RECANATI Michel [Pseudonyme : Ludo]

Par Jean-Paul Salles

Né le 29 septembre 1950 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), mort le 23 mars 1978 ; militant des CAL et de la JCR avant 1968, militant de la Ligue communiste (membre du CC et du BP), dirigeant de son secteur jeune (lycéen et étudiant), dirigeant du Service d’Ordre ; arrêté après la manifestation du 21 juin 1973, démissionnaire peu après.

Photo d’un dimanche après-midi (1976) passé en vallée de Chevreuse avec Yann Coch(o)in "Paco", Monique Chouraki et sa soeur Line, Marie-Claude et MicherAngot. Michel Récanati tient dans ses bras le petit neveu d’Angot, Julien, né en juin 1973.

Michel Recanati était le fils de Suzanne Rodrigue, juive et communiste, mariée en 1952 avec Jean Recanati, lui aussi militant communiste, journaliste à L’Humanité à partir de 1946. Ils élevèrent ensemble leurs deux fils, Michel et François, de deux ans plus jeune, agrégé de philosophie et brillant universitaire. Jean Recanati, né en 1925 à Paris, était le fils cadet d’une famille juive immigrée de Salonique (Turquie). Ses parents, commerçants dans le IXe arrondissement de Paris, furent déportés en 1942 et périrent dans les camps, de même que son oncle Joseph, résistant. Jean Recanati fit partie de ces militants communistes ébranlés par les révélations du rapport Khrouchtchev et par l’intervention de l’Armée rouge en Hongrie en 1956. Il démissionna du PC et poursuivit sa carrière de journaliste à Europe-Auto tout d’abord, une revue automobile. En 1968, habitant toujours dans le IXe arrondissement, ils étaient, avec son épouse, éditeurs-publicitaires de la Maison Lancelot-Publicité.

Michel Recanati fit ses études secondaires au Lycée Jacques-Decour (IXe arr.). Il eut le Bac en 1968. Très tôt politisé, il adhéra à la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) dès 1967 et fut un des fondateurs des Comités d’action lycéens (CAL). Dirigeant de cette organisation avec Maurice Najman notamment, il représenta les CAL lors de la manifestation du 13 mai 1968, aux côtés de Daniel Cohn-Bendit (Mouvement du 22 Mars), Alain Geismar (Snesup) et Jacques Sauvageot (Unef). À la rentrée de 1968, il s’était inscrit à la Faculté des Lettres de Paris et à l’école des Langues orientales. Plus que jamais militant, le 14 novembre 1968 par exemple, il tint meeting à Toulouse, à la Faculté des Lettres, devant 200 étudiants, pour Rouge, journal d’action révolutionnaire. Membre de la IVe Internationale à partir de janvier 1969, il prit une part active au congrès de fondation de la Ligue communiste à Mannheim, en avril 1969. Membre du CC et du BP de la nouvelle organisation, il fut le principal responsable de son secteur jeune. À ce titre, de concert avec Michel Field, il anima la grande grève lycéenne et les manifestations contre la loi Debré qui remettait en question les sursis militaires, en mars-avril 1973. Il était aussi très engagé dans la campagne de solidarité avec la lutte des Vietnamiens contre l’intervention militaire américaine en Indochine. Elle prenait parfois la forme d’actions contre les consulats américains ou sud-vietnamiens : vitrines brisées, slogans peints sur la façade, drapeau américain brûlé. C’est pour une action de ce type qu’il fut inculpé une première fois, avec Alain Krivine, après perquisition au domicile de ses parents où il habitait encore (Rouge n°158, 20 mai 1972, p.13). À une autre occasion, avec son complice Romain Goupil, ils réussirent, en passant par les toits, à pénétrer dans l’hôtel où résidait le général sud-vietnamien Ky et à inonder ce dernier de peinture rouge (Hamon et Rotman, T.2, p.499).

