CHARNET Georges, Jean

Par Jean Limonet

Né le 21 juin 1926 au Creusot (Saône-et-Loire) ; ingénieur mécanicien Arts et Métiers (Cluny) ; adhérent à la JEC ; membre du bureau UD-CFDT de Saône-et-Loire ; formateur syndical ; co-fondateur du SNICIM-CFDT (1965) ; directeur de l’établissement Énergie du Creusot à Creusot-Loire (1972), président de LARC, Maison de la culture et de la Maison des Jeunes du Creusot, président fondateur de l’Académie François Bourdon du Creusot (1985).

Georges Charnet avait un grand-père, originaire de Gilly-sur-Loire (Saône-et-Loire), manœuvre à la grosse forge du Creusot, et un père, né au Creusot, ouvrier professionnel (ajusteur) aux ateliers de mécanique des usines Schneider. Sa mère d’une fratrie de neuf enfants avait perdu sa propre mère à l’âge de cinq ans et avait été élevée par sa tante à Torcy, commune jouxtant celle du Creusot. Georges Charnet était l’aîné d’une fratrie de deux enfants. Il habitait, avec son frère et ses parents, une maison avec petit jardin, composée uniquement de deux pièces que leur louait un manœuvre qui travaillait aux hauts-fourneaux chez Schneider. Cette maison n’avait pas l’eau courante et était située dans la paroisse de Saint-Henri. Sa mère allait à la messe accompagnée de ses deux enfants alors que le père ne pratiquait pas.

Après sa scolarité à l’école primaire, Georges Charnet entra en 1938 à l’école spéciale Schneider, ayant été reçu parmi les 160 sur 400 candidats. Pendant les congés scolaires, il avait participé aux colonies de vacances au château du Breuil proche du Creusot organisées par des laïcs de l’église du Creusot. Il fit sa communion solennelle à douze ans. Durant son enfance et son adolescence, il fut invité par l’abbé Noailly à faire partie de la « croisade eucharistique ». Ce fut sans doute le déclencheur de l’évolution de sa foi (souci des autres, sacrifices à accepter, fréquentation des hommes de foi) et de ses engagements temporels dans la vie quotidienne. À l’école spéciale, il adhéra à la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) animée par deux hommes remarquables, l’abbé Cagne du Creusot et le père Calvet théologien moraliste au grand séminaire d’Autun et précurseur du concile. Leur groupe comptait quinze adhérents. Georges Charnet participa à de nombreux camps d’été animés par le père Calvet où il côtoya des jeunes originaires de villes diverses comme Chalon et Autun. Ce brassage entre jeunes lui permit de découvrir l’existence de milieux différents demandant l’ouverture aux autres. Lors des campagnes apostoliques de nombreux thèmes de réflexion étaient abordés (les filles, la question sociale, la lutte des classes) et des règles de vie étaient proposés (l’entraide aux personnes âgées).

En 1945, Georges Charnet réussit le concours d’entrée à l’école d’ingénieurs des Arts et Métiers de Cluny. Il poursuivit ses études, grâce aux deux bourses obtenues, l’une de Schneider et l’autre des Arts et Métiers. Il obtint son diplôme en 1948. Ce fut durant cette période, qu’il rencontra le père Bortaud, gadz’arts lui-même, puis des dominicains, lors de conférences à Cluny ou au Creusot les pères Lebret et Suavet co-fondateurs d’Économie et Humanisme. Il poursuivit son éveil de la foi à travers de très nombreuses activités et réflexions en distinguant une hiérarchie des besoins humains : primaires, culturels, de confort avec une représentation claire sur des graphiques. Il participa à plusieurs sessions d’études à l’Arbresle où il eut l’occasion de rencontrer de nombreuses personnalités, telle Claudius Petit futur ministre du Logement.

À la sortie de l’école de Cluny, Georges Charnet fut appelé à remplir ses obligations militaires. Il partit en novembre 1948 pour revenir un an plus tard en novembre 1949. Il fut affecté à « l’arme du Matériel » et suivi les cours de l’école interarmes de Cherchell en Algérie puis ceux de l’école d’officiers du « Matériel de Bourges ».

Nanti du diplôme d’ingénieur, Georges Charnet entra à l’usine Schneider au Creusot comme c’était l’usage à cette époque pour les boursiers. À sa demande, il fut affecté au bureau d’études des moteurs diesel. Il fut chargé de l’étude des vibrations de torsion et de leurs vérifications sur les bateaux, en mer, puis de l’étude d’un prototype de moteur diesel. Ce fut à cette occasion qu’il travailla en coopération technique entre deux firmes, avec un Danois spécialisé dans les moteurs diesel rapides. Durant cette période, il s’interrogea sur la manière de vivre des ouvriers de son service. Il décida de faire une étude des budgets familiaux du personnel de l’usine, selon les méthodes d’Économie et Humanisme. Les difficultés pécuniaires des familles nombreuses apparurent et il voulut y porter remède. Il décida alors en 1950 d’adhérer au syndicat CFTC pour y militer, non pas dans la section ingénieurs et cadres, mais avec les ouvriers. Il rencontra des anciens amis du quartier et de l’école également anciens jocistes de son temps, Bernard Loiseau, Camille Dufour, Jean Gautheron*, Jean Simonnot, Charcosset*, Édouard Morin. Georges Charnet eut avec Édouard Morin une importante correspondance politico-syndicale, il était ami avec sa famille.

