LE GLOU Jacques

Par Julien Lucchini

Né le 18 mai 1940 à Paris, mort le 9 décembre 2010 à Nantes (Loire-Atlantique) ; restaurateur, contrebandier, puis directeur de scène à l’Opéra de Marseille et membre de la Cinémathèque française, parolier, puis exportateur de films, vice-président d’Unifrance (2002), président de l’Association des exportateurs de films (Adef, 2001-2003) ; militant de la Fédération anarchiste (FA) puis de l’Internationale anarchiste (IA) dans les années 1960, puis militant situationniste, proche de Guy Debord, membre en 1968 du Conseil pour le maintien des occupations (CMDO).

Fils d’un peintre de décors de cinéma, Jacques Le Glou suivit les cours de l’École hôtelière de Strasbourg (Bas-Rhin) puis débuta sa vie professionnelle comme chef de rang dans un restaurant. Âgé de dix-huit ans, il quitta le pays pour l’Amérique latine où il fit de la contrebande de montres de luxe.

Revenu en France, Jacques Le Glou travailla désormais dans le monde du spectacle. Directeur de scène à l’Opéra de Marseille en 1967, il devint ensuite bénévole à la Cinémathèque française dirigée par Henri Langlois et anima dans le même temps le ciné-club Jean-Vigo. Jacques Le Glou militait, au milieu des années 1960, à la Fédération anarchiste (FA), fréquentait le Groupe libertaire de Ménilmontant (Paris, XXe arr.) et sa revue Prolégomènes et écrivait parfois dans Le Monde libertaire. En novembre 1966, à l’occasion de la mort d’André Breton, survenue deux mois plus tôt, il y signa un article qui fit grand bruit et mit semble-t-il fin à sa collaboration au journal, dans lequel il écrivait : « André Breton est mort. Aragon est vivant... C’est un double malheur pour la pensée honnête. » L’année suivante, alors que le Congrès de Bordeaux (Gironde) vit l’éclatement de la FA, il fut de ceux qui créèrent l’éphémère Internationale anarchiste (IA), proche des positions situationnistes développées par Guy Debord. Il y milita au sein du groupe Louise-Michel.

Désormais ami intime de Debord, et proche de Raoul Vaneigem, Jacques Le Glou prit part aux manifestations du printemps 1968 et, si l’on en croit un entretien daté de 2008, fut blessé sur les barricades. Membre du Conseil pour le maintien des occupations (CMDO), groupe situationniste créé au cœur du printemps, il y côtoya, entre autres artistes, le groupe des Barricadiers (voir Vania Adrien Sens).

Jacques Le Glou, qui était alors amateur de chanson sociale et qui affichait une certaine admiration pour Jules Jouy, parolier de la Commune de Paris, commença à écrire certains textes qui, pour la plupart d’entre eux, reprenaient des airs de chansons célèbres. Selon ses propres dires, il en écrivit ainsi près de quatre-vingts au cours des mois de mai et juin.

Dans la lignée du mouvement de mai-juin 1968, Jacques Le Glou continua de militer auprès des situationnistes. En 1969, avec Raoul Vaneigem et d’autres, il installa place de Clichy (IXe arr.) une réplique en plâtre de la statue de Charles Fourier dont l’originale avait été déboulonnée par les nazis durant l’Occupation. La même année 1969, il commença à envisager l’enregistrement et l’édition d’un disque reprenant ses chansons du printemps 1968. Il se heurta, dans un premier temps, aux problèmes de droit pour les reprises des airs de chansons préexistantes, et passa plusieurs mois à prendre contact avec les compositeurs concernés. Si certains (dont Charles Trenet) refusèrent, souvent en raison des nouveaux textes – insurrectionnels – qui devaient se substituer aux textes originaux, d’autres lui donnèrent l’autorisation d’utiliser leurs créations. Aussi Jacques Le Glou affirmait-il, plusieurs décennies plus tard, que Jacques Prévert, Jacques Lanzmann ou encore Jacques Dutronc furent si amusés par les nouveaux textes qu’ils acceptèrent sans difficultés.

La préparation de ce 33 tours dura près de cinq années. C’est, pour l’essentiel, avec l’aide de Guy Debord que Jacques Le Glou put réunir les chansons, chercher un label, trouver un titre et mobiliser les réseaux de l’Internationale situationniste (IS). Par l’intermédiaire de Debord, il rencontra Gérard Guégan, des Éditions Champ-libre, pour l’éventuelle publication d’un livret accompagnant le disque. Outre Le Glou lui-même et Guy Debord (sous le pseudonyme de Raymond Callemin, en référence à l’anarchiste illégaliste du début du siècle), les chansons furent signées par Alice Becker-Ho, épouse de Debord, et Étienne Roda Gil, dont le nom n’apparut néanmoins pas. Le choix des deux voix qui devaient porter les textes fit l’objet de débats, mais se porta finalement sur Jacques Marchais et Jacqueline Danno (qui chanta sous le pseudonyme de Vanessa Hachloum). Le 33 tours parut en 1974, édité en autoproduction par les Éditions musicales du Grand soir, et diffusé par RCA, sous le titre Pour en finir avec le travail. Chansons du prolétariat révolutionnaire. Il fit date et reçut un accueil enthousiaste. Ainsi, Delfeil de Ton, dans les colonnes de Hara Kiri, affirma « On ne peut pas se lever le matin sans écouter ‟Il est cinq heures”. » Tiré à 3 500 exemplaires et vite épuisé, il ne fut réédité en CD que plus de vingt ans plus tard, en 1998.

Dans un ouvrage paru en 2008, Gérard Guegan livrait une description physique du Jacques Le Glou de cette période : « De gros yeux gourmands, le pif d’un abonné aux dégustations à l’aveugle, une bouche malicieuse. Plus une solide charpente. »

En 1977, Jacques Le Glou réédita, aux Éditions Plasma, plusieurs textes d’Ernest Coeurderoy réunis sous le titre de Hurrah ! ou la Révolution par les cosaques. Revenu vivre en Amérique latine, où il tourna un documentaire sur la Révolution mexicaine, il lia connaissance avec le cinéaste Emilio Fernandez, et devint exportateur de films qu’il vendit entre autres pour Gaumont. Devenu producteur de cinéma, il exerça durant plusieurs décennies ce nouveau métier et fut, au début des années 2002, vice-président d’Unifrance (aux côtés de Daniel Toscan du Plantier) et président de l’Adef.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article196744, notice LE GLOU Jacques par Julien Lucchini, version mise en ligne le 5 novembre 2017, dernière modification le 5 novembre 2017.

Par Julien Lucchini

SOURCES : Christophe Bourseiller, Vie et mort de Guy Debord, Paris, Pocket, coll. « Agora », 2016. — Gérard Guégan, Montagne-Sainte-Geneviève, côté cour, Paris, Grasset et Fasquelle, 2008. — Guy Debord, Correspondance, volume 5, Janvier 1973-décembre 1978, Paris, Fayard, 2005. — Le Monde, 17 décembre 2010. — Vents contraires, 1er février 2011. — Je chante magazine, n° 3, spécial Mai 68, 2008. — Entretien avec Gérard Guégan.

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