Par Jean-Claude Richez
Né le 21 juin 1884 à Thionville, Reichsland Elsass-Lothringen, mort en septembre ou octobre 1956 à Kearney, New Jersey ; marin ; syndicaliste et du SPD, protagoniste de la mutinerie de la marine allemande en novembre 1918 puis des Conseils de soldats et d’ouvriers de Strasbourg, membre de la République des conseils de Bavière des députés au Reichstag, militant de l’USPD puis du KPD, permanent du Komintern, réfugié aux États-Unis à partir de 1933 participe à la Commission Dewey en réponse au procès fait par Staline à Moscou et milite dans les rangs antifascistes et anarchistes.
Wendelin Thomas était le fils de Wendelin Thomas (7 octobre 1860 Schleitalhsland Elsass-Lothringen, - 3 octobre 1935 Altenstadt, France) et de Marie Anne Rohmer (20 août 1858 Oberseebach, Reichsland Elsass-Lothringen / 31 août 1945 Altenstadt, France). Selon l’usage ses parents s’étaient mariés dans la commune de la jeune femme à Oberseebach le 27 août 1934). La famille était nombreuse, elle comptait sept enfants : cinq garçons et deux filles. Son père, ouvrier agricole au moment de sa naissance, fut par la suite conducteur de locomotive à Altenbach, près de Wissembourg, les deux communes sont fusionnées de nos jours. Sa famille originaire de cette partie de l’Alsace du nord et était comme nombre de ses habitants originaires du tout proche Palatinat d’où elle avait émigré à la fin du XVIIIe siècle. Il fréquenta l’école primaire à Thionville puis à Wissembourg. À sa sortie de l’école il devint mousse puis matelot dans la marine marchande à Hambourg. Au début des années 1900, il y travaillait comme ouvrier dans la construction navale. Il se maria en 1907, se syndiqua en 1910 et entra au SPD la même année.
Wendelin Thomas fit la guerre dans la marine de guerre allemande, notamment sur le cuirassé Kaiser qui avait son port d’attache à Wilhelshaven dans l’Oldenburg, sur la mer du nord l’un des principaux ports de guerre de l’empire avec Kiel, sur la Baltique. Le port De Wilhemshaven, de construction relativement récente, était ultra-moderne. Wendelin Thomas participa à l’agitation contre la guerre sur son bateau en liaison avec le socialiste de gauche Bernhard Kuhnt et le groupe radical des communistes hambourgeois dirigé par Heinrich Laufenberg. Son navire fut l’un des premiers navires à se soulever, après ceux de Kiel, à la fin du mois d’octobre 1918, mouvement à l’origine de la révolution allemande de novembre 1918 qui précipita la fin de la guerre, provoqua l’abdication de l’Empereur et la proclamation de la République.
À partir de Kiel et Wilhemshaven, les marins révolutionnaires qui se déplaçaient en train essaimèrent dans toute l’Allemagne. Wendelin Thomas revint en Alsace et à Strasbourg où il prit une part très active au développement du mouvement des conseils de soldats et d’ouvriers. Il fut à Strasbourg le porte-parole de son aile la plus radicale, en opposition avec les sociaux-démocrates strasbourgeois emmenés par Jacques Peirotes qui venait d’y être nommé maire, favorable lui au retour à la France mais aussi d’une minorité parmi les socialistes strasbourgeois, essentiellement des vieux-allemands, qui plaidait en faveur du maintien dans le cadre allemand.
Pour Wendelin Thomas :« Les matelots sont internationalistes par profession. Ce sont des généraux prussiens qui ont créé le mouvement nationaliste en Alsace. L’on a oublié ainsi l’essentiel : le sort de l’Alsace-Lorraine… Le but suprême ne doit pas être de choisir entre l’Allemagne et la France, mais de travailler à l’œuvre civilisatrice et de préparer la fraternisation des hommes ». Pour lui le drapeau rouge dont on contestait la présence tout en haut de la flèche de la cathédrale « (…) est le symbole du socialisme international, de la théorie pour laquelle la réconciliation de l’humanité est le but, qui combat le capitalisme et le profit si dommageables à la société humaine jusqu’à leur anéantissement. Que le drapeau rouge flotte sur la cathédrale est le signe que la théorie socialiste a cessé d’être une théorie pour devenir une réalité ». Pour Wendelin Thomas l’enjeu n’était pas « français, allemand ou neutre » mais de l’inscription dans le projet de révolution internationale en œuvre. « L’idéal du socialisme a atteint le stade de sa réalisation (…) Le militarisme prussien a été abattu et avec lui beaucoup de choses malsaines extirpées ». Les révolutionnaires ne sauraient donc accueillir avec joie l’armée française qui signifie pour les Alsaciens le retour sous le joug du capitalisme.
