CHAUVEAU Bernard, Marcel, Eugène

Par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule

Né le 7 décembre 1922 à Argentré (Mayenne), mort le 29 juin 1996 à Sens (Yonne) ; prêtre du diocèse de Laval, membre de la Mission de Paris (1949), prêtre-ouvrier ; OS, permanent CGT à la Régie Renault (1950-1953) ; électricien P3, secrétaire du syndicat CGT des Métaux de Boulogne-Billancourt ; animateur d’un groupe de prêtres insoumis (1957-1996).

Cadet des deux enfants d’un instituteur de l’enseignement catholique, Bernard Chauveau vécut son enfance à Pontmain, lieu de pèlerinage alors très fréquenté. Élève de l’école tenue par son père, puis du collège des frères en 1933, il entra au grand séminaire de Laval en 1939. Pour échapper au STO, il se réfugia dans une semi clandestinité comme manœuvre à l’atelier de soudure Borel, de Laval, qui l’avait embauché par l’intermédiaire d’un agent de la Résistance. La lecture de quelques ouvrages du père Lhande, puis celle de La France pays de mission ? des abbés jocistes Godin et Daniel ainsi qu’un service militaire de six mois qui lui « fit partager pour la première fois, totalement et sans privilèges, la vie des jeunes prolétaires de l’Ouest », l’incitèrent à être prêtre d’une autre manière. Il retourna, en effet, au séminaire en 1945 sans enthousiasme car, à la suite de son expérience du régiment, il n’éprouvait aucun goût pour le ministère paroissial ou le métier d’instituteur auxquels ses supérieurs le destinaient.
Ordonné prêtre du diocèse de Laval en 1947, Bernard Chauveau dut rejoindre un poste de vicaire à Château-Gontier. Déterminé à rejoindre la Mission de Paris où il avait rencontré en 1946 André Depierre* dont le « prophétisme » l’avait marqué, il ne put gagner la capitale qu’en 1949 après avoir, non sans difficulté, dû négocier avec son évêque. Déçu d’être nommé vicaire à Notre-Dame de la Gare, dans le XIIIe arrondissement où il ne fit qu’un très bref passage, il parvint à entrer comme OS, le 6 novembre 1950, dans l’entreprise la plus emblématique, Renault à Boulogne-Billancourt, sur la chaîne de montage des 4CV. La CGT, à laquelle il avait adhéré sans tarder, lui confia des responsabilités dans l’ambiance des grèves de 1952-1953. Il perdit son emploi après un procès contre son employeur et se retrouva permanent syndical, chargé de trouver des débouchés pour les nombreux licenciés de la Régie, de juin 1952 à octobre 1953.
Depuis 1949, Bernard Chauveau avait rejoint la Mission de Paris. Il habitait à Issy-les-Moulineaux où il animait des rencontres de chrétiens en recherche. Recruté chez Farman à la fin de 1953, il fut élu délégué au comité d’entreprise. Il resta au travail au 1er mars 1954, date fixée par le Vatican pour le retrait des prêtres-ouvriers exerçant en usine. Dans une lettre au cardinal Feltin, il écrivit : « Quitter le travail [...] aurait été à la fois trahir l’Église et ses exigences missionnaires - et trahir le monde ouvrier. »
Désireux d’acquérir une qualification professionnelle, Bernard Chauveau suivit des cours par correspondance qui le menèrent à pouvoir être ouvrier P3 en 1957. Il quitta dès lors la sidérurgie pour devenir électricien d’entretien dans le bâtiment où il n’était pas encore repéré comme syndicaliste, et connut la vie de chantier à Billancourt et à Meudon. En 1960, il intégra les Câbles de Clichy où il fut délégué au comité d’entreprise et secrétaire du comité central d’entreprise, puis les Machines-outils Desvallière (1961). À cette époque, il était secrétaire du syndicat des métaux de Boulogne et membre du comité de coordination du syndicat de la mécanique de la Seine. De 1963 à 1966, licencié trois fois, il ne connut pas moins de huit entreprises dont les Compteurs de Montrouge, Pouillon, la SGAET et Jaeger. En 1971 enfin, il fut embauché aux LMT de Boulogne-Billancourt où il fut trésorier de la section CGT et y resta jusqu’à la retraite.
Après mars 1954, Bernard Chauveau avait été l’un des rares prêtres insoumis à faire l’objet d’une sanction. Mgr Rousseau, évêque de Laval, lui infligea la suspension a divinis (interdiction d’exercer le ministère sacerdotal) à partir du 1er juin. Il en ressentit, ainsi que ses parents, une souffrance profonde. Bien que le cardinal Feltin l’ait autorisé en 1956 à célébrer avec « discrétion » la messe et les sacrements sur le diocèse de Paris, il refusa, même après 1970, d’être relevé de l’interdit. Selon son ami, Louis Bouyer*, « il assistait quelquefois à la messe, au fond de l’église, sans pouvoir communier ». Néanmoins, il participa activement aux tentatives de regroupement des prêtres restés au travail. Il s’efforça de rassembler ceux qui, comme lui, cherchaient à maintenir un dialogue difficile avec l’Église institutionnelle, dans le « groupe d’Issy », du nom de sa commune de résidence, qui se transforma, à partir de 1957, en groupe informel de prêtres insoumis ou, parfois, en délicatesse avec l’Église et dont il fut longtemps l’animateur principal. Ce groupe qui se réunissait régulièrement compta jusqu’à une vingtaine de membres dans les années soixante parmi lesquels Maurice Combe*, Jean-Marie Huret*, Aldo Bardini, Jean Olhagaray*, Bob Lathuraz*, Bernard Cagne* etc. En août 1964, Bernard Chauveau signa avec quatorze d’entre eux la lettre aux pères du Concile dont l’objectif était de « soumettre à l’attention des évêques une réflexion sur les rapports entre Église et classe ouvrière » avant le début de la troisième session.
Préretraité en janvier 1981, Bernard Chauveau ne voulut pas rentrer dans sa Mayenne natale et choisit, « studieux et solitaire », de vivre dans un petit village de l’Yonne, Brannay. Il fut alors trésorier du groupe 412 d’Amnesty International à Sens. Quand la maladie le frappa, il trouva refuge non loin de là, dans la maison de retraite « Les Cannes blanches » de Saint-Valérien. Son testament remodelé en 1990 le proclamait « croyant sans église ». Ayant fait don de son corps à la médecine, il n’eut pas de funérailles, mais ses amis se retrouvèrent autour de sa mémoire à Brannay, le 21 septembre 1996.
Bernard Chauveau, qui s’était méfié des engagements politiques, avait milité toutefois au Mouvement de la paix autour de 1952 et avait signé une lettre de prêtres-ouvriers au FLN en 1958. Proche de Jacques Chatagner*, il avait compté parmi les « Amis de La Quinzaine », périodique chrétien de gauche auquel il avait collaboré (1952-1953).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19683, notice CHAUVEAU Bernard, Marcel, Eugène par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 25 octobre 2008.

