ELLENBOGEN Wilhelm

Par Félix Kreissler

Né le 9 juillet 1863 à Lundenburg (Moravie) ; mort le 25 février 1951 à New York ; médecin ; dirigeant social-démocrate ; sous-secrétaire d’Etat au Commerce en 1919-1920.

Fils d’un instituteur juif de Moravie qui quitta l’enseignement pour ouvrir un commerce à Vienne, Wilhelm Ellenbogen fréquenta dans la capitale l’école primaire, le lycée et l’Université. Il y fit des études de médecine tout en portant à la littérature et à la musique un intérêt qu’il conserva toute sa vie.
Un de ses malades à l’Hôpital général de Vienne le mit en rapport avec le cercle d’éducation ouvrière de Gumpendorf, quartier prolétaire où il suivit dès lors des conférences. L’une d’elles, celle de Karl Kautsky, détermina son adhésion au mouvement ouvrier. Conférencier à son tour du cercle d’éducation ouvrière, il devint, en 1888, membre de son comité directeur et adhéra la même année au Parti social-démocrate. Délégué au IIe, puis au IIIe congrès du parti, il fut, lors de celui-ci, en 1892, co-rapporteur sur la question du projet d’organisation et contribua à donner au parti le profil qu’il devait conserver par la suite. Lors de ces assises, il fut élu à la direction du parti qui comptait alors neuf membres et resta au Comité directeur jusqu’en 1934 sans interruption. En même temps que ses fonctions politiques, il continua à exercer son métier.
Orateur efficace, propagandiste infatigable, Ellenbogen se heurta souvent aux autorités de la monarchie et fut incarcéré à plusieurs reprises. La diversité de sa personnalité, son réalisme expliquent ses positions apparemment contradictoires dans les diverses phases du développement de l’austromarxisme. Ainsi, en 1893-1894, il fut l’un des grands apôtres de « l’exemple belge », de l’utilisation de la grève générale pour conquérir le suffrage universel, alors qu’au tournant du siècle, il s’alignait, sur le plan théorique — et non sur le plan pratique — sur les positions du révisionnisme de Bernstein. C’est toutefois grâce à la création de la Ve curie obtenue lors de cette campagne pour le suffrage universel qu’il put être élu en 1901 député de Vienne au « Reichsrat » (Conseil d’Empire). C’était la première fois que Vienne envoyait des députés sociaux démocrates aux Reichsrat : Ellenbogen et Schuhmeier. Il se servit de cette tribune pour poursuivre la campagne en faveur du suffrage universel et prononça notamment en 1903 un discours retentissant sur le droit de vote et l’autonomie des nationalités. Spécialiste des questions des chemins de fer, il parvint à faire démissionner le ministre Wittek. Il fut également membre de la commission des Affaires étrangères du Parlement où il siégea jusqu’en 1934.
Il présidait le congrès du parti social-démocrate lorsque parvint la nouvelle de la révolution russe, le 31 octobre 1905. Cet événement fut un de ceux qui permirent de relancer la campagne pour le suffrage universel et d’utiliser l’arme qu’il avait préconisée douze ans auparavant : la grève générale. Après l’échec de la révolution, il protesta énergiquement contre les tortures infligées aux prisonniers politiques en Russie, ce dont Trotsky le remercia en public en 1910, lors du congrès du parti à Innsbruck.
Depuis 1893, il était délégué par le parti autrichien à tous les congrès de la IIe Internationale où il fut souvent rapporteur. Ainsi, au congrès de Paris en 1900, il présenta le rapport sur le problème de la socialisation des moyens de production. Lors des congrès suivants, à Stuttgart et à Copenhague, il fit des interventions remarquées sur l’un des points essentiels de l’ordre du jour : les moyens pour prévenir la guerre ainsi que sur l’émigration ouvrière et l’abolition de la peine de mort. Avec Victor Adler et Pernerstorfer, il représenta son parti à la conférence austro-italienne de Trieste, les 23-24 mai 1905, conférence à laquelle participaient les dirigeants socialistes de tout l’Empire austro-hongrois.
Cette fidélité à l’internationalisme le fit figurer, lors de la Ire guerre mondiale, dans le camp des pacifistes, aux côtés de Fritz Adler, avec toutes les réserves que lui inspiraient toutefois sa plate-forme et son vocabulaire. Il fit également partie de la délégation autrichienne qui se rendit à Stockholm en 1917 à la conférence socialiste de la paix qui ne siégea jamais. Dans les derniers jours de la guerre, il fut l’un des premiers, le 30 octobre 1918, à demander la proclamation de la république dans un discours demeuré célèbre à l’Assemblée constituante. Il entra, le 15 mars 1919, dans le gouvernement Renner en qualité de sous-secrétaire d’État au Commerce. En octobre 1919, il remplaça Bauer à la tête de la commission de socialisation avec prérogatives de secrétaire d’État. Dans les années 1920, il se rangea aux côtés de Renner dans les grands débats entre Bauer et Renner sur le problème de la stratégie qui se concrétisait dans la question d’un gouvernement de coalition, alors qu’en mars 1933, ce même « droitier » qu’était Ellenbogen demanda que l’on passe à la résistance armée contre ¡’offensive de l’austrofascisme.
Collaborateur régulier, depuis 1907, de la revue théorique de la social-démocratie autrichienne, Der Kampf (Le Combat), il en fut le rédacteur pendant deux ans au cours de la Première Guerre mondiale. Il publia de nombreux articles économiques et continua à se livrer à des réflexions dans ce domaine, même après son arrestation sous Dollfuss. Il rédigea alors un ouvrage sur l’économie planifiée dont le manuscrit a disparu pendant l’occupation nazie. Considérant le socialisme comme un « individualisme collectif », il joua un grand rôle dans la constitution de l’ossature idéologique et politique de l’austromarxisme dont il sut en même temps reconnaître les limites.
Emprisonné pendant quelque temps en février 1934, il émigra à Paris après l’Anschluss, passa les Pyrenées à pied malgré son grand âge lorsque les troupes hitlériennes occupèrent la France et parvint à gagner les États-Unis. Il s’installa à New York où il fut le directeur de l’« Austrian Labor Committee » et où il édita dès 1942 le mensuel Austrian Labor Informations et, de mai 1944 à avril 1945, la Freie Tribüne des internationalen Sozialismus (La Tribune libre du socialisme international). Il devait rester à New York jusqu’à sa mort et travailler à la rédaction de ses Mémoires, Menschen und Prinzipien (Des hommes et des principes), demeurés inachevés,

