COLLIARD Henri, Joseph

Par Rodolphe Prager

Né le 14 mars 1915 à Lyon (Rhône), mort le 8 avril 1945 au camp de concentration de Zwieberg-Langestein (Allemagne) ; avocat à la Cour d’appel de Lyon ; militant trotskyste, membre du comité central du Parti ouvrier internationaliste, section française de la IVe Internationale.

Fils unique, Henri Colliard naquit dans une famille de condition très modeste, son père étant employé dans la Soierie. L’obtention d’une bourse lui permit d’entreprendre ses études secondaires au lycée Ampère de Lyon. Il passa les deux parties du baccalauréat en 1932 et 1933. Sa grand-mère maternelle, Madame Meunier, lui vint en aide, le prenant en pension dans son appartement du 127 rue Duguesclin, afin de lui permettre de suivre les cours à la Faculté de Droit, à partir de novembre 1933. L’enseignement d’André Philip*, forte personnalité du Parti socialiste singulière à bien des égards, le marqua particulièrement et hâta, peut-être, son adhésion au groupe des Etudiants socialistes existant à la Faculté. Il en devint le secrétaire. Il s’inscrivit également au Parti socialiste et milita activement, en 1935, dans les Jeunesses socialistes où il remplit les fonctions de secrétaire à la propagande qui répondaient bien à sa vocation. Il fut tôt en communauté d’idées avec les trotskystes qui avaient adhéré au Parti socialiste en septembre 1934, et rejoignit leur tendance, le Groupe bolchevik-léniniste, qui l’élut membre suppléant de son Comité central en septembre 1935. En tant que porte-parole de ce courant, il présenta une motion en vue du congrès fédéral du 3 novembre 1935, que reproduisit L’Avenir Socialiste du 26 octobre.
Cependant, les trotskystes se voyant exclus du Parti socialiste, Colliard milita dès lors dans la Jeunesse socialiste révolutionnaire animée par Fred Zeller* et dans le Parti ouvrier internationaliste (POI), fondé le 2 juin 1936. Il assista à tous ses congrès et fut élu régulièrement au Comité central. Reçu licencié en Droit en juillet 1936, Henri Colliard choisit de devenir avocat et sa famille fut fort émue en assistant, en novembre, à la prestation de serment. Avocat stagiaire, il exerça au cabinet de Me Jean Sabattier qui jouissait d’une certaine notoriété et il poursuivit en même temps des cours à la Faculté en vue de passer en 1937 des certificats de doctorat. Sa thèse de doctorat : Le corporatisme et la lutte des classes fut achevée aux premiers jours de la Seconde Guerre mondiale.
Son action politique dans ces années fut intense. Il prit la parole dans de nombreuses réunions publiques et fit passer des articles dans la presse régionale pour s’élever contre les procès de Moscou, ce qui lui valut de se faire prendre à partie violemment par le Parti communiste. Le 8 février il parla aux côtés d’André Philip, de Léon Émery* et de Gérard Rosenthal* devant un auditoire de 1 500 personnes, rassemblé sous l’égide du Comité d’enquête sur les procès de Moscou. Il n’hésita pas, à ce moment, à aller porter la contradiction à Paul Vaillant-Couturier* orateur prestigieux du PCF. Le 27 octobre 1938 il participa encore, à un meeting de protestation unitaire contre le procès intenté à Barcelone aux dirigeants du Parti ouvrier d’unification marxiste.
Henri Colliard fut l’un des premiers à préconiser en octobre 1938, à l’intérieur du POI, l’adhésion collective au Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) de Marceau Pivert* « avec tout notre programme, dans le seul intérêt de la IVe Internationale ». Il soutint la tendance favorable à « l’entrisme » animée par Jean Rous* et Yvan Craipeau* et son nom figure aux côtés de ces dirigeants sur plusieurs textes. Bien que son point de vue ne semble pas avoir été partagé par la majorité du groupe de Lyon, il quitta avec sa tendance le POI en janvier 1939 et son adhésion, avec ses camarades, ne tarda pas à être annoncée dans l’hebdomadaire du PSOP, Juin 36. Ses talents lui valurent de remplir d’emblée les fonctions de secrétaire politique de la Fédération du Rhône. Il fut l’orateur du parti avec Suzanne Nicolitch, venue de Paris, au meeting tenu le 12 avril 1939, salle Luboz à Lyon-Vaise, sous la présidence de Marie-Gabriel Fugère, secrétaire fédéral. « Nous repoussons la défense nationale, déclara Colliard, et si la guerre éclate, la lutte de classe doit continuer, les travailleurs auront pour devoir sous la direction de l’avant-garde de profiter des circonstances et de transformer la guerre impérialiste en guerre civile ».