Avec l’échec du mouvement strasbourgeois et l’entrée des troupes françaises Wendelin Thomas revint d’abord dans le nord de l’Allemagne dans l’Oldenbourg. Il participa à un gouvernement révolutionnaire présidé par son ami Berhard Kuhnt. Le 11 décembre celui-ci avait proclamé le Grand-duché d’Oldenbourg État libre (Freistaat). En décembre 1918 Wendelin Thomas participa à Berlin au Congrès national des Conseils de soldats et d’ouvriers à Berlin comme représentant des marins. Il fut du petit nombre des Vereinigte Revolutionäre Arbeiter (révolutionnaires ouvriers unis) proche des spartakistes. Battu en janvier aux élections par le SPD et après l’échec d’une tentative de putsch appuyé par les marins révolutionnaires, Bernhardt Kuhnt et son gouvernement fut dissout le 29 janvier 1919. Ce fut vraisemblablement à ce moment que Wendelin Thomas choisit de rallier la République bavaroise des conseils tandis que Kuhnt retournait en Saxe, à Chemnitz dont il était originaire.
Wendelin Thomas s’engagea alors dans la république bavaroise des Conseils où il milita notamment pour l’armement du peuple. Il fut en relation étroite avec les principales figures du mouvement comme le journaliste et écrivain anarchiste Erich Mühsam, l’écrivain expressionniste Ernst Toller, ou encore d’Ernest Niekisch, futur théoricien du national-bolchévisme et éphémère successeur de Kurt Eisner à la tête des Conseils de Bavière après son assassinat le 21 février 1919. Le 2 mai 1919 la Reichswehr et les Corps francs écrasèrent dans le sang la République bavaroise des conseils. Une période d’intense répression s’ouvrit alors dans la région.
Wendelin Thomas devint, à partir du 1er septembre 1919 rédacteur en chef de Der Volkswille à Augsbourg, journal de l’USPD qui regroupait la gauche socialiste, pour la Saxe et Neuburg. Il comptait parmi ses collaborateurs, comme critique de théâtre Bertolt Brecht. Ce dernier publia alors sous l’influence de la révolution de novembre sa pièce, Trummeln in der Nacht, donnée à Munich en septembre 1922. Wendelin Thomas édita, de son côté, une plaquette consacrée à la mémoire de Kurt Eisner le leader de la République bavaroise des conseils : Unserm Kurt Eisner zu Ehren und Gedächtnis.
Wendelin Thomas fut poursuivi, la même année, pour diffamation par la presse, par le député au landtag et dirigeant du SPD Erhard Auer, qui avait été le premier ministre de l’intérieur de l’Etat libre de Bavière. Ernst Toller écrira à son sujet, dans Eine Jugend in Deutschland, (Amsterdam 1933), qu’il était « Le führer de la droite socialiste ». Wendelin Thomas était défendu par l’avocat Max Hirschberg qui commençait alors à s’illustrer comme défenseur des militants de gauche avant de devenir l’une des figures de l’opposition au nazisme. Celui-ci dans ses mémoires se souvient dans des termes peu flatteurs de Wendelin Thomas comme d’un « type particulièrement stupide (dummel) » !
En juin 1920, il se porta candidat pour l’USPD, et fut élu au Reichstag dans la 27° circonscription de Haute Bavière-Souabe. Il exerça ce mandat jusqu’à son terme en 1924. A la fin de l’année 1920 il adhéra au Parti communiste unifié d’Allemagne (Vereinigte Kommunistische Partei Deutschland), conséquence de la fusion du KPD et de l’aile gauche majoritaire de l’USPD. Wendelin Thomas participa à son Congrès de fondation.
