KERMANN Henriette, Madeleine [née ROUSSELET]

Par Daniel Grason

Née le 23 décembre 1909 à Paris (XXe arr.), morte le 7 février 2007 à Fleury-Mérogis (Essonne) ; communiste ; militante du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme ; déportée politique.

Henriette Kermann.
Henriette Kermann.

Fille de Eugène et de Elise, née Rousselet, elle épousa le 16 août 1930 Georges, Lucien Kermann en mairie du Lilas (Seine, Seine-Saint-Denis). Le couple eut une fille Yolande née en 1936, la famille habitait en novembre 1941 au 13 rue de l’Ermitage à Paris (XXe arr.). Elle milita avant la déclaration de guerre au Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme. Cette organisation fut interdite après la déclaration de guerre, comme toutes les associations et organisations liées au parti communiste. Selon sa fille Yolande Traimond, elle adhéra au parti communiste après l’exécution de Gabriel Péri le 15 décembre 1941 au Mont-Valérien.
Alors qu’ils suivaient Marguerite Chagneau dite Clarisse deux inspecteurs de la BS1 notèrent le 14 février 1942 vers 13 heures qu’elle conversait avec Henriette Kermann. Ils se rendirent au domicile de celle-ci, elle tenta de jeter dans un poêle des documents sur son activité. Furent saisis : des projets de tracts manuscrits signés « Le comité féminin du quartier », des notes où il était question de « passes pour les camarades et pour le mouvement des femmes ». Les intitulés des projets et de tracts ne laissaient aucun doute sur son activité : « Assez de discours, il nous faut du pain », « Des navets, encore des navets, toujours des navets », « Dans les palaces et les kommandanturs il fait 22° de chaleur », « L’Echo des Marchés », « Pétain du Pain », « l’Union des Femmes du 20ème – journal des femmes dans l’action pour le retour des prisonniers et contre la misère ». La plupart des tracts portaient comme signature « Le Comité Féminin du Quartier ».
D’autres tracts imprimés ou ronéotypés furent saisis, dont une dizaine de projets : « Les conditions de vie des ouvriers agricoles », « La trahison du maréchal Bazaine », « Manifestez contre les crimes des Boches », une brochure intitulée « Ce qu’il ne faut pas faire, si nous voulons être victorieux », une centaine de papillons « Femmes exigez un supplément de pain et de charbon », etc… ainsi que des tickets de souscription du Secours Populaire de France. Sur une feuille manuscrite « Avoir des passes pour les camarades » suivait cinq noms de militantes, sur une seconde feuille les noms et adresses de cinq autres femmes. Sa fille Yolande âgée de six ans était présente quand Henriette Kermann fut emmenée par les policiers.
Lors de son interrogatoire, elle nia toute activité clandestine. Elle expliqua qu’en janvier 1942 elle avait fait la connaissance d’une femme [Marguerite Chagneau], toutes deux auraient projetées d’organiser une délégation de ménagères à la mairie du XXe arrondissement pour demander une augmentation de la ration de pain. La découverte d’un engagement de location au nom de Blanche Chastant découvert dans le sac à main d’Henriette Kermann permettait aux policiers de poursuivre leur enquête. Elle expliqua qu’elle fit la connaissance de Blanche Chastant en 1938 à la fête de l’Humanité à Garches (Seine, Hauts-de-Seine).
Une confrontation entre Henriette Kermann et Marguerite Chagneau eut lieu, à propos de leur rencontre le 14 février vers 13 heures au métro Gambetta, elles firent preuve d’un remarquable sang-froid. « Je ne peux pas dire exactement exactement s’il s’agit de madame Chagneau ici présente » déclara Henriette Kermann. Impassible Marguerite Chagneau répondit « Il est possible que j’ai serré la main à deux dames, au jour, à l’heure et au lieu que vous indiquez, mais je ne connais nullement la personne ici présente ».
Le 25 mars 1942, elle comparaissait devant un juge d’instruction. Elle déclara « S’il est exact que j’ai appartenu, avant les hostilités au Comité Mondial des Femmes, j’affirme formellement que, depuis le mois de septembre 1939, j’ai cessé toute activité. Je n’ai été sollicitée par personne d’en reprendre. » Elle confirma qu’elle ne connaissait pas Marguerite Chagneau, « Les inspecteurs, qui prétendent m’avoir vu le 14 février en compagnie de cette femme et d’une autre femme rousse, ont certainement fait erreur. »
Le juge lui présenta une quinzaine de scellés, elle répondit que les documents lui avaient été remis dans un paquet par une femme brune dont elle ignorait le nom et l’adresse. Elle avait fait sa connaissance alors qu’elle faisait la queue dans un magasin d’alimentation.
Incarcérées, le 27 juillet 1942 les militantes impliquées dans la même affaire comparaissaient devant la Section spéciale de la Cour d’Appel de Paris. Henriette Kermann a été condamnée à cinq ans de travaux forcés.