En ce début d’année, Colliard fut très affecté par la mort, coup sur coup, dans des conditions tragiques, de ses parents. D’abord exempté du service militaire, en raison de sa faible constitution, il fut déclaré bon pour le service, en octobre 1939 et affecté au dépôt d’artillerie coloniale 55, à Nîmes. Il s’inscrivit pour suivre les cours de l’École d’officiers d’artillerie à Poitiers. Une permission lui fut accordée pour soutenir devant la Faculté de Droit, le 22 avril 1940, sa thèse achevée le 1er octobre 1939. Le sujet fut d’une brûlante actualité et l’auteur ne dissimula pas ses convictions. « La classe ouvrière de ces pays [fasciste et nazi], grâce à son rôle social diminuant doit... sauvegarder par tous les moyens son indépendance, énonce la thèse dans ses conclusions. Si elle y parvient malgré les arrêts et les reculs momentanés, l’histoire, après la chute des idoles éphémères, retrouvera sa voie réelle : la marche incessante des hommes vers le progrès. » Les circonstances tragiques n’affectèrent pas l’optimisme foncier de l’auteur. La thèse reçut la mention « très bien avec éloges », Mobilisé, le président de la thèse, André Philip, ne put assister à la soutenance. Il ne resta à Colliard qu’à retourner à Poitiers, reprendre ses brèves études d’artilleur, à la veille de l’offensive allemande.
L’été 1940, démobilisé, Colliard retrouva son cabinet, 26, rue de l’Annonciade, où l’hébergèrent ses cousins Pozzo di Borgo. Il eut à défendre des militants de gauche persécutés par la police de Vichy, notamment des communistes, dont le plus marquant fut Georges Liebherr-Terner, ancien dirigeant national des Jeunesses communistes et administrateur de l’Avant-Garde, proche collaborateur de Jean Chaintron* dirigeant du parti pour la zone sud. Cette direction, décapitée en mars 1941, passa en jugement devant le Tribunal militaire de la 14e Division en novembre. Défendu excellemment par Colliard, Liebherr échappa à la condamnation à mort qui frappa Chaintron et s’évada de la prison de Saint-Étienne en septembre 1942.
Colliard conserva les contacts avec les anciens membres du PSOP regroupés autour de Fugère qui lança en mars 1942 le journal L’Insurgé. Il aurait également été lié à Libération-sud et on prétend qu’il aurait appartenu au réseau franco-britannique du colonel Alphonse Buckmaster, sans que les faits fussent bien établis. Il est clair, en revanche, qu’il opta pour une nouvelle filière professionnelle inattendue, la carrière diplomatique, s’apprêtant à passer le concours du Ministère des Affaires étrangères en juin 1942. L’enquête préalable des Renseignements généraux conclut qu’il « ne paraît plus avoir fait de politique après sa démobilisation ». Ses camarades témoignent du contraire. Il s’entoura seulement de grandes précautions et se servit judicieusement de sa couverture d’avocat qui légitima bien des contacts. Les autorités ne s’y trompèrent pas beaucoup après son arrestation, le 2 juin 1942, avec un grand nombre de ses camarades trotskystes. Faute de pouvoir établir des preuves à son égard, un arrêté signé René Bousquet du 23 juin 1942, décida de son internement « au Centre de séjour surveillé » de Nexon (Haute-Marne). Après un mois passé au Petit Dépôt du Palais de Justice et une promesse de libération s’il consentait à rendre de menus services, il fut acheminé le 3 juillet à Nexon, enchaîné à ses amis Pierre Champin, Gabriel Primet et Jean Kerschenmeyer. On lui fit payer son passé et les démarches pressantes de Me Sabattier, son « patron », et du bâtonnier Claude Valancio se heurtèrent à un mur de refus. Une pétition signée de tous les membres du Conseil de l’ordre des avocats et les suppliques de la grand-mère de Colliard n’eurent pas plus d’effet. Bousquet et le préfet Angéli furent intraitables.
