COLLIARD Lucie [née PARMELAND Lucie, Claudine]

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Née le 24 janvier 1877 à Saint-Félix (Haute-Savoie), morte le 12 août 1961 à Clichy (Seine, Hauts-de-Seine) ; institutrice ; militante syndicaliste, socialiste et communiste ; déléguée au congrès de Tours (décembre 1920) ; élue en 1921 à la direction de l’Internationale communiste des femmes ; membre suppléante du comité directeur du Parti communiste (1922-1924) ; opposante à la bolchevisation du PC.

Lucie Colliard au congrès de Tours en décembre 1920. Agence Meurisse.

Lucie Colliard naquit de petits propriétaires exploitants (deux têtes de bétail, quatre hectares). Elle était l’aînée d’une famille de cinq enfants. Après avoir appris les rudiments chez les religieuses, elle fut confiée en 1886 à une institutrice laïque et obtint le Certificat d’études primaires en 1888. Grâce à une Bourse obtenue par concours, elle put fréquenter l’École primaire supérieure d’Alby-sur-Chéran. Elle obtint le Brevet élémentaire en 1893 et, l’année suivante, entra à l’École normale d’instituteurs de Rumilly. Titulaire du Brevet supérieur à sa sortie, elle fut tour à tour institutrice à Saint-Pierre-de-Rumilly (aujourd’hui Saint-Pierre-de Faucigny), à Cordou (en septembre 1899), à Larringes, au hameau de Chez-Grosson (octobre 1900) puis à Meillerie au bord du lac Léman, en décembre 1907. Elle demanda sa mutation plusieurs fois, car le milieu local était conservateur, sollicitations sans succès, et y resta jusqu’à son arrestation en décembre 1917.
Lucie Parmeland avait épousé le 6 septembre 1902 à Saint-Félix (Haute-Savoie), Henri Colliard, un paysan de Larringes. Celui-ci ne semble pas avoir partagé les activités politiques de sa femme et il était hostile à l’émancipation féminine. Elle prit un congé pour le soigner en juillet 1903. Mais, ils avaient peu de points communs, aussi, en 1918, ils se séparèrent. Il mourut en 1932. Elle vécut avec ses deux enfants : un fils né le 11 juin 1903 qui avait une vocation de cultivateur et une fille, née le 28 novembre 1905, qui devint institutrice. En dépit des difficultés de sa vie familiale, elle fut une des féministes de l’époque à parler du bonheur de la maternité. Lucie Colliard obtint son certificat d’aptitude pédagogique, en janvier 1909, certificat qui l’autorisait à solliciter des directions d’écoles à plusieurs classes.

