Par Claude Geslin
Né le 10 avril 1865 à Nantes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), mort le 4 février 1925 à Liart (Ardennes) ; ouvrier chaudronnier ; syndicaliste et militant socialiste de Loire-Inférieure.
Né d’Angèle L’Hommeau, vingt et un ans, lingère, célibataire, Henri L’Hommeau prit le nom de Gautier le 29 janvier 1866 après légitimation par mariage entre Louis, Pierre, Henri Gautier et Angélique (sic) Eugénie L’Hommeau.
Après avoir appris son métier à Paris, à l’âge de seize ans, il adhéra au syndicat de sa profession puis au POSR.
D’après d’autres sources, il aurait appris son métier à Saint-Nazaire sous la direction de son père, habile chaudronnier devenu contremaître. Puis comme beaucoup de jeunes de sa génération, il aurait quitté le pays pour Paris. De retour à Saint-Nazaire, vers 1896, il essaya de renforcer le syndicat des chaudronniers et participa au regroupement des métallurgistes.
Il devint secrétaire de la Bourse du Travail de Saint-Nazaire en 1901 et le resta jusqu’en 1920. Excellent ouvrier, il donna pendant plusieurs hivers des cours de chaudronnerie à la Bourse du Travail.
Dès son retour, il avait constaté avec tristesse que les socialistes nazairiens du groupe de l’Émancipation collaboraient avec la « réaction ». L’Émancipation avait été créée en 1891. Adhérent au POF, elle avait eu comme secrétaire Fernand Pelloutier avant sa brouille avec Guesde et son départ pour Paris en 1892. Dès 1898, Gautier fonda un groupe rival, Les Égaux (allemaniste). De violentes polémiques entre les deux groupes aboutirent à la disparition de l’Émancipation en 1902. Le groupe dont Gautier était président adhéra à la Fédération socialiste de Bretagne. En 1905, Gautier rejoignit le Parti SFIO.
En 1900, il avait obtenu plusieurs centaines de voix aux élections législatives de Nantes et s’était désisté en faveur des radicaux. Alors, chassé de tous les ateliers pour son activité militante, Gautier tenta d’ouvrir une petite « boîte » de chaudronnerie qui échoua.
Adepte fervent de la coopération, il organisa dès 1901 une coopérative à Méan, ce fut la première Maison du Peuple qui fut très vite contrôlée par les libertaires. En 1904, il fonda une autre coopérative à Saint-Nazaire, l’Égalité. Cette deuxième Maison du Peuple, dont il devint gérant, fut un organisme complexe. En dehors de la Bourse du Travail, elle abrita bien vite une imprimerie coopérative, la rédaction du journal socialiste Le Travailleur de l’Ouest fondé par Gautier avec quelques amis en 1908, une boulangerie coopérative (qui fut rattachée ensuite à une coopérative ouvrière de consommation, la Ruche). Enfin, Gautier essaya aussi d’y établir une maison du marin. Cette Maison du Peuple devait devenir la maison des ouvriers et pour les attirer des fêtes et des concerts étaient donnés chaque dimanche.
En 1907, une note de police indiquait : « M. Gautier est le seul véritable dirigeant de la Bourse. Très actif, il a su prendre une réelle autorité sur le parti ouvrier. Il est l’orateur habituel de toutes les réunions publiques à Saint-Nazaire et dans la région et il y est très écouté. Est intervenu dans de nombreuses grèves : Couëron, Lorient, Hennebont, Nantes (dockers) et en avril 1907, il est allé encourager les inscrits maritimes de Dunkerque à la résistance. »
Assistaient Gautier à la Bourse : en 1907 : Jouaud Étienne ; en 1911 : Daydie Justin, Primault Th., La Plaine J.-B. Mantelet Éd. (voir Lebrun L.*).
Trésorier de la Fédération socialiste de Loire-Inférieure, Gautier fut délégué aux congrès nationaux de Saint-Étienne (1909) et de Lyon (1912).
À partir de 1900, il fut candidat socialiste dans toutes les élections, recueillant de plus en plus de voix. En 1900, il se présenta aux élections municipales de Saint-Nazaire ; en 1902, il fit campagne pour les législatives aux côtés du candidat radical, M. Lanoë. Candidat en 1906 dans la première circonscription de Saint-Nazaire, il obtint 1 135 voix et se désista au second tour pour le candidat radical, Delaroche-Vernet, mais sans succès. En 1910, son désistement (il avait obtenu 1 500 voix au premier tour) permit à Delaroche-Vernet de battre le député sortant, Anthime Ménard, par 12 556 voix contre 9 290. En 1914, il obtint 3 183 voix et en 1912, il en groupa 9 963 dans le premier secteur de la Loire-Inférieure ; enfin, en 1924, il ne lui manqua que quelques dizaines de voix pour être élu député dans la première circonscription de Loire-Inférieure. Entre temps il avait été candidat à toutes les élections cantonales et aux élections sénatoriales en 1923 et 1924. Il fut élu conseiller municipal en 1919. La majorité, non socialiste, le désigna premier adjoint par deux votes successifs, mais il refusa toute collaboration. Il devint conseiller général en 1919 et fut réélu au deuxième tour en 1922 par 3 987 voix contre 2 885 à son opposant, Barbin.