Son sens de l’initiative, mais aussi ses qualités de sérieux, de ponctualité, en firent le principal responsable du Service d’Ordre (SO) de la LC et notamment de son exécutif, la Commission Technique (CT). C’est à ce titre que le BP lui confia la mission d’interdire le meeting d’Ordre nouveau (successeur d’Occident et ancêtre du Front national) contre l’immigration sauvage, à la Mutualité, le 21 juin 1973. Pendant plusieurs heures, les militants de la Ligue et sympathisants, casqués, armés de manches de pioche et de cocktails Molotov, attaquèrent la police qui protégeait le meeting. Plusieurs policiers furent blessés et le drame fut évité de peu. Y eut-il provocation organisée au plus haut niveau de l’État ? En tout cas, la LC fut dissoute le 27 juin 1973, de même qu’Ordre nouveau. Les réactions, dans l’organisation, furent mitigées. « Gauchiste ou pas gauchiste, cette manif ? Bon, d’accord, c’était gauchiste, mais tellement chouette ! », se réjouit dans ses Mémoires (2001, p.321) Jean-Michel Mension (Alexis Violet), dont une grande partie de la famille avait disparu dans les camps nazis. Gérard Filoche, par contre, déplora « une action minoritaire, étrangère, et incompréhensible pour des millions de gens » (Filoche, 1998, p.173). De même, les responsables du « travail ouvrier », Jeannette Pienkny (Janette Habel) et André Grimaldi (Radot) critiquèrent une action contradictoire, selon eux, avec le patient travail d’implantation dans les entreprises et les syndicats. Après la dissolution, le local central de la LC, Impasse Guéménée (Paris, IVe arr.), fut perquisitionné et le dirigeant présent, Pierre Rousset, arrêté. Alain Krivine fut arrêté lui aussi, quelques jours après, lors d’une mise en scène qui vit François Mitterrand se solidariser avec lui.
Quant à Michel Recanati, sous le coup d’un mandat d’arrêt en tant que dirigeant du SO, il fut décidé en BP qu’il se réfugierait en Suisse, où il fut caché et hébergé par ses camarades de la LMR (section suisse de la IVe Internationale).
C’est Michel Angot (Laszlo) qui assura le lien avec lui en lui apportant notes et courrier et en rapportant dans le coffre de sa voiture le premier numéro de Rouge tiré après la dissolution sur les presses de la LMR.
Mais, après la libération assez rapide d’Alain Krivine, début août, puis celle de Pierre Rousset, fin août, il fut décidé que Michel Recanati se présenterait au juge d’instruction. Il fut écroué à la Santé le 17 septembre mais ne fut libéré qu’à la toute fin du mois d’octobre. Par l’intermédiaire du journal Rouge (un article par semaine du n°222, 28 septembre, au n°228, 9 novembre), l’organisation dissoute demanda sa libération et tenta d’organiser la solidarité. Mais les votes des motions de soutien par les sections syndicales furent rares, de même que les lettres des amis militants. Edwy Plenel fait son autocritique dans ses Mémoires  : « J’ai ainsi le souvenir d’un dîner improvisé, dans un restaurant quelconque, après sa sortie de la Santé où, lui confiant maladroitement mon regret de ne pas lui avoir fait signe pendant sa détention, je fus sèchement remis à ma place : mes phrases solidaires étaient bien tardives, ne me coûtaient guère et ne lui étaient plus d’un grand secours » (Plenel, 2001, p.137). Si cet épisode de la dissolution fut vite surmonté par la Ligue, ce ne fut pas le cas pour Michel Recanati : « À sa sortie de prison, Ludo avait changé », écrit Daniel Bensaïd, « le passage par la case prison fut pour lui l’occasion de faire le point sur sa jeune vie et d’affronter ses fêlures intimes » (Bensaïd, 2004, p.171-2).

