RASCALON René [alias « ALAIS », pseudonyme de Résistance]

Par Fabrice Sugier

Né le 6 décembre 1898 à Alès (Gard), mort le 7 décembre 1982 à Nîmes (Gard) ; plombier à Nîmes (Gard) ; résistant du Gard (Combat, AS) ; dirigeant de ces organisations dans le Gard ; fondateur et chef des maquis (AS) de l’Aire-de-Côte, de Lasalle et Aigoual-Cévennes.

René Rascalon vivait, au début de la guerre, au Quartier de l’Eau Bouillie, à Nîmes, où il était artisan-plombier. La femme de René Rascalon, mère de Gilbert et Marceau Thérond, Julia, Augustine, Léonie Rascalon, née Peyric, a été constamment associée à leurs activités dans la Résistance. Le domicile devint rapidement le lieu de réunion d’un groupe de sept patriotes refusant la défaite, avec Sordi Primo et Elio, les frères Gilbert et Marceau Thérond, Marcel Rouquette et André Alzas. L’objectif du groupe était de contrer la propagande de Vichy, en particulier auprès des ouvriers sur les chantiers du bâtiment.

En août 1942, René Rascalon prit contact avec Marceau Bonnafoux, qu’il connaissait depuis une grève du bâtiment en 1929 et qui partageait les mêmes convictions, puis avec d’autres résistants nîmois membres de Combat : Fernand Guigon, Albert Thomas, responsable départemental de l’Armée secrète, Georges Salan, Jean-Pierre Cabouat, Gaston Massié, Louis Salle, Huguet... La décision fut prise de s’organiser en sizaines et en trentaines, l’une étant dirigée par René Rascalon, devenu "Alais". Le groupe, affilié à l’Armée secrète (AS), conduisit plusieurs types d’actions : sabotage des véhicules du Service d’ordre légionnaire (SOL), propagande antivichyste, renseignement et espionnage... Le 11 novembre 1942, après l’appel de la radio de Londres à commémorer l’événement, Rascalon et ses amis organisèrent une manifestation au monument aux morts : malgré l’interdiction préfectorale et la présence de forces de police nombreuses, le rassemblement connut un grand succès.

Avec l’arrivée des troupes d’Occupation dans le Gard, le travail des résistants devint plus difficile : "il faut s’organiser plus sérieusement, avec prudence", notait Rascalon dans ses souvenirs. Par l’intermédiaire d’Albert Thomas dit "Pascal", dit "Chaudebois", le groupe était en relation avec Londres qui réclamait des renseignements sur l’armée allemande et lance la campagne des "V" puis des "croix de Lorraine".
René Rascalon et ses amis organisèrent aussi des filières pour le départ en Algérie via l’Espagne : le mas de l’Eau Bouillie fut alors un lieu de passage où les candidats au départ préparaient leur voyage. En décembre 1942, son domicile servit aussi de refuge pour l’équipe de sabotage FTPF de Jean Robert.
Les mesures prises par Vichy sous la pression allemande, fin 1942-début 1943, obligèrent les résistants à se consacrer à de nouvelles tâches. René Rascalon nota qu’à partir de janvier 1943, il fallut mettre en garde les ouvriers contre la Relève : des membres de son groupe commençaient à cacher des réfractaires. Mais surtout, après l’adoption du Service du travail obligatoire (STO), en février 1943, les responsables gardois de l’Armée secrète, F. Guigon, A. Thomas, R. Rascalon, recherchèrent le moyen de soustraire les jeunes au départ en Allemagne. R. Rascalon proposa alors de les regrouper dans ce que l’on n’appelait pas encore un maquis et abandonna ses fonctions de chef de trentaine pour s’occuper uniquement de cette tâche. Il contacta plusieurs personnes susceptibles d’héberger des réfractaires : une première "pouponnière" est créée au mas de l’Eau Bouillie puis route de Sauve, chez Madame Rouquette, où Rascalon conduisit quatre jeunes le 1er mars 1943. Face à la multiplication des demandes, les responsables nîmois de l’AS décidèrent (comme le firent ceux d’Alès) de créer un camp à Saumane (Gard), où F. Guigon avait des contacts : le 20 mars 1943, lors d’une réunion à Nîmes, A. Thomas, chef départemental de l’AS et R. Rascalon, responsable du maquis, en confièrent le commandement à Jean Castan.