En mars 1921 la Neue Zeitung à Munich, organe du KPD en Bavière, le nomma rédacteur en chef. En avril 1921, il fut condamné à deux ans de prison pour « incitation à la lutte des classes » et emprisonné d’avril à octobre malgré son immunité parlementaire par un tribunal bavarois. Il ne fut libéré que sous la pression du Reichstag.
Parlementaire très actif au Reichstag, il prenant régulièrement la parole et souvent assez longuement. La doctrine communiste voulait que l’on se servit du parlement d’abord comme d’une tribune, position qu’il théorisera ultérieurement dans l’article « Revolutionary parlmentarism » publié en 1935 dans le numéro 12 de la revue newyorkaise, Proletarian Outlook. Il intervenait d’abord et surtout pour dénoncer la répression dont étaient victimes ses camarades de parti, sa presse, les procès qui leur étaient intentés et pour proclamer sa foi dans la lutte pour l’émancipation des travailleurs et son attachement à l’internationalisme prolétarien. Il prenait naturellement position naturellement sur les questions qui portaient sur la marine et les transports fluviaux. Mais il se prononça également sur des sujets comme le droit à l’avortement sur lequel il apparut en pointe.
En 1923, il s’impliqua dans la préparation de l’insurrection communiste connue sous le nom d’« Octobre allemand » organisée par le KPD et l’Internationale communiste qui pensaient la situation mûre pour une prise du pouvoir en Allemagne. Le projet d’insurrection fut annulé au dernier moment, mais Hambourg se souleva, ses dirigeants n’avaient pas été prévenus. Ce fut un fiasco. Wendelin Thomas se trouvait vraisemblablement alors à Hambourg, ou au moins était en relation étroite avec les communistes de la ville. En effet, il fut élu en mai 1924 sur la liste nationale (Reichstagvorschlag) proposée par le KPD et figurait sur les registres du parlement comme marin de profession et rédacteur de la Schiffsfahrtwarte, organe de la fédération des marins allemands (Deutschen Schiffahrtsbundes) dont le siège était à Hambourg.
Ce nouveau mandat de député fut de courte durée, l’assemblée ayant été rapidement dissoute. Il ne fut pas réélu lors du nouveau scrutin de décembre 1924. Il passait alors dans la clandestinité et remplissait entre 1925 et 1928 différentes missions à l’étranger pour l’Internationale communiste dont il était devenu permanent. Il fut arrêté le 2 octobre 1928 à Hambourg et emprisonné de nouveau de I928 à I930, puis bénéficia d’une amnistie. Il prit ses distances avec le KPD au début des années trente. En 1933 il émigra aux Etats-Unis vraisemblablement avec le concours des marins syndicalistes de l’anarchisante Industrial Worker of the World dont il s’était rapproché.
]Il participa en 1935 à la commission d’enquête formée par le philosophe américain Dewey en réponse au procès de Trotski organisé par Staline à Moscou.Il fut membre de la deuxième commission préparatoire qui enquêta aux Etats-Unis et de la Commission plénière. ]Il s’y retrouvait aux côtés de figures prestigieuses du mouvement ouvrier international comme Carlo Tresca, Otto Rühle, Alfred Rosmer ou encore de libéraux au sens américain comme Edward Alsworth ou John Chamberlain. Il y prit une part très active et interpella vivement Trotski sur la répression du soulèvement des marins de Cronstadt. Trotski lui répondit longuement en allemand en lui précisant qu’il considérait que la question n’était pas en relation directe menée avec l’enquête de la commission. La commission conclut à la non culpabilité de Trotski et démonta avec minutie les impossibilités, contradictions et contre-vérités des accusations portées par Moscou et qualifia le procès fait à Trotski d’imposture.
Il vécut d’abord à NewYork, puis dans le petite ville industrielle Kearney, dans le New Jersey, à une trentaine de minute. Ses conditions de vie y furent très précaires. Il dormit un temps dans la salle de conférence de l’une des associations qu’il animait. Son ami Walter Boelcke, socialiste allemand établi à New York depuis 1925, lui assura un minimum de revenus en l’embauchant dans l’une de ses maisons d’éditions musicale.
