HEURTEAUX Auguste [dit Sans-Dieu] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Rolf Dupuy, Dominique Petit

Né à Paris (Xe arr.) le 24 juin 1862 ; ouvrier polisseur ; anarchiste de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Le 12 mars 1890, il se maria à Saint-Denis, avec Marie Dufour. Il demeurait 7 rue du 4 septembre à Saint-Denis.
Ouvrier polisseur à l’usine Christofle de Saint-Denis, Auguste Heurteaux (parfois orthographié Heurtaud), marié et père d’un enfant, était en 1889 membre du groupe anarchiste local qui se réunissait salle Hélary, 26 quai du Port et salle Mérot, 25 cours Benoist, dont faisaient entre autres partie Bastard, Chaumentin, Mathieu, Simon dit Biscuit, Brille, Segard et Petit.
Heurteaux figurait sur une liste d’anarchistes de Saint-Denis en mai 1891, son dossier à la Préfecture de police portait le n°318.001.
Le 9 mai 1891, suite aux incidents survenus à Clichy le 1er mai (voir Léveillé), il fut l’objet d’une perquisition comme d’autres militants dionysiens dont Joseph Gauthier,Alterant et Joseph Bastard. Il était soupçonné d’avoir participé à l’échauffourée de Clichy. Il fut relâché après interrogatoire.
A la mi mars 1892, suite à l’attentat de la caserne Lobau, son domicile 23 rue du Canal, comme celui de plusieurs militants de Saint Denis - Broeckx, Bastard, Chaumartin, Guerlinguer, Voyez - avait été l’objet d’une perquisition.
Comme de très nombreux compagnons, tant à Paris qu’en banlieue et en province, il fut arrêté, après « avoir vivement résisté aux agents », le 22 avril 1892 préventivement à la manifestation du 1er mai. Selon la presse, c’était « un Hercule, haut de six pieds et musclé comme un cheval. » Il avait notamment protesté : « Vous n’avez pas le droit de rentrer chez moi avant 6 heures du matin...Vous venez de me montrer votre écharpe, mais cela ne me suffit pas pour attester votre identité. Si vous ne me montrez pas votre médaille, je refuse de vous suivre. » Le commissaire ayant exhibé sa médaille, Heurteaux répliqua : « Eh bien ! Maintenant, employez la force pour m’emmener, car je refuse de vous suivre volontairement. » Les deux agents qui accompagnaient le commissaire durent engager une lutte assez vive pour le maîtriser et lui attacher les bras. Il poussait des cris terribles qui avaient réveillé tous les voisins. En route, il continuait de crier « Vive l’anarchie ! » et il interpellait les ouvriers qui se rendaient à leur travail. « Je vais dans des réunions publiques , mais je ne fais partie d’aucune association. Je n’ai jamais fait partie d’aucun groupe. Je proteste contre mon arrestation qui peut me faire perdre mon travail et que je considère comme arbitraire ». Lors de la perquisition avaient été saisi un très grand nombre de journaux, brochures et manifestes anarchistes. Sa sœur était la femme du compagnon Alterant. Il avait été emprisonné une dizaine de jours à Mazas.
Heurteaux avait établi chez lui une permanence, où les compagnons, à l’approche du terme, trouvaient des aides pour déménager à la cloche de bois.
Début 1893, il fut suspecté d’avoir participé à l’affichage de manifestes anti patriotiques lors des opérations de tirage au sort à Saint Denis.
Le 26 août 1893, Heurteaux participait parmi 200 personnes, à une réunion organisée par les anarchistes, Maison Blanche 66 rue boulevard Victor Hugo à Saint-Ouen.
Heurteaux figurait sur l’état récapitulatif des anarchistes au 26 décembre 1893, il était noté comme étant « militant ».
Le 1er janvier 1894, lors de la rafle suivant l’attentat de Vaillant à la Chambre des députés, il avait été l’objet d’une perquisition 23 rue du Canal, la maison qui était la propriété de Bastard, se composait d’une sorte de sous-sol, d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage.
Le 4 janvier 1894, un journaliste du Radical se rendit chez les Heurteaux : « Quand nous nous présentons, nous nous trouvons dans le couloir d’entrée en face d’une jeune femme brune, à la mine éveillée.
Nous demandons M. Bastard. « Il est en ce moment occupé, nous dit-elle, mais voici mon mari, Heurteaux » Et nous entrons dans une pièce, sorte de cuisine-salle à manger ; on vient d’allumer le poêle sur lequel la casserole est posée pour préparer le repas du soir.
Mme Heurteaux nous reçoit avec une courtoisie parfaite ; son mari, qui s’est levé à notre entrée se rassied en face de nous, à côté de la table, tandis que le bébé, un petit garçon de trois ans environ, qui a reçu ses étrennes, fait tourner avec rage un petit manège.
« C’est un futur anarchiste, nous dit la mère. » Adorablement gentil, le bébé, avec ses cheveux noirs, son teint coloré, ses yeux pétillants.
La conversation s’engage.
Ainsi, nous dit M. Heurteaux, un beau garçon brun, de trente-un ans, à la face mâle, ils sont venus hier matin nous souhaiter la bonne année à leur façon. C’est odieux ! mettez-vous à notre place !
- Non, interrompt Mme Heurteaux, ils savent que les femmes des anarchistes sont gentilles, ils ont voulu être les premiers à leur souhaiter la bonne année !
