OBERWINDER Heinrich

Par Claudie Weill

Né en 1846 à Weihburg (Nassau) en Allemagne ; mort en 1914 ; Lassallien ; fondateur et premier dirigeant de la social-démocratie autrichienne.

Après avoir fait des études secondaires brillantes, Heinrich Oberwinder fut employé au notariat municipal de Francfort-sur-le-Main. Lorsqu’il vit sa place menacée par l’occupation de Francfort par les Français en 1867, il alla s’installer à Vienne. Ancien collaborateur du Rheinischer Courier et du Nordstern (Etoile du Nord), il avait connu Lassalle personnellement et espérait poursuivre son activité politique à Vienne. Il y fit partie des comités ouvriers de Gumpendorf et Schottenfeld avec un autre lassallien venu comme lui d’Allemagne, Hartung. Si, originellement, il était attaché aux idées quarante-huitardes de la Grande Allemagne, il évolua progressivement vers le nationalisme des libéraux allemands. En effet, ce n’est qu’après avoir appartenu au parti pangermaniste qu’il avait adhéré en 1863 au mouvement de Lassalle.
Sa première manifestation publique à Vienne où il gagnait sa vie en donnant des leçons particulières fut le discours qu’il prononça le 26 janvier 1868 à l’association d’éducation ouvrière. Il s’imposa très vite comme l’un des dirigeants du jeune mouvement. Mais toute son activité allait y être marquée par sa double adhésion au libéralisme allemand : sur la question nationale et dans l’alliance avec la bourgeoisie « dans sa lutte contre le Moyen Age ». Ainsi, il s’opposa à ce que le « manifeste au peuple laborieux » du 5 mai 1868 soit traduit dans les langues slaves, alléguant que les ouvriers slaves savaient à peine lire. On ne tint pas compte de cette opposition. Il participa avec Hartung au congrès de l’Union des ouvriers les 5, 6, et 7 septembre 1868 en tant que délégué du Comité social-démocrate autrichien. Ce comité devait être dissous peu de temps après sa création et, le 20 avril 1869, Oberwinder passait en jugement pour l’avoir animé et était condamné à quatorze jours de prison, toujours avec Hartung. Ce fut également avec lui qu’il décida, en février de la même année, la publication d’un journal ouvrier, la Volksstimme (La Voix du peuple) pour lequel il assura le financement et dont le premier numéro parut en avril. Délégué de Vienne avec Andréas Scheu au congrès du Parti social-démocrate allemand à Eisenach, il y demanda que le siège du parti fût transféré à Vienne. Le projet d’y établir la commission de contrôle échoua à cause du veto des autorités autrichiennes. En septembre, il fut délégué de l’Autriche au IVe congrès de l’Association Internationale des Travailleurs qui se tint à Bâle.
S’il organisa la grande manifestation du 13 décembre 1869 en faveur du droit de vote, il en évinça Andréas Scheu, ne s’y montra pas et laissa à Hartung le soin de diriger les opérations. Il fut néanmoins arrêté dix jours plus tard et fut l’un des principaux accusés du procès pour haute trahison qui se déroula à Vienne du 4 au 15 juillet 1870. Condamné à six ans de prison, il fut gracié l’année suivante, en février, par le gouvernement Hohenwart. Si on lui avait fait grief avant son incarcération de sa collaboration avec l’aile libérale de la bourgeoisie, les oppositions allaient se cristalliser lorsqu’à sa libération il reprit la direction du mouvement et la rédaction de son organe la Volkswille avec Andréas Scheu. Partisan d’une attitude de compromis dans la question du suffrage et d’un simple élargissement du droit de vote, il parvint à imposer son point de vue aussi longtemps que l’opposition fut animée par le seul Kaler-Reinthal. Il parvint même en novembre 1871 à le faire exclure lors d’une réunion de l’association d’éducation ouvrière de Vienne. Mais la querelle prit de plus vastes proportions lorsque les marxistes et les internationalistes dirigés par Andréas Scheu qui partageait avec lui la direction du mouvement entrèrent en lice. La