COINTE Suzanne, Juliette

Par Claude Pennetier, Annie Pennetier

Née le 27 juillet 1905 à Paris (Ve arr.), guillotinée le 20 août 1943 à la prison Plötzensee à Berlin (Allemagne) ; employée, pianiste, musicienne ; militante communiste ; résistante dans le cadre de l’Orchestre rouge.

Suzanne Cointe naquit 21, rue Descartes Paris Ve arr. dans le logement de fonction de son père, Georges Sosthène Cointe (né en 1851 à Guérigny, Nièvre) alors colonel et commandant en second de l’École polytechnique au titre de l’instruction militaire des élèves. En 1909, la famille déménagea au gré des affectations paternelles, École militaire de Versailles puis à Besançon (Doubs) où, général de brigade, il devint gouverneur de la place forte du 7e corps d’armée. Il appartenait à une famille nivernaise d’instituteurs et d’ingénieurs des Forges de la Chaussade de Guérigny, établissements industriels de la Marine.
Sa mère, Marie Cécile (patronne des musiciens) Jedlinski, née en 1873 à Reims (Marne) bien que se considérant toujours comme polonaise, se disait sans-religion. Les Jedlinski, originaires de Pologne, avaient émigré en France à la suite de la guerre d’indépendance de 1831-1832. Son grand-père Norbert né à Paris en 1848 fut avocat, inspecteur d’assurances puis négociant en vins.
La musique était le lien qui avait réuni les deux familles sur plusieurs générations.

