PATUREAU Joseph, dit Patureau-Francoeur

Par Jean-Luc Labbé

Né le 8 juin 1833, mort le 4 janvier 1876 à Châteauroux (Indre) ; vigneron, marchand de volaille et ouvrier à la pose des lignes de chemin de fer ; soutien de la Commune de Paris et suspecté d’être membre de l’AIT ; franc-maçon ; conseiller municipal de Châteauroux de 1870 à 1876 ; fils de Jean Patureau-Francoeur.

Petit-fils de François Patureau qui s’illustra pendant la Révolution française, fils de Jean Patureau-Francoeur (maire de Châteauroux au début de la seconde République, condamné par contumace en janvier 1852 et déporté en Algérie en 1858), Joseph était le troisième d’une lignée de vignerons républicains, démocrates puis socialistes castelroussins. Initiateur d’une loge maçonnique, Joseph Patureau-Francoeur fut aussi soupçonné d’être un militant de l’Association Internationale des Travailleurs en 1871.
Joseph avait 15 ans, en février 1848, et travaillait aux côtés de son père vigneron au « Chaumiau », faubourg populaire au sud de Châteauroux, qui, avec les faubourgs Saint-Denis (au nord) et Saint-Christophe (à l’est), nourrissait tous les fantasmes de la bourgeoisie du centre-ville à l’encontre des milieux populaires et plus particulièrement des vignerons. Joseph Patureau, adolescent, était donc aux premières loges pour voir son père devenir un acteur de premier plan de la proclamation de la Seconde République et des fêtes populaires qui suivirent la chute de Louis Philippe. Dans ces premières semaines de conquêtes démocratiques, Jean Patureau devint Patureau-Francoeur, un surnom que reprendra son fils Joseph.
Si Joseph fut témoin de l’action de son père qui devint maire de Châteauroux (et compagnon de lutte de Georges Sand), il le vit aussi aux prises avec les premières difficultés dès 1849 lorsque le Préfet le destitua de ses mandats électifs. En décembre 1851, lors du coup d’État bonapartiste, Joseph (alors âgé de 18 ans) vit son père partir dans la clandestinité pour échapper à la vague d’arrestations et à la déportation en Guyane (condamnation par contumace en janvier 1852).
Il raconta, 20 ans, plus tard cet épisode dans le journal républicain de Châteauroux : « … Vous le savez, pour l’ouvrier des champs, habitué au grand air, la prison c’est la mort. Mon père qui était compris au premier rang sur la liste de proscription fut averti à temps. Lorsqu’on vint l’avertir que tous ses amis étaient arrêtés il était en train de piocher ; il serra la main sans rien dire à celui qui venait l’avertir et laissant sa pioche au bout de l’orne il prit sa limousine, et à travers le brouillard épais qu’il faisait de jour-là il disparut dans la direction du Poinçonnet. Il vint pendant la nuit frapper à la porte d’un ami qui lui accorda fraternellement l’hospitalité et pendant au moins 7 à 8 mois, changeant de maison, à mesure que la nécessité l’obligeait, il parvint à dérouter toutes les recherches de la police, pourtant bien acharnée à sa poursuite … La position n’était plus tenable, il résolut d’essayer de quitter le pays pour pouvoir respirer, dans un endroit quelconque sous un nom supposé. Pour cela il avait besoin de voir quelqu’un qui demeurait à plus de huit lieues [32 km] de l’endroit où il se trouvait … ». En 1853, G. Sand obtint que Patureau-Francoeur puisse sortir de la clandestinité. Mais pendant deux ans la vigne n’avait pas été travaillée et les conditions de vie de la famille étaient très précaires.
Alors âgé tout juste de 21 ans, Joseph Patureau-Francoeur se maria le 6 juin 1854 avec Catherine Gatefin (19 ans, sans profession déclarée, fille de vigneron). De cette union un enfant naquit neuf mois plus tard (Jean). Joseph se revendiquait alors vigneron mais ce fut la profession de journalier qu’il déclara à la naissance de Mila-Marie en 1857. Puis de nouveau celle de vigneron en 1866 à la naissance de son troisième enfant (Marie-Aurore) en 1866. En 1871, Joseph Patureau se déclara ouvrier à la pose des lignes téléphoniques et collecteur d’œufs dans les fermes. Il fallait en comprendre qu’il était propriétaire d’une vigne d’une taille insuffisance pour lui éviter d’être ouvrier agricole ou commerçant ambulant pour faire vivre sa famille.
En 1858, son père fut arrêté, emprisonné et condamné à la déportation en Algérie. Malgré de nouvelles tentatives de médiations de la part de G. Sand, Jean Patureau-Francoeur ne put empêcher l’exécution de cette peine. A son amnistie, deux ans plus tard, Jean Patureau-Francoeur revint à Châteauroux pour mettre en ordre ses affaires avant de repartir volontairement en Algérie avec sa femme et deux de ses fils (Simon et Maximilien). Joseph, resté à Châteauroux et alors âgé de 27 ans, restait seul dépositaire du nom de famille (Patureau-Francoeur) qui portait les espoirs des milieux populaires castelroussins. Quelle fut son activité militante dans les dernières années du règne de Napoléon III ? Difficile à dire en l’absence de source même s’il devait être en relation avec les républicains socialisants d’Issoudun et en particulier Jean-Baptiste Lumet, compagnon de déportation de son père, et Alfred Leconte. Un témoignage disait de Joseph Patureau-Francoeur qu’il était « simple de mise et d’allure bon enfant, assez râblé pour en imposer à ses contradicteurs, sa faconde faisait forte impression à tous ceux de son milieu ».