Elle appartint à l’Amicale des instituteurs et des institutrices à son entrée dans la carrière enseignante et suivit, dès son apparition, le courant qui conduisit à sa transformation en syndicat. Elle participa au congrès des Amicales à Nantes en août 1911. En août 1912, elle compta au nombre des animateurs du retentissant congrès de Chambéry (Savoie), VIIe congrès national du syndicat de l’enseignement. Cette même année 1912, elle adhéra au Parti socialiste SFIO. La guerre qui survint deux ans plus tard, donna un singulier relief à l’action de cette militante de base. Elle fut révoltée par le ralliement des socialistes à l’Union sacrée et effrayée par sa propre réaction : pouvait-elle avoir raison contre des chefs prestigieux ? Elle décida de défendre, même seule, la cause du pacifisme. Ce n’est que plus tard qu’elle entra en contact avec des minoritaires comme Fernand Loriot. Secrétaire adjointe de la section de Haute-Savoie du syndicat des instituteurs et des institutrices, elle participa au congrès de Paris en 1916. Les contacts qu’elle y prit la mirent en liaison avec les milieux internationaux de Genève, où elle rencontra Henri Guilbeaux et Lénine, et à Vevey, où elle sympathisa avec Angelica Balabanoff. Dans la Fédération socialiste commune aux deux départements savoyards, elle défendit les thèses issues des conférences de Kienthal et Zimmerwald, contre les majoritaires représentés par Edgard Milhaud. Sa correspondance ayant été saisie au contrôle postal militaire de Bellegarde (Ain), Lucie Colliard fut soumise à enquête du commissaire spécial d’Evian, sur ordre du général commandant de la 14e région militaire. La population locale, dressée contre elle, organisa une grève des élèves. Elle n’en continua pas moins ses activités : ainsi en avril 1917, elle aida l’instituteur Fernand Loriot, secrétaire du Comité pour la reprise des relations internationales, à passer en Suisse.
Fin juin 1917, l’autorité académique la déplaça de Meillerie à un poste déshérité, au hameau Saint-André-de-Boëge de la commune de Corbière. Elle y fut arrêtée le 12 janvier 1918 pour infraction à la loi du 5 août 1914 relative aux indiscrétions de la presse en temps de guerre, et incarcérée pour un mois à Grenoble, d’abord au régime de droit commun puis au régime politique. Elle sortit le 14 février 1918. Le non-lieu ne la sauva que momentanément. Elle avait été aidée par Jean-Pierre Raffin-Dugens, même si le caractère tempétueux de Lucie irritait parfois le député de l’Isère. Sur appel du général Ebener, Lucie Colliard fut traduite en Conseil de guerre le 27 mars 1918. Elle habitait alors, 11, rue des Balkans à Paris (VIe arr.). Son défenseur Maître Meunier, député de l’Aube, protesta contre les mauvaises conditions de préparation du procès qu’il quitta. L’accusée fit défaut et fut condamnée à deux ans de prison assortis de mille francs d’amende. Elle se porta devant le conseil de révision de Lyon qui rejeta sa demande le 24 mai 1918 mais elle bénéficia d’une amnistie. Elle avait le soutien des Amicalistes et des syndicalistes de l’enseignement. Bien que proche du couple Marie et François Mayoux, elle s’étonna dans l’École émancipée des formules violentes contre Alphonse Merrheim qui prenait ses distances avec le courant pacifiste : "Je ne croirai jamais que les camarades mis en cause par Mayoux veulent autre chose que le bien-être des travailleurs de partout". Dans le même temps, elle publia en novembre 1918, dans l’Humanité, une lettre reprochant à la féministe Madame Jules Siegfried, de refuser de répondre à une lettre des femmes allemandes.
Elle fut de nouveau inquiétée à la suite d’une assemblée d’instituteurs, le 19 janvier 1919, à la salle du Grand Orient, rue Cadet à Paris. L’affaire aurait été classée sur intervention de Léon Jouhaux. Ce dernier aurait déclaré ironiquement : "Vous pouvez dire à Lucie Colliard qu’elle n’a plus qu’à recommencer". Elle aurait répliqué : "Mais bien sûr , si je suis en liberté , c’est pour ça, pour recommencer". La prison n’avait fait que renforcer sa révolte contre les forces politiques qui avaient soutenu l’Union sacrée.

Révoquée de l’Enseignement, Lucie Colliard habitait, au début de l’année 1919, à Pantin (Seine). Féministes et syndicalistes réclamaient sa réintégration. Elle soutint La Vague, la revue pacifiste et socialiste dirigée par Pierre Brizon et Marcelle Capy, et se fit même photographier en tenant le journal avec le titre bien visible. En avril 1919, elle vint avec ses deux enfants rejoindre son mari à Larringes et eut alors de multiples contacts avec les communistes suisses.
En novembre 1919, elle partit comme permanente syndicale à Caen (Calvados) avec un salaire de 1000 F par mois, ce qui est peu pour une mère de deux enfants. Elle contribua à reconstituer la Fédération socialiste SFIO tout en militant dans le cadre du Comité de la IIIe Internationale et fit sa première expérience d’oratrice en s’adressant particulièrement aux femmes : "Elle déclare que c’est dans l’intérêt de toutes les femmes de défendre le parti socialiste, seul parti ayant considéré la femme à l’égal de l’homme. Elle fait appel aux femmes contre le militarisme ; réclame la pitié pour les enfants de Russie" (Le Populaire, 10 décembre 1919). Il "faut sauver la révolution russe, prélude de la révolution mondiale" déclara-t-elle. Elle devint, en décembre 1919, secrétaire de la nouvelle section de la Rive gauche de l’Orne. La Fédération du Calvados la délégua au congrès national de Strasbourg (25-29 février 1920) avec Ludovic Zoretti dont elle ne partageait pas les options distantes par rapport à la révolution russe. Ils étaient porteurs de vingt-quatre mandats dont dix-sept pour la motion pour la Reconstruction de l’Internationale, et sept pour la IIIe Internationale. Elle avait publié, en janvier 1920, dans le Populaire normand un article ayant pour titre : « Vers la IIIe Internationale, pour l’adhésion immédiate ». Notons qu’elle déclarait qu’après avoir été suffragiste pendant des années, elle pensait que "le suffrage, tel qu’il ait organisé et avec les résultats qu’il donne ne doit plus nous [femmes] tenter".
Elle devint secrétaire fédérale le 15 décembre 1920 et, représenta les socialistes calvadosiens au congrès de Tours (25-30 décembre 1920) où elle vota la motion Loriot-Souvarine (treize mandats sur vingt-quatre) qu’elle avait signée. Elle intervint à la séance du 25 décembre :