Au Creusot, la direction des usines suivait avec attention l’évolution du syndicalisme, elle voyait mieux les cadres à la CGC qu’avec les ouvriers à la CFTC. Un agent de la direction était chargé d’assister aux réunions hebdomadaires du syndicat et de faire son rapport. Il était connu mais les militants n’en éprouvaient aucune crainte. Georges s’aperçut rapidement que les revendications ouvrières n’étaient souvent pas étayées rationnellement et que la formation économique était souvent inexistante. Il s’engagea donc dans des activités de formation syndicale au sein de la CFTC, en matière économique, et devint membre du bureau de l’UD-CFTC de Saône-et-Loire, où il fit connaissance avec Robert Béduneau* alors secrétaire général basé à Chalon-sur-Saône. Très rapidement, il devint formateur dans les ENO (Écoles normales ouvrières) dans les départements de Côte-d’Or et de Saône-et-Loire (Saint-Vallerin, La Bergerie à côté de Dijon, etc.). Il fit équipe avec Henri Potot de Dijon, René Gendard de Saône-et-Loire, Camille Dufour, Bernard Loiseau. L’ambiance familiale des ENO fondait des amitiés profondes. Parfois les ENO se tenaient près de Lyon, à « La Rivette ».

Georges Charnet participa d’une manière active aux débats internes de la CFTC sur la construction d’une nouvelle organisation syndicale qui déboucha sur la CFDT en 1964. Les syndicats du Creusot adoptèrent les nouveaux statuts et devinrent CFDT. À cette époque, il milita également à « Vie Nouvelle » dont les réflexions, portaient sur une distinction entre le temporel et le spirituel, rejoignant ainsi le débat interne de la CFTC. Il eut l’occasion de croiser Jacques Delors et André Cruiziat.

En 1956, Georges Charnet demanda à quitter le bureau d’études pour s’impliquer dans la vie des ateliers et voir comment on pouvait concilier le commandement avec la valorisation des hommes au travail. Il s’intéressa aussi à l’efficacité des structures très centralisées de l’usine qui ne laissaient pas place à l’initiative et à la responsabilité des exécutants. Il passa aux études des méthodes de fabrication où il fut chargé de l’amélioration de quelques procédés désuets, et à l’organisation et au commandement des ouvriers mécaniciens. Il fut envoyé aux États-Unis pour étudier la fabrication des compresseurs, l’usine voulant entrer dans le marché du gaz. Au retour, dès les premières commandes de compresseurs, il constitua une équipe autonome chargée de toute l’exécution des machines : achats, outillages, usinage, montage, essais. Ce fut sa première expérience de décentralisation des structures qui, jusque-là, étaient organisées par disciplines. Il découvrit ce qui, plus tard, sera appelé « la fonction globale de gestion ». La direction des usines lui donna alors des fonctions de commandement de plus en plus importantes dans un atelier de mécanique lourde de 1 300 personnes. Il devint chef de service. En tant que tel, il participa aux sessions de formation organisées par la direction avec le cabinet « Convergence » présidé par Hugonier. Dans les usines du Creusot les actions de formation des jeunes ingénieurs aux cadres dirigeants furent nombreuses et de valeur. La plupart des dirigeants étaient d’anciens scouts ou appartenaient à des mouvements de cadres catholiques (MCC).

Le 23 octobre 1965, Georges Charnet représenta la construction mécanique de Saône-et-Loire à l’assemblée constitutive du Syndicat national CFDT des ingénieurs et cadres des industries de la métallurgie (SNICIM), à Paris rue Montholon. Il ne fut pas candidat pour être membre du conseil de ce nouveau syndicat, ce fut Roger Bondoux, autre ingénieur des établissements Schneider du Creusot qui fut élu. Il eut l’occasion de rencontrer dans cette assemblée, Jean-Claude Jullien secrétaire général du SNICIM, Jean-Marc Le Duc, Roger Faist, Louis Zilliox, tous présents à des titres divers. La création de ce syndicat fut la suite d’une longue évolution. Ce fut après l’arrêté de septembre 1945 reconnaissant un classement par branche professionnelle des ingénieurs et cadres et la loi du 11 février 1950 reconnaissant les nouvelles conventions collectives, que la Fédération française des syndicats des ingénieurs et cadres de la CFTC décida de structurer en interne des groupes par branches dont celle de la métallurgie. Le travail de ce groupe porta essentiellement sur les négociations nationales et, au fur et à mesure des années, souhaita être rattaché à la fédération de la métallurgie, la FGM.

En 1967, la municipalité du Creusot remplaça le théâtre municipal par une maison de la culture et maison des jeunes qui devint en 1968, un lieu de rencontres et d’échanges entre des syndicalistes et des cadres de l’usine. Georges Charnet en fut le président de 1969 à 1972.

