JALLATTE Pierre

Par André Balent, Laurent Pichon, Fabrice Sugier

Né le 25 juin 1918 à Valence (Drôme), mort le 8 juin 2007 à Nîmes (Gard) ; industriel de la chaussure à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) ; chargé de cours aux Instituts universitaires de technologie de Nîmes (Gard) et de Montpellier (Hérault) ; résistant (SOE — Special operations executive —, FFL) ; homme de gauche , « patron anticapitaliste ».

Pierre Jallatte était le fils aîné de Samuel Jallatte, industriel valentinois de la chaussure. Ce dernier, installé à Nîmes en 1934 créa, quelques années plus tard, une manufacture de chaussures à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), localité de piémont cévenol située à 50 km de Nîmes et de Montpellier. Ses deux frères — Jean, exécuté en juillet 1944 au puits de Célas, à Servas (Gard) et Charly-Sam — furent aussi des résistants. Sa mère se suicida en se précipitant dans la fontaine du Jardin de la Fontaine de Nîmes. Sa famille (originaire de l’Ardèche, implantée dans la Drôme et, surtout, dans le Gard) appartenait à l’Église réformée de France.

Le 17 juin 1940, Pierre Jallatte, alors sous les drapeaux et affecté à l’École d’élèves officiers de réserve de Fontainebleau, refusa les ordres du maréchal Pétain de cesser le combat. Il ordonna aux quinze élèves officiers de réserve qu’il commandait de rejoindre Bordeaux à cheval et en armes. Arrêté à Libourne (Gironde) sur dénonciation du général commandant l’école, il fut mis trois mois aux arrêts de rigueur. Lorsqu’ intervint sa démobilisation de l’armée dite d’armistice, il avait déjà procédé au sabotage de plusieurs projecteurs des défenses militaires de Martigues (Bouches-du-Rhône).

Pierre Jallatte entra en contact avec un réseau de la Résistance du sud de la France : renseignements, transport d’armes récupérées, confection et distribution de tracts, de septembre 1941 à juin 1942. À partir de cette date, il fut intégré dans un commando du Special Operations Executive (SOE) britannique à Grenoble (Isère), dont le responsable était son ami d’enfance, André Moch. Ce dernier était le fils aîné de Jules Moch (l’un des 80 parlementaires ayant refusé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain) ami depuis plus de vingt ans de la famille Jallatte.

Pierre Jallatte participa ainsi à des sabotages de voies ferrées et au recueil de renseignements sur les mouvements des troupes allemandes. Arrêté dans un train entre Lyon et Vienne, il fut remis entre les mains du Sicherheitsdientst (SD) à l’hôtel Terminus de Lyon, où il subit interrogatoires et tortures.

Ayant réussi à s’évader, il se réfugia pendant deux mois chez une boîte aux lettres de son réseau puis, au départ de Perpignan (Pyrénées-Orientales), il passa la frontière vers l’Espagne. Il fut à nouveau arrêté et, de juin 1943 à décembre 1943. Pierre Jallatte, alias "de Faventines", connut les prisons de Figueres [Figueras], Saragosse et le camp de concentration de Miranda del Ebro. Il fut libéré de ce camp et put rejoindre les Forces françaises libres (FFL)

Transféré en Algérie, il fut versé dans l’aviation d’observation et participa à la campagne d’Italie (Garigliano, Monte Cassino). Il était observateur dans le premier avion allié qui survola Rome avant sa libération.

Après le débarquement de son unité en France sur les côtes varoises, Pierre Jallatte continua les combats de la libération dans les rangs des Forces françaises libres (FFL). Blessé au cours d’une mission, il fut réformé dans les premiers mois de 1945.

