RAPHAEL Gaston

Par Bernard Reviriego

Né le 28 décembre 1900, à Mittelbronn (Moselle), massacré le 1er avril 1944 à Tourtoirac (Dordogne) ; commerçant ; victime civile d’origine juive.

Gaston Raphaël était le fils de fils de Aline Raphaël née Weill. Domicilié à Sainte-Eulalie-d’Ans et arrêté le 1er avril 1944 à Tourtoirac, il fut l’une des nombreuses victimes de la division Brehmer : du 26 mars au 2 avril 1944, la division Brehmer, ou division B de l’initiale du patronyme de son chef, le général Brehmer, accompagnée par des éléments de la Sipo-SD et de la Brigade nord-africaine et bénéficiant de renseignements collectés par des délateurs, collaborationnistes ou non, et par l’administration de Vichy, traversa le département de la Dordogne. Elle traqua les maquisards et massacra des civils en représailles dans le cadre d’opérations de répression, mais elle conduisit aussi une politique génocidaire à l’encontre des nombreux Juifs réfugiés dans le département. Les hommes furent abattus parce que juifs et les femmes et les enfants furent arrêtés, transférés à Drancy puis déportés vers les centres de mise à mort, Auschwitz-Birkenau principalement.

Le 1er avril 1944, le bourg fut encerclé vers 16 h par des éléments très nombreux de la division Brehmer. Un officier se rendit à la mairie pour demander la liste des communistes, des Résistants et des Juifs. Une liste des Juifs fut présentée sous la menace. Leur traque commença immédiatement, les appartements furent pillés tandis que les victimes étaient rassemblées à l’hôtel Guilhem. Gaston Raphaël a été fusillé dans un champ en bordure de la R.N. 62, près du village de Saint-Hilaire. La division Brehmer fut, à Tourtoirac, comme à Sainte-Orse ou à la Bachellerie, particulièrement acharnée dans sa traque des Juifs puisque, outre Gaston Raphaël, onze autres personnes furent exterminées par exécution ou suite à la déportation. Huit personnes, dont sa mère, Aline Raphaël née Weill le 21 novembre 1872 à Balbronn (Bas-Rhin), furent arrêtées et déportées à Auschwitz par le convoi n° 71 à destination d’Auschwitz.
Liste des huit personnes déportées à Auschwitz par le convoi n° 71 :
Fanny Frank, son enfant, Gilbert Frank (âgé de deux ans et né à Claivivre), son époux, Isaac Léon Frank, Fanny Gintzburger, Baïla Kohn (épouse d’Abraham Kohn, fusillé), Berthe Rebe Moses née Dreyfuss, Aline Raphaël née Weill (mère de Gaston Raphaël, fusillé), Rosa Wolff (fille de Samuel Wolff, fusillé).
Liste des quatre hommes fusillés :
Abraham Kohn (époux de Baïla Kohn, déportée), Samuel Wolff (père de Rosa Wolff, déportée), Jacques Kohn (fils d’Abraham -fusillé- et de Baïla-déportée), Gaston Raphaël (fils d’Aline Raphaël, déportée).
Son nom figure sur le monument aux morts de Tourtoirac.