Emprisonnée à Fresnes, le 27 juillet 1942 la Section spéciale condamna Henriette Kermann à cinq ans de travaux forcés « pour détention de tracts et documents communistes clandestins, a tenté de brûler ces documents à l’arrivée des inspecteurs. » Le 17 août 1942 lors de son transfert de Fresnes à la centrale de Rennes Henriette Kermann et des militantes communistes favorisèrent l’évasion de Madeleine Marzin en gare Montparnasse. Elle en témoigna dans son ouvrage La Résistance que j’ai faite, La Déportation que j’ai vécue. « Au moment où nous arrivons sur le quai de la gare Montparnasse, nous sommes étroitement surveillées, une bousculade se forme, mais Madeleine ne réussit pas à s’évader. Nous montons dans le wagon, nous avons chacune un bagage et nous obstruons le couloir en nous rependant dans chaque compartiment. Certains gardiens sont installés à côtés des sorties et d’autres veulent mais ne peuvent se poster aux portes des compartiments. C’est à ce moment que Madeleine ouvre la vitre, saute sur le ballast et court à travers les rails pour remonter sur le quai d’en face. Là, un cheminot avec une grande burette à la main vient dans sa direction. Madeleine va directement vers lui. En quelques mots, il comprend ce qui se passe. Il lui prend le bras et ils repassent se fondre dans la foule. Cela a duré quelques secondes. »
Henriette Kermann quitta Rennes pour le fort de Romainville, le 13 mai 1944 elle était dans le convoi de 552 femmes à destination de Ravensbrück (Allemagne). Elle fut immédiatement affectée au Kommando de travail de Zwodau à 30 kilomètres de Karlovy Vary (Karlsbad en allemand) dans les Sudètes en Tchécoslovaquie.
Les détenues travaillaient pour la firme Siemens, dans son ouvrage elle témoigna de la destruction des déportées par le travail fourni gratuitement aux groupes industriels allemands, des conditions inhumaines de détention, des coups de poings, des gifles données sans raison, de l’humiliation permanente. L’alimentation, la soupe une « eau brunâtre », une boule de pain de huit cents grammes à se partager à seize. Quatorze heures de travail par jour, le dimanche les humiliations des SS qui choisissaient au hasard des détenues qui devaient pousser une brouette remplie de pierres. Son travail à l’usine à découper avec une scie mécanique des barres d’acier, les risques insensés qu’elle prenait pour ralentir la production. La destruction par le travail et la sous-alimentation a été le quotidien d’Henriette Kermann. En mars 1945 des femmes Tziganes de Hongrie venues à pied furent exterminées, les déportées de Zwodau creusèrent des tranchées pour ensevelir les cadavres têtes bêches.
Le 17 avril 1945, Henriette Kermann matricule 39168 s’évada de la colonne des prisonnières du camp de Zwodau qui étaient évacuées. Á Grazlitz elle commençait une fuite éperdue à travers la forêt en allant vers l’ouest, se guidant en campagne et en forêt au bruit du canon. Par chance, elle rencontra quatre ou cinq soldats de l’armée américaine, à Plauen en Allemagne, allongée sur une paillasse, elle apprenait le 8 mai 1945 la reddition et l’effondrement du régime nazi.
Rapatriée en train, arrivée à la gare du Nord, elle fut dirigée vers un autobus qui emmenait les déportés à l’hôtel Lutétia. Là après une visite médicale, elle chercha une place pour se reposer « arrivée devant une glace, je vis une femme toutes gonflée, c’était moi, je ne me reconnais pas, je faisais de l’œdème. » Elle téléphona à ses parents, sa mère vint avec son frère André.
Le 12 octobre 1945 elle témoigna devant la commission d’épuration de la police, elle reconnut sur photographies les deux inspecteurs qui l’arrêtèrent le 2 mars 1942. Elle déclara : « J’ai été conduite dans les locaux des Brigades spéciales des Renseignements généraux où j’ai été détenue huit jours à la salle 520. […] Pendant mon séjour aux Brigades spéciales, j’ai été bousculée brutalement par D… et notamment par G…, qui m’a menacé d’exercer des sévices sur mon enfant, âgée à l’époque de cinq ans, si je ne voulais pas parler. »
« Une perquisition effectuée à mon domicile a amené la découverte de tracts, rien de m’a été dérobé. »
« Je porte plainte contre les inspecteurs qui m’ont arrêtée et notamment contre G… qui s’est montré inhumain, vis-à-vis d’une mère de famille. »
Concernant sa déportation, elle indiqua : « J’ai été remise aux Autorités allemandes, qui m’ont déportée au camp de Ravensbrück le 12 mai 1944. J’ai été libérée par les troupes Américaines le 17 avril 1945. »
Henriette Kermann a été homologuée au titre de la Résistance intérieure française (RIF), et Déportée internée résistante (DIR). Elle fut l’une des fondatrices de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes (FNDIRP) présidée par Marcel Paul et Henri Manhès. Elle mourut le 7 février 2007.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article198872, notice KERMANN Henriette, Madeleine [née ROUSSELET] par Daniel Grason, version mise en ligne le 19 février 2018, dernière modification le 1er avril 2019.

Par Daniel Grason

Henriette Kermann.
Henriette Kermann.

SOURCES : AN Z/4/54. – Arch. PPo. GB 063, BA 2056, 77W 5369. – Livre-Mémorial, FMD, Éd. Tirésias, 2004. – La Résistance que j’ai faite, La Déportation que j’ai vécue, Henriette Kermann, Éd. Le Survenir, 2000 et 2013. – Bureau résistance GR 16 P 524393. – État civil numérisé Paris 20e, 20N 273 acte n° 4147.

PHOTOGRAPHIE : Arch. PPo. GB 156 cliché du 8 mars 1942.

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