupe de résistants que les Allemands venaient d’attaquer ». Pourtant, le « groupe de résistants » auquel fait allusion ce texte ne pouvait être que le maquis Bir Hakeim qui n’a jamais fait état d’aucune perte, ni le 26 février, ni le 3 mars (date où il avait quitté les lieux lors de l’attaque allemande). On sut simplement qu’un blessé, « Grand-Père » avait disparu et on supposa qu’il avait été amené par les Allemands et sans doute jeté dans le Rhône après avoir été exécuté par les Waffen SS de la division Brandenburg à Pont-Saint-Esprit (Gard). On ignora donc, jusqu’en 2019, si cet inconnu était un résistant ou une victime civile. Son apparence, telle qu’elle ressort de l’acte de décès faisait plutôt penser vers la seconde hypothèse. Le fait qu’il ait été inconnu dans la petite région des gorges de l’Ardèche semblait la conforter. Resta posée, dans ce cas et pendant des années, la question de son affiliation au maquis Bir Hakeim qui fut résolue par les recherches d’Olivier Bertrand. Dès 1944, on pensa donc que les Allemands l’avaient capturé blessé mais vivant, sans faire le lien avec le cadavre de l’ « inconnu ». On supputa que « Grand-Père ». était peut être mort des suites de tortures ou en déportation.

Olivier Bertrand, journaliste et écrivain, a mené une enquête qu’il a publiée en mars 2019. Il a pu établir l’identité de ce seizième homme : René Désandré.
D’après O. Bertrand, son homologation a été demandée par son père, Auguste Salomon Desandré, fils d’Antonio Désandré et Marie-Joseph Bionaz, agriculteurs à Quart, dans le Val d’Aoste (Italie).

Auguste Désandré fut naturalisé par un décret de juillet 1931 ; une erreur sur sa date de naissance obligea à une rectification, le mois suivant. Auguste Désandré fut chauffeur de taxi à Paris. Il se maria en 1912 avec Modeste Henriettaz, ménagère à Levallois-Perret, habitant au 95 rue Gide (aujourd’hui rue Paul-Vaillant-Couturier), qui devint le domicile de la famille. Son épouse provenait également du Val d’Aoste, de Pollain. Le couple eut un premier enfant, mort-né en 1915. En décembre 1920 naquit Ida Odette (une homonyme, née dans le Val d’Aoste en 1922, devint résistante et fut déportée), puis René, Auguste en 1923.

Celui-ci commença à travailler à 17 ans, à partir de mai 1940, comme tourneur-outilleur. Il quitta la région parisienne pour devenir ouvrier agricole d’avril à septembre 1943 (sans précision de lieu). Il rejoignit le maquis Bir Hakeim le 3 septembre 1943 à Douch (hameau de la commune de Rosis, Hérault), une semaine avant le premier combat mené par le groupe. René Désandré devint chef de sizaine en décembre, à l’arrivée de la formation au mas Terris (Gard). Il fut promu sergent-chef le 5 février 1944, quand Bir Hakeim s’installa au mas de Serret (Ardèche).
Le 26 février, le mas fut attaqué par des unités de la division SS Hohenstaufen — en garnison à Nîmes depuis le 20 février — appuyés par des hommes de la division Brandenburg (des "Waffen SS" français encadrés par des Allemands qui acquirent une sinistre réputation dans le Gard où ils furent stationnés entre mars et la mi-juillet 1944 à Pont-Saint-Esprit et Alès). René Désandré fut du groupe chargé de protéger la retraite des résistants. Servant un fusil-mitrailleur Hotchkiss, il fut touché successivement au talon, au ventre et à la cuisse ûis une quatrième fois ; un autre résistant, Lucas, fut également blessé. René Désandré reçut l’ordre de décrocher, puis d’être emmené par ses hommes : il refusa. De nouveau touché, il continua à tirer, pendant que Lucas retirait le drapeau du mât et s’enfuit.

Le dossier d’homologation déposé par son père fut complété par Christian de Roquemaurel (alias lieutenant de Montégut), qui y porta la mention suivante : « Volontaire d’élite pendant l’attaque du mas de Serret, se trouvant en un point très exposé de notre défense, comme tireur au F.M., a été blessé. Il a refusé de se replier et a continué seul à protéger, malgré ses blessures, le repli de ses hommes, a été porté disparu à ce combat ». René Désandré mourut, « laissant à ses camarades l’exemple d’un sacrifice sans limite […], d’un esprit de dévouement et de d’abnégation ». Il est rappelé qu’il avait participé « à de nombreuses opérations de récupération et de destruction de matériel ennemi ». Le 18 août 1946, René Désandré fut homologué résistant FFI, au grade d’adjudant, avec effet rétroactif au 1er février 1944.
Auguste Désandré mourut le 28 juillet 1959, à Clichy-la-Garenne, sans avoir jamais pu retrouver le corps de son fils, et en ignorant ce qu’il était devenu.

