Par Claudie Weill
Né le 16 octobre 1854 à Prague ; mort le 17 octobre 1938 à Amsterdam. K. Kautsky commença par militer dans la social-démocratie autrichienne, puis devint l’un des plus illustres dirigeants du S.P.D. et le théoricien du marxisme de la IIe Internationale.
Karl Kautsky naquit dans une famille d’artistes — son père était décorateur de théâtre, sa mère comédienne et écrivain — qui s’installa à Vienne en 1863. Là, Karl Kautsky fréquenta le lycée et l’institution des Bénédictins de Melk. La Commune de Paris, qui fit sur lui une profonde impression, le mit en contact avec les idées socialistes. Il entra en 1874 à l’Université de Vienne où il étudia l’histoire, le droit, la philosophie et surtout l’économie politique et il adhéra en 1875 au jeune mouvement social-démocrate autrichien où la scission entre « modérés » et « radicaux » était déjà consommée. S’il déploya avant tout une grande activité de propagandiste, signant ses articles du pseudonyme de Symnachos, collaborant aux journaux de Reichenberg : der Arbeiter-und Volksfreund (L’Ami des travailleurs et du peuple), de Brünn : der Volks-freund (L’Ami du peuple), et de Vienne : der Sozialist, celui qui allait devenir l’autorité théorique incontestée du S.P.D., et par conséquent du socialisme international, n’exerça pas moins une influence prépondérante sur le développement de la social-démocratie autrichienne. Il comptait de nombreux amis parmi les radicaux, ce qui motiva partiellement son adhésion à cette tendance. Il leur demeura fidèle lorsqu’en 1876, Emil Kaler-Reinthal entreprit de réunifier le mouvement à Wiener-Neustadt d’abord, puis à Atzgersdorf en 1877. Il fut notamment avec Josef Scheu l’un des signataires d’une déclaration dirigée contre l’abandon des principes et les concessions aux modérés qui caractérisaient les tentatives de Reinthal. Mais des translations se produisirent à l’intérieur de la social-démocratie autrichienne avec l’apparition du courant anarchiste dirigé par Most. Kautsky figura cette fois dans le camp des « modérés ». Partisan d’une participation autrichienne à l’organe des sociaux-démocrates allemands publié à Zurich, le Socialdemokrat, Kautsky protesta néanmoins contre leur ingérence dans les affaires du mouvement autrichien sous forme d’attaques contre Most susceptibles de leur aliéner la sympathie des ouvriers autrichiens.
Il aurait pu prendre alors la direction du mouvement autrichien, son influence et son audience étaient suffisantes, mais il ne se sentit pas en mesure d’assumer cette tâche dans un contexte qu’il jugeait désespéré en vertu d’un pessimisme dont il se départit fort peu quant aux chances de survie de la social-démocratie autrichienne, et il préféra se réfugier dans son activité de propagandiste, de rédacteur et de théoricien. Ainsi, il préconisa en 1879 la création d’un parti paysan associé à la social-démocratie. Il estimait aussi que la question nationale recouvrait une question sociale qui ne pourrait être résolue qu’avec le déclin de l’Autriche-Hongrie dont l’échéance lui semblait proche et par la chute de la bourgeoisie. En 1880, alors que paraissait à Vienne son premier ouvrage scientifique, der Einfluss der Volksuermehrung auf den Fortschritt der Gesellschaft (L’influence de l’accroissement démographique sur le progrès de la société), il accepta de se rendre à Zurich avec Schwarzinger pour collaborer au Socialdemokrat. Cette prise de position fut condamnée à la conférence de la social-démocratie de Julienfeld en 1881, à laquelle il n’assista pas. La même année, il devint avec Bardorf rédacteur de l’organe des modérés Wahrheit (Vérité) et se rendit à Londres où il fit la connaissance de Marx et de Engels. Au congrès de Brünn, le 16 octobre 1882, ce fut lui qui rédigea rapidement à la demande de Bardorf le programme qui y fut adopté d’après ses souvenirs du programme proposé par Marx aux socialistes français en 1880.