Suzanne Cointe suivit ses études en pension alors que le domicile familial s’était fixé près de Tours (Indre-et-Loire) puis après la mort de son père en 1917, sa mère et sa soeur Catherine rejoignirent Paris, rue Truffaut dans le XVIIe arrondissement, où Suzanne intégra l’École normale de musique au début des années 1920. Son frère ainé François dirigeait la Société centrale des chemins de fer et d’entreprise à Paris, et le second Jacques, saint-cyrien, quitta l’armée pour devenir exploitant d’une salle de cinéma parisienne puis éditeur. Suzanne choisit l’enseignement de la musique plutôt qu’une carrière de virtuose. Elle donna aussi des cours d’allemand et de français.
Compagne du jeune à partir de 1928 de Jean-Paul Dreyfus (1909-1985) pendant huit ans (dont deux années de vie vraiment commune) qui deviendra l’artiste Jean-Paul Le Chanois ; il était alors secrétaire de rédaction à La Revue du cinéma. La couple fréquentait les artistes surréalistes et Jacques Prévert. Suzanne se familiarisa à leurs côtés à la politique et au communisme. Elle participa à l’AEAR (Association des écrivains et artistes révolutionnaires) dès sa création en mars 1932. Le compositeur Robert Caby avait créé dans la lancée une chorale dont le nom était "Le Choeur", à laquelle Suzanne Cointe participa avec Pierre Jamet, Hanns Eisler, Peters Rosset. La chorale se réclamait de l’esthétique du réalisme socialiste et associait au groupe d’agit’prop comme au groupe Octobre. Ils chantaient notamment L’appel du Komintern d’Hanns Eisler sur un texte de Frantz Jahnke ainsi que Le chant des chômeurs et Le front des travailleurs sur un texte de Bertold Brecht mis en musique par Eisler. Le Komintern avait encouragé la création d’un bureau international de la musique, le bureau français était animé par Peters Rosset en dépit d’une mise en garde venue de Moscou, en décembre 1934. Pendant cette année 1934, la police s’intéressa à Suzanne Cointe qui " servirait de boîte aux lettres à certaines organisations communistes, par exemple le comité des cheminots anglais". "Le Choeur" donna un concert public à la salle Pleyel le 15 décembre 1934 avec une allocution publique de Suzanne Cointe qui évoqua «  ne musique écrite pour les prolétaires, inspirée par leur vie, leurs luttes et écrites déjà, par des prolétaires. »
La branche musicale de l’AEAR s’intégra dans la Maison de la culture constituée en juin 1935 pour devenir, la Fédération musicale populaire FMP. Suzanne Cointe en était la secrétaire. En octobre 1936, elle participa à la création à la "Chorale populaire de Paris" qui avait son siège à l’Union syndicale de la métallurgie 94 rue d’Angoulême (actuelle Maison des Métallos).
Selon la description qu’en fit Andrée Joubert : « Bénévole, elle venait tous les jours à la Fédération musicale populaire, basée à la Maison de la culture, elle faisait fonction, non de président, c’était Charles Koechlin le président, mais elle assurait tout le travail matériel (...) C’était une fille qui me paraissait un peu distante au début (...) extrêmement discrète genre cheftaine, petit chemisier, petite jupe, un personnage notre Suzanne. Cheveux courts, lunettes cerclées de métal, le vêtement stricte, un peu sèche, fille d’officier » mais pour autant très proches des musiciens qui travaillaient à son répertoire. Musicienne de talent, pianiste, elle vivait de ses cours de musique et de chant, et manifestait une grande exigence dans ses choix musicaux et la finesse de son exécution. Ces options été faites avec Peters Rosset, chef de la chorale. Pierre-Jean Jouve dans La nouvelle revue française de juin 1936, n’hésitait pas à mettre la Chorale populaire de Paris : « au rang des meilleures chorales allemandes, autrichiennes, ou soviétiques ».
Elle dirigea la Chorale populaire de Paris pour le film de Jean Renoir La vie est à nous en 1936, dont Jean-Paul Le Chanois était l’assistant, notamment la chanson du film Au devant de la vie, musique de Dimitri Chostakovitch paroles en français de Jeanne Perret, qui va devenir un symbole du Front populaire ; Suzanne Cointe est reconnaissable dans le film avec ses lunettes rondes et son petit col blanc.
Solidaire de l’Espagne républicaine, elle accompagna des réfugiés espagnols dans sa maison familiale de Saint-Germain-en-Laye.
Le 6 novembre 1938, elle écrivit à Georges Auric, Roger Desormière, Henri Radiguer, Henri Sauveplane, membres du bureau de la FMP, pour annoncer son intention de démissionner de son poste de sécrétaire de la FMP ; ses raisons ne sont pas claires mais le contexte est celui de fortes tensions au sein des forces du Front populaire. Elle se situait toujours clairement dans le camp communiste comme elle le confirma en septembre 1939 lorsque le Parti communiste français fut interdit.
Elle tenta de maintenir les liens entre les membres de la Chorale populaire de Paris et organisa l’aide matérielle auprès des mobilisés, elle envisagea même de reprendre les répétitions dans un nouveau lieu, au studio Pigalle, mais en vain car le décret du 26 septembre 1939 prononça la dissolution des organisations communistes englobant la Maison de la culture, la Fédération musicale populaire et la Chorale populaire de Paris. Elle vécut 16, rue du Square Carpeaux, Paris dans l’immeuble où habitait également Jean-Paul Le Chanois. À l’arrivée des troupes allemandes, elle se réfugia avec sa famille à Bressuire (Deux-Sèvres) puis rentra avant la fin de l’été 1940 à Paris. Les occupants avaient réquisitionnés les locaux de la Maison de la culture, matériel et partitions volés ou détruits mais grâce au concierge, Suzanne Cointe, Robert Francotte, et Daniel Bouilly cachèrent une partie des archives et de la bibliothèque musicale de la chorale. Marcelle Lambert sauvegarda les adresses des choristes. Plusieurs de ceux-ci d’origine juive furent fichés et déportés ainsi Ojzer Kawka, survivant d’Auschwitz. Selon Christian Langeois, elle était la compagne de Peter Rosset.
