ADLER Friedrich, dit Fritz

Né le 9 juillet 1879 à Vienne ; mort le 2 janvier 1960 à Zurich ; fils de Victor Adler. Physicien ; secrétaire du Parti social-démocrate ; fondateur du cercle Karl Marx ; fondateur de l’Internationale 2 1/2 ; secrétaire de l’internationale socialiste de 1923 à 1939.

L’enfance de Friedrich Adler baigna dans le climat du mouvement ouvrier auquel il voulut, dès son plus jeune âge, consacrer toute son énergie. Mais son père, qui savait sa santé fragile, voulut qu’il se ménageât et l’engagea à entreprendre des études scientifiques courtes pour devenir ingénieur. Il parvint toutefois à obtenir l’autorisation paternelle de faire des études de physique et de mathématiques. Après avoir passé son baccalauréat à Vienne, il s’inscrivit à l’université de Zurich en 1897. Là, il travailla avec un tel acharnement qu’il effraya son père toujours soucieux de sa santé. « Tu travailles trop, lui écrivait-il, c’est inautrichien ». À l’issue de ses études de physique, il voulut se consacrer à celle de la théorie de la connaissance, approfondir la doctrine de Ernst Mach, professeur de physique à l’université de Zurich. Ce n’est qu’après son doctorat, en 1903, qu’il put enfin s’y adonner pour mettre le matérialisme mécanique en parallèle avec le matérialisme historique de Marx. Il publia en 1905 une étude qui marquait son adhésion à l’empiriocriticisme de Ernst Mach dont il reçut l’approbation. Pour gagner sa vie, il travailla pendant un an, sans grande conviction, au Musée allemand qui venait de se créer à Munich. Mais, peu satisfait, il tenta en vain d’obtenir auprès de Karl Kautsky un poste à la Neue Zeit (Temps nouveaux). Au printemps de 1907, il revint s’installer à Zurich comme professeur de physique et reprit son poste d’assistant à l’institut de physique. Mais il avait un concurrent qu’il estimait plus qualifié que lui-même à la chaire de physique et qui devait l’emporter : Albert Einstein, qui fut aussi l’un de ses amis et suivit de près son développement scientifique et sa carrière politique. C’est en 1909 que se situe sa polémique avec Lénine qui, voulant s’opposer aux incidences du machisme dans la fraction bolchévique, avait publié Matérialisme et empiriocritiscisme où il s’attaquait également à Fritz Adler, notamment aux études qu’il avait publiées dans la Neue Zeit et dans Der Kampf (Le Combat).
Toutefois, ses préoccupations scientifiques ne lui firent pas oublier le domaine où il brûlait d’exercer son activité : le mouvement ouvrier. Il milita dès sa création, en 1897, à l’association des sociaux-démocrates autrichiens en Suisse et, dans ce même pays, fut président de l’association des cercles ouvriers internationaux issue de la fusion en 1901 des associations social-démocrates allemande et autrichienne. Il entra également en contact avec les dirigeants du mouvement ouvrier suisse, s’opposa au leader de l’aile gauche, Fritz Brupbacher, collabora au Volksrecht (Le Droit du peuple), organe de la social-démocratie suisse, dès sa création en 1898 avant d’en devenir le rédacteur en chef en 1910. En janvier 1903, il avait épousé Kathia Germanichkaïa, une étudiante russe en physique et chimie, une de ses compagnes d’études qu’il entraîna dans le mouvement ouvrier, et qui, par la suite, devait le soutenir et l’influencer dans son action. C’est en partie par elle qu’il était entré en contact, à Zurich, avec les sociaux-démocrates russes et plus particulièrement Pavel Axelrod. Pendant un an, il mit toute son énergie dans l’accomplissement de sa tâche de rédacteur. Arrivé alors à un point mort, il accepta avec enthousiasme la proposition que lui faisait Karl Seitz de devenir l’un des secrétaires du Parti social-démocrate autrichien. Il y fut chargé de la campagne pour les élections au Parlement. Au début de 1913, il se vit confier en outre la rédaction de Der Kampf où il collabora avec Otto Bauer et Karl Renner.
Entrepris à Zurich sous le signe de l’internationalisme, le militantisme de Fritz Adler devait tout naturellement avoir pour champ d’action l’internationale. C’est ainsi qu’il fut chargé des préparatifs du congrès socialiste international qui devait se tenir à Vienne en août 1914. Dès le mois de juillet, tout était en place. Mais, le 29 juillet, ayant reçu mission d’accompagner son père, il se rendit avec lui à Bruxelles à la dernière réunion du Bureau socialiste international. Là il entra pour la première fois en désaccord avec son père — un conflit qui devait les opposer pendant toute la guerre — dont il désapprouva l’esprit de résignation lors de cette réunion. Dès la déclaration de guerre, il entreprit une lutte acharnée contre l’adhésion à l’Union sacrée de la majorité du Parti social-démocrate autrichien. C’est ainsi que, le 8 août 1914, il remit sa démission de son poste de secrétaire du Parti. Convaincu de la responsabilité du gouvernement autrichien dans le déclenchement des hostilités, il ne cessa de militer en faveur de la paix. C’est ce que devait être, selon lui, la tâche de la social-démocratie en temps de guerre. Le manifeste Die Internationalen Œsterreichs an die Internationalen der Länder (Les internationalistes d’Autriche aux internationalistes des autres pays) qu’il publia le 3 décembre 1915 fit une profonde impression sur le mouvement ouvrier international. En 1916, il fonda avec l’aile gauche du Parti — un tout petit groupe de partisans — le cercle Karl Marx dont il fut le président. La même année, le 21 octobre, pour protester contre l’état de siège — le Parlement n’avait jamais été convoqué depuis le début des hostilités — et pour secouer la social-démocratie autrichienne de sa léthargie, il accomplit un acte mûrement réfléchi : l’assassinat du premier ministre, le comte Stürgkh. S’il se heurta à l’incompréhension de son père, il acquit dans les masses qui ne le connaissaient guère jusqu’alors une popularité considérable que vinrent renforcer les deux discours courageux qu’il prononça devant le tribunal les 13 et 19 mai 1917. Il occupa dès lors dans la social-démocratie autrichienne une place comparable à celle de Karl Liebknecht dans la social-démocratie allemande, aux yeux des masses comme à ceux des dirigeants de l’internationale. Condamné, par le tribunal d’exception, à la peine de mort, il fut gracié le 2 novembre 1917 et vit sa peine commuée par la cour suprême en dix-huit ans de réclusion. Il mit à profit sa détention à Stein-an-der-Donau pour rédiger une étude théorique : Ernst Machs Ueberwindung des mechanischen Materialismus (Le dépassement du matérialisme mécanique chez Ernst Mach), qui parut en 1918.
