Par Yvon Bourdet
Né le 14 décembre 1870 à Unter-Tannowitz (Moravie du Sud) ; mort le 31 décembre 1950 ; théoricien marxiste du droit et de l’économie politique ; leader de l’aile droite du Parti social-démocrate autrichien ; premier chancelier de la Première République autrichienne ; chancelier et président fédéral de la Seconde République.
Karl Renner fut le dix-huitième enfant d’une famille de petits paysans. Avec leur nombreuse progéniture, ses parents se trouvaient souvent dans une situation critique à la tête de leur petite exploitation. Karl participa aux travaux des champs et de la ferme. Remarqué dans l’école primaire de son village, il fut mis en pension au lycée de Nikolsburg (Bohême), mesure d’autant plus justifiée que le trajet de plusieurs heures qu’il devait faire pour se rendre à l’école était trop pénible pour cet enfant doué mais fragile. Il se révéla le meilleur élève du lycée, mais, ses études secondaires terminées, aucune perspective ne s’ouvrait devant lui ; faute de moyens matériels, il se trouvait, comme il a dit lui-même dans ses souvenirs de jeunesse, « vis-vis de rien ». Dans ces conditions, le service militaire lui apparut comme le moyen le plus immédiat d’être nourri et vêtu. Cela lui permettait, en outre, de prendre du champ et de se préparer à poursuivre ses études. De fait, avant la fin de son service, a Vienne, il réussit à louer une chambre non loin de l’Université. Par surcroît, son stage dans l’armée austro-hongroise fut bénéfique d’un autre point de vue ; il fit l’expérience de la multinationalité de l’Empire et prit une conscience directe des problèmes ethniques qui se posaient à la double Monarchie. S’il sut voir la misère des peuples opprimés, il ne partageait pas leurs aspirations au séparatisme politique qui, loin d’être un remède, lui paraissait ne pouvoir aboutir qu’à prolonger leur dénuement. Toute sa vie, Renner a cherché les moyens de sauvegarder les caractéristiques culturelles de chaque ethnie en estimant cependant que le salut des plus déshérités ne pouvait se faire qu’à l’intérieur des grands ensembles économico-politiques dans l’attente d’une organisation juridique universelle, qu’il appela l’œcoumène, en particulier dans son ouvrage : Die Nation, Mythos und Wirklichkeit (La Nation, mythe et réalité), publié après sa mort par Jacques Hannak.
Le problème des nationalités fut ainsi pour Renner une préoccupation constante. Avant Otto Bauer qui n’acheva son grand ouvrage : La Question des nationalités et la social-démocratie qu’en 1907, Karl Renner aborda le problème, dès 1899, dans une petite brochure de quarante pages : État et Nation, sous le pseudonyme de Synopticus, et plus largement, trois ans plus tard, dans un livre sur lequel Staline devait concentrer ses. critiques : Der Kampf der œsterreichischen Nationen um den Staat (La lutte des nations autrichiennes pour l’État), sous le pseudonyme de Rudolf Springer. Dans ces livres, Karl Renner abordait la question de l’État multinational des Habsbourg avec un « principe nouveau » qui lui fut peut-être inspiré par la structure de l’armée « impériale et royale » ; il ne fallait pas, selon lui, privilégier le territoire, mais les hommes eux- mêmes. Aux tentatives antérieures qui faisaient passer au premier rang les structures territoriales, Renner opposait l’idée de rassembler en une unité juridique tous les hommes qui se sentiraient membres d’une même nation où qu’ils puissent habiter. Il proposait, en même temps, d’accorder à ces entités juridiques l’autonomie culturelle et même le droit le lever des impôts. Renner professait donc une sorte de conception existentialiste de la nationalité qui résultait d’un choix libre de citoyen et non du fait de la naissance dans tel ou tel lieu, d’avoir tel ou tel sang. Après la Première Guerre mondiale, il n’eut aucune peine à montrer que les nouveaux Etats danubiens, fondés sur l’unité territoriale, pratiquaient, chacun pour sa part, l’oppression de minorités ethniques et que, si on avait morcelé le problème, on ne l’avait en rien résolu. Il pensait que l’existence, par exemple, des grands ordres religieux au sein de l’Eglise universelle rendait crédible sa conception d’une nationalité non territoriale.