Sa condition s’aggrava au cours de sa pérégrination au travers des camps. De Nexon il fut transféré à Saint-Paul d’Eyjeaux (Haute-Vienne), le 12 août 1942, puis à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) arrondissement de Castre, le 23 octobre 1943, puis... À Saint-Paul d’Eyjeaux il organisa des conférences éducatives et fit des cours d’anglais et de géographie économique. Les internés apprécièrent particulièrement les représentations théâtrales animées par Colliard. Il se fit acteur et on joua du Courteline et du Jules Romains. Atteint d’une appendicite aiguë, il fut transporté d’urgence à l’hôpital de Limoges. Une fièvre persistante prolongea une convalescence pénible. Colliard prépara, par la suite une évasion collective et organisa le creusement d’un tunnel devant déboucher hors du camp, auquel travaillèrent une quinzaine d’internés. En août 1943, la veille de l’évasion, l’entreprise fut dénoncée par un interné monnayant de la sorte sa libération. Les interrogatoires furent serrés, mais Colliard se montra très ferme.
Le camp de Saint-Sulpice-la-Pointe a mauvaise réputation. 900 internés y vécurent dans une vingtaine de baraques, sous la garde de chiens, dans une ambiance pesante. Une « Université embastillée » y fonctionna et Colliard reprit ses cours de géographie économique qui lui tinrent à cœur. Un projet d’évasion en masse brisant les barbelés, sur le point de se réaliser échoua encore. Colliard aurait écrit « un livre d’avenir traitant d’une société nouvelle » qui serait passé de mains en mains, aux dires de certains témoignages. On ne retrouva pas trace de ce manuscrit.
Enfin, ce fut l’étape fatale. Le dimanche 10 août les forces allemandes vinrent prendre livraison des « politiques » et des résistants. Le départ eut lieu l’après-midi en gare de Saint-Sulpice-la-Pointe, entassés à cent dans les wagons à bestiaux. Un arrêt à Toulouse où le convoi est complété par des détenus de la prison de Saint-Michel et ce fut un voyage sans fin, ralenti par les bombardements et la désorganisation, sous une chaleur torride, qui s’acheva le 10 août à Weimar, puis à Buchenwald avec nombre de morts en cours de route. Colliard devint le matricule n° 69.648 et séjourna d’abord en quarantaine dans le petit camp. Il rencontra le Dr Fousseret, une vieille connaissance de la SFIO de Lyon, qui retarda tant qu’il le put son départ en kommando.
Envoyé à Zwieberg, près de Langestein, non loin de Dora, dans la montagne du Harz, ce fut l’enfer. On y creusa des souterrains pour l’installation d’usines d’aviation, au prix de pertes humaines effroyables, causées, en particulier, par la dyssenterie et l’hydropisie. Colliard fut affecté au « transport colonne », travail exténuant de transport de matériaux divers pendant douze heures par jour. En janvier-février 1945, ses camarades l’amenèrent à trois reprises inanimé à l’infirmerie. L’épuisement ne fut pas reconnu comme une maladie. Ses dernières paroles, s’adressant à un infirmier français, auraient été : « Si tu reviens en France, dis comment ils nous ont traités. » Il mourut le 8 avril 1945, une semaine avant l’arrivée des troupes alliées.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20364, notice COLLIARD Henri, Joseph par Rodolphe Prager, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 25 octobre 2008.

Par Rodolphe Prager

ŒUVRE : Le corporatisme et la lutte des classes, thèse de doctorat, 1940, Imprimerie Grateloup, Rive-de-Gier (Loire).

SOURCES : Arch. Jean Maitron. — La Lutte ouvrière, 1936 à 1938. — Bulletins intérieurs du POI 1936 à 1939. — Juin 36, du 3 février et du 21 avril 1939. — L’Avenir socialiste du 26 octobre 1935. — Renseignements recueillis par J.-M. Brabant. — Pierre Antoine Perrod, L’Honneur d’être dupe, Henri Colliard 1915-1945, Roanne, Éditions Horvath, 1982.

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