Mais ça ne leur a pas porté bonheur, paraît-il ajouta-t-elle, car M. Lefébure et les deux agents qui venaient perquisitionner chez nous ont versé en route, et ont failli se tuer. Leur voiture a choqué aux environs de Saint-Ouen une voiture de laitier, un des agents a eu sa montre et sa chaîne en or cassées ; il en a même perdu des morceaux ; il a prétendu que c’était plus de 150 francs de .perte ! Aussi ils sont arrivés une demi-heure en retard chez nous, les perquisitions finissaient chez Bastard au moment où ils sont entrés.
J’étais encore couché avec le petit, continue M. Heurteaux, ma femme seule était levée.
Ils sont venus me demander si j’avais des papiers, je ne sais quoi. Je leur ai répondu :
A quoi me servirait-il de vous le dire ! Vous ne me croiriez pas tout de même. Cherchez donc. Et ils ont tout fouillé ; ils m’ont pris une collection du journal la Révolte et des brochures.
A un moment, j’ai dit : Ils ne sont pas gênés ces gens-là qui viennent mettre tout sans dessus dessous chez moi et me prendre les livres que j’ai bien achetés de mon argent. Il paraît que j’avais manqué de respect. Ces mots ces gens-là ont froissé M. Lefébure, qui m’a alors menacé de m’arrêter. « Faites donc, » lui ai-je dit.
Puis il a trouvé nos livrets de caisse d’épargne, et alors il nous a félicités et faisait le bon apôtre. »
La police avait saisi 19 exemplaires du Père Peinard, 32 numéros de La Révolte et 3 de l’En Dehors, il avait été laissé en liberté.
Le 3 mars 1894, il était une nouvelle fois perquisitionné. A l’heure où s’était présenté le commissaire de police du quartier de la Madeleine, Heurteaux avait quitté son domicile. La perquisition n’en avait pas moins été faite, et avait donné à la saisie de brochures et de journaux anarchistes.
Le lendemain matin, deux gendarmes, en vertu d’un mandat délivré par le parquet, se présentaient à l’usine Christofle, 112, rue de la gare, pour procéder à l’arrestation de Heurteaux.
Il parut d abord vouloir les suivre sans opposer de résistance, mais en traversant la cour de l’usine il fît signe à plusieurs camarades qui assistaient à cette scène. Aussitôt, soixante ouvriers environ se ruèrent sur les gendarmes, les insultant et cherchant à leur enlever Heurteaux.
Les gendarmes soutinrent une lutte terrible contre tous ces ouvriers, et ils durent sortir leurs revolvers et les en menacer. Les gendarmes purent emmener Heurteaux, ils arrêtèrent deux des ouvriers les plus acharnés, les nommés Thibivilliers, âge de vingt-cinq ans, et Carré âgé de trente ans. Ces deux derniers furent conduits au dépôt avec Heurteaux.
Trois autres ouvriers qui s’étaient fait remarquer par leur violence avaient été consignés à la disposition de la justice.
Un autre incident s’était produit au sujet de l’arrestation d’Heurteaux. La femme de celui-ci, en voyant le même jour passer les gendarmes qui accompagnaient le commissaire de police s’écria : « Tas de charognes que vous êtes, vous me ferez mourir. »
Les gendarmes lui avaient dressé procès verbal pour outrages, et elle avait été également consignée à la disposition de la justice.
Le 21 mars 1894, Auguste Heurteaux comparaissait en police correctionnelle avec Cyprien Gavot, Alexis Lartigue, Arthur Maigret, Eugène Thibivilliers, François Carré, pour outrages et rébellion.
Heurteaux fut condamné à 6 mois de prison, le tribunal avait acquitté Gavot, mais condamné Lartigue à 25 francs d’amende et Maigret à deux mois de prison. Thibivilliers et Carré, chacun à 3 mois
Le 13 avril 1894, sa femme fut condamnée par le tribunal correctionnel à 6 jours de prison, pour outrage à la gendarmerie.
Heurteaux figurait sur l’état récapitulatif des anarchistes au 31 décembre 1894. Il était noté « dangereux ». Il était également sur l’état de 1901.
Il ne doit pas être confondu avec Pierre Heurteaux, demeurant 167 rue Saint-Maur, classé comme anarchiste dangereux, sur l’état du 31 décembre 1896.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article198007, notice HEURTEAUX Auguste [dit Sans-Dieu] [Dictionnaire des anarchistes] par Rolf Dupuy, Dominique Petit, version mise en ligne le 8 décembre 2017, dernière modification le 19 octobre 2020.

Par Rolf Dupuy, Dominique Petit

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Fiche photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

SOURCES :
Notice Auguste Heurteaux du Dictionnaire des militants anarchistesSaint-Denis la ville rouge : 1890-1939 par J.P. Brunet (Hachette, 1980) — Le Père Peinard 8 mai 1892 — Archives Nationales F7/12504, F7/12508 — Le Temps 23 avril 1892 — Archives de la Préfecture de police Ba 77, 78, 1499, 1500 — La France 26 avril 1892 — Journal de Saint-Denis 24 avril 1892, 4 janvier, 8 et 25 mars, 19 avril 1894 — Le Radical 4 janvier 1894 — Les anarchistes contre la république de Vivien Bouhey. Annexe 56 : les anarchistes de la Seine.

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