Ce furent peut-être aussi ces problèmes de l’État et des nationalités auxquels il venait d’être confronté durant son service militaire qui incitèrent Renner, une fois démobilisé, à mener des études de droit à l’Université de Vienne. Mais là encore son expérience d’étudiant fut, pour lui, l’objet d’une réflexion. Il ne se contenta pas de devenir un juriste, il fut bientôt un théoricien et un sociologue du droit. Dans cette direction, on peut dire qu’il combla volontairement une lacune du marxisme traditionnel. Il montra le caractère historique de toute législation qui arrive toujours en retard sur la réalité et qui subsiste encore un certain temps lorsque les conditions ont changé. De ce fait cependant, le juridisme ne peut être conçu comme un simple reflet des infrastructures. Davantage, la loi lui paraissait un moyen d’accélérer pacifiquement le progrès de l’humanité dès lors que la puissance instituante du droit serait démocratique. Il faisait remarquer que l’action syndicale, d’abord illégale, était devenue légale sans rien perdre de son efficacité, car elle était désormais le fait de masses plus larges et moins vulnérables. La loi pouvait donc devenir un moyen de la lutte des classes. Plus lassallien, en cela, que marxiste, Karl Renner — loin d’estimer que l’État était toujours l’expression du pouvoir de la classe dominante — considérait que l’Étàt, démocratiquement institué, avait une fonction régulatrice et ordonnatrice des diverses strates sociales. Autant l’absolutisme d’un monarque lui paraissait arbitraire, autant il pensait que le but du socialisme était de rationaliser l’État et de réaliser le juridisme. Ainsi, au plan de l’action politique, lorsqu’il a préconisé des gouvernements de coalition, Renner n’était point mû par des raisons conjoncturales ou opportunistes ; ses positions pratiques étaient en accord profond avec sa théorie fondamentale.
Pour une autre raison encore, Renner ne fut pas un étudiant ordinaire : il dut travailler pour vivre. Il donna surtout des leçons particulières, ce qui amena ce fils de petits paysans à entrer en contact avec les familles de la petite noblesse, de la bourgeoisie et de la bureaucratie. Cela lui permit d’avoir une expérience directe et variée de la structure de la société viennoise, à la fin du dix-neuvième siècle. De la sorte, le travail alimentaire qu’il devait accomplir pour continuer ses études de droit l’ouvrit à la sociologie et le mit devant le fait de l’inégalité des classes, de l’injustice sociale. Issu de la paysannerie, ancien étudiant, ancien soldat, précepteur chez les riches, Renner sentit qu’il lui manquait la connaissance de la classe ouvrière. Il fut admis dans un petit cercle social-démocrate du quartier de Leopoldstadt, dans le second arr. de Vienne. Il se lia, en particulier, avec des ouvriers à domicile de l’industrie de la chaussure avec lesquels il avait de longues discussions. Il participa à la grande célébration du 1er mai 1893 et eut ainsi l’occasion d’entrer en relations avec les dirigeants du Parti social-démocrate. Il fut surtout impressionné par Pernerstorfer qui ne cessa d’ailleurs d’exercer sur lui une forte influence.
Parmi les ouvriers à domicile qu’il rencontrait se trouvait une jeune couturière, Luise Stoislitz, née le 25 juin 1872 à Güssing dans le Burgenland. A la mort de son père, simple employé d’un grand propriétaire hongrois, elle avait dû venir travailler à Vienne. Karl Renner l’épousa en 1895. Apparemment effacée, mais toujours présente dans une longue carrière parfois brillante, mais coupée par de monotones « traversées du désert », elle fut de ces femmes dont l’importance n’est guère visible, mais qui savent donner à leur mari un utile sentiment de sécurité et de stabilité.