Récit, non signé ni daté. Arch. dép. Dordogne, 1573 W 8.
Opération contre les Israélites.
Tourtoirac est averti vers 11 h du matin qu’une colonne allemande opère dans la région de Badefol – Hautefort. Elle se livre aux pires atrocités : crimes, incendies. Quelques personnes prennent le bois. A 14 h, une voiture de tourisme portant des officiers allemands traverse le bourg et demande la route du Temple-Laguyon. C’est là que se trouve la colonne à cette heure et les officiers font la reconnaissance.
Il est environ 16 h quand Tourtoirac est investi par le sud. En quelques minutes, les rochers qui dominent la localité, les hauteurs environnantes, les carrefours, les bords de la rivière sont occupés. Le bourg est bien cerné et déjà une patrouille arrive sur la place en demandant la mairie. M. Devort Octave, secrétaire du maire, se trouve là ; c’est lui qui accomplira la triste corvée d’accompagner les Allemands.
A la mairie, un SS hautain réclame, revolver au poing, la liste des communistes, des terroristes et des Juifs… « et vite ! et vite ! ». Aux deux premières questions, la réponse est négative. Quant aux Israélites on ne peut nier et les secrétaires fournissent une liste, d’ailleurs incomplète. Les gens qui se trouvent à la mairie, les enfants des écoles sont consignés ; immédiatement commence « la chasse aux Juifs ». Je ne dirai rien du pillage des vivres, du linge éparpillé dans les pièces et piétiné, de la grenade qu’ils font exploser dans l’appartement. Hélas ! Ce sont faits qui seront relatés trop souvent.
La rive gauche est fouillée… c’est au tour de la rive droite. M. Devort Raoul, maire, qui rentre de sa ferme, rencontre la patrouille, se présente et accompagne les Allemands dans la pénible tâche. Le plus atroce n’est pas encore accompli. 9 personnes sont arrêtées :
Mme Frank qui porte un bébé de quelques mois dans les bras. Mme Raphaël, octogénaire. Fanny Gentburger. Mauzès Berthe. Mme Kohn. Rosa Wolff. Kohn Abraham. Kohn Jacques, 17 ans. Wolff Samuel, octogénaire.
Au fur et à mesure des captures, tous sont parqués dans le garage de l’hôtel Guilhem. Les perquisitions chez les Israélites achevées, les hommes arrêtés sont mis à part, interrogés, puis ramenés au groupe où ils sont durement giflés en présence des MM. Devort. Le jeune Kohn est si violemment souffleté qu’il va rouler à plusieurs mètres de son bourreau.
Encore quelques instants…, les trois hommes sont conduits par un peloton d’exécution sur la berge de la rivière… Une fusillade… ! ! Tout le monde devine le drame qui vient de se jouer.
Un officier fait comprendre à Monsieur le Maire qu’il y a là bas trois hommes « kapout » et qu’il faudra les mettre en terre demain.
Les femmes sont immédiatement entassées dans une camionnette.
L’horrible tragédie paraît terminée ; les Allemands sont regroupés, embarqués et quittent Tourtoirac. Il ne reste plus que quelques petites voitures de gradés et de SS qui s’apprêtent à partir quand, ô triste sort, arrive l’autobus d’Hautefort… Contrôle des papiers… il y a un israélite : Raphaël Gaston. Arrestation immédiate et peu après Raphaël est mis au mur, mais les tueurs paraissent hésiter à perpétrer leur crime sur la place publique. Ils parlementent pendant qu’un officier donne à M. le Maire l’ordre de distribuer tous les effets des Juifs aux indigents de la commune. Il ajouta que le contrôle serait fait dans les 48 heures. L’ordre ne sera quand même pas exécuté.
Vers 18 h 30, les voitures s’en vont emmenant Raphaël qui devait être fusillé quelques instants plus tard à environ 1 km de Tourtoirac, près du village de Saint-Hilaire.
Une vingtaine d’Israélites avaient échappé à ce gigantesque coup de filet ; plusieurs rentrèrent dans la nuit chercher partie de leurs effets.
Le matin – 2 avril – le bourg préparait déjà les obsèques des victimes de la veille quand un important convoi allemand vint encore stationner sur la place du village. Les sections de patrouilleurs fouillèrent les bois pendant que la section de ravitaillement plumait poulets et oies sous les regards volontairement indifférents d’une population toute hostile.
La commune n’eut ce jour-là aucune victime à déplorer et vers 15 h les hordes barbares de l’envahisseur quittaient Tourtoirac pour n’y jamais plus revenir.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article201065, notice RAPHAEL Gaston par Bernard Reviriego, version mise en ligne le 24 mars 2018, dernière modification le 3 avril 2022.

Par Bernard Reviriego

SOURCES : Registre d’état civil de Tourtoirac, attestation de la mairie de Tourtoirac. — Arch. dép. Dordogne, 1 W 1815-2. Rapport d’activité de la gendarmerie pour le mois d’avril 1944, 1573 W 6 ; 1573 W 8. ---- Bernard Reviriego, Les Juifs en Dordogne, 1939-1944, Périgueux, Éditions Fanlac-Archives départementales de la Dordogne, 2003, p. 248-250, 429.— Consistoire israélite de la Moselle, Le martyrologe des Juifs de la Moselle- 1939/1945, Imprimerie Klein, 1999, p. 92.— Témoignage oral de sa nièce, Mme Solange Cerf née Frank : Arch. dép. Dordogne, 7 AV 58.
Site internet consulté le 24 mars 2018 : Monuments aux morts : http://memorialgenweb.org/
Fanlac-Archives départementales de la Dordogne, 2003, p. 248-250, 429. — Site de l’AJPN. — Notes Philippe Wilmouth.

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