Par Georges Haupt
Née le 6 juin 1863 à Vienne (Autriche) ; morte le 5 juin 1940 à Blois (France) ; militante et théoricienne social-démocrate.
Therese Eckstein était issue d’une famille d’industriels très cultivée et éclairée. Son père, industriel-chimiste, avait réduit le temps de travail et introduit l’assurance-maladie dans son entreprise longtemps avant que la loi l’eût imposé. Therese reçut une excellente éducation et se maria très jeune. Bien des épreuves devaient accabler cette femme chétive. Elle ne put jamais se rétablir complètement de la naissance difficile de sa fille. Son mari mourut jeune de la tuberculose. Une de ses sœurs décéda à l’issue d’une longue maladie. Son frère qu’elle chérissait, Gustav Eckstein, mourut également de la tuberculose en 1916. Deux ans plus tard sa fille Anna, qui avait été malade pendant toute son enfance et souffrait de dépression nerveuse chronique, se suicida. Toutes ces épreuves ne parvinrent pas à briser ni à aigrir Therese. Elle commença à militer dans le mouvement féministe à l’Association générale autrichienne des femmes et collabora au journal Volksstimme (La Voix du peuple). Elle participa en 1896 à l’enquête sur la situation des ouvrières viennoises. C’est alors qu’elle découvrit dans toute leur cruauté les problèmes des femmes ouvrières. Elle commença à fréquenter les réunions ouvrières, entra en contact avec Adelheid Popp, Anna Boschek, puis Victor Adler. Dès lors, elle s’engagea à fond dans le mouvement ouvrier et adhéra au Parti social-démocrate lors de la grande campagne électorale de 1897. Bonne oratrice, elle se dépensa dans les réunions populaires et devint l’une des militantes de premier plan du mouvement des femmes social-démocrates. En 1902, elle créa l’Association des femmes et des jeunes filles social-démocrates, et, dès sa fondation en 1903, elle appartint à l’exécutif du Comité des femmes de l’Empire (Frauenreichskomitee) ; elle y demeura pendant de longues années. Publiciste féconde, collaboratrice des revues théoriques telles die Neue Zeit (Temps nouveau), der Kampf (Le Combat), des journaux socialistes comme l’Ârbeiter-Zeitung (Journal des travailleurs), elle joua aussi un rôle actif dans le parti, prit part aux travaux de tous ses congrès ainsi qu’aux conférences internationales de femmes socialistes. Internationaliste pendant la première guerre mondiale, elle fit partie de l’opposition de gauche, fut l’une des critiques sévères de la politique de la direction du parti et déploya parmi les femmes une intense propagande pacifiste. Membre de la direction du cercle « Karl Marx », amie proche de Friedrich Adler, elle le défendit courageusement après l’attentat contre le premier ministre Stürgkh et fut l’une des rares personnes à comprendre ses motivations. Elle fut déléguée en 1917 à la troisième conférence de Zimmerwald à Stockholm où elle lit une intervention remarquée. Après l’effondrement de la monarchie, elle continua à collaborer avec Friedrich Adler au sein de l’internationale 2 1/2 et fit partie de la délégation autrichienne à ses congrès. Une des sept premières femmes élues députés en 1919, elle siégea au « Nationalrat » (Conseil national) jusqu’en 1923, puis au « Bundesrat » (Conseil fédéral) jusqu’en 1930. Membre du Comité directeur du parti, cette femme très cultivée et assoiffée de connaissances, douée d’un sens politique aigu, fut une conseillère écoutée à laquelle Otto Bauer faisait fréquemment appel. Elle se consacra au travail d’éducation idéologique et fut l’auteur de plusieurs études théoriques, notamment dans le domaine de l’éducation, de la psychologie et de la littérature. Elle prit une part active à l’élaboration du nouveau programme du Parti social-démocrate au congrès de Linz en 1926. Contrainte d’émigrer après 1’Anschluss en 1938, elle se réfugia en France, passa les derniers mois de sa vie dans une maison de repos à Blois et mourut quelques jours avant l’entrée des troupes allemandes à Paris.
Par Georges Haupt
ŒUVRE : Die Frau im 19. Jahrhundert (La femme au XIXe siècle), en collaboration avec Gustav Eckstein, Berlin, 1902, 59 p.— Was wollen die Frauen in der Politik ? (Pourquoi les femmes font-elles de la politique ?), Vienne, 1909, 30 p. — Die geistige Arbeiterin und der Sozialismus (La travailleuse intellectuelle et le socialisme), Vienne, 1919, 40 p. — Der Aufstieg der Arbeiterbewegung im Revolutionsjahr (L’Essor du mouvement ouvrier dans l’année de la révolution), 1919. — Wie will und soll das Proletariat seine Kinder erziehen ? (Comment le prolétariat veut-il et doit-il éduquer ses enfants ?) Vienne, 1921, 32 p. — Die Frau im sozialdemokratischen Parteiprogramm (La Femme dans le programme du Parti social-démocrate), Vienne, 1928, 24 p. — Lebensabriss Gustav Ecksteins in seinem Buch « Was ist Sozialismus ? » (Brève biographie de Gustav Eckstein dans son livre « Qu’est-ce que le socialisme ? »), Vienne, 1920.
Vingt-cinq lettres (1897-1937) à K. Kautsky sont déposées à l’institut international d’Hîstoire sociale d’Amsterdam.
SOURCES : Angelica Balabanova, Erinnerungen und Erlebnisse (Souvenirs et expériences), Berlin, 1927. — Adelheid Popp, Der Weg zur H œhe. Die sozialdemokratische Frauenbewegung in Œsterreich (Le Chemin qui mène aux sommets. Le mouvement social-démocrate des femmes en Autriche), Vienne, 1929. — Werk und Widerhall. Grosse Gestalten des œsterreichischen Sozialismus (L’Œuvre et son écho. Grandes personnalités du socialisme autrichien), édité par Norbert_Leser, Vienne, 1964. — André P. Donneur, Histoire de l’Union des Partis socialistes pour l’action internationale (1920- 1923), 1967, 434 p.