MURCUILLAT Jean-Pierre

Par Jean-Marie Guillon

Né le 10 janvier 1925 à Barcus (Basses-Pyrénées/Pyrénées-Atlantiques), exécuté le 24 juin 1943 à Barcus ; employé de ferme ; victime civile, sympathisant de la Résistance.

Ce jeune homme a été assassiné par les hommes de la 8e compagnie du 3e régiment de la Division Brandebourg le 24 juin 1943 dans la cour de la ferme de ses parents, à Cotabaren (à trois kilomètres de Barcus), dans la région de la Soule. Cette unité spéciale de la Wehrmacht composée de volontaires français encadrés par des officiers et des sous-officiers allemands avait été créée un peu plus d’un mois auparavant avec un premier contingent de recrues provenant principalement des groupes collaborationnistes – Parti populaire français (PPF), Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) - de Paris (Seine) et de Bordeaux (Gironde). Elle était installée à Moumour (Basses-Pyrénées/Pyrénées-Atlantiques), au château Newell, appelé aussi villa Planterose. Les recrues recevaient là une formation militaire orientée vers le combat contre la Résistance puisque la vocation de l’unité était l’infiltration dans les organisations clandestines et leur démantèlement. C’est dans le cadre de cette instruction, pour aguerrir les recrues, que furent menés plusieurs coups de main contre les très nombreuses filières qui traversaient les Pyrénées dans ce secteur, dont celui de la nuit du 23 au 24 juin à Barcus. Le mode d’opération était toujours le même. Des membres de compagnie se faisaient passer pour des réfractaires au Service du travail obligatoire voulant gagner l’Espagne pour continuer le combat en Afrique du Nord. Déjà, dans la nuit du 16 au 17 juin, un passeur ayant été ainsi trompé, un groupe de plusieurs dizaines de personnes d’origines très diverses avait été découvert à Barcus et vingt-et-une d’entre elles, dont trois femmes, arrêtées et conduites à Oloron (Basses-Pyrénées/Pyrénées-Atlantiques). Pour l’affaire du 23-24 juin, ce furent trois membres de la 8e compagnie qui convainquirent le passeur pourtant chevronné Michel Olazabal de les inclure dans le groupe qu’il devait conduire. Ce passage concernait lui aussi un nombre très important de candidats puisque son premier groupe comprenait vraisemblablement trente-quatre personnes, des hommes et une jeune femme qui aurait été d’origine américaine et membre d’un réseau britannique, et qu’il devait être complété par un deuxième groupe presque aussi important. Le 23 juin, venant de Pau (Basses-Pyrénées/Pyrénées-Atlantiques), le premier convoi fit étape en attendant ce deuxième groupe, dans la grange de la famille Murcuillat, quartier de Cotabaren. Cette famille ne faisait pas, semble-t-il, du passage, du moins était-elle au courant et y apportait probablement une aide au moins ponctuelle. Les sources sont sur ce point contradictoires puisque l’un des témoignages recueillis par Gisèle Lougarot laisse entendre qu’un neveu de la famille et un ami attendaient le groupe. Or, effectivement, Michel Olazabal ne pouvant effectuer la dernière partie du trajet, devait être relayé par un autre passeur qui devait conduire l’ensemble jusqu’à la frontière. Informés de ce passage et recherchant le lieu de stationnement du groupe, les hommes de la 8e compagnie sous la direction de l’adjudant Schwinn, assisté de policiers du Sipo-SD d’Oloron, vinrent perquisitionner le secteur, passant d’abord dans la ferme Cotiard-Mercatpide où travaillait Jean-Pierre Murcuillat, volant au passage des vivres, du vin et des bijoux. Vraisemblablement déjà avinés, ils vinrent ensuite avec lui dans la ferme familiale qu’ils fouillèrent à son tour, se servant là aussi au passage et y consignant ses occupants. Ayant découvert deux sacs de montagne, ils interrogèrent le jeune homme et son frère cadet, les brutalisant sans doute, avant de découvrir le groupe caché dans la grange. Un Allemand aurait peut-être été blessé par balle lors de cette interpellation (mais il est possible qu’il ait été blessé accidentellement par l’un des hommes de la compagnie). Alors que les Brandebourg restaient cachés en attendant en vain le deuxième groupe (qui, alerté, fit demi-tour), les prisonniers et à nouveau les deux fils Murcuillat étaient interrogés durant la nuit à Barcus. Ramené chez lui, Jean-Pierre Murcuillat fut abattu vers 2 heures du matin. Selon le chef départemental de la Milice, il aurait été torturé. D’après Olivier Pigoreau, les gendarmes appelés le lendemain matin auraient trouvé près du corps des papiers d’emballage portant la mention « hier anfassen » (« tirer ici »). Son père fut arrêté et resta prisonnier à Oloron durant quinze jours pour être interrogé sur les passages.
Dans une lettre adressée à son frère et interceptée le 2 juillet 1943 par le contrôle postal, le Bordelais Janick Danflou, membre de la compagnie, se vantait d’avoir participé à l’opération. Il prétendait même que « ce coup-là » avait été réussi grâce à lui. Un autre membre de la compagnie, Doucelin, avait fait partie des trois faux réfractaires. La compagnie fêta le lendemain sa réussite à la villa Planterose.
Le lieu du décès de Jean-Pierre Murcuillat avait eu lieu à la “ferme Cotabaren” : c’est dans une grange de cette ferme que le groupe d’évadés devait passer la journée, comme c’était l’habitude pour tous les passages qui se faisaient sur plusieurs jours, vu les distances à parcourir jusqu’à la frontière espagnole (les groupes marchaient essentiellement la nuit, pour éviter d’être repérés, et se cachaient le jour dans des granges, de préférence inhabitées). La ferme Cotabaren est sur le territoire de la commune de Barcus, d’où le nom “d’affaire de Barcus” qui est attaché à ce triste épisode.
Cette affaire fit grand bruit dans la région. Le 5 juillet suivant, le chef départemental de la Milice faisait part de son émotion à son chef régional car le crime était mis sur le compte de son organisation par « la propagande » adverse et certainement par l’opinion en général, alors qu’elle n’y était pour rien, ce qui était vrai. Grossissant les faits (ce qui donnait la mesure du retentissement de l’affaire), il précisait que la population était « à la fois terrorisée et très montée ». Le parquet avait été saisi, Vichy avait des envoyés qui suivaient l’enquête, le PPF lui-même était « très ému » et avait « sur place des enquêteurs » (… !). Le préfet, très inquiet, voyant poindre le risque d’une guerre civile, ne sachant que faire devant ce crime inédit (et un groupe dont on découvrait les finalités et les méthodes), partait spécialement s’en entretenir à Vichy auprès de Pierre Laval en présence si possible de Joseph Darnand, chef de la Milice.
Comme toujours en pareil drame, la rumeur chercha des responsables dans la population locale. Elle désigna un ancien membre de la LVF et sa sœur, personnages douteux qui peut-être avaient servi d’informateurs aux hommes de la 8e compagnie. Le passeur Michel Olazabal fut lui-même soupçonné bien qu’il soit passé en Espagne peu après pour échapper aux poursuites et qu’il continuât à servir dans la Résistance les services spéciaux d’Alger. En tout cas, il fut miné jusqu’à sa mort par un sentiment de culpabilité et il fallut attendre 1984 pour que la presse locale lui rende hommage.
La 8e compagnie dont le contingent allait s’étoffer d’autres jeunes militants d’extrême droite venait de déménager à Eaux-Bonnes (Basses-Pyrénées/Pyrénées-Atlantiques). Elle allait commettre un autre meurtre dans la région peu après, celui de Vincent Pourruch*, le 29 août 1943. Mais celui de Barcus était le premier crime d’une série qui allait en contenir plusieurs dizaines d’autres jusqu’à l’été 1944, en particulier dans le sud-est de la France.

