DUTET Fanny [née WOLF], [Pseudonyme : Suzanne]

Par Daniel Grason

Née le 21 janvier 1908 à Strzyżów de la voïvodie des Basses-Carpates (Pologne), morte en août 1986 à Paris (XIIIe arr.) ; couturière ; militante communiste ; victime de l’antisémitisme.

Fanny Dutet
Fanny Dutet

Fille de Joseph et d’Ernestine, née Guzik, Fanny Wolf entra en France en 1920 venant d’Autriche. Elle épousa Marcel Dutet le 7 septembre 1940 en mairie d’Aulnay-sous-Bois (Seine-et-Oise, Seine-Saint-Denis). Le couple habitait dans la ville au 86 rue André-Theuriet. Marcel Dutet entré dans la clandestinité a été arrêté le 19 juin 1943.
Fanny Dutet a été appréhendée le 8 octobre 1943, vers 11 heures par des inspecteurs de la BS2 alors qu’elle était en compagnie de Suzanne Vallerand. Toutes deux se présentaient à un rendez-vous fixé par Robert Hildebrandt rue Goethe à Paris (XVIe arr.).
Emmenée dans les locaux des Brigades spéciales à la Préfecture de police, fouillée, elle détenait six enveloppes qui contenaient des tracts et des rapports du Parti communiste clandestin. Elle déclara qu’elle était entrée dans la clandestinité en juin 1943 après l’arrestation de son mari. Marcel Dutet, FTP responsable de la région P3 avait été fusillé 48 heures avant l’interpellation de son épouse, le 6 octobre 1943 au Mont-Valérien.
Lors de son interrogatoire, elle expliqua qu’étant sans ressources et étant dans l’illégalité comme Juive étrangère, elle avait pris contact avec l’organisation illégale grâce à un rendez-vous de repêchage que lui avait laissé son mari en cas d’arrestation. Après avoir rencontré le responsable des cadres, elle rencontra « Brigitte » et cinq autres femmes « Ginette », « Jeannine », « Germaine », « Paulette » et « Catherine ».
Elle affirma ignorer la fonction qu’elles occupaient. Sur la signification des papiers dont elle était porteuse : un livret de famille, un certificat de travail, un certificat de vaccination et une carte d’assurances sociales, elle déclara que ses papiers appartenaient à sa belle-sœur qui avait été appréhendée en même temps que son mari.
Battue à six reprises, elle déclara : « Je n’ai jamais effectué le transport d’armes. Mon pseudonyme dans le Parti est « Suzanne », j’étais appointée à raison de 2000 francs par mois, plus mes frais de transports. » Elle lâcha sous les coups le signalement de « Brigitte » une femme blonde au visage rond, assez belle, assez bien vêtue qui portait parfois un chapeau modèle sport.
Fanny Dutet a été internée le 10 janvier 1944 sous le matricule 11143 au camp de Drancy. Elle déposa le jour même 385 francs à l’administration, (reçu n° 35, carnet de fouille n° 54). Le 20 janvier 1944, Fanny Dutet était dans le convoi de 1155 déportés à destination d’Auschwitz, 864 furent gazés à l’arrivée du transport, 291 moururent après avoir été sélectionnés (236 hommes et 55 femmes). Quand l’Armée Soviétique libéra le camp le 27 janvier 1945, 47 déportés dont 15 femmes avaient survécus. Fanny Dutet entra en France après un court séjour en Suède.
Elle a été homologuée membre des FFI, Déportée interné résistante (DIR) sous le nom de Wolf épouse Dutet.
Le rapport de la commission d’épuration de la police du 8 mai 1945 mentionna l’arrestation de Fanny Dutet. L’inspecteur André F… qui l’arrêta était d’origine populaire : « Domestique chez un cultivateur, puis mécanicien », il s’engagea trois ans dans un Régiment de Train-Auto. Il débuta le 18 octobre 1936 à la Préfecture de police comme gardien de la paix à la Brigades des voitures. En août 1942 il était désigné pour faire partie de la Brigade spéciale d’intervention du Commissariat de Courbevoie « dont d’activité essentielle était la répression de la propagande communiste et l’arrestation des réfractaires du travail obligatoire en Allemagne. »
Il avait d’abord été affecté aux Renseignements généraux, nommé le 29 mai 1943 à la BS1, puis sur sa demande muté à la BS2 « pour y retrouver des camarades de Courbevoie. » Il bénéficia comme ses collègues des BS de l’avancement annuel au lieu de tous les deux ans et d’une prime de mille francs par mois.
Les délégués des BS membres du Comité de la Résistance déclarèrent qu’il était membre du PPF de Doriot, qu’à Courbevoie, sous les ordres du féroce commissaire de Puteaux (qui échappa à la potence), il effectua de nombreuses arrestations. L’opinion de ses anciens collègues était sans appel : « Tortionnaire, auteur de nombreux vols au détriment des patriotes. »
