FISCHER Ernst, dit WIEDEN Peter

Par Yvon Bourdet

Né le 3 juillet 1899 à Graz ; théoricien marxiste ; journaliste et écrivain social-démocrate, puis dirigeant communiste.

D’une famille d’officiers autrichiens, Ernst Fischer participa comme aspirant à la Première Guerre mondiale dans les rangs de l’armée autrichienne. Après l’effondrement de l’Empire, il fut élu dans un conseil de soldats. Il commença des études de philosophie à l’Université de Graz mais il dut les abandonner pour faire vivre sa famille et il travailla comme manœuvre. En 1920, il adhéra — ainsi que ses frères Otto et Walter — au Parti social-démocrate. Cette même année, il devint rédacteur de l’Arbeiterwille (Volonté ouvrière), le quotidien social-démocrate de Graz. Il montrait un intérêt particulier pour les problèmes culturels et pour ceux de la jeunesse et ses travaux littéraires attirèrent rapidement l’attention du public. En 1924, le Wiener Burgtheater monta sa pièce Das Schwerl des Attila (l’Epée d’Attila) et, en 1931, le Carltheater donna son drame Lenin.
En 1927, Austerlitz le nomma rédacteur de l’Arbeiter Zeitung (Journal des Travailleurs) de Vienne, où il resta jusqu’à son interdiction en février 1934. Son livre, Krise der Jugend (La Crise de la jeunesse), publié en 1932, suscita de vives discussions : c’était la première recherche marxiste sur les problèmes de la jeunesse. Dans les affrontements au sein de la social-démocratie autrichienne, il se situa à la gauche du parti. Il fut le porte-parole le plus important du Front des jeunes, organisation militante créée en 1933 pour lutter contre la montée du fascisme. Après les combats de février 1934, Ernst Fischer s’exila en Tchécoslovaquie et, en avril, adhéra au Parti communiste clandestin de même que ses deux frères. Il y joua toute de suite un rôle de premier plan et lors de la conférence d’août 1934, à Prague, il fut élu membre du Comité central. Il parvint à intégrer dans l’ancien cadre du Parti communiste autrichien un certain nombre de sociaux-démocrates déçus par la défaite de leur parti et se montra tout de suite partisan de l’unité d’action avec les socialistes révolutionnaires.
Au VIIe congrès de l’I.C., en juillet-août 1935, il fit un discours très remarqué. Vers la mi-septembre, il vint clandestinement à Vienne et, au nom du Comité central, engagea des pourparlers avec les socialistes révolutionnaires en vue de la réalisation d’un front uni d’action.
Il travailla aux côtés de Dimitrov et devint le principal théoricien du Parti communiste autrichien, écrivant de nombreux articles dans l’Internationale communiste ainsi que dans Weg und Ziel, revue théorique clandestine du parti, sous le pseudonyme de Peter Wieden qu’il conserva, lorsque, pendant la guerre, il fut le speaker permanent des émissions en allemand de Radio-Moscou.
Fin avril 1945, peu après l’entrée des troupes soviétiques à Vienne, il revint en Autriche, dans le même avion que Koplenig, et il fut nommé secrétaire d’État à l’Éducation nationale dans le gouvernement provisoire. Après les élections de novembre, il fut un des quatre élus communistes et il resta député au Conseil national jusqu’en 1959. Lorsque le premier quotidien de la seconde République autrichienne Neues Œsterreich (Autriche Nouvelle) fut lancé, tous les partis politiques tombèrent d’accord pour le nommer rédacteur en chef. On voyait, en effet, en lui un homme à l’esprit ouvert, qui avait montré par sa lutte contre le fascisme qu’il était attaché à la culture et à la liberté de la personne humaine. Il était connu pour ses pièces de théâtre, ses études sur la jeunesse, sur la formation du caractère national autrichien et par sa critique du racisme nazi. Il resta à la tête du journal de 1945 à 1947.
A partir de 1950, Ernst Fischer, poète et philosophe, se consacra de plus en plus à la critique littéraire et artistique et devint l’un des principaux théoriciens marxistes de l’esthétique. Chez lui, d’ailleurs, le poète (il écrivit et traduisit en allemand des poèmes, entre autres de Baudelaire), le critique, l’historien et le philosophe ne se séparaient pas et c’est ce qui contribua à l’originalité de ses divers écrits. La rédaction de ses Mémoires fut pour lui une occasion de méditations qu’il intitula : Souvenirs et réflexions. Ses études littéraires ne furent pas non plus uniquement historiques ; ses remarques, par exemple, sur Beckett et sur Soljénitsyne décrivirent, en même temps, l’impuissance des intellectuels devant le pouvoir. S’il s’attacha à l’histoire de la littérature autrichienne, il déborda largement ce cadre. Ses essais sur Gogol, Gœthe, Kafka, Brecht, Peter Weiss font autorité et on lui doit la meilleure monographie sur Kleist.
S’efforçant de définir le sens et la fonction de l’art, il poursuivait un double but : faire comprendre au prolétariat que « l’art est nécessaire » et convaincre les artistes et les écrivains que la révolution est également nécessaire. Cela le conduisit d’abord à une critique impitoyable du Jdanovisme et bientôt du stalinisme qui en était la cause profonde. Il dénonça le mécanisme et l’indigence des explications infrastructurales des phénomènes littéraires, notamment à propos des explications simplistes du romantisme allemand. Cette volonté de restituer à la littérature et à l’art toutes ses dimensions le conduisit à montrer la monotonie du « réalisme socialiste » avec ses « héros positifs » artificiels, mais aussi à voir la vanité des efforts du « nouveau roman » pour réduire l’homme au rôle abstrait d’un objet. Ainsi, toute son œuvre fut-elle inspirée par le grand souci de la libération et du respect des puissances créatrices de l’homme.
En 1959, Ernst Fischer, très malade, abandonna son poste au Bureau politique du P.C. autrichien tout en restant membre du Comité central. En 1963, à Prague, il fut un des principaux acteurs du colloque qui aboutit à la réhabilitation de Kafka et, de ce fait, à l’origine, pour une part, du « printemps de Prague ». C’est donc tout naturellement qu’en 1968, Ernst Fischer fut amené à prendre très vigoureusement parti contre l’intervention des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie, lançant, à cette occasion, la formule devenue fameuse de « Panzercommunisme ».
Déjà suspect, notamment en Allemagne de l’Est, depuis le « colloque Kafka », Fischer ne fut pas réélu, en janvier 1969, au Comité central, sous le prétexte qu’il avait atteint la limite d’âge. Son exclusion, le 28 octobre 1969, provoqua des remous au sein du Parti communiste autrichien. Dès lors, Fischer développa sa condamnation des erreurs culturelles et politiques des communistes par la mise en cause de la structure actuelle des régimes socialistes.
Ses travaux sur l’esthétique, l’art et la littérature lui ont valu une réputation internationale et ses ouvrages ont fait l’objet de nombreuses traductions étrangères.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197420, notice FISCHER Ernst, dit WIEDEN Peter par Yvon Bourdet, version mise en ligne le 28 novembre 2017, dernière modification le 14 novembre 2018.