"Dans le Calvados, nous avons fait des progrès énormes, puisque pendant la guerre nous avions 3 mandats et que nous en avons 24 à l’heure actuelle. Mais nos populations comprennent les villes et les campagnes, et nous n’avons pas encore agi à la campagne. Il faut que nous le fassions maintenant.
Notre Fédération s’est prononcée par 13 mandats pour la IIIe Internationale, et 8 mandats pour la motion Longuet, 2 pour la motion Blum [...]
Un certain nombre, malgré tout, voudrait conserver l’unité du parti, mais l’unité avec la discipline. Ils considèrent que la situation actuelle n’est pas semblable à la situation passée, que le Parti n’est plus seulement un Parti d’opposition, mais doit devenir un Parti d’action où il faut des hommes résolus. Ceux qui veulent rester dans le parti devront se plier à la discipline [...] L’ancien secrétaire fédéral n’a pas voulu remettre ses archives à la nouvelle Secrétaire fédérale. Il faudra donc faire appliquer la discipline."

Lors de la réunion fédérale du 23 janvier 1921, les adhérents communistes du Calvados étaient au nombre de 213. Lucie Colliard fut élue secrétaire de la Fédération départementale de la SFIC et membre des commissions administrative et de propagande. À ce titre, elle effectua des tournées de conférences dans l’Oise et la Seine-Inférieure. Nommée permanente de la SFIC à la première réunion du Comité directeur communiste, le 4 janvier 1921, elle quitta Caen pour Paris en avril. Pendant son séjour caennais, elle anima le syndicalisme local y défendant, dès la fin de l’année 1919, les thèses minoritaires ce qui l’opposa violemment à Ludovic Zoretti. Membre de la commission administrative de l’Union départementale CGT dont elle était l’archiviste-bibliothécaire après le congrès départemental tenu à Lisieux en mars 1920, elle fit preuve d’un grand dynamisme en mai 1920. C’est alors qu’elle organisa une garderie pour les enfants de grévistes, ainsi que des concerts, une soirée récréative et un repas champêtre. Dans ses interventions à l’occasion des réunions de grévistes et dans celles auxquelles elle participa, en juin, à Bayeux, Lisieux, Honfleur et Condé-sur-Noireau, elle développait les thèmes qui lui tenaient particulièrement à cœur : combat pour la paix, rôle important des femmes dans l’action ouvrière et lutte contre l’alcoolisme. Son action déchaîna un campagne de presse avec des propos machistes ; ainsi L’Écho normand des 20-27 novembre 1920 écrit : "La ’camarade’ Lulu-Coco, qui, si elle est du sexe faible, est forte en gueule et mal embouchée, et n’a rien des grâces aimables de la féminité. Lulu-Coco ’doulce créature’ est une forte tête".
En août 1920, sa présence était attendue au congrès syndical des enseignants à Bordeaux : "Voici Lucie Colliard, Hélène Brion, Julia Bertrand, Marie Mayoux, la phalange glorieuse des défaitistes, celles, ceux qui ont confronté leur clairvoyance et leur courage à l’aveuglement et la lâcheté des autres" dit un témoin (Le syndicalisme dans l’Enseignement, Bernard, Bouët, Dommanget, op. cit., tome 2 p. 229). En septembre-octobre 1920, elle participa au congrès national de la CGT à Orléans comme représentante des mineurs de fer de Saint-Rémy-sur-Orne et les salariés du textile de Lisieux. Vue comme une représentante du courant communiste, elle eut du mal à intervenir, blême de rage elle déclara : elle menace de la main et tout son corps se replie comme pour bondir sur cette assemblée qui la hue, "prenez garde, majoritaires, que dans nos Unions où nous avons la confiance de nos syndiqués, prenez garde que nous vous rendions la pareille et que nous vous empêchions à l’avenir de dire mot".
Elle avait démissionné de son poste de permanente de l’UD, en décembre 1920, pour se consacrer plus librement à la propagande politique comme permanente.