Le nom de Jean-Pierre Murcuillat figure sur le monument aux morts de Barcus.
Cette notice remplace celle qui avait été publiée sous le nom de Jean-Pierre Marcillat et qui faisait une confusion sur le nom de la victime et sur la date de son exécution (23 juin 1944).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article198359, notice MURCUILLAT Jean-Pierre par Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 20 décembre 2017, dernière modification le 27 septembre 2022.

Par Jean-Marie Guillon

SOURCES : Arch. justice militaire, tribunal militaire de Bordeaux 24 novembre 1953 (dossier Frahi, etc., rapports de police, tableau des arrestations et des meurtres dans la région de Bordeaux). ⎯ Arch. dép. Gard 3 U 7 218 (cour de justice de Nîmes, dossier Cot) et 220 (dossier Jean Danflou). ⎯ Site internet Mémoire des hommes SHD Vincennes GR 16 P 437893 (nc). ⎯ Jean-Marie Guillon et Guillaume Vieira, « La 8e compagnie de la Division Brandebourg. Une pièce essentielle et méconnue de la lutte contre la Résistance », Provence historique fascicule 252, avril-juin 2013, p. 195-212. ⎯ Gisèle Lougarot, Dans l’ombre des passeurs, Saint-Sébastien-Bayonne, Elkar, 2004, p. 273 et suiv. ⎯ Olivier Pigoreau, Sanglante randonnée. Les Français de la division « Brandebourg » et des formations de chasse SS (chapitre 2 consacré à cette affaire), Paris, Histoire & Collections, 2013, p. 62-63. ⎯ État civil. — Notes de Dominique Piollet.

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