Par Daniel Grason, Jean Maitron, Claude Pennetier
Né le 16 octobre 1912 à Edimbourg (Écosse, Grande-Bretagne), mort le 19 juin 2000 à Paris (IVe arr.) ; médecin ; volontaire en Espagne républicaine ; communiste, puis dissident ; déporté à Dachau (Allemagne).
Fils de Louis Émile et d’Henriette Giraud, professeurs, mais arrière-petit-fils d’un ouvrier déporté de la Commune, Henri Chrétien fut influencé dans son enfance par les journaux que recevait son père La Vie ouvrière, La Correspondance internationale. Dès 1928, collégien à Bône (Algérie), il adhéra aux Jeunesses communistes, propageant dans la jeunesse indigène le mot d’ordre de l’indépendance de l’Algérie, conformément à l’orientation de l’époque du PCF et de l’Internationale communiste.
Henri Chrétien fut un membre actif des rayons des IIIe et Ve arrondissement de la Région Paris Ville du Parti communiste. En 1929, il adhéra à l’Union fédérale des étudiants (UFÉ), de 1929 à 1936 dont il dirigea la branche médecine, étant, accidentellement pendant quelques mois en 1933, (lors d’un « tournant » imposé par le Parti), dirigeant national de l’UFÉ. Henri Chrétien milita dans le Parti en Dordogne en 1936, fut membre de la cellule de Montpon-sur-l’Isle ; notamment lors des élections législatives de « Front populaire ».
Il épousa Rachel Zacharewicz, le couple eut une fille, Geneviève. Il partit en Espagne républicaine le 2 décembre 1936, fut affecté au service sanitaire de la XIIe Brigade internationale (Garibaldi), puis médecin chef (commandant de la XIIe Brigade. Sa femme Rachel le rejoignit, pharmacienne elle a été affectée à la Centrale sanitaire internationale.
Rapatrié le 2 décembre 1938 le couple revint en Région parisienne, ils habitèrent Paris au 7 rue Bellier-Dedouvre (XIIIe arr.).
En 1939, il embarqua comme médecin à bord du cargo Winnipeg de la Compagnie France Navigation qui emmenait des républicains espagnols au Chili, le couple Marcelle et Paul Hertzog (gendre de Marcel Cachin) également docteurs étaient aussi de ce voyage dont la traversée fut mouvementée. Il fut emprisonné à Bordeaux de novembre 1939 à février 1940, à la suite de la « mutinerie » de l’équipage à Valparaiso (Chili). Le 22 septembre 1939 par décret-loi le gouvernement Daladier-Reynaud avait mis le Parti communiste hors la loi, toute activité était interdite. Des scellés furent posés sur la porte d’entrée de la compagnie France-Navigation. Les vingt-deux navires de la compagnie furent mis sous séquestre.
Le Winnipeg ex-Jacques Cartier acheté en mars 1938 fut donné en gérance à la Compagnie Générale Transatlantique en septembre 1939. Remis aux Anglais en mai 1941, il a été coulé le 22 décembre 1942 au nord des Açores par un sous-marin allemand U 443.
De la classe 1932, recrutement de Constantine en Algérie, Henri Chrétien, bénéficiant d’un non-lieu, avait été mobilisé en 1939 comme « médecin soldat de 2e classe » à la 22ème section d’infirmiers.
Ill fut fait prisonnier le 19 juin 1940 en Sologne. Démobilisé par le centre Paris-Minimes, il était sans contact politique. Lors de ses études à la faculté de médecin en 1929, il avait fait connaissance avec le docteur Albert, il le rencontra. Celui-ci était le beau-frère du docteur Maurice Ténine [Moïshé, Eidel dit].
Mais, resté dans un hôpital de l’Orléanais, il reprit, dès juillet, contact avec le Parti communiste illégal, diffusant sa presse clandestine et l’appel de Maurice Thorez et de Jacques Duclos. Démobilisé le 11 octobre 1941, échappant de peu à l’arrestation, il fut d’abord affecté à la diffusion nationale du Médecin Français clandestin, puis, début juillet 1942, fut nommé médecin-chef des FTPF de l’Ile-de-France (Inter-région).
Henri Chrétien fut contacté par une militante de l’appareil clandestin du Parti communiste. Il s’agissait de prodiguer des soins à des malades ou des blessés des FTP. Il accepta. Il continua à exercer sa profession de docteur en médecine au 12 rue de Villeneuve à Alforville du 1er janvier au 1er juillet 1942, puis au 6 rue Duffaut à Gentilly (Seine, Val-de-Marne).