Après son départ de Caen, Lucie Colliard multiplia les réunions dans les régions. Elle excellait dans la contradiction : "Elle était mordante, ironique, beaucoup de finesses et un esprit de répartie très aiguisé" disait Roger Hagnauer. Ses pas la conduisirent aussi dans son département d’origine où ses prises de parole sont remarquées. Elle soutint notamment le candidat Just Songeon lors d’une élection partielle en février 1921. À Paris comme en province, sa fougue, sa grande facilité d’élocution en faisaient une oratrice remarquable.
Elle participa en juin-juillet 1921 au IIIe congrès de l’Internationale communiste et elle entra au secrétariat international des femmes communistes aux côtés de Clara Zetkin et Alexandra Kollontaï. Au sein de la délégation française, elle s’affronta à Charles-André Julien sur les questions coloniales. Dans ses notes, ce dernier dit que Lénine "écouta de bout en bout son discours et accueillit avec une ironie mordante l’intervention de Lucie Colliard" (Les communistes et l’Orient, Le Mouvement social, n°82, janvier-mars 1973). Avec Lucie Leiciague, elles visitèrent des colonies d’enfants à Bolchovo, et semblèrent impressionnées. Elle revint séduite par le personnage de Léon Trotsky et réservée vis-à-vis de Lénine qui traitait les opposants avec mépris.
Le congrès national de Marseille (25-30 décembre 1921) l’élut membre suppléant du comité directeur. Elle se plaignait, dans l’Humanité du 13 juillet 1921, du peu d’attention que le Parti communiste portait à la question des femmes. Elle porta le débat au congrès de Marseille avec Marie Mayoux, Germaine Goujon, Marthe Bigot, Suzanne Girault, Marguerite Albert, Jeanne Mélin et Louise Bodin.
Elle eut un échange avec Renaud Jean qui s’inquiétait que "sous prétexte de communisme, dresser les femmes contre les hommes et aboutir à quelques chose d’antinaturel". Lucie Colliard réplique : "Je suis surprise [...] que Renaud Jean puisse encore nous taxer de féminisme. Si la commission qui a été adjointe au Comité directeur provisoire avait dû par ses méthodes et par son but faire du féminisme, elle n’aurait pas prit part à cette commission, moi qui déclarait à Tours dans le premier grand meeting comme quoi je n’étais pas féminisme, parce que le féminisme n’est qu’une partie du réformisme". Féministe de fait, elle n’avait pas l’espace politique pour se permettre d’affirmer un féminisme révolutionnaire.
La police la signalait, en février 1922, parmi les délégués à la conférence organisée à Moscou par le comité exécutif de la IIIe Internationale. Membre de la fraction de Gauche, elle ne fut pas réélue au comité directeur lors du congrès de Paris (15-20 octobre 1922). Son absence de la liste du Comité directeur (français) établie à Moscou au IVe congrès de l’Internationale communiste et de celle adoptée à la Conférence nationale de Boulogne-sur-Seine, le 21 janvier 1923, est surprenante. Elle fut à nouveau désignée comme suppléante au IIIe congrès réuni à Lyon du 20 au 23 janvier 1924. Elle semble être restée après 1922, déléguée permanente à la propagande, particulièrement chargée des femmes. Elle tenait une chronique féminine dans le Bulletin de la presse communiste.