L’année même de son mariage, Renner obtint le poste de collaborateur scientifique à la bibliothèque du Parlement de l’Autriche. Devenu ainsi fonctionnaire, il dut, jusqu’à son élection en 1907 comme député du « Reichsrat » (Conseil d’Empire), signer ses ouvrages de pseudonymes. Toutefois, il continua à militer activement, comme il l’avait fait au sein de l’association libre des étudiants socialistes, dont le président était Max Adler. Il joua un rôle important à la tête des organisations d’éducation et fut un des fondateurs des « Naturfreunde », association des « Amis de la nature » qui, sous l’apparence d’un groupement touristique, était en même temps une école de libération du corps et de joie de vivre pour s’affranchir des traditions d’inspiration catholique. D’autre part, son métier de bibliothécaire le mettait dans une situation favorable pour la recherche théorique ; et, lorsque Max Adler et Rudolf Hilferding lancèrent la célèbre collection des Marx-Studien — qui marque désormais le point de départ de l’austromarxisme — en 1904, ils accueillirent, dans le premier volume, l’étude de Renner-Springer sur La Fonction sociale du droit.
En 1907, Renner franchit une étape importante de sa carrière politique. Élu député, il abandonna son poste de fonctionnaire et devint dès lors libre de s’exprimer au grand jour ; lorsque la revue mensuelle du Parti social-démocrate Der Kampf fut fondée, en octobre de la même année, il en partagea la direction avec Otto Bauer et Adolf Braun. En quelques années, il devint un des hommes politiques importants de la social-démocratie et s’implanta solidement dans son fief électoral de Neunkirchen, en Basse-Autriche, où il fut facilement réélu en 1911. Il présidait en même temps la Confédération des coopératives autrichiennes de consommation.
La guerre déclarée, Karl Renner, toujours très soucieux de ne pas se couper de ce que pensaient et ressentaient les masses, se laissa emporter par la vague du social-patriotisme. Mais ce qui, chez beaucoup, n’était qu’une réaction sentimentale, devenait chez lui une théorie. La solidarité internationale du prolétariat étant un beau principe, mais non un fait historique, il fallait admettre qu’en cas de guerre la classe ouvrière de chaque pays défendrait sa patrie, sinon elle favoriserait l’impérialisme de l’ennemi, ce qui, une fois l’annexion faite, ne ferait qu’augmenter la misère et l’exploitation. Renner pensait que la guerre entraînerait une purification de l’atmosphère politique et notamment une réforme démocratique qui préserverait l’indispensable ensemble économique et politique que constituait l’Empire. Renner combattit pour cette cause avec une énergie inlassable : il écrivit quantité d’articles et même un ouvrage en trois tomes, Œsterreichs Erneuerung (La Renaissance de l’Autriche). Dès lors Renner fut considéré comme le chef de l’aile droite majoritaire du parti, responsable de la déviation du « social-impérialisme ». Friedrich Adler, en particulier, le prit nommément à partie dans son plaidoyer devant le tribunal qui le jugeait à la suite de son attentat contre Stürgkh ; avec violence, il accusa Renner d’avoir abusé les camarades par des tours de passe-passe et d’avoir perverti l’esprit du parti qui était devenu un parti sans principes (Friedrich Adler vor dem Ausnahmegericht p. 96). Un peu plus tard, Karl Kautsky lui-même crut de son devoir de réfuter un nouveau texte de Renner, Marxismus, Krieg und Internationale (Marxisme, guerre et internationale), par une contribution qu’Otto Bauer appela « votre Anti-Renner » dans Une lettre privée à Kautsky, du 4 janvier 1918. La critique de Kautsky parut dans le premier volume du tome IV des Marx-Studien, sous le titre de Kriegsmarxismus (Marxisme de guerre). Cependant, la position de Renner était restée solide, toute