Le 28 mars 1943, Castan et Rascalon vinrent, pour la première fois, à Saumane : ils y rencontrèrent le maire, Fernand Borgne qui mit à leur disposition une de ses propriétés, le Barrel, à sept kilomètres du village, et s’engagea à ravitailler les réfractaires. Une semaine plus tard, René Rascalon accompagna les quatre réfractaires du mas Rouquette à Saumane. Pendant deux mois, il effectua plusieurs allers-retours, soit pour acheminer de nouveaux réfractaires, soit pour pourvoir au ravitaillement du camp, avec l’aide d’un grossiste du marché Saint-Charles, M. Mary. Après le déplacement du camp à Aire-de-Côte, le 15 mai 1943, les effectifs du camp augmentèrent : au 22 juin 1943, 103 réfractaires y furent rassemblés, alors que 70 autres furent cachés dans les mas des environs.

Menacés d’arrestation, René Rascalon et sa femme Julia durent quitter Nîmes, en juin 1943, et s’installèrent à Saumane, au lieu-dit Castel-Riquet, où ils hébergèrent Jean Todorow dit "Jean le Serbe" (ancien du maquis AS Bir Hakeim, Voir Capel Jean), lui aussi en fuite. Le ravitaillement du maquis était alors la priorité du groupe : le 27 juin 1943, Rascalon, Roche, Jalabert, Boutonnet et Jean Todorow se rendirent dans la région alésienne, où ils récupérèrent feuillets et tickets d’alimentation dans les mairies de Rousson, Saint-Julien-de-Valgalgues et Les Mages.
Quelques jours plus tard, le 30 juin 1943, René Rascalon fut appelé à Montpellier auprès de l’état-major régional de l’AS (Raymond Chauliac, André Pavelet) qui le nomma chef départemental des maquis (AS) du Gard. Mais, à son retour, alors qu’il était passé par son domicile de Nîmes, il apprit que le camp d’Aire-de-Côte a été attaqué par les troupes allemandes : sept maquisards furent tués, quinze furent blessés. Trente-neuf d’entre eux, plus F. Borgne et E. Berrière, garde forestier, furent arrêtés et déportés en Allemagne : vingt-deux y moururent dans l’enfer des camps.

Revenu à Saumane, René Rascalon partit à la recherche des rescapés, en compagnie de Jean Todorow : ils retrouvèrent Jean Castan et Fernand Bompard, et, au bout de quelques jours, rassemblèrent vingt et un rescapés. Malgré la fin tragique du maquis qui suit l’échec du premier "réduit" mis en place par l’AS alésienne, René Rascalon ne se découragea pas et noua de nouveaux contacts, dans l’été 1943, pour monter un nouveau maquis.
Après avoir regroupé les rescapés d’Aire-de-Côte près de Saumane, René Rascalon chercha à reconstituer un maquis ailleurs en Cévennes. Il fut alors mis en relation par Gleize, transporteur chez l’exploitant forestier Ravis et par Fougerolle, agriculteur à Lasalle (Gard), avec deux résistants de cette localité, Guy Arnault et Robert Francisque, qui cachaient déjà dix-huit réfractaires dans deux bergeries des environs. Après une prise de contact "assez froide", selon Rascalon, l’accord se fit entre ces trois hommes sur une fusion des deux groupes : le 4 août 1943, fut créé le maquis de Lasalle (devise : "la liberté ou la mort"), placé sous le commandement de René Rascalon, le plus âgé et le plus ancien dans l’Armée secrète (AS), avec R. Francisque et Guy Arnault pour adjoints.

La première préoccupation de René Rascalon fut d’éviter que la tragédie d’Aire-de-Côte ne se reproduisît : pour cela, des points de repli furent mis en place en cas d’attaque ; des agents de liaison maintenaient le contact avec les autres groupements et les sources d’information, et le maquis changea d’emplacement tous les vingt à vingt-cinq jours. Par ailleurs, René Rascalon et les responsables du maquis s’assurèrent, par étapes, la complicité, ou du moins la passivité des gendarmes locaux au Vigan (Gard), à Saint-Hippolyte (Gard) ou Lasalle (Gard). Ils pouvaient aussi compter sur l’aide de certains policiers, notamment ceux du réseau Ajax, comme Maurice Sachan, des Renseignements généraux, qui le prévint d’une attaque des miliciens aux Fosses, à Colognac, le 23 mai 1944.