Lucie Colliard fut élue membre de la commission féminine de la CGTU au congrès de Bourges (novembre 1923) et resta membre du secrétariat féminin jusqu’en 1925. La CGTU l’envoya, en septembre-octobre 1924, participer à la grève des sardinières de Douarnenez (Finistère). Elle était déjà intervenue à Douarnenez en décembre 1921 devant près de 1000 personnes, mais en 1924, en pleine grève, elle donna le meilleur d’elle-même, sympathisant avec les sardinières et dansant au bal hebdomadaire, ce que les autres délégués de Paris ne daignaient pas faire. « Je me souviens du bonheur de Lucie Colliard, écrivit Charles Tillon, la plus gaillarde des militantes, l’institutrice révoquée de Boëge. Enveloppée frileusement dans son vieux manteau et coiffée d’une cloche de feutre d’où s’échappaient des mèches de cheveux gris, elle ne pouvait se retenir de battre des mains au passage des rangées de jeunes sardinières alourdies de leurs pesantes jupes de velours et se tenant bras dessous » (On chantait rouge, p. 69). Marcel Cachin vint mettre à leur service ses talents d’orateur, mais note Tillon : « Marcel Cachin et Lucie Colliard n’étaient guère faits pour s’entendre. L’ancienne enseignante, devenue en 23, à Moscou, co-secrétaire éphémère de l’Internationale des femmes, s’était opposée au maintien du mot d’ordre de la dictature du prolétariat au premier plan de tous les principes de l’IC [...] ils se taquinaient à nouveau à propos de la « bolchevisation » en cours que le prudent député [...] défendait au nom de la discipline » (p. 74-75). La Librairie de l’Humanité publia en 1925 sa brochure : Une belle grève de femmes : Douarnenez.
La Fédération de l’Enseignement avait constamment revendiqué l’annulation de sa révocation. Le 3 février 1925, l’Humanité annonça sa réintégration comme institutrice dans un « poste déshérité de montagne », en Haute-Savoie. Elle reprit son métier et fut l’objet d’un avertissement au printemps 1925. Pendant les vacances, la commission politique du PC, le 25 août 1925, la mit à la disposition de la région bordelaise pour la campagne contre la guerre du Maroc. Elle participa le 5 septembre au congrès ouvrier et paysan de Bordeaux et y prononça une allocution. Reprit-elle son poste à la rentrée ? La police annonçait, en décembre 1925, son affectation à la cellule 432 du 4e rayon regroupant les militants de la "Cristallerie d’Ivry", de la Compagnie générale d’électricité et de la rue Alexandre Pillaud à Ivry-sur-Seine. Il s’agit peut-être d’une fausse information.
Signataire en octobre 1925 de la lettre au comité exécutif de l’Internationale communiste, dite lettre des 250, qui critiquait la direction du Parti communiste français, Lucie Colliard signa de nouveau un texte collectif des communistes oppositionnels le 15 décembre 1925, aux côtés notamment de Marthe Bigot et Fernand Loriot. Elle poursuivit son opposition ouverte contre la nouvelle orientation du Parti en 1926. Dans un rapport sur la région des Alpes daté du 4 avril 1926, le dirigeant communiste Rybroeck indiquait qu’elle avait de l’influence dans le rayon d’Annemasse ; malgré son attitude dans la CGTU où elle s’était désolidarisée des rédacteurs du Bulletin communiste et de la Révolution Prolétarienne, Lucie Colliard avait maintenu ses « points de vue et beaucoup critiqué des personnalités » (Arch. I.M.Th.). Dans ses « Mémoires » Charles Tillon fit allusion à une correspondance envoyée de Savoie pendant l’été 1926 : « Lucie Colliard, réintégrée comme institutrice à Bogève, m’écrivait une lettre désespérée de ne pouvoir supporter plus longtemps la " gymnastique " du sommet » (p. 95). Est-ce à cette même correspondance qu’il faisait allusion dans une lettre de la fin de l’année 1926 conservée dans les archives du PC : « elle va lutter contre le parti, collaborer à la