Le nom de René Auguste Désandré figure sur le monument aux morts de Levallois-Perret. L’inconnu était mentionné comme tel sur la stèle mémorial érigée au hameau des Crottes afin de conserver le souvenir du massacre de ses habitants le 3 mars 1944. Il figurait aussi, dès l’origine, sur le mémorial du maquis Bir Hakeim à Mourèze (Hérault), avec, toutefois, le prénom erroné de « Julien ». Le martyrologe qui figure au début du livre de Maruéjol et Vielzeuf (op. cit., 1972, p. 9) mentionne dans sa liste le nom de « Dessandre René ». Ces deux mentions bien antérieures à 2019 montrent que son nom n’avait pas été oublié. Antoine de Bonnefoy dans un discours prononcé à Lamalou-les-Bains (Hérault) le 2 décembre 1945 — reproduit in extenso in Études héraultaises, 40, 2010, p. 331, lors de la réinhumation du corps de Jean Capel, le chef de Bir Hakeim, tué à La Parade (Lozère) le 28 mai 1944 —, avait évoqué le nom de « Julien Désandré », de Lavallois-Perret, tué au mas de Serret. On peut donc penser que ce fut De Bonnefoy qui se trompa de prénom et fit inscrire le prénom de « Julien » sur le monument de Mourèze. La question reste posée de savoir comment Maruéjol et Vielzeuf ont pu avoir connaissance de son vrai prénom, « René ». Par ailleurs, lorsqu’ils relatèrent le combat du mas de Serret, ils évoquent aussi le sacrifice de « Grand-Père », le pseudonyme de René Désandré. Olivier Bertrand eut entre ses mains le numéro de cette revue avec la publication, en annexe de l’article, du discours du maire d’Auriac-sur-Vendinelle (Haute-Garonne), un des pionniers du maquis Bir Hakeim dont il assura la logistique initiale. Sa lecture, comme Olivier Bertrand l’écrit lui-même (p. 297), apporta une réponse définitive à ses recherches sur l’inconnu des Crottes.

Voir Labastide-de-Virac, hameau des Crottes (3 mars 1944)



Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article196679, notice DÉSANDRÉ René, Auguste [alias « Grand-Père »] par André Balent, Frédéric Stévenot, version mise en ligne le 1er novembre 2019, dernière modification le 11 février 2020.

Par André Balent, Frédéric Stévenot

René Désandré (1923-1944)

SOURCES : Arch. com. Labastide-de-Virac, registre de l’état civil, acte de décès du fusillé inconnu dont le cadavre fut retrouvé près du mas de Serret. (Labastide-de-Virac). — Olivier Bertrand, Les imprudents, Paris, Le Seuil, 2019, 334 p.[plus particulièrement les pp. 194-198 et 295-310]. — J. Bonijol, R. Bourrier, H. Fumel, J. Vacquier, « Pour le centenaire de la naissance de Jean Capel "commandant Barot" (1910-1944) chef du maquis Bir-Hakeim », Études Héraultaises, 40, 2010, pp. 329-331, avec en annexe le discours d’Antoine de Bonnefoy prononcé le 2 décembre 1945. — Pierre Bonnaud, « 1944 : du nouveau sur le combat du Mas de Serret et le massacre des Crottes. Les imprudents (Olivier Bertrand, Le Seuil, 2019) », Envol. Montarem tant que poirem, mensuel de la fédération des œuvres laïques de l’Ardèche, 693, septembre-octobre 2019, pp. 5-6. — Adolphe Demontès, L’Ardèche martyre : crimes commis par les Allemands ou leurs serviteurs en violation du droit international, public, les années sanglantes de 1942 à 1945, préface du docteur Charles Grand, Largentière, Imprimerie Mazel, 1946, 255 p. [« Le massacre des Crottes », p. 50]. — René Maruéjol, Aimé Vielzeuf, Le maquis Bir Hakeim, nouvelle édition revue et augmentée, Genève, Éditions de Crémille, 1972, 251 p. [p. 9, pp. 64-65]. — Olivier Bertrand, Les Imprudents, op. cit. s’est appuyé, entre autres, sur les sources suivantes : registre des actes de naissance de Levallois-Perret ; SHD Vincennes, dossier d’homologation GR 16 P 177865 ; SHD Caen, AC 21 P 117888. Liste complète dans son livre cité ci-dessus. — MemorialGenWeb (Levallois-Perret) et entrée "Mourèze", consulté le 20 octobre 2019 (André Balent).

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