Par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Cahiers personnels, inédits. — Ruptures et découvertes, 1966, 5 p. tapuscrites. — Je suis un croyant, testament, 3e version, 10 mars 1990.

SOURCES : CAMT, Roubaix, fonds Insoumis, 1993002/0001 à 0010, 0026 à 0028 ; fonds Mission de France, 1996028/0263, 0265-0266. — Arch. historiques de l’archevêché de Paris, fonds Daniel, D 3-4-5 ; fonds Feltin, DXV5 ; fonds Frossard, 2D1/2/10/14. — Gregor Siefer, La Mission des prêtres-ouvriers, L’Épi, 1963. — Émile Poulat, Naissance des prêtres-ouvriers, Tournai, Casterman, 1965. — Oscar L. Cole-Arnal, Prêtres en bleu de chauffe, Éd. ouvrières, 1992. — Marta Margotti, « Une lettre de prêtres-ouvriers aux Pères du Concile », Chrétiens et ouvriers en France 1937-1970 sous la direction de Bruno Duriez, Étienne Fouilloux, Alain-René Michel, Georges Mouradian, Nathalie Viet-Depaule, Éd. de l’Atelier, p. 169-180. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers, Karthala, 2004. — Autour de Bernard Chauveau. Rencontre à Brannay le 21 septembre 1996, enregistrement et brochure. — Mémoire vivante 3, supplément Courrier PO, 1997, p. 12-13. — Pierre Derouet, Au sujet de la cassette contenant une conversation de Bernard Chauveau en août 1977 et intitulée « Ma mère me raconte 1954, avec le temps », Laval, 28 novembre 1991, 6 p. manuscrites. — Témoignage de Jean Olhagaray, novembre 1997. — Lettre d’Aldo Bardini, 30 mars 1998.

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