La deuxième priorité est l’approvisionnement et l’équipement du maquis. Il s’appuya d’abord sur les commerçants et artisans cévenols ralliés à la Résistance par G. Arnault et R. Francisque à Lasalle, par E. Camplan à Saint-Hippolyte-du-Fort, par Rémézy à Soudorgues... mais aussi sur les "filières" mises en place au printemps 1943 pour Aire-de-Côte : madame Julia Rascalon et son fils Marceau Thérond faisaient des allers-retours à Nîmes pour chercher du ravitaillement chez M. Régis, épicier en gros. Enfin le maquis procéda à des réquisitions, mais celles-ci se firent parfois avec l’accord, voire l’aide des commerçants concernés, comme les deux débitants de tabac Travier à Thoiras et Verdier à Lasalle. De même, les vêtements étaient fournis, en grande partie, par les établissements Paulhan qui fabriquaient des tenues militaires, dont le patron, Pierre Paulhan, membre de l’AS, donna son accord à René Rascalon pour plusieurs "cambriolages" de son usine.

La loi sur le Service du travail obligatoire (STO), notamment envers les jeunes sortis des Chantiers de jeunesse, et l’aggravation de la répression entraînent une augmentation du nombre de maquisards, en même temps qu’elles impliquèrent pour René Rascalon et ses deux adjoints l’obligation de structurer le camp. En octobre 1943, après discussion avec André Pavelet, responsable régional de l’AS, ils mirent en place dans le château de Malérargues une "école des cadres", confiée à R. Francisque et J. Todorow. En janvier 1944, fut constitué le groupe franc, chargé des opérations de récupération de vivres et matériel et des actions contre les collaborateurs, puis une "police spéciale du maquis", qui devait démasquer et neutraliser les traîtres. Parallèlement, en prévision des combats de la Libération, un service de santé fut créé après l’arrivée au maquis, fin 1943, du docteur Herman de Courcelles. Par ailleurs, malgré les déplacements successifs de son poste de commandement (PC) (12 emplacements différents entre août 1943 et août 1944 !), René. Rascalon gardait le contact à la fois avec les directions départementale et régionale de l’AS (le docteur Georges Salan et André Pavelet, de Montpellier (Hérault), vinrent à Lasalle, Mme Rascalon et son fils Marceau effectuèrent plusieurs missions de liaison à Nîmes), avec les groupes de la région alésienne (M. Cassagne, et A. Breschet en particulier), la brigade Montaigne (AS), que R. Rascalon appella en renfort le 30 janvier, ou encore avec les formations FTP, auprès desquelles Antonin Combarmond servit souvent d’intermédiaire.

En revanche, René Rascalon, soutenu par G. Arnault et M. Bonnafoux, tenait à l’"indépendance" de son maquis : il refusa à plusieurs reprises de le voir diluer dans des formations plus vastes dont la direction lui échapperait totalement ou dont il désapprouverait la stratégie : une première fois, vers Pâques 1944, quand Jean Capel dit "Barot", chef du maquis Bir Hakeim vinrent lui demander de placer le maquis de Lasalle sous son commandement. Un peu plus tard, le 3 mai 1944, René Rascalon participa à un "conseil de guerre" qui somma "Barot" d’emmener son maquis hors de la région cévenole (Voir Ozil Jules).
Pour lui, "indépendance" signifiait aussi méfiance vis-à-vis des résistants communistes : comme il le souligna dans ses souvenirs, "nous souhaitions vivement un contact régulier, mais ne voulions pas faire de politique". Il s’oppose ainsi à toute intrusion des questions politiques au sein du maquis, en particulier quand elle émanait des communistes : ce fut l’origine de la scission du maquis, le 4 février 1944, quand onze maquisards menés par Jacques Baby, quittèrent le camp pour former le maquis du Serre.
Ce fut aussi sans doute une des raisons du refus de René Rascalon de placer son maquis sous commandement des Forces françaises de l’intérieur (FFI) : Michel Bruguier dit "Audibert", vint à Lasalle le 25 juin 1944, mandaté par Marcel Degliame, responsable national, et par Gilbert de Chambrun, chef régional FFI, pour se faire confier le commandement unifié de tous les maquis du Gard. René Rascalon, qui a raconté l’épisode, parla d’un entretien plutôt froid, en particulier après qu’ "Audibert" eut clairement indiqué qu’il se démarquait des idées politiques de son père, ancien sénateur socialiste du Gard. Malgré l’insistance d’ "Audibert", malgré plusieurs courriers laissés sans réponse et un déplacement à L’Espérou (Gard) — mais les chefs du maquis ne voulurent pas le rencontrer — , Rascalon et ses adjoints refusèrent la fusion, inquiets sans doute de voir les communistes prendre le contrôle des formations du maquis.