Les élections municipales d’août 1870 avait été pour les issoldunois la prise de contrôle de la majorité du conseil municipal. Mais Châteauroux n’était pas Issoudun et Joseph Patureau-Francoeur avait été élu avec seulement trois autres républicains dans un conseil municipal dominé par Charlemagne, chef bonapartiste. Le soir de la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, il prit la tête d’une manifestation d’ouvriers et de paysans qui parcourut la ville en chantant La Marseillaise et en criant « Vive La République » ; mais les casernes visitées ne se soulevèrent pas. Le 11 septembre, alors que le nouveau Préfet recevait les autorités à qui il était demandé de venir en habits noirs, Patureau se présenta en blouse de vigneron pour mettre symboliquement ses pas dans ceux de son père et marquer sa condition prolétarienne. Dès lors, la surveillance policière ne se relâchera plus.
Joseph Patureau-Francoeur participa, au cours de l’année 1871, à la création d’un atelier maçonnique, L’Étoile du Centre, pour lequel le Préfet alerta le Ministre de l’Intérieur : « j’ai lieu de supposer qu’un nombre plus considérable de sociétaires existe, que parmi eux figurent des individus que de graves soupçons permettent de considérer comme affiliés à l’internationale, que ces individus sont les agents, du moins la tête de colonne de la partie de la population amie du désordre et désireuse de renverser le gouvernement. ». Pendant La Commune de Paris, Joseph Patureau-Francoeur fut réélu dans un conseil municipal dont les éléments les plus réactionnaires avaient laissé place à des républicains très modérément républicains. Une tentative de soulèvement populaire eut lieu, très rapidement maitrisée, à laquelle Joseph Patureau-Francoeur ne participa pas directement mais qu’il fut soupçonné d’avoir organisée.
La surveillance policière se poursuivit et le 16 août 1871 le Sous-préfet d’Issoudun répondit à une demande du Préfet : « je m’empresse de vous transmettre les indications du commissaire de police sur un nommé Patureau-Francoeur de Châteauroux qui vous aurait été signalé comme faisant de fréquentes visites à Issoudun. D’après le commissaire de police, cet individu qui n’est connu que d’un seul agent de police, n’y aurait été vu qu’une fois. Les personnes qu’il pourrait y visiter seraient Leconte, pharmacien et conseiller municipal, Lumet-Raymond vigneron, Chérion peintre, Sineau dit Barbès meunier, Ploquin menuisier. Le sieur Patureau-Francoeur a été accusé d’être venu à Issoudun le 14 mai dernier pour y arborer le lendemain le drapeau rouge. Il devait être assisté dans cette opération par un domestique du sieur Sineau, meunier demeurant à Chinault mais rien ne prouve ces accusations ». Une demande identique avait été adressée au maire d’Argenton pour « la surveillance de cet individu connu pour ses idées exaltées ». (Arch. Dép. Indre, M 2598). Quelques temps après la « semaine sanglante » qui mit fin à la Commune et alors que les procès des communards survivants allaient commencer à Paris, Joseph Patureau-Francoeur avait dû échapper de peu à une arrestation.
De 1873 à 1875, Joseph Patureau-Francoeur publia des articles, une soixantaine de « Lettres berrichonnes », dans le journal républicain modéré, L’Ordre Républicain édité à Châteauroux. Quoique modéré, ce journal fut interdit de diffusion sur la voie publique à plusieurs reprises et son directeur mis à l’amande. Dans ses « Lettres berrichonnes », signées des pseudonymes Onésime Populo et Coquetier (collecteur d’œufs dans les fermes comme avait fait également son père) Patureau défend ses convictions et cherche l’alliance des ouvriers et des paysans : « Il Faudra bien qu’un jour on comprenne qu’il n’y a pas de différence entre celui qui conduit la charrue et celui qui la fabrique ». Il apporta des précisions sur la fuite de son père en 1851 (voir plus haut). Une grande absente dans les « lettres berrichonnes » : il ne fit aucune référence à G. Sand qui avait condamné la Commune dans des termes très violents (Nohant n’est distant que d’une vingtaine de kilomètres de Châteauroux et Patureau passait devant le manoir pour aller au marché de La Châtre).
Réélu conseiller municipal de Châteauroux lors des élections de 1874 et en octobre 1875 lors d’une élection partielle, Joseph Patureau-Francoeur décéda à 42 ans d’un cancer le 4 janvier 1876. Il laissait sa femme en charge de trois enfants de 9, 11 et 19 ans.
Son cercueil « porté à bras par ses amis, le corbillard suivant derrière » fut suivi par 1500 personnes jusqu’au cimetière Saint-Denis à Châteauroux. Un enterrement civil comme l’avait été son mariage. Sur sa pierre tombale on peut y lire encore aujourd’hui : « Joseph Patureau-Francoeur, né le 3 juin 1833, mort le 4 janvier 1876, ancien vigneron, conseiller municipal de Châteauroux. Comme son père et son aïeul il a donné sa vie à son pays, au peuple, à la liberté ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197890, notice PATUREAU Joseph, dit Patureau-Francoeur par Jean-Luc Labbé, version mise en ligne le 4 décembre 2017, dernière modification le 6 octobre 2022.

Par Jean-Luc Labbé

SOURCES : Robert Durandeau, Histoire des Francs-maçons en Berry, Éditions Soury 1990. — Combanaire, Châteauroux pendant la guerre 1870-1871, Badel 1928. Journal L’Ordre républicain. — Arch. Dép. de l’Indre. — État civil.

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