la guerre durant, à la tête du groupe parlementaire de la social-démocratie qui comprenait 65 membres. De ce fait, il fit partie avec Victor Adler, Seitz et Hueber de la délégation autrichienne à la conférence socialiste de la paix de 1917, à Stockholm, et, après l’effondrement de la Monarchie, le 30 octobre 1918, il avait conservé assez d’audience pour être choisi comme chancelier du gouvernement de coalition de la Première République autrichienne. Certes, on pouvait voir une certaine ironie de l’Histoire dans le fait que le grand partisan de l’Empire multinational fût appelé à présider aux destinées de la petite Autriche de langue allemande. Cependant Renner restait, pour une large part, fidèle à lui-même puisqu’il dirigeait un gouvernement de coalition et, qu’à cette époque, était envisagée l’union avec la grande Allemagne. Cet « Anschluss » — qui aurait été, en même temps, celui des deux grands partis socialistes — était conforme au principe de l’autodétermination de peuples, mais Clemenceau introduisit dans le traité de paix de Saint-Germain une clause qui le rendait impossible ; il devait en effet être approuvé à l’unanimité par la Société des Nations ; la France disposait ainsi d’un droit de veto contre une union qui aurait rendu l’Allemagne vaincue plus grande qu’avant la guerre. En signe de protestation contre cette entrave à la libre détermination de l’Autriche, Otto Bauer donna sa démission de ministre des Affaires Etrangères, et Karl Renner termina seul les négociations. Le traité fut ratifié le 19 septembre 1919. Renner chargea le juriste Hans Kelsen de préparer une constitution pour la République d’Autriche. En janvier 1920, Renner se rendit à Prague pour définir avec Benesch les conditions d’une aide réciproque contre les menées contre-révolutionnaires. Peu après l’adoption de la constitution, le ministère se disloquait, à la suite de la démission des ministres socialistes, le 10 juin 1920. Les socialistes ne devaient revenir au pouvoir, de nouveau avec Renner à leur tête, qu’en avril 1945. Vingt-cinq ans durant, Renner dut se contenter d’un rôle de second plan. Pendant l’entre-deux-guerres, ce furent, en effet les thèses d’Otto Bauer qui l’emportèrent au sein du Parti socialiste. Renner, un peu à la manière de Bernstein, soutenait que la théorie révolutionnaire du marxisme classique fondée sur la lutte des classes ne correspondait plus à la réalité sociologique de la classe ouvrière, qu’il fallait adopter une tactique plus souple et tenter de contrôler de l’intérieur l’appareil étatique en participant à des gouvernements de coalition. A mesure que la situation de l’Autriche se dégradait, Renner estimait encore plus nécessaire de constituer une large union, mais les tentatives concrètes échouèrent à plusieurs reprises, notamment en 1927 et en 1934. Cependant, bien que, sous la Première République, il ait été éclipsé par Otto Bauer en tant que leader de la social-démocratie, Renner joua un rôle important dans divers organismes : coopératives de production, Arbeiter-Bank (banque ouvrière). Il fut surtout président du « Nationalrat » (Conseil national) de 1931 à 1933. Sa démission servit de prétexte à Dollfuss pour suspendre la constitution et instaurer ouvertement l’austrofascisme. Pour éviter l’affrontement armé qu’il prévoyait, Renner estimait que le parti devait abandonner son verbalisme révolutionnaire et trouver un terrain d’entente avec l’adversaire. Dans une lettre inédite à Kautsky — qui semblait alors plus proche de lui que d’Otto Bauer — il se plaignait qu’on prétendît voir une position « de droite » en ce qui n’était qu’une attitude réaliste et de bon sens. Mais lors du dernier congrès social-démocrate, le 15 octobre 1933, Renner ne put imposer son point de vue et Otto Bauer garda le contrôle du parti.