En 1947, il reprit l’entreprise familiale de fabrication de galoches de Saint-Hippolyte-du-Fort, avec un effectif de six salariés. Il la transforma rapidement, après un voyage d’études aux Etats-Unis, en une manufacture de chaussures de sécurité qui devint bientôt la plus importante de France. Il sut introduire plusieurs innovations technologiques qui firent de sa société le premier producteur de chaussures de sécurité en France. Paradoxalement, Pierre Jallatte détestait le capitalisme et n’aimait guère ses confrères. Il versait à son personnel des salaires nettement supérieurs à la moyenne (« Les syndicats demandent 10 %, je vous donne 20% », disait-il dans les années 1970, en période de forte inflation) et favorisait les ouvriers plutôt que le personnel d’encadrement. À ce propos, Pierre Jallatte avait déclaré : « Je ne suis pas toujours bien compris par les cadres quand je leur dis ‘‘vous serez augmentés de 6% et les ouvriers de 41%’’ ». L’essor de la société Jallatte favorisa le dynamisme économique de la petite ville cévenole de Saint-Hippolyte-du-Fort. L’usine, implantée dans le fort construit par Vauban pour intimider les huguenots cévenols, employa jusqu’à 900 ouvriers dans les années 1970. En mai 1968, Pierre Jallatte a obligé ses employés à faire grève pour manifester leur solidarité avec le mouvement. Son personnel disposait déjà (et au delà) d’avantages qui furent acquis à l’issue de mouvement social : semaine de quarante heures, cinquième semaine de congés payés, treizième mois, sans parler des rémunérations et de la participation aux bénéfices. En 1964, son fils unique qui ne voulait pas lui succéder, s’était suicidé. Il reprochait à son père « d’être trop capitaliste ». En 1972, il vendit sa société au groupe Révillon. Il resta directeur mais, fidèle à ses convictions anticapitalistes, il refusa de prendre des participations sous forme d’actions. Il déclara : « Je tiens à n’avoir aucune participation capitaliste ». La société Jallatte connut des difficultés en 1983, année où l’entreprise fut rachetée par le groupe André puis intégrée en 2000 dans un groupe italien (Jal group). Ce dernier fut racheté en 2005 par les banques américaines Goldman Sachs et Bank of America. En 1983, Pierre Jallatte abandonna la direction de l’entreprise et la marque qui continua à porter son nom.

À la fin de sa vie, Pierre Jallatte, amer, vécut très mal le projet de délocalisation de ses usines de Saint-Hippolyte-du-Fort et d’Alès à Bizerte en Tunisie par le fonds d’investissement appartenant aux deux banques américaines. Le 30 mai 2007, il apprit le projet de délocalisation qui se traduisait à Saint-Hippolyte-du-Fort par 287 licenciements sur 336. La séquestration de deux dirigeants suivie d’une prompte intervention du sous-préfet et des élus du département, permit de « suspendre » la délocalisation vers la Tunisie. La nouvelle de cette suspension parvint trop tard à Pierre Jallatte qui, ne voulant pas voir la réalisation de ce projet, se suicida le 8 juin 2007 avec sa carabine dans son domicile nîmois.

Ses obsèques religieuses eurent lieu au temple protestant de Saint-Hippolyte-du-Fort.

Pierre Jallatte était titulaire de plusieurs décorations : chevalier de la Légion d’honneur, Croix de guerre 1939-1945, médaille des Évadés.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197895, notice JALLATTE Pierre par André Balent, Laurent Pichon, Fabrice Sugier, version mise en ligne le 4 décembre 2017, dernière modification le 26 juillet 2021.

Par André Balent, Laurent Pichon, Fabrice Sugier

SOURCES : Archives familiales, Charly-Sam Jallatte*. — Claude Émerique, Laurent Pichon, Fabrice Sugier, Monique Vézilier, La Résistance dans le Gard, Paris, Association pour des Études sur la Résistance intérieure (AERI), 2009, CDROM avec un livret de présentation, 36 p. [en particulier plusieurs notices de Laurent Pichon et Fabrice Sugier]. — Sonya Faure, « L’ancien patron de Jallate se suicide » , Libération, 11 juin 2007. — Véronique Grousset, « Mort d’un symbole au milieu des garrigues », Le Figaro, 21 juin 2007. — Mustapha Kessous, « Ce patron qui ne connaît pas les capitalistes », Le Monde, supplément Le Monde de l’économie, 25 juin 2007. — Sébastien Nègre, « ‘‘Il savait partager la poire’’ », Libération, 11 juin 2007. — Aimé Vielzeuf, Pierre Mazier, Quand le Gard résistait (1940-1944), tome 2 Dans le secret des bois, Nîmes, Lacour, 1997, 235 p. — « Merci patron », Là-bas si j’y suis , émission de radio, France-Inter, 27 juin 2007. — Entretien (Laurent Pichon, Fabrice Sugier) avec Charly-Sam Jallatte, mars 2005.

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