Après le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944, le maquis de Lasalle vit ses effectifs augmenter de manière spectaculaire : l’afflux des jeunes, puis le ralliement des gendarmes de Lasalle, Lédignan, Anduze (Gard)... à l’appel de la radio de Londres les firent passer à près de 200 hommes. Fin juin 1944, René Rascalon et le pasteur L. Olivès, chef du maquis d’Ardaillers, décidèrent de fusionner leurs deux groupes, qui devinrent, le 12 juillet 1944, le maquis Aigoual-Cévennes, placé sous le commandement d’un directoire comprenant les responsables des deux maquis. De 415 hommes au 12 juillet, date du départ à L’Espérou (Gard), le maquis passa à 1000 unités début août et à plus de 2000 au moment des combats de la Libération. René Rascalon, commandant FFI, et le directoire du maquis furent alors en relation directe avec Londres et Alger, depuis l’arrivée du major Sharp et du radio Johnny. Cela permit aux hommes de l’Aigoual-Cévennes de recevoir plusieurs parachutages à partir du 16 juillet 1944 et de prendre ainsi une part active à la libération de la région, avec de multiples combats et accrochages contre les troupes allemandes : au Vigan le 10 août 1944, puis surtout, à partir du 24 août, à Ganges (Hérault), Saint-Hippolyte-du-Fort, Sommières, Pondres, Salinelles (Gard)...

Le 29 août 1944, René Rascalon conduisit ses maquisards à Nîmes, d’où les troupes allemandes s’étaient retirées le 24. Il eut la "désagréable surprise de constater que le désordre y règne". D’autres témoignages évoquent sa déception et sa colère contre les résistants de la dernière heure qui occupaient bruyamment le terrain et récoltaient les honneurs. Cette attitude, que partagèrent les autres chefs de l’Aigoual-Cévennes, ainsi que sa méfiance envers "Audibert", lui valurent d’être quelque peu "écarté" de la redistribution des rôles qui suit la libération du département : lors du défilé du 4 septembre 1944 à Nîmes, il marchait en tête de son maquis aux côtés de Germaine Bonnafoux, veuve de "Marceau", et de Guy Arnault ; mais, le lendemain, la presse locale ne mentionna même pas son nom parmi les dirigeants de la Résistance gardoise ! Cependant, beaucoup de ses maquisards contractèrent un engagement pour la durée de la guerre et rejoignent le front, notamment au sein du bataillon des Cévennes, commandé par D. Magnant, qui quitta Nîmes le 3 octobre 1944, avec 570 hommes et officiers.

Officier liquidateur du maquis Aigoual-Cévennes, il garda le contact avec ses anciens maquisards, rédigeant notamment de nombreux certificats pour attester de leur action dans la Résistance, défendant avec sa femme leurs intérêts au sein de l’association Résistance et Maquis ; mais il n’hésita pas, non plus, à dénoncer vivement les imposteurs. Après avoir raconté son parcours dans la Résistance dans un livre paru en 1945, il semble n’avoir milité dans aucune formation politique et s’être tenu à l’écart de tout engagement militant : revenu vivre à l’Eau Bouillie, à Nîmes, il a repris son métier de plombier. Ceux qui ont connu René et Julia Rascalon témoignent de leur modestie et de leur refus de mettre en avant leur rôle dans la Résistance gardoise.
Il fut fait chevalier de la Légion d’honneur et reçut la Croix de guerre

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197083, notice RASCALON René [alias « ALAIS », pseudonyme de Résistance] par Fabrice Sugier, version mise en ligne le 16 novembre 2017, dernière modification le 28 janvier 2020.

Par Fabrice Sugier

SOURCES : Archives privées Aimé Vielzeuf. — ONAC (Gard). — Claude Émerique, Laurent Pichon, Fabrice Sugier, Monique Vézilier, La Résistance dans le Gard, Paris, Association pour des Études sur la Résistance intérieure (AERI), 2009, CDROM avec un livret de présentation, 36 p. [en particulier plusieurs notices de Fabrice Sugier]. — René Rascalon (commandant), Résistance et maquis FFI Aigoual-Cévennes, Montpellier, Imprimerie des Dernières Nouvelles d’Alsace, 1945, 163 p. — Fabrice Sugier, Monique Vézilier, Le Gard dans la guerre 1939-1945, préface de Jean-Marie Guillon, Clermont-Ferrand, De Borée, 2017, 452 p. — Aimé Vielzeuf, On les appelait les « bandits », préface d’André Chamson de l’Académie française, 2e édition, Nîmes, Lacour, 2002, 383 p. — Aimé Vielzeuf, Pierre Mazier, Quand le Gard résistait (1940-1944), tome 2 Dans le secret des bois, Nîmes, Lacour, 1997, 235 p. — Aimé Vielzeuf, Pierre Mazier, Quand le Gard résistait (1940-1944), tome 3, Sang et lumière , postface Antoine Bénédittini, Nîmes, Lacour, 1998, 249 p.
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