Au cours du sanglant affrontement de février 1934, Renner essaya, d’après Buttinger, de former un gouvernement de coalition dont Reither, chef des paysans chrétiens-sociaux, aurait été le chancelier. Mais sa tentative échoua et il fut arrêté. Son procès eut lieu en mars ; accusé de haute trahison, il se défendit habilement et bénéficia d’un non-lieu. Dès lors, il resta assez à l’écart de l’activité clandestine des Socialistes révolutionnaires qui lui paraissait sans perspectives réelles. Il ne prit pas davantage de contact avec les socialistes groupés à Brünn (Brno), autour d’Otto Bauer. Toujours fidèle à la tactique du cheval de Troie, il conseilla aux socialistes d’accepter des charges dans les syndicats gouvernementaux, mais sans grande conviction. En réalité, pendant dix ans, de 1934 à 1945, Renner fit le mort : il n’entreprit aucune action politique, il ne publia aucune œuvre. La seule intervention publique qu’il risqua, en 1938, lui valut d’ailleurs bien des critiques. En effet, après l’occupation de l’Autriche par les nazis, Renner se déclara publiquement en faveur du « oui » au referendum organisé par Hitler pour faire ratifier l’annexion de l’Autriche par le Reich. Sur les motivations de cet appel, on ne peut faire que des hypothèses : aide aux socialistes arrêtés, réalisation du vieux rêve de la Grande Allemagne, souci, comme en 1914, de ne pas se couper des grands mouvements populaires ? Quoi qu’il en soit, Renner resta désormais dans l’ombre, mais ne se laissa cependant pas oublier, puisque, en avril 1945, après la libération de Vienne par l’Armée rouge, il se vit confier par les Soviétiques la charge de former un gouvernement provisoire, car, selon Vodopivec, dans Wer regiert in Œsterreich (Qui gouverne en Autriche ?, p. 73), Staline le considérait comme « l’homme qu’il fallait », Jacques Hannak, dans son livre, Karl Renner und seine Zeit (Karl Renner et son temps), a publié une correspondance entre Staline et Renner qui se saluent réciproquement de « très cher camarade ». Il semble que Staline ait — tout comme Trotsky qui avait traité Renner de « chancelier d’opérette » (Terrorisme et communisme, p. 266) — sous-estimé son habileté politique. Certes, le fait d’avoir été mis en place par Staline le fit suspecter par les « occidentaux » (voir Schärf, Œsterreichs Erneuerung, pp. 62-63), mais on comprit assez vite que le vieux chancelier n’était pas facile à manœuvrer et qu’il était capable de réaliser l’union et d’organiser l’indépendance de son pays.
Symbole de la résurrection de la démocratie autrichienne, il fut ensuite élu président de la Seconde République. Il mourut, le 31 décembre 1950, au cours de son mandat.
L’œuvre écrite de Renner — qui passait pour indolent — est abondante et variée. Malgré l’interruption de 1933 à 1945, on compte quatre-vingt-seize ouvrages ou brochures et une bonne centaine d’articles dans la seule revue Der Kampf (Le Combat). Renner a touché au droit, à l’économie, à l’histoire, à la politique et même à la poésie. Aucune de ses œuvres n’a été traduite en français. Seule la revue Monde, dirigée par Barbusse, publia quelques lignes de lui, en 1929, à l’occasion d’une enquête sur la crise doctrinale du socialisme. Pourtant, les recherches théoriques de Renner, notamment en économie, sont intéressantes et encore actuelles. Bien qu’il ne soit presque jamais cité, ses thèses sur la socialisation sont souvent reprises, parfois à un niveau inférieur, par nombre de théoriciens politiques.
Plus radical et un peu à la manière du Karl Kautsky de l’ultra-impérialisme, Renner estimait que le développement de l’économie mondiale, se rationalisant même à travers ses crises, préparait les bases d’une humanité unifiée et pacifiée. Selon lui, la plus-value n’était plus entièrement entre les mains des propriétaires des moyens de production. Le système des coopératives et la sécurité sociale, par exemple, étaient les moyens d’une certaine récupération. D’autre part, la concentration horizontale et verticale des industries capitalistes préparait la socialisation. En effet, étant donné leurs positions dominantes, il suffisait de nationaliser le petit nombre de ces très grandes entreprises et surtout les banques d’affaires qui les commandent, pour que l’ensemble des expropriateurs fussent du même coup expropriés, puisque les grands expropriateurs avaient déjà exproprié les petits. Ainsi, selon Renner, point n’était besoin d’avoir recours aux combats sanglants de la lutte des classes ni au despotisme d’un parti unique. La révolution se ferait par la loi démocratique.