Son acte n’était pas non plus demeuré sans effet sur le gouvernement autrichien. Les successeurs du comte Stürgkh devaient convoquer le Parlement, l’état de siège était levé. La Révolution russe, qui avait contribué à créer un climat favorable à l’adoucissement de sa peine, devait être aussi l’une des premières à se manifester à lui à sa sortie de prison le 2 novembre 1918. Christian Racovsky, représentant du gouvernement soviétique à Vienne, vint lui présenter ses vœux. Une délégation de l’extrême gauche lui demanda de participer à la création du Parti communiste autrichien et d’en prendre la tête. Mais il refusa, tout attaché qu’il était au principe de l’unité qui avait été l’œuvre de la vie de son père. Élu au comité directeur, au lendemain de sa sortie de prison, il reprit donc son poste de secrétaire du Parti social-démocrate et celui de rédacteur de Der Kampf. Aux élections de février 1919, il fut élu député au « Nationalrat » (Assemblée nationale). Il se consacra également à l’organisation et à l’institutionnalisation des conseils ouvriers et devint, en mai 1919, lors de leur première conférence nationale, président du comité exécutif. C’est au conseil ouvrier de Vienne qu’il révéla, en juin 1919, l’intention de Bela Kun d’étendre la révolution hongroise à l’Autriche. Le conseil ouvrier mit alors les travailleurs en garde contre les tentatives de putsch.
Mais l’essentiel de l’activité de Fritz Adler devait — et cette fois définitivement — déborder le cadre national. Son père avait unifié la social-démocratie autrichienne, il désirait, lui, unifier le mouvement ouvrier international. Ainsi fut-il délégué, au début de février 1919, à la conférence de Berne qui devait débattre du rétablissement de la IIe Internationale. Il discerna dès lors trois tendances dans le socialisme international : celle des partisans de l’Union sacrée qui s’étaient regroupés dans la IIe internationale, celle des communistes de la IIIe Internationale dont l’objectif était la révolution mondiale, celle des socialistes révolutionnaires qui ne pouvaient adhérer à aucun des deux autres courants, mais dont la tâche pouvait être, selon lui, d’établir le lien entre eux. C’est pourquoi il convoqua, pour le 22 février 1921, à Vienne, la conférence constitutive de la « Communauté de Travail » plus connue sous le nom d’internationale 2 1/2 dont il devint le secrétaire. A la fin de 1921, Fritz Adler put croire qu’une évolution se dessinait dans la IIIe Internationale qui lui permettrait de voir ses efforts couronnés de succès. Cet espoir se matérialisa dans la pré conférence qu’il convoqua en avril 1922 dans le bâtiment du Reichstag à Berlin. Les trois Internationales y étaient représentées. La conférence décida la création d’une commission permanente composée de trois délégués de chacune des Internationales. Mais cette commission fut dissoute dès sa première réunion. Fritz Adler dut se résigner à cet échec. Mais il œuvra pour le rapprochement de la IIe Internationale et de l’internationale 2 1/2 qui convoquèrent ensemble un congrès socialiste international à Hambourg le 21 mai 1923. Fritz Adler y fut élu secrétaire avec Tom Shaw qui démissionna un an plus tard. De 1924 jusqu’à 1939, il exerça seul les fonctions de secrétaire de l’internationale ouvrière socialiste, s’accordant à peine un jour de repos, effectuant jusqu’aux travaux de détail. Le congrès de Vienne en 1931 marqua l’apogée de l’internationale socialiste, mais aussi le début de son déclin. Fritz Adler avait demandé que le secrétariat fût transféré à Zurich trois ans après sa création, puis il s’installa à Bruxelles en 1935. Après l’instauration du nazisme en Allemagne et de l’austro-fascisme, il s’occupa des problèmes du mouvement clandestin, procura des passeports, des adresses de couverture, géra les fonds du Parti social-démocrate autrichien. Après le diktat de Munich, une crise éclata dans l’internationale socialiste et un conflit se développa entre isolationnistes et partisans d’une résistance armée à l’offensive fasciste. Acquis à cette seconde tendance, et voyant paralysée l’activité du comité exécutif, Fritz Adler démissionna le 14 mai 1939 de ses fonctions ; le président Louis De Brouckère fit de même.
Lors de l’entrée des troupes hitlériennes en Belgique, F. Adler était à Paris où il rencontrait Léon Blum. Sa femme vint l’y rejoindre ; ils s’installèrent dans le Tarn-et-Garonne avant de gagner les États-Unis par le Portugal.
A New York, il fonda une association d’aide aux réfugiés, le « Labor Aid Project » pour lequel les deux grandes centrales syndicales américaines entre autres lui allouèrent des fonds.
En 1947, Friedrich Adler rentra en Europe et s’installa à Zurich. Une nouvelle fois en désaccord avec son parti sur la question de la solidarité avec la classe ouvrière allemande, il refusa de rentrer en Autriche et se consacra à l’élaboration d’une biographie de son père. Mais, consultant le matériel dont il disposait, il estima qu’il faudrait d‘abord publier la correspondance de son père avec Bebel et Kautsky. Cette tâche lui prit quatre ans et eut pour résultat un ouvrage remarquable aussi intéressant pour l’histoire du mouvement ouvrier par les documents publiés que par l’appareil critique. Mais Fritz Adler n’avait plus dès lors les forces nécessaires à la rédaction de la biographie de Victor Adler qu’il avait originellement projetée. Il ne revint qu’une seule fois à Vienne, en 1952, pour les fêtes du centième anniversaire de son père. Il mourut à Zurich, à quatre-vingt-un ans, à la suite d’une longue maladie, le 2 janvier 1960.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197339, notice ADLER Friedrich, dit Fritz, version mise en ligne le 28 novembre 2017, dernière modification le 28 novembre 2022.