Elle rentra de déportation, fut homologuée membre des FFI, Déportée interné résistante (DIR) sous le nom de Wolf épouse Dutet. En 1961, elle vivait 3 rue Campagne-Première à Paris (XIVe arr.), elle fit une demande pour que lui soit attribuée la Légion d’honneur et la Médaille militaire.
Paula Schwartz, alors jeune historienne rencontra Fanny Dutet pour la première fois en avril 1978 dans un train. Des ex-déportées à l’initiative de la Fédération nationale des déportés et internés patriotes (FNDIRP) allaient à Ravensbrück. Elle se trouva dans le même compartiment que Fanny : « Elle était maigre, avait de la vitalité, était vigoureuse. Elle avait les cheveux courts et blancs et portait un pantalon en laine et un cardigan. […] Dans un autre train, plusieurs années plus tard, je l’ai vue interrompre une femme lisant une Bible pour lui demander s’il pouvait avoir Dieu après Auschwitz. […] Elle saisissait toutes les occasions d’éduquer, d’informer, de s’engager. Quand les opportunités se font rares, elle les crée. C’était aussi sa mission pour le Parti, c’est-à-dire que c’était sa vie. »
« L’un des premiers sujets dont nous avons discuté lors de ce premier voyage en train était le suicide. »
Paula Schwartz rencontra Fanny Dutet à plusieurs reprises au fil des années. Fanny, était née en Pologne à deux cents kilomètres à l’est d’Auschwitz. Elle avait plusieurs frères et sœurs, David un sioniste de gauche se rendit en Palestine, sa sœur Amy déménagea à Londres, sa sœur Henny en Belgique. Mariée, Fanny quitta Vienne et son mari.
Venue en France, elle rejoignit le Parti communiste dans les années trente, pour Fanny le PCF représentait l’antifascisme et la voie vers un avenir meilleur. Paula écrivit : « Le Parti était une famille au sens figuré et au sens littéral. Vivre dans l’univers du parti a été une expérience totalisante, c’était le monde de Fanny, sa vie professionnelle, sa vie sociale, son réseau d’amis et d’associés. Ce fut là qu’elle rencontra Marcel Dutet qui devint son mari.
Dans son récit Paula Schwartz a relevé que « La clandestinité communiste » précéda « la résistance française », et que le Parti communiste absorba « des membres de partis frères. […] Les militants des partis de ces pays ont apporté avec eux l’expérience de l’illégalité. »
« Fanny ne parlait pas beaucoup du fait qu’elle était juive. Elle ne l’a pas caché, elle le portait à l’avant-bras gauche. Être juive ne faisait pas partie de la façon dont elle se définissait, même si cela avait tout à voir avec son itinéraire. Ce n’était pas une dissimulation. […] Pour Fanny, sa judéité était plutôt une réflexion après coup. Sa famille d’origine était constituée de Juifs de culture et non de religieux. »
L’état de santé de Fanny Dutet déclinait : « Sa santé était mauvaise, elle passait de plus en plus de jours allongée sur son canapé-lit, les stores tirés. » Elle annonça à Paula Schwartz qu’elle allait quitter Paris pour Londres où elle vivrait avec sa sœur Anny. »
A l’été 1986, quelques jours avant son départ annoncé Paula Schwartz glissa une lettre d’au-revoir sous la porte de son appartement dans le quartier de La Glacière dans le XIIIe arrondissement. Fanny Dutet lui répondit brièvement, termina avec le mot « Adieu ». Pressentiment… Paula téléphona à Jocelyne la concierge. Fanny Dutet avait mis fin à ses jours, elle avait laissé une lettre à l’intention de Paula Schwartz.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197790, notice DUTET Fanny [née WOLF], [Pseudonyme : Suzanne] par Daniel Grason, version mise en ligne le 7 mai 2019, dernière modification le 20 mai 2019.

Par Daniel Grason

Fanny Dutet
Fanny Dutet
Fanny Dutet en Autriche en 1978 ou 1979.
Fanny Dutet en Autriche en 1978 ou 1979.
Fanny Dutet à son domicile
Fanny Dutet à son domicile

SOURCES : Arch. PPo. GB 136, 77W 735, 77W 31111, 1 W 1994-108964. – Bureau Résistance GR 16 P 603993. – Site internet CDJC.– Nos remerciements à Katie Moore grande nièce de Fanny Dutet de nous avoir communiqué le texte : On se comprend à demi-mots, de Paula Schwartz, historienne et professeur d’études françaises à Middlebury College (Vermont USA).

PHOTOGRAPHIES : Arch. PPo. GB 190 et photos transmises par sa grande nièce Katie Moore

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