Le 23 janvier 1943, il se présenta au 7 rue des Truilles à Clamart (Seine, Hauts-de-Seine) domicile clandestin de Fernande Anker et de Roger Linet. La porte s’ouvrit... quatre inspecteurs des Brigades spéciales l’accueillirent. Emmené dans les locaux des Brigades spéciales à la Préfecture de police, il a été immédiatement fouillé. Il était porteur de plusieurs papiers manuscrits, d’un carnet d’adresses et de plusieurs clefs.
À son domicile les policiers saisissaient des feuilles périmées de diverses denrées provenant des mairies du IIe arrondissement de Paris, d’Alforville et d’Ecouen. Deux enveloppes portaient l’adresse de madame Dedigeon 26, rue Boyer à Paris XIXe arrondissement et de mademoiselle Burger Villa Pierre 33 rue de la Gare à Cachan (Seine, Val-de-Marne), une lettre datée du 19 juin 1939 signée Dupuis portant au recto une liste de noms et d’adresses ; une feuille de cartes de tabac au nom de Aimé Aubert 4 rue Descartes à Ivry-sur-Seine, une carte de tabac au nom de Jean Albert 10 rue Barrault à Paris (XIIIe arr.) ; un papier manuscrit portant des noms et des adresses ; des photographies prises pendant la guerre d’Espagne ; les noms et adresses de médecins de province ; un carnet d’adresses ; une carte interzone adressée au docteur Chrétien par madame G. Albert de Roquefeuille dans l’Aude ; et un trousseau de clefs.
Dans un rapport des Renseignements généraux sur cette interpellation, il était écrit : « en raison de l’importance du rôle joué par Linet dit Rivière au sein de l’organisation communo-terroriste, il semble que seul, le militant qui remplit la fonction de « responsable sanitaire » était susceptible de se présenter à son domicile illégal. »
« Il est donc probable que le docteur Chrétien qui prétend n’être qu’un simple médecin de l’organisation, soit ce « responsable sanitaire » désigné sur les documents saisis sous le pseudonyme de « Beaussart ex Jasq » ».
Emmené dans les locaux des Brigades spéciales il a été interrogé par des inspecteurs de la BS2. Il déclara avoir été contacté en septembre 1941 par une femme de l’organisation clandestine. Elle lui demanda s’il serait « disposé à donner des soins à des malades ou à des blessés de l’organisation des FTP. » Il accepta.
Henri Chrétien a été frappé à de multiples reprises lors de son interrogatoire. Concernant sa visite à Fernande Anker, il tenta de minimiser son rôle au sein de l’appareil clandestin. Il affirma : « avoir ignoré, en venant dans ce pavillon, que je me rendais chez un des principaux militants de l’organisation inter-régionale des FTP. » Les policiers n’avaient aucun doute, Henri Chrétien était le responsable sanitaire des FTP.
Sur différents papiers, agenda et documents il y avait des noms. La plupart concernaient son activité professionnelle : cliniques, frais de transport… Quant aux listes de noms, il y avait celles de ses clients. Mais également de médecins qui étaient peut-être « Vraisemblablement gaullisants » ainsi qualifia-t-il des sympathisants que lui avait communiqué un représentant en pharmacie de la firme Specia qu’il nomma Grémant. Des policiers allèrent au siège de la société Specia au 21 rue Jean Goujon à Paris (VIIIe arr.) pour rencontrer Grémant. Il était inconnu.
Au quatrième jour de son arrestation les policiers organisèrent une confrontation avec Fernande Anker. Elle appelait Henri Chrétien « Jacques », elle le considérait comme le responsable sanitaire. Il réfuta porter ce pseudonyme.
Emprisonné cinq mois et demi au secret à Fresnes, il fut déporté le 12 juillet 1943 à Natzweiler-Struthof ( Matricule 4468) puis, de septembre 1944 à avril1945 à Dachau-Allach (Matricule 98752) « NN » (Nacht und Nebel) (Nuit et Brouillard) ce qui signifiait condamnés à disparaître sans laisser de traces. Cette expression avait été empruntée par Hitler au livret de L’Or du Rhin de Richard Wagner. Henri Chrétien a été libéré le 30 avril 1945 à Dachau.