En 1883, il fonda à Stuttgart l’organe théorique de la social-démocratie allemande qui allait devenir la publication socialiste la plus importante de la IIe Internationale, la Neue Zeit (Temps nouveaux). La même année, il dut renoncer à Vienne à briguer le titre de docteur. En 1884, il songea un instant à transférer la Neue Zeit à Vienne, mais Bardorf le lui déconseilla vivement, craignant un suicide politique. Il fut l’artisan d’une conférence des dirigeants de la social-démocratie autrichienne et allemande à Salzbourg le 6 juin 1884 qui débattit des possibilités d’unification du mouvement autrichien. Si elle n’eut pas de résultats concrets au moment où l’état d’exception était proclamé pour Vienne, Wiener-Neustadt et Korneuburg et où les anarchistes étaient écrasés, elle eut toutefois le mérite de relancer l’idée de l’unité. C’est pourtant avec scepticisme que Kautsky observa les tentatives de regroupement effectuées par Victor Adler. Il y voyait un désir d’unité à tout prix aux dépens des principes. C’est en grande partie à son influence qu’est due la résistance, puis l’opposition de Bardorf à Victor Adler. Pour sa part, il refusa le poste de rédacteur que lui proposait Adler à l’organe qu’il avait l’intention de créer. Il accepta toutefois d’y collaborer et se lia davantage avec celui qui devait être le chef incontesté du Parti social-démocrate autrichien. Leur abondante correspondance en témoigne.
Après l’abrogation, en Allemagne, des lois d’exception contre les socialistes, il consacra toute son activité au S.P.D. Ce fut lui notamment qui rédigea la partie théorique au programme adopté à Erfurt en 1891 qu’il commenta en 1898. Dès lors, il intervint dans toutes les dissensions théoriques du socialisme international — dans l’« affaire Bernstein » sur le problème du révisionnisme, dans les réflexions sur la question agraire, dans le débat sur la grève de masse déclenchée par la révolution de 1905 en Russie. Son ouvrage fondamental, importante contribution à la théorie de la révolution, der Weg zur Macht (Le Chemin du pouvoir), parut en 1909. Désormais autorité théorique incontestée de la IIe Internationale, il participa au débat sur la question de l’impérialisme qui s’y déroula en 1910-1913.
Pacifiste pendant la guerre, Kautsky adhéra au Parti socialiste indépendant (USPD), puis, après avoir salué la révolution en Russie, il prit position contre les bolcheviks. En 1918, il fut secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans la courte période du gouvernement de coalition entre socialistes indépendants et majoritaires. Après la scission au sein du Parti socialiste indépendant dont l’aile gauche rejoignit les communistes, Kautsky regagna avec ses amis les rangs des socialistes majoritaires. Toutefois, la rédaction de la Neue Zeit, qui lui avait été retirée en 1917, ne lui fut pas de nouveau confiée. En 1920, il se rendit avec une délégation socialiste à l’invitation du gouvernement menchevik de Géorgie. Puis il s’établit à Vienne où il se consacra à son activité scientifique, écrivant parfois dans les journaux socialistes. En 1938, Kautsky se rendit à Prague, puis, de là, à Amsterdam.
L’œuvre de Kautsky est de toute première importance pour l’histoire du mouvement ouvrier international. Ses archives sont conservées à l’institut International d’Histoire sociale à Amsterdam.
Par Claudie Weill
ŒUVRE : La bibliographie exhaustive de Karl Kautsky a été dressée par Werner Blumenberg, Karl Kautskys Literarisches Werk. Eine bibliographische Uebersicht (Étude bibliographique), La Haye, Mouton, 1960, 158 p. — Pour un choix des œuvres, voir le Dictionnaire « Allemagne ».