ŒUVRES : Die Erneuerung der Internationale. Aufsätze aus der Kriegszeit. Vorwort von Karl Kautsky (Le Renouveau de l’internationale. Essais écrits au cours de la guerre. Préface de Karl Kautsky), Vienne, 1918, 215 p. — Ernst Machs Ueberwindung des mechanischen Materialismus (Le Dépassement du Matérialisme mécanique chez Ernst Mach), Vienne, 1918, 187 p. — Nach zwei Jahren (Après deux ans), Vienne, 1918, 32 p. — Friedrich Adler vor dem Ausnahmegericht (F. Adler devant le tribunal d’exception), Berlin, 1919, 200 p. Deuxième édition augmentée et corrigée, Iéna, 1923, 263 p. Troisième édition, vienne, 1967. — Ortszeit, Systemzeit, Zonenzeit und das ausgezeichnete Bezugssystem der Elektrodynamik (Temps de lieu, de système, de zone et l’excellent système de références de l’électrodynamisme). Vienne, 1920, xvi-237 p. — Die Bezelzung des Ruhrgebietes und die Internationale (L’Occupation de la Ruhr et l’internationale, Vienne, 1923, 36 p. — The Anglo-Russian Report (Le Rapport anglo-russe), Londres, 1925, 52 p. — Au cas où la guerre éclaterait néanmoins... Traduit de l’allemand par Bracke, Paris, 1931, 46 p. — The Witchcraft Trial in Moscou). (Le Procès de sorcellerie à Moscou), Londres, 1936, 36 p. — Victor Adler. Briefwechsel mit August Bebel und Karl Kaustsky (V, Adler. Correspondance avec August Bebel et Karl Kautsky), Vienne, 1954, 680 p.

SOURCES : Julius Braunthal, Victor und Friedrich Adler, Vienne, 1964. — Julius Braunthal, Geschichte der Internationale, vol. II, Hanovre, 1965. — André Donneur, Histoire de l’Union- des Partis socialistes pour l’action internationale, 1920- 1923, Sudbury, Ontario, 1967.— Georges Haupt, Le Congrès manqué, Paris, 1965.— Herbert Steiner, « L’Internationale socialiste à la veille de la Seconde guerre mondiale, juillet-août 1939 », Le Mouvement social, n° 58, 1967, pp. 95-112.

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