Le Travailleur de l’Ouest de février 1925 qui retrace la vie de Henri Gautier et le mentionne comme trésorier du syndicat local des Inscrits Maritimes.
En 1925, il se préparait pour conquérir au printemps la mairie de Saint-Nazaire pour son parti. Son projet fut réalisé par son dauphin F. Blancho qui profita de son travail inlassable et devint maire puis député de Saint-Nazaire pour de nombreuses années.
Sur le plan syndical, H. Gautier assista, de 1900 (XIe congrès national corporatif — 5e de la CGT) à la Première Guerre mondiale, à tous les congrès nationaux, exception faite du XIIe, Lyon, 1901.
Il joua un certain rôle au plan national, restant très longtemps trésorier de la Fédération des inscrits maritimes, puis secrétaire permanent de cette même Fédération jusqu’à sa mort. On aurait, semble-t-il, pensé à lui pour occuper le poste de secrétaire général de la CGT en 1909 ; son refus aurait entraîné l’élection de Jouhaux. En 1919, il était conseiller technique au commissariat de la Marine marchande.
H. Gautier appartint à la Ligue des droits de l’Homme, à la Libre Pensée et à la Franc-Maçonnerie. Il était aussi vice-président de la Ligue nationale contre l’alcoolisme, vice-président de l’office des habitations à bon marché, etc.
H. Gautier milita jusqu’à la fin. À sa mort, il était encore secrétaire des Inscrits maritimes, directeur-gérant du Travailleur de l’Ouest qu’il avait créé en 1908 et qui était devenu le journal de la Fédération SFIO de Loire-Inférieure, trésorier de la Bourse du Travail de Saint-Nazaire. Le dimanche 1er février 1925, il présidait à Nantes le congrès de la Fédération socialiste. Le lundi, il partait à Liard (Ardennes) chez l’un de ses enfants. Il devait assister le mercredi au congrès des Inscrits maritimes, mais il mourut ce même jour frappé d’une congestion.
Plus que tout autre, sans doute, Gautier a contribué à implanter le syndicalisme et le socialisme dans le département de Loire-Inférieure (et surtout dans l’arrondissement de Saint-Nazaire).
Aussitôt après sa mort un véritable culte fut organisé par la SFIO et la CGT locales. Son corps fut ramené aux frais de l’Union des syndicats et le 8 février, Saint-Nazaire lui fit des obsèques grandioses. On fit tirer ses portraits. On se référait constamment à lui. Dès le 13 décembre 1925, la nouvelle municipalité, socialiste, donnait son nom à la principale artère de la ville joignant les deux grands centres ouvriers de Saint-Nazaire et de Trignac. Le 18 avril 1926 fut organisé le challange Henri Gautier : une course à pied de Nantes à Saint-Nazaire, sous forme de relais, par les jeunes athlètes de la Fédération sportive du travail. On donna son nom à un stade. En novembre 1929, une souscription fut lancée pour lui ériger un buste. L’inauguration du buste eut lieu le 1er mai 1930 avec la participation de Léon Jouhaux et de Léon Blum*.
François Blancho*, son fils spirituel, à qui il avait confié les plus importantes responsabilités et qui avait signé avec lui en 1917 le premier bordereau de salaire minimum dans la construction navale et la métallurgie du département, contrôla le mouvement ouvrier nazairien pendant de nombreuses années.
Henri Gautier veuf s’était remarié le 21 février 1918 ; il était père de cinq enfants.
Par Claude Geslin
SOURCES : Arch. Nat. F7/13567, F7/13583 et F7/13606. — Arch. Dép. Loire-Atlantique, série M. — État civil de Nantes (Gautier et non Gauthier). — Comptes rendus des congrès socialistes de Saint-Étienne et de Lyon ainsi que des congrès nationaux corporatifs. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes. II. op. cit., pp. 334 à 343, passim. — La CGT, op. cit. — Cl. Willard, La Correspondance de Charles Brunellière, socialiste nantais 1880-1917, Paris, 1968. — F. Guériff, Historique de Saint-Nazaire, t. II, Guérande, 1963. — Marthe Barbance, Saint-Nazaire, le port, la ville, le travail, Moulins, 1948. — Le Travailleur de l’Ouest. — Extrait d’acte de naissance, Nantes, 29 janvier 1986. — Ronan Viaud, Le syndicalisme maritime français (1890-1950), P. U. Rennes, 2005. — Notes de Jean-Paul Guéroult qui signale que l’orthographe de ce nom n’est pas stable, il s’agit de la même personne. (Gautier, Gauthier, Gaultier). — Notes de Louis Botella.