Certes, il reprit quelque temps le militantisme, participant à la première expérience de Rouge quotidien pendant la campagne présidentielle lors de laquelle Alain Krivine fut candidat pour la deuxième fois (5 mai 1974). Il faisait même partie des 32 militant(e)s, aux côtés d’Alain Krivine, Pierre Frank, Michel Field, qui appelèrent à créer le Front communiste révolutionnaire (FCR), le 10 avril 1974 (Rouge n°250, 12 avril 1974). Même après qu’un non-lieu ait été prononcé pour lui et pour Alain Krivine (Rouge n°272, 1er novembre 1974), sa désespérance s’aggrava. Au début de l’année 1975, il demanda à ne plus faire partie du BP et du CC. Puis il demanda un « congé d’organisation » suite à quoi il obtint le concours du CAPES en Sciences économiques, qui lui permit d’obtenir un poste en lycée. Ayant entamé une psychanalyse, il éprouvait un sentiment de culpabilité vis-à-vis de l’organisation. Ses apparitions se firent plus rares, il ne répondait plus aux invitations, puis il disparut (Bensaïd, 2004). Ses camarades n’apprirent son suicide que bien plus tard. La clandestinité, l’exil, la prison, les critiques aussi de certains de ses camarades sur l’action du 21 juin, contribuèrent à miner le moral de « Ludo qui prenait les choses terriblement au sérieux » (Bensaïd, 2004). Mais la découverte récente que celui qu’il avait toujours pris pour son père et qu’il admirait, n’était pas son vrai père, rendit sans doute plus compliquée sa reconstruction. Enfin, très soucieux de sa reconversion professionnelle, nous dit Daniel Bensaïd, il n’allait pas manquer de rencontrer des obstacles, devait-il penser, malgré l’aide de certains de ses anciens camarades. Ainsi Bernard Guetta, dans ses Mémoires, nous dit qu’il avait convaincu la direction du Nouvel Observateur de l’embaucher (Guetta, 2017), mais Michel Recanati ayant disparu, il ne put lui annoncer la bonne nouvelle.

Le suicide de Michel Recanati, grâce notamment au film de son ami Romain Goupil, Mourir à trente ans (1982, Caméra d’Or au Festival de Cannes), est le plus connu des suicides de militant(e)s. Mais il n’est pas le seul. Certains, à la Ligue, comme le Docteur Jacques Hassoun (Michel Péret) (1936-1999), se sont interrogés, sous forme d’autocritique, sur cette impuissance/inaptitude de l’organisation à aider les militants fragilisés. C’était en 1975, à propos du suicide de Michel Hascouet, un militant de Besançon. Dans un article nécrologique intitulé « Nous n’oublierons pas », il reconnaît que « l’organisation dans laquelle Michel se reconnaissait, la LCR, ne lui a pas permis de passer un cap : par ignorance, par non disponibilité due à la surcharge des tâches militantes, mais peut-être aussi parce qu’imprégnés par l’idéologie dominante, nous continuons à diviser sujet public/sujet privé ». En terminant, il appelle à inventer « la nouvelle formule » du militant révolutionnaire (Critique communiste n°4, décembre 1975-janvier 1974).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article196924, notice RECANATI Michel [Pseudonyme : Ludo] par Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 10 novembre 2017, dernière modification le 8 octobre 2022.

Par Jean-Paul Salles

Recanati, Geismar, Sauvageot, Cohn-Bendit en mai 1968
Recanati, Geismar, Sauvageot, Cohn-Bendit en mai 1968
Photo d’un dimanche après-midi (1976) passé en vallée de Chevreuse avec Yann Coch(o)in "Paco", Monique Chouraki et sa soeur Line, Marie-Claude et MicherAngot. Michel Récanati tient dans ses bras le petit neveu d’Angot, Julien, né en juin 1973.

SOURCES : Arch. Dép. Haute-Garonne, 1681 W 13. — Rouge n°221 à n°228, 21 septembre-9 novembre 1973. — Rouge n°1026, 23 juillet-26 août 1982, « À propos du film Mourir à Trente Ans, double page avec interview de Romain Goupil. — Hervé Hamon, Patrick Rotman, Génération, T.2 Les années de poudre, Seuil, 1988. — Gérard Filoche, 68-98. Histoire sans fin, Flammarion, 1998. -Edwy Plenel, Secrets de jeunesse, Stock, 2001. — Jean-Michel Mension (Alexis Violet), Le temps gage, Éditions Noesis, 2001. — Daniel Bensaïd, Une lente impatience, Stock, 2004. — Jean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage, PUR, 2005, notamment le paragraphe « les abandons définitifs : les suicides », p. 326-8. — Jean-Guillaume Lanuque et Jean-Paul Salles, « Terrorisme et trotskisme. Trotsky et les trotskystes face au terrorisme et à la violence minoritaire », in « Révolution, lutte armée et terrorisme », revue Dissidences, n°1, L’Harmattan, 2005. — Bernard Guetta, Dans l’ivresse de l’histoire. Mémoires sans frontières, Flammarion, 2017. — Notes de Michel Angot (Laszlo).

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