Il continua à militer activement dans les cercles communistes de gauche antistaliniens et les milieux antifascistes, très actif notamment dans la Proletarische Gemeinschaft qui fédérait une cinquantaine d’associations antifasciste newyorkaises de langue allemande L’objectif de l’association était de réunir l’ensemble des forces antinazies : communistes, sociaux-démocrates, anarchistes, trotskystes. Il s’engagea dans la publication de la revue en langue allemande Kampfsignal, organe qu’il codirigea avec Walter Boelke. En 1935 lui succéda une revue ronéotée de langue anglaise Proletarian Outlook qui parut à New York jusqu’en 1939 à laquelle il collabora également. En 1940 il intervint pour faciliter l’immigration aux États-Unis de Ruth Fischer et Arkadi Maslow, deux dirigeants de l’opposition de gauche au sein du KPD. Ce fut en vain pour le second. Après la guerre toujours très actif dans les cercles de gauche de l’émigration allemande il mena avec le dirigeant anarchiste Rudolf Rocker et le mathématicien antifasciste Emil Gumbel une inlassable campagne pour défendre Zenzl Mûhsam, veuve du dirigeant anarchiste des Conseils ouvriers de Bavière, Erich Mühsam assassiné en 1934 par les SS au camp d’Oranienburg. Elle avait trouvé refuge en Union soviétique où elle fut victime de la répression stalinienne. Elle résida à partir de 1954 à Berlin Est sans cependant pouvoir entretenir aucun lien avec l’Ouest.
Wendelin Thomas mourut fin septembre début octobre 1956. Son épouse Friedel Thomas en informa son ami Rudolf Rocker le 20 en le remerciant pour son soutien. Il avait une fille qui vivait à Hambourg Lomi et un beau-frère résident à Santiago du Chili où il participait à la publication des Deutsche Blätter.
L’écrivain Alfred Döblin attribue un second rôle important dans le premier volume de Novembre 1918, Bourgeois et soldats, Éd. Agone, Marseille, 2009.
Les indications biographiques dans ce volume (p. 402) sont complètement erronées.
Par Jean-Claude Richez
ŒUVRE : Unserm Kurt Eisner zu Ehren und Gedächtnis, Augsburg Verlagsgenossenschaft Volkswille, 1920.
SOURCES : Dewey John, Commission of inquiry into the charge against Leon Trotsky in the Moscow trial, New York, Moned Press, 1972. — Hillesheim Jürgen, Augsburger Brecht-Lexikon. Personen, Institutionen, Schauplätze, Würzburg : Königshausen und Neumann, 2000. — Hirschberg Max : Jude und Demokrat. Erinnerungen eines Münchener Rechtsanwalts 1883 bis 1939, De Gruyter, Oldenburg, 1998. — Leon Trotsky exile papers, 1929-1940, « Thomas Wendelin 3 letters to Lev Trotsky, 1937 », Harvard University, Houghton Library, Cambridge, USA. — Mattick Paul, La révolution fut une belle aventure, L’échappée, 2913, p.122, (note115). — Reichstags-Handbuch, herausgeben von Reichstags-Bureau, Berlin :Reichstagdrukerei 1920-1924. — Rocker Paper, Correspondance Wendelin et Friedel Thomas avec Rudolf Rocker, International Institute of Social History, Amsterdam. — Roehrig Pierre, Généalogie Roehrig, Capion et alliés, consulté le 22 juillet 2014. — Strassburger Post, 18 novembre 1918. — Richez Jean-Claude, Conseils ouvriers et Conseils de soldats. Revendications de classes revendications nationales et en Alsace en novembre 1918, Mémoire de maîtrise, Université des lettres et sciences humaines, Strasbourg, 1979. — Richez Jean-Claude, « Les marins dans le mouvement des conseils de soldats en Alsace-Lorraine » et « Wendelin Thomas, un marin sans patrie ni frontière 51884-1956) » in Jean-Noël Grandhomme, Les Alsaciens-Lorrains dans la marine et les colonies, 1871-1918, Metz : édition des Paraiges, 2018. — Usborne Cornelus, The politics of the body in Weimar Republic, Macmillan Press, Basingstoke, 1992, p. 161. — Weber Hermann, Deutsche Kommunisten Biographisches Handbuch, « Wendelin Thomas » 1918-1925, t 2, « Wendelin Thomas » Karl Dietz Verlag, Berlin, 2008.