CITRON Suzanne [née GRUMBACH Suzanne, Antoinette]

Par Laurence De Cock

Née le 15 juillet 1922 à Ars-sur-Moselle (Moselle), morte le 22 janvier 2018 à Paris (IVe) ; professeure agrégée d’histoire, universitaire ; adhérente du PSU puis du PS ; maire adjointe de Domont (Val-d’Oise) de 1977 à 1983 ; historienne spécialisée dans l’analyse du « mythe national ».

Le Monde.

Née en Lorraine mais élevée à Paris (XVIe arr.), Suzanne Grumbach grandit dans une famille bourgeoise, d’origine juive et fortement laïcisée. Son père, ancien élève de l’École polytechnique, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, était ingénieur-conseil. Il s’était marié civilement avec Marie Dreyfus. La religion fut donc absente de l’éducation de Suzanne Grumbach, si on excepte une grand-mère très attachée à la religion juive, puis convertie au protestantisme. Elle avait un grand-père - Eugène Dreyfus - 1er président de la cour d’Appel de Paris et un autre - Paul Grumbach - saint-cyrien et général.

Elle acquit son instruction primaire dans des cours privés. Très bonne élève, son premier bulletin à cinq ans évoque une petite fille « docile mais bavarde ». Quant aux études secondaires, elle les mena jusqu’au baccalauréat au lycée de jeunes filles Molière à Paris (XVIe arr.) où elle s’attacha beaucoup à sa professeure d’histoire-géographie, Marguerite Glotz, qui fut démise de ses fonctions par le gouvernement de Vichy.

Son entrée à l’université coïncida avec l’exode. Après deux années d’études scientifiques en province, elle décida finalement de faire une licence d’histoire à Paris tant, raconte-t-elle, le choc de la défaite fut pour elle un basculement autant personnel qu’historique. Sa famille fut confrontée au fichage et aux rafles des juifs en juin 1942. Avertis, ils furent cachés par une concierge dans un appartement vide, puis ils partirent à Lyon (Rhône) en août 1942. Elle reprit alors ses études et eut pour professeur Henri-Irénée Marrou, résistant chrétien qui la marqua profondément. Elle se convertit au protestantisme, milita à la Fédération des étudiants chrétiens avec sa sœur Janine et participa à l’engagement résistant de ces milieux jusqu’à son arrestation le 25 juin 1944 et son envoi à Drancy. Elle échappa à la dernière déportation en se faisant passer pour une demi-juive, le nom de sa mère ayant été mal orthographié et prenant une consonance non-juive.

À la Libération elle fréquenta les milieux chrétiens de gauche autour de Paul Ricoeur et s’intéressa particulièrement à l’anticolonialisme tout en défendant l’Appel de Stockholm contre l’armement atomique.

Après la guerre, elle obtient l’agrégation féminine d’histoire en 1947 et débuta sa carrière au lycée de Reims (Marne). Elle y mena ses premiers projets pédagogiques. Elle était déjà mariée avec le musicologue et spécialiste de Jean Giono, Pierre Citron, et eut quatre enfants en cinq ans, ce qui ralentit son militantisme. La guerre d’Algérie la replongea à aller plus loin dans la réflexion et l’action anticolonialiste. Pendant un séjour de trois ans à Londres, le couple logea Édouard Depreux de passage. Elle profita de ce séjour pour étudier de près l’histoire des Républiques françaises. Domiciliée à Domont (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), elle adhéra au PSU avec son mari, mais se perdit vite dans la multiplication des tendances et s’éloigna.

Elle rejoignit le PS en 1974, participa aux travaux sur l’école et la pédagogie, mais après l’élection de François Mitterrand en 1981, elle fut rapidement déçue par le manque d’ambition de la politique scolaire et surtout par l’absence de soutien dont bénéficiait Alain Savary qu’elle suivait dans sa tentative de dépasser les clivages entre école privée et publique par l’instauration d’un grand service public laïc d’éducation. Après avoir été première adjointe de Domont de 1977 à 1983, elle ne se représenta pas et quitta le PS en 1984. Pendant toute cette période des années 1970 aux années 1980, elle se fit connaître par ses nombreux écrits engagés sur l’école. Elle participa activement aux congrès de refondation de l’école, à Sèvres (Hauts-de-Seine) et Amiens (Oise), pendant l’émulation de la période de mai 1968. En 1971, elle publia son premier livre, L’école bloquée, véritable scintigraphie de l’administration scolaire et de sa centralisation jacobine qui constituait, pour elle, le principal facteur de blocage.

Sa thèse d’histoire sur les associations corporatistes de l’enseignement secondaire au début du XXe siècle ne lui valut pas la reconnaissance de la commission de qualification en histoire. Elle bifurqua alors vers les sciences de l’éducation et devint maîtresse de conférences à Paris XIII où elle organisait des sessions gratuites de formation d’enseignants depuis quelques années. Par ses articles, tribunes, conférences et ouvrages, elle s’imposa comme une figure incontournable des débats pédagogiques et politiques, notamment par son livre sur le « Mythe national » publié en 1987 au moment de sa retraite. Dès lors, elle ne cessa pas ses activités, multiplia les tribunes, adhéra au Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) en 2005 puis co-fonda en 2011 le collectif Aggiornamento histoire-géographie, un collectif destiné à renouveler l’enseignement de l’histoire et de la géographie.

Quelques mois avant sa mort, elle interpelait encore le président de la République Emmanuel Macron président de la République, qui selon elle, entretenait la confusion sur l’histoire de France en invitant le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, pour la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv : « Je dénie formellement toute justification à la présence d’un homme cautionnant les exactions et les méfaits de la colonisation israélienne en Palestine et je récuse la sempiternelle et démagogique confusion entre antisémitisme et critique de l’État d’Israël » (le Monde.fr, 18 juillet 2017).

Comme le rappelèrent une tribune du site d’information Médiapart puis un article nécrologique dans Le Monde, « Suzanne Citron aura gardé jusqu’à sa mort, le 22 janvier, à Paris, l’esprit critique chevillé au corps. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20032, notice CITRON Suzanne [née GRUMBACH Suzanne, Antoinette] par Laurence De Cock, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 28 juillet 2022.

Par Laurence De Cock

Le Monde.

ŒUVRE : L’Origine des sociétés et le corporatisme dans l’enseignement secondaire de 1902 à 1914, thèse. — L’École bloquée, Bordas, 1971. — Enseigner l’histoire aujourd’hui. La mémoire perdue et retrouvée, Les Éditions ouvrières, 1984. — Le Mythe national. L’histoire en question, EDI et Les Éditions ouvrières, 1987 (rééd. 1991, 2008 et 2017). — L’Histoire de France autrement, Les Éditions ouvrières, 1992. — L’Histoire des hommes, Syros jeunesse, 1996. — Mes lignes de démarcation : croyances, utopies, engagement, Syllepse, 2003.

SOURCES : Arch. Privées de Suzanne Citron. — Renseignements communiqués par Suzanne Citron. — Laurence De Cock, « Suzanne Citron (1922-2018), la résistance chevillée au corps », Médiapart, Edition Aggiornamento Histoire-Géo, 23 janvier 2018. — Le Monde, 25 janvier 2018, article nécrologique par Antoine Flandrin.

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