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197409, notice ELLENBOGEN Wilhelm par Félix Kreissler, version mise en ligne le 28 novembre 2017, dernière modification le 31 octobre 2018.

Par Félix Kreissler

ŒUVRES : Geschichte des Arbeiterbildungvereines in Gumpendorf (Histoire du cercle d’éducation ouvrière à Gumpendorf) Vienne, 1892. — Soziale Hygiene des kleingewerblichen Arbeiter Wiens (Hygiène sociale des ouvriers du petit artisanat viennois) Vienne, 1894. — Herr Alfred Ebenhoch auf der Bauernjagd (Monsieur Alfred Ebenhoch à la chasse aux paysans) Vienne, 1894, — Die Eisenbahner und die Sozialdemokratie (Les Cheminots et la social-démocratie), Vienne, 1896. — Wer lägt ? Ein Mahnwort an die Wähler (Qui ment ? Un avertissement aux électeurs) Vienne, 1897. — Was will die Sozialdemokratie ? (Que veut la social-démocratie ?), Vienne 1899, 2e éd. 1914. — « L’organisation du Parti autrichien » in : Le Mouvement socialiste, no. 37, 1er juillet 1900. — Der Kapitalistische Staat als Arbeitgeber (L’Etat capitaliste en tant qu’employeur), Vienne, 1901. — Die Eisenbahnverwaltung und die Eisenbahner in Œsterreich (L’Administration des chemins de fer et les cheminots en Autriche) Vienne, 1902. — Nieder mit dem Privilegienparlament ! (A bas le Parlement des privilèges !), Vienne, 1903. — Was wollen, die Sozialdemokraten ? (Que veulent les sociaux-démocrates ?), Vienne, 1907. — Victor Adler. Ein Wort der Erinnerung (Victor Adler. Un mot de souvenir), Leipzig, 1918. — Sozialisierung in Œsterreich (Socialisation en Autriche), Vienne, 1921. — Die Fortschritte der Gemeinwirtschaft in Œsterreich (Les Progrès de l’économie des collectivités en Autriche), Vienne, 1922. — Faschismus ! Das faschistische Italien (Fascisme ! L’Italie fasciste), Vienne, 1923. — Gemeinwirtschaft und Genossenschaft (Economie collective et coopérative), Vienne, 1926. — Anschluss und Energiewirtschaft (Economie des connexions et de l’énergie), Vienne, 1927.— Los gegen die Gemeinwirtschaft ! Die Wahrheit über das Arsenal und die bürgerlichen Verleumdungen. (Haro sur l’économie communale 1 La vérité sur l’arsenal et les ca¬lomnies bourgeoises), Vienne, 1927. — Weltkrise und Wirtschaftskrise in Œsterreich (Crise mondiale et crise économique en Autriche), Vienne, 1931.

SOURCES : Archiv. no. 4, 1965. — Werk und Widerhall. Grosse Gestalten des œsterreichischen Sozialismus (L’Œuvre et son écho. Grandes personnalités du socialisme autrichien), édité par Norbert Leser, Vienne, 1964. — Norbert Leser, Zwischen Refor¬mismus und Bolchevismus (Entre le réformisme et le bolchevisme), Vienne, 1968. — A. Zanardo, « Lettere di A. Labriola a V. Adler e a W. Ellenbogen 1892-1900 », Annali del Istituto G. Feltrinelli, V, 1962, pp. 436-479. — E. Ragioneri, L. Valiani, « Social-democrazia tedesca e socialisti italiani nell’agosto 1914 » (Social-démocratie allemande et socialistes italiens en août 1914), Studi Storici, 1961, pp. 102-104.

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