scission se produisit à propos du projet de réforme du suffrage déposé par les libéraux en 1872. En mars 1873, il parvint à faire adopter par l’association Volksstimme, en fait l’instance dirigeante du mouvement, une résolution de compromis qui soutenait le projet libéral. Andréas Scheu, mis en minorité, protesta par un manifeste où il demandait qu’on retirât à Oberwinder son poste de rédacteur de la Volkswille. Toutefois ce fut lui qui quitta la rédaction, acceptant néanmoins la proposition d’arbitrage que faisaient les sociaux- démocrates allemands alors que pour sa part, Oberwinder refusait de s’y soumettre, croyant les Allemands favorables à Scheu. Dès lors, Scheu n’épargna aucune attaque contre le leader des « modérés ». Le prestige de Oberwinder, qui s’était longtemps maintenu auprès des ouvriers, commença à baisser. A ceci vint s’ajouter le krach boursier en Autriche qui mit l’hebdomadaire Volkswille dans une fort mauvaise position peu de temps après que Oberwinder eut annoncé son intention de le transformer en quotidien. Il dut en céder la propriété à l’association Volksstimme. Andréas Scheu et ses amis lui reprochèrent dès lors d’être responsable dé la faillite financière du journal. Il intenta donc à Scheu un procès en diffamation qu’il espérait gagner et qui eut lieu du 12 au 14 mars 1874, à Wiener-Neustadt. Il en sortit battu et politiquement très diminué. Il tenta certes en juillet de la même année de fonder — semble-t-il avec l’aide de subventions gouvernementales — son propre journal, Die Zeit (Le Temps), mais cet organe ne parut que jusqu’à la fin de novembre. Au début d’octobre, il rassembla ce qui lui restait de partisans dans l’Union générale ouvrière autrichienne, mais ne connut pas davantage de succès. En 1875, il fit deux autres tentatives pour regagner son autorité perdue, l’une auprès des ouvriers de Brünn, l’autre sous forme d’autojustification par la publication de son livre, le Mouvement ouvrier en Autriche. En vain. Ses sympathies précédentes pour le libéralisme, sa collaboration constante à la presse bourgeoise, de plus en plus motivée par sa situation financière précaire, allaient le faire basculer définitivement dans l’autre camp. Il quitta l’Autriche, alla à Hambourg et se lia avec un groupe de lassalliens, puis vint à Paris où il fut le correspondant de divers journaux allemands et autrichiens. Par la suite, il adhéra en Allemagne au mouvement antisémite de Stoecker. En 1887, il fut démasqué en Suisse comme étant « à la solde de Bismarck » qui avait introduit ses agents dans les milieux socialistes allemands, et Oberwinder touchait alors de la police impériale 500 marks par mois (Socialiste, 31 déc. 1887). Cette même année, Oberwinder publia une brochure dans laquelle il demandait aux ouvriers allemands de se rallier à la politique de Bismarck.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197602, notice OBERWINDER Heinrich par Claudie Weill, version mise en ligne le 23 avril 2019, dernière modification le 26 mars 2019.

Par Claudie Weill

ŒUVRES : Die Arbeiterbewegung in Œsterreich. Eine authentischegeschichtliche Darstellung (Le Mouvement ouvrier en Autriche, une présentation authentiquement historique), Vienne, 1875, 97 p. — Sozialismus und Sozialpolitik. Ein Beitrag zur Geschichte der sozialpolitischen Kämpfe unserer Zeit (Socialisme et politique sociale. Contribution à l’histoire des luttes sociopolitiques de notre temps), Berlin, 1887.

SOURCES : Minutes du procès pour haute trahison de A. Scheu, H. Oberwinder, etc. — L. Brügel, Geschichte der œsterreichischen Sozialdemokratie (Histoire de la social-démocratie autrichienne), vol. II, III, Vienne, 1922-1925. — F. Engels, Paul et Laura Lafargue, Correspondance, vol. II, Paris. — H. Steiner, Die Arbeiterbewegung Œsterreichs 1867-1889 (Le Mouvement ouvrier d’Autriche, 1867-1889), Vienne, 1964.

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