Il témoigna le 13 juillet 1945 devant la commission rogatoire chargée de son dossier. Sur photographie il reconnaissait les deux inspecteurs qui l’interpellèrent le 23 janvier 1943, sa femme Rachel Chrétien née Zacharewicz fut interpellée le lendemain. Il déclara : « Au cours des interrogatoires dirigés par R. et D. j’ai été frappé de quelques coups de nerfs de bœuf par ce dernier, ceux qui se sont le plus acharnés contre moi, sont [Gaston] Barrachin et B. qui m’ont fait allonger soit par terre, soit sur une table et m’ont frappé pendant plusieurs heures à coups de nerf de bœuf sur les fesses et sur les jambes, je me suis évanoui à plusieurs reprises. J’ai eu des plaies ouvertes qui ne se sont cicatrisées qu’au bout d’un mois et demi environ. »
« Une perquisition effectuée à mon domicile a amené la découverte de divers documents concernant l’organisation de la résistance où ma profession. Il m’a été dérobé des livres professionnels et politiques, du linge, et du ravitaillement. »
Il porta plainte contre les inspecteurs qui l’interpellèrent, et ceux qui arrêtèrent sa femme, ainsi que contre ceux « qui m’ont frappé et qui se sont rendus ce sont rendus coupables de vol. »
L’inspecteur principal adjoint Gaston Barrachin qui frappait avec le plus d’acharnement était entré à la Préfecture de police en 1928. Jean Marc-Berlière écrivit à son sujet : « Cet ancien garde républicain est un violent. Ses interrogatoires se terminent parfois tragiquement. Le groupe qu’il dirigeait fut l’un des plus actifs. Pourchassant inlassablement les « communo-terroristes », les interrogeant avec violence, il a commis de gros dégâts. Jugé en octobre 1945, Barrachin est condamné à mort et fusillé, non sans avoir tenté, aidé de sa fille, de se battre jusqu’au bout sur le terrain politique. » Il fabriqua dans sa cellule de Fresnes « à l’aide d’une imprimerie de fortune des faux documents pour compromettre des résistants. »
Gaston Barrachin a été fusillé le 19 janvier 1946 au fort de Châtillon communes de Châtillon sous Bagneux et Fontenay aux Roses (Seine, Hauts-de-Seine).
Henri Chrétien a été homologué combattant des Forces françaises de l’intérieur (FFI), et Déporté interné résistant (DIR). Il se remaria en 1949 avec Anna Marie Le Tiec, le couple eut un fils prénommé Jean-Louis qui naquit le 24 juillet 1952 à Paris. Il devint philosophe, poète et théologie. Il mourut le 28 juin 2019 à Paris.
Le 23 janvier 1953, il signa avec neuf autres médecins communistes : Yves Cachin, Jean Dalsace, Hector Descomps, Pierre Frumusan, Paul Hertzog, HF Klotz, Victor Lafitte, Raymond Leibovici et Jeanne Lévy, une déclaration contre « Un groupe de médecins terroristes » qui venait « d’être découverts en Union soviétique. […] Ils ont été démasqués comme des agents de renseignements américains ; certains d’entre eux avaient été recrutés par l’intermédiaire du Joint, organisation sioniste internationale. » Ce texte paraissait le 27 janvier dans l’Humanité.
Le 6 mars 1953, l’Humanité annonça « Staline est mort », puis le 6 avril 1953, en page une « Les médecins inculpés ont été arrêtés à tort. Ils sont pleinement réhabilités. Poursuite contre les responsables des irrégularités de l’instruction. »
Ce fut un choc, Henri Chrétien quitta le Parti communiste, fut membre d’organisations demandant en vain la déstalinisation du Parti communiste.
Par Daniel Grason, Jean Maitron, Claude Pennetier
SOURCES : Arch. PPo. BS2 carton 41 (transmis par Gérard Larue), 77 W 5341-292132. – Fiches de police de l’occupation (Arch. PPo.) concernant les militants communistes recherchés, communiqué par Guillaume Bourgeois. – Bureau Résistance GR 16 P 130155. – Témoignage de l’intéressé, avril 1981. – Jean-Marc Berlière avec Laurent Chabrun, Les policiers français sous l’Occupation, Éd. Perrin 2001, p. 146, 167, 171, 177. – Jacques Delperrie de Bayac, Les Brigades internationales, op. cit., p. 205, 339, 391, 396, 425, 439. – Andreu Castells, Las Brigadas Internationales de la guerra de Espana, Barcelone, 1974, p. 151, 319, 321, 405, 439, 504, 553, 573. – Dominique Grisoni, Gilles Hertzog, Les Brigades de la mer, Éd. Grasset, 1979. – « La compagnie France-Navigation dans la guerre d’Espagne », par Marc Saibene, revue Marines n° 52. – État civil, site internet Match ID.