Par Yvon Bourdet

ŒUVRES : Krise der Jugend (La Crise de la jeunesse), Vienne, 1932. — Die neuen Menschenrechte (Les Nouveaux droits de l’Homme), Bâle, 1937. — Freiheit und Diktatur (Liberté et dictature), Bâle, 1934. — Die faschistische Rassentheorie (La Théorie raciste fasciste), Moscou, 1941. — Die Entstehung des österreichischen Volkscharakters (La Formation du caractère national autrichien), Vienne, 1945. — Freiheit und Persœnlichkeit (Liberté et personnalité), Vienne, 1947. — Das Fanal (Le Fanal), Vienne, 1947. — Œsterreich 1848 (Autriche 1848), Vienne, 1948. —Die schwarze Flamme (La Flamme noire), Poèmes, Vienne, 1949. — Kunst und Menschheit (Art et humanité), Vienne, 1952. —Denn wir sind Liebende (Car nous nous aimons), Poèmes, Vienne, 1953. — Dichtung und Deutung (Poésie et interprétation), Vienne, 1955. — Prinz Eugen (Le Prince Èugène — en collaboration avec sa femme Louise), Vienne, 1959. — Von Grillparzer zu Kafka (De Grillparzer à Kafka), Vienne, 1963. — Zeitgeist und Literatur (L’Esprit du siècle et la littérature), Vienne, 1964. — Kunst und Koexistenz (Art et coexistence), Hambourg, 1967. —Erinnerungen und Reflexionen (Souvenirs et réflexions), Hambourg, 1969.
Ouvrages d’Ernst Fischer traduits en français : Dimitrov, Ercoli, Kroupökaia, Fischer et Ponomarev, Le Complot contre la révolution russe, les enseignements du procès de Moscou contre le centre terroriste trotsksisie-zinoviéviste, Paris, 1937,95 p. — Problèmes de la jeune génération (Probleme der jungen Generation, Vienne, 1964), Lausanne, 1968, 213 p. — La Nécessité de l’art (Von der Notwendigkeit der Kunst, Dresden, 1965) Paris, 1965, 221 p. — A la recherche de la réalité. (Auf den Spuren der Wirklichkeit, Hambourg, 1968). Contribution à une esthétique marxiste moderne, traduit par J.-L. Lebrave et J.-P. Lefebvre, Paris, 1970, 336 p. — Ce que Lénine a vraiment dit (Was Lenin wirklich sagte), Paris, 1970, 208 p. (en collaboration avec Franz Marek).
Articles en français : « Sur le problème de la dictature du prolétariat », in Les Temps modernes, no. 269, novembre 1968, pp. 895-913. — « Le Vertige du pouvoir », Ibid., pp. 914-924. — « L’ancienne et la nouvelle gauche », in Politique aujourd’hui, octobre 1969, pp. 3-10. — « Pouvoir et impuissance des intellectuels », in Raison présente, no. 12, octobre-décembre 1969.

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