Vers le début du printemps 1940, Peter Rosset vint chercher Andrée Joubert à la sortie de son travail à l’Hôtel de ville de Paris, et lui demanda de louer pour Suzanne un petit appartement près du pont de l’Alma, c’était de toute évidence la recherche d’un prête nom pour une planque. Elle ne put donner suite à cette demande, mais cela est une indication de l’entrée de Suzanne dans la clandestinité. A l’été 1940, Léopold Trepper mit en place en France un groupe de renseignement soviétique que Moscou nomma « Otto » et que les Allemands appelèrent par la suite l’Orchestre rouge. Suzanne Cointe logea square Carpeaux en décembre 1941, Véra Luftig, une proche de Trepper qui avait peut-être des contacts plus anciens avec l’Internationale (voir son rôle de boîte aux lettres en 1934, cité plus haut) accepta d’entrer comme secrétaire dans l’entreprise "la Simex" qui servait de couverture et de financement au réseau. Une partie seulement des employés et des actionnaires en connaissaient le rôle réel : Alfred Corbin, le directeur, Léo Grossvogel, Hillel Katz, Emmanuel Mignon, ouvrier typographe, et Suzanne Cointe. Vladimir Keller traducteur et directeur commercial de la Simex, qui n’était pas dans la confidence, a évoqué : « Mademoiselle Cointe, secrétaire personnelle de M. Corbin, était une personne encore jeune, mais qui virait déjà à la vieille fille. Et, voyez-vous, dès mon entrée à la Simex, j’ai eu l’impression que le personnage le plus important dans la maison, malgré la hiérarchie officielle, ce n’était pas M. Corbin mais Suzanne Cointe chargée du suivi des contacts avec les informateurs du réseau en France ». La femme d’Emmanuel Mignon, l’a décrivit comme : « une femme sèche, pointue, vieille fille jusqu’au bout des ongles, le caractère revêche. Mais elle avait quelque chose pour elle, sa voix merveilleuse, elle chantait toute la journée. » En fait, Suzanne Cointe avait modifié son aspect et avait abandonné son caractère enjoué pour se couler dans le moule de la « fondée de pouvoir » de la Simex. Cette société fournissait aux Allemands du matériel et des marchandises de toutes sortes en masquant la faible qualité grâce à des pots de vin payés aux officiers. Sa très bonne connaissance de la langue allemande lui servait tout particulièrement, à laquelle elle ajouta l’apprentissage et la pratique de la sténotypie.
En juillet 1942, Berlin chargea une unité spéciale Orchestre rouge (Sonder kommando Rote Kappelle) de centraliser la recherche sur les réseaux soviétiques en Europe. Rapidement, ils provoquèrent la chute de la Simexco à Bruxelles et furent sur la piste de la Simex de Paris. Fin octobre 1942, ils pensèrent remonter jusqu’à Léopold Trepper, Grossvogel et Katz mais ils échouèrent. Grossvogel alerta Corbin et Suzanne Cointe. Le 12 novembre, les agents de la Simex de Marseille furent arrêtés. Le 19 novembre 1942, Corbin fut convoqué au siège de l’organisation Todt et remis à la police allemande. La veille, Suzanne Cointe était montée dans l’appartement de Jean-Paul Le Chanois, pour lui dire au revoir : « il se passe des choses très sérieuses à la Simex, ça risque de mal finir. » Le 19 novembre, les hommes du Sonderkommando investirent les locaux de la Simex et arrêtèrent Suzanne Cointe. Elle avait fait disparaitre les documents compromettants. Elle fut conduite rue des Saussaies, au quartier général du Sonder Kommando (Gestapo), où elle resta muette, déclarant seulement qu’elle était une employée officielle. On ignore si elle fut torturée. Elle fut mise au secret dans le quartier allemand de la prison de Fresnes (Seine, Val-de-Marne). Un procès se tint en cour martiale de la Luftwaffe le 8 mars 1943 à Paris (62-64 rue du Faubourg-Saint-Honoré) : Wladimir Keller condamné à 3 ans de travaux forcés, Alfred Corbin, Suzanne Cointe et Robert Breyer (chirurgien-dentiste, actionnaire de la Simex), condamnés à mort. Par ailleurs, les anti-nazis allemands, Käte Velkener et son mari Johann Podsialdo furent également condamnés à mort.
Le 15 avril 1943, un officier allemand leur annonça qu’ils étaient graciés et qu’on les emmenait travailler en Allemagne. Ils partirent de la gare du Nord dans un groupe de sept hommes et cinq femmes : Marie-Louise Corbin, son frère Robert Corbin (né en 1904), Jules Jaspar et son épouse Claire Legrand de la filiale marseillaise de la Simex, Franz Schneider, agent du GRU de nationalité suisse, et son épouse Germaine, Menardo Pietro Griotto (et sa femme Anna) , Flore Springer-Velaerst professeur de danse boîte aux lettres du GRU à Lyon et les condamnés du 8 mars : Alfred Corbin, Vladimir Keller, Robert Breyer et Suzanne Cointe. À Bruxelles, ils virent arriver une cinquantaine de prisonniers dans un état de santé lamentable, membres des réseaux belges et hollandais de l’Orchestre rouge que les Allemands venaient d’extraire du Fort de Breendonk. Ils arrivèrent le 17 avril 1943 à Berlin, une partie d’entre eux furent envoyés dans des camps de concentration, Jules Jaspar, Robert Corbin, Marie-Louise Corbin (morte à Ravensbruck en janvier 1945), Claire Legrand (gazée à Auschwitz en novembre 1944), Franz et Germaine Schneider grâciés dans le cadre d’un accord avec les autorités suisses (elle mourut dans un hôpital suisse en 1945), Vladimir (Waldemar) Keller (né en 1906, rentré) emprisonné à Tejel. Les autres hommes furent conduits à la prison de Lehrterstrasse et des femmes à celle de Moabit.
Le 19 août 1943, elles furent transférées à la prison berlinoise de Plötzensee et le lendemain guillotinées, après avoir été tondues, et les mains liées dans le dos.
Ces sept femmes victimes sont : Simone Margaret Pheter, agent de la Chambre de commerce belge à Paris, Georgette Erlik, institutrice née à Rottereau, du réseau parisien, Anna Maximowitsch, médecin, aristocrate russe liée aux services soviétiques, Marguerite Marivet, née Hollier, de la Simex de Marseille, Rita Arnould et Flore Springer-Velaerst du réseau bruxellois.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20295, notice COINTE Suzanne, Juliette par Claude Pennetier, Annie Pennetier, version mise en ligne le 16 novembre 2020, dernière modification le 2 décembre 2022.

Par Claude Pennetier, Annie Pennetier

La Chorale populaire de Paris chante en 1936 pour les grévistes des compteurs de Montrouge. Suzanne Cointe est la première femme à partir de la droite.

SOURCES : Gilles Perrault, L’Orchestre Rouge, Livre de poche, 1967. &#8211. — R. Francotte, Une vie de militant communiste, Le Pavillon, 1973, note 3, p. 132. – — Claude Lecomte, La chorale populaire de Paris. Voix rebelles, voies rebelles, édition Les points sur les i, 2006. — Guillaume Bourgeois, La véritable histoire de l’Orchestre rouge, Nouveau monde éditions, 2015. — Christian Langeois, Les chants d’honneur De la chorale populaire à l’Orchestre rouge, Paris, Le Cherche midi, 2017 : cette biographie lui doit beaucoup.— Fondation pour la mémoire de la déportation. — DAVCC, notes Jean-Pierre Besse.

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