Beaucoup de ceux qui combattent, en théorie, ces thèses les pratiquent sans le dire ; d’autres qui les adoptent croient avoir dépassé ou abandonné le marxisme, alors que Renner croyait l’avoir développé en tenant compte de l’évolution historique.
Par Yvon Bourdet
ŒUVRE : Une bibliographie a été donnée dans Archiv 1965, n° 2-4. — Principaux titres : Synopticus, Staat und Nation (État et Nation), Vienne, 1899, 39+3 p.— Rudolf Springer, Der Kampf der Œsterreichischen Nationen um den Staat (Le Combat des nations autrichiennes pour l’État), Leipzig et Vienne, 1902, 252 p. — J. Karner, Die soziale Funktion der Rechtsinstitute, besonders des Eigentums (La Fonction sociale du droit, principalement de la propriété), Vienne, 1904, 128 p. — Rudolf Springer, Grundlagen und Entwicklungsziele der oesterreichisch — ungarischen Monarchie (Fondements et objectifs de développement de la monarchie austro-hongroise), Vienne, 1906, 248 p. — Der deutsche Arbeiter und der Nationalismus (L’Ouvrier allemand et le nationalisme), Vienne, 1910, 71 p. --- Œsterreichs Erneuerung (La Renaissance de l’Autriche), 3 vol., 160 p., 200p., 119 p., Vienne, 1916. — Marxismus, Krieg und Internationale (Marxisme, guerre et Internationale), Stuttgart, 1917, 384 p. — Das Selbstbestimmungsrecht der Nationen in besonderer Anwendung auf Œsterreich (Le Droit à l’autodétermination des nations, plus spécialement en ce qui concerne l’Autriche), Vienne, 1918, 294 p. — Die Wirtschaft als Gesamtprozess und die Sozialisierung (L’Économie comme processus d’ensemble et la socialisation), Berlin, 1924, 391 p. — Karl Kautsky, Berlin, 1929, 95 p. — An der Wende zweier Zeiten (Au tournant de deux époques), Vienne, 1946, 303 p. —> Wege der Verwirklichung (Chemins de réalisation), Offenbach-am-Main, 1947, 127 p. — The Institutions of Private Law and their Social Functions (Les Institutions de droit privé et leurs fonctions sociales), London, 1949, 307 p. — Œsterreich von der Ersten zur Zweiten Republik (L’Autriche de la Première à la Deuxième République), Vienne, 1953, 282 p. — Wandlungen der modernen Gesellschaft (Mutations de la société moderne), Vienne, 1953, 227 p. —Die Nation : Mythos und Wirklichkeit (La Nation : mythe et réalité), Vienne, 1964, 144 p.
SOURCES : Onze lettres inédites de Karl Renner à Karl Kautsky, écrites de 1900 à 1935, sont conservées à l’institut international d’histoire sociale d’Amsterdam (K.D. XIX, 167-177). — Jacques Hannak, Karl Renner und seine Zeit (K. Renner et son temps), Vienne, 1965, 718 p.
On trouvera une bibliographie plus complète des études sur Renner (trente titres, aucun en français) à la fin de la réédition du livre de Renner, Die Rechtsinstitute des Privatrechts und ihre soziale Funktion, Stuttgart, 1965, pp. 290-291. A cette liste, il faut ajouter la thèse de Valerio Pocar, La Sociologia giuridica di Karl Renner, soutenue à Milan, le 7 novembre 1967, 250 p. et l’article de Lucien Laurat, « Karl Renner et la socialisation », in Le Contrat social, vol. VI, n° 6, nov-déc. 1962, pp. 365-369. Voir enfin, Hans Schroth, Karl Renner. Eine Bibliographie, Vienne, 1971, 152 p.