Lors des conflits sociaux de 1968 chez Schneider au Creusot, Georges Charnet fut bousculé dans ses réflexions et ses engagements syndicaux à la CFDT dans laquelle il avait longuement milité. Il se trouva face à des idéologies développées par des militants en opposition fondamentale avec la place de l’économie et de l’homme dans la société. Il se sentait plus proche des syndicats allemands ou américains. Attiré par la philosophie d’Hugonier, il put, peut-être, retrouver là, son action en faveur de la « personne ». Il démissionna du syndicat, tout en conservant de nombreuses amitiés personnelles.

En 1972, il fut nommé directeur de la division Énergie au Creusot, comprenant 2 500 personnes dont 190 ingénieurs et cadres. Il allait y rester jusqu’à son départ à la retraite en 1985. Cette division était chargée de l’exécution de machines produisant de l’énergie : turbines à vapeur, turbines hydrauliques, compresseurs, éléments de centrales nucléaires.

Parti d’une conviction profonde, Georges Charnet lança avec des psychologues une enquête pour connaître les attentes du personnel. Les résultats de l’enquête mirent en évidence la nécessité de connaître la finalité de son travail « ce qu’on fait çà sert à quoi ? » la création d’équipes opérationnelles permit de redonner de l’initiative au personnel. Les structures de la division furent organisées autour des produits pour donner plus de responsabilités aux cadres. Une concertation fut mise en place sur l’élaboration de stratégies de produits. Grâce à un effort important d’information du personnel, la division Énergie devint très prospère au sein de Creusot-Loire en difficulté. Néanmoins, Creusot-Loire, constitué à la demande de l’État en 1970, sans fonds propres suffisants, ne put surmonter la crise mondiale et le choc pétrolier de 1973. La direction générale demanda à Georges Charnet de prendre la présidence du comité des directeurs des unités de production, pour faire face aux inévitables mouvements sociaux qui allaient se déclencher. Il eut à refuser la tutelle de Fives-Lille pendant une manifestation de 10 à 12 000 personnes. Toutes les tentatives de sauvetage échouèrent et Creusot-Loire fut mis en liquidation fin 1984. Il n’y eut pas de licenciements massifs. Les activités métallurgiques furent reprises par Arcelor, alors que les activités mécaniques rejoignirent Alstom, Framatome, Général Électrique. Grâce aux mobilisations générales des organisations syndicales locales et régionales, à la mobilisation permanente de la municipalité du Creusot, aux Assédic, à l’ANPE, et surtout à la mise en place de l’ARFAS (Association pour le reclassement et la formation des anciens salariés de Creusot-Loire), dirigée par Jean-Pierre Deck, et animée particulièrement par Gilbert Fournier*, de la Saône-et-Loire, et Dominique Gillier* de la Loire, l’un et l’autre responsables syndicalistes de la CFDT, à la fin de l’année 1986, 95 % des 728 personnes licenciées, suivies par l’ARFAS, retrouvèrent un nouvel emploi.

À la retraite depuis juillet 1985, Georges Charnet s’inscrit à la Faculté catholique de Lyon pour y suivre des cours de théologie, un jour par semaine pendant quatre ans. Il obtint le diplôme de l’IPER (Institut pastorale d’études religieuses). Au Creusot, il fonda l’Académie François Bourdon (du nom du premier ingénieur mécanicien) dont le but était de recueillir les archives Schneider et d’autres firmes, de créer des expositions sur l’industrie et de développer la culture scientifique et technique auprès des jeunes (une école a été créée dans le primaire). L’Académie employait neuf personnes et donnait chaque année un prix du niveau d’une thèse de doctorat sur l’activité économique. Georges Charnet en fut le président de 1988 à 2004. Il poursuivit les liens avec son ancienne école de Cluny des Arts et Métiers où il prit part à de nombreuses conférences portant sur la place et le sens de l’homme dans le travail, le fonctionnement des hommes et le côté indispensable pour des chefs à connaître ce qu’est l’homme.

Georges Charnet s’était marié en juillet 1951 avec Anne-Marie Alloing (fille de son professeur), elle-même très engagée dans les mouvements d’Église, principalement dans le scoutisme. Ils eurent cinq enfants, Yves et Élisabeth en 1952, Marc en 1954, Christine en 1956, Marie-Pierre en 1960.

Titulaire de « La Croix de Chevalier de l’Ordre National du Mérite », remise le 12 juin 1981 par M. Boulin, président de Creusot-Loire, il devint Officier de l’ordre National du Mérite le 6 décembre 2002 par M. Ermisse, inspecteur général des Archives de France.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article199088, notice CHARNET Georges, Jean par Jean Limonet, version mise en ligne le 14 janvier 2018, dernière modification le 14 janvier 2018.

Par Jean Limonet

SOURCES : Archives interfédérales de la CFDT. – Paul Vannier, Bernard Loiseau, une vie militante, L’Harmattan, 2010. – Le Courrier de Saône-et-Loire. – Divers entretiens avec Georges Charnet.

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