CLAUDE Henri [POUGET Henri, dit]

Par René Lemarquis, Claude Pennetier

Né le 13 septembre 1909 à Angoulême (Charente), mort le 4 août 1994 à Paris (XVe arr.) ; militant abondanciste, trotskyste puis communiste ; agrégé de grammaire ; professeur de latin à Paris ; économiste ; rédacteur en chef d’Économie et politique.

Fils d’un instituteur, Henri Pouget fit sa khâgne à Henri-IV (Paris) où il eut pour maître Alain et pour condisciples Maurice Schumann, Julien Gracq et Victor Leduc*. Il était alors de gauche, mais peu attiré par la politique.

Agrégé de grammaire en 1933, il est nommé au lycée Corneille de Rouen (Seine-Inférieure) et il se syndiqua à la Fédération unitaire de l’enseignement tout en prenant contact avec le pacifiste Gaston Bergery. C’est pour écrire dans son journal, La Flèche, qu’il prit le pseudonyme d’Henri Claude.

En 1936, il adhéra à JEUNES (Jeunes équipes unies pour une nouvelle économie sociale), branche du mouvement abondanciste créé par Jacques Duboin* qui pensait que les crises de surproduction devaient se résoudre par une société de redistribution des richesses sociales. Il y côtoya Serge Reggiani, Roger Pigaud, Gilbert Trigano, René Dumont*. La Dépêche de Rouen accueillit entre 1936 et 1938 trente-quatre articles consacrés à la « crise finale du capitalisme » et aux perspectives abondancistes. Nommé au lycée Buffon de Paris, il commença à écrire un livre qui aurait dû s’appeler La guerre qui vient et qui sera une partie repris en 1945 dans De la crise économique à la guerre mondiale. Henri Claude écrivait en 1939, dans le journal Libération, organe du mouvement JEUNES. Dans le numéro du 10 mai 1940, il signa l’éditorial censuré « Nation ? Non. Un groupe d’intérêts ».

En 1939, le groupe JEUNES était dirigé par Jean Nocher*, journaliste à l’Œuvre de Marcel Déat*, qui, après quelques hésitations rejoignit Londres où il devint speaker de la France libre. Henri Pouget, dit Henri Claude, lui succéda à la direction de JEUNES où il acquit la conviction que seul le communisme pourrait réaliser la Société d’abondance. Il devint marxiste léniniste et se lia à Henri Molinier*, Henri Thomas et Jean Maillot.
Henri Molinier (Marc Laurent) les gagna au trotskisme en fondant avec les militants issus de l’abondancisme le Groupe Octobre.

Membre du Groupe Octobre en 1943, il représenta cette petite organisation trotskysante (une vingtaine de membres) à la seconde conférence internationale de la 4e Internationale tenue clandestinement, début février 1944, à Saint-Germain-de-la-Poterie près de Beauvais (Oise). Une quinzaine de délégués y discutèrent de la phase finale de la guerre et de l’explosion sociale qu’ils prévoyaient. Dans la lancée, se réalisa l’unité entre Octobre et les deux autres groupes trotskystes plus importants, le POI et le CCI. Henri Claude entra au comité central du Parti unifié, le PCI (Parti communiste internationaliste).

Le récit qu’il fit à Claude Willard de sa guerre est fort différent, mais tout aussi authentique. Prisonnier en juin 1940, il s’évada et revint à Paris où il reprit son travail au lycée Buffon. Le concierge de l’établissement, Georges Talouarn, militant communiste, l’emmena à la manifestation étudiante du 11 novembre 1940. Il participa à une autre mobilisation, en avril 1942, après l’arrestation de Raymond Burgard*, professeur d’histoire, militant de Jeune République : un cortège fut dispersé par la police et trois lycéens seront fusillés. Le 12 juillet 1942, Césaire Levillain et Henri Rebière* furent en contact avec lui dans le cadre de la mise en place de Libération-Nord. Il affirme qu’il transforma JEUNES en une organisation de résistance et de renseignement. Mais, la répression aidant, les contacts furent rompus avec Rebière. Par René Hairy, il prit contact avec le MLN qui lui aurait confié la mission de « protéger les équipements du matériel téléphonique pour l’après-Libération ». À la Libération, il alla avec Georges Talouarn au ministère de l’Éducation nationale pour installer Henri Wallon* dans ses fonctions de secrétaire général. Dans ce récit, il est présenté comme secrétaire général de JEUNES fin 1944 et animateur du journal Le Socialisme de l’abondance qui prenait la succession de Libération, le titre ayant été pris par un journal de la Résistance.

En octobre 1945 parut aux Éditions OCIA le livre De la crise économique à la guerre mondiale où Henri Claude reprenait l’essentiel des idées développées dans ses articles d’avant guerre et de la guerre. Il y voyait « une démonstration éclatante de la méthode d’analyse matérialiste » qui permettait de montrer « par quel processus le Krach de Wall Street mène à la deuxième guerre mondiale. Il concluait que « l’ère de la paix commencera seulement le jour où seront officiellement proclamés les « État unis socialistes du monde ». Dans un état mondial socialiste serait atteint l’abondance socialiste qui n’a rien à voir avec l’abondance capitaliste, car celle-ci se manifeste par le phénomène de la surproduction. Il indiquait par ailleurs que sans l’abondance, l’économie socialiste ne peut assurer, de façon égalitaire, le même standard de vie. L’URSS présentait à ses yeux des inégalités de revenus entre producteurs et entre régions. Il notait également que le Pacte germano-soviétique d’août 1939 découlait « naturellement » de la position de Staline sur la réalisation du socialisme dans un seul pays » qui l’amenait à se servir des conflits entre puissances capitalistes et à ménager des alliances avec l’impérialisme momentanément le plus dangereux pour l’URSS. Il rappelait que les conflits étaient « tels que la guerre était inévitable et qu’elle aurait tout aussi bien éclaté si l’URSS n’avait pas existé ».

Henri Claude annonçait en 1945 la parution prochaine d’un ouvrage (L’Ère du chaos capitaliste) qui préciserait le caractère et la nature de l’impérialisme. Il publia sous le titre de Nouvel avant guerre ? trois courts textes en 1946 et donna plusieurs articles à la Revue internationale. Il s’éloigna progressivement du PCI. Victor Leduc le fit entrer à Action à l’automne 1945. Le Plan Marschall et l’éviction des ministres communistes provoquèrent son adhésion au PCF en juin 1947.

Il publia en 1948 un ouvrage sur le Plan Marschall qui eut le soutien du PCF. Il fut associé à la jeune section économique du comité central, sur proposition de Jean Baby*. On ignore si son passé trotskyste était connu. Il est cependant vraisemblable qu’il eut à remplir un questionnaire biographique et que son adhésion fit l’objet d’une réflexion. Ses amis de la section économique comme Jean Fabre ou Paul Boccara l’ignoraient.

Économiste « autodidacte » très actif, il fut dans un premier temps accueilli avec prudence à la Section économique du PCF, créée fin 1947, où ses thèses sur la « 3e guerre mondiale » étaient jugées « fatalistes », mais il avait le soutien de Jacques Duclos*. Paul Noirot écrit : "Nous poursuivions encore de vrais débats de théologiens, dans l’attente toujours déçue de la grande crise cyclique du capitalisme que, depuis 1947, nous annonçait, chaque année son prophète attitré, Henri Claude". En 1959, lorsque la crise de la Section économique éclata, son rôle était marginal, mais il poursuivit sa politique personnelle de publication. Il joua par contre un rôle actif dans les années soixante. Sa participation, avec Henri Jourdain*, les 27 août-3 septembre 1962 à Moscou, à la conférence des économistes de vingt pays, lui donna une stature nouvelle Il participa avec Paul Boccara* à la conférence internationale organisée par le PCF sur l’économie, en mai 1966, à Choisy-le-Roi - temps fort de la conceptualisation du Capitalisme monopoliste d’État (CME) -, mais une concurrence très vive avec ce dernier apparut à propos l’apport de la « suraccumulation/dévalorisation du capital », pièce maîtresse de la nouvelle théorisation proposée par Paul Boccara. L’arrivée à la section économique de Philippe Herzog* lui donna alors un allié provisoire et il put développer ses thèses dans le cadre du Centre d’études et de recherches marxistes (CERM). Membre du comité de rédaction de La Nouvelle critique, il disparut lors de la nouvelle formule de 1966. Il fut rédacteur en chef d’Économie et politique.

Le Parti communiste le fit participer à des délégations dans les pays de l’Est.

L’article que lui consacra Claude Willard en 1996 fut vivement contesté par un groupe d’anciens dirigeants de la Section économique. À leurs yeux « Henri Claude n’a joué aucun rôle dans la création de la SE à la fin de 1947, et, par la suite, au moins jusqu’en 1962, il est resté un peu en marge des activités, rédigeant seul ses ouvrages, assistant aux réunions, mais sans que nous ayons gardé le souvenir d’interventions marquantes. »

Henri Pouget était marié avec Denise Baer et vivait à Paris (XVe arr.).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20075, notice CLAUDE Henri [POUGET Henri, dit] par René Lemarquis, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 4 mars 2022.

Par René Lemarquis, Claude Pennetier

ŒUVRE : La crise économique et la guerre mondiale, Éditions OCIA, 1945. — Les monopoles contre la nation, Éd. Sociales, 1956, 341 p. — Gaullisme et grand capital, Éd. Sociales, 1961, 224 p. — La concentration capitaliste. Pouvoir économique et pouvoir gaulliste, Éd. Sociales, 1965, 305 p. — Marché commun et communauté démocratique des pays socialistes, Institut M. Thorez, 1971, 24 p. — La 3e course aux armements. Une nouvelle guerre mondiale est-elle fatale ? Éd. Sociales, 1982, 203 p.

SOURCES : Fonds Henri Claude, Arch. Dép de Seine-Saint-Denis (353 J), inventaire en ligne. — Arch. Dép. Seine-Saint-Denis, fonds Roland Leroy. — Claude Willard, « Henri Claude et les débuts de la section économique », Cahiers d’histoire, n° 62, 1996. — René Bassole (alias Creussol), Pierre Gonod (alias Jacques Servant), Fernand Nicolon, Eugène Dumoulin, « Retour sur l’histoire des débuts de la section économique du CC du PCF », Cahiers d’histoire, n° 69, 1997. — Michel, Lequenne, Le Trotskysme sans fard, Syllepse, 2005. — Presse. — Témoignages oraux. — Paul Noirot, La mémoire ouverte, Stock, 1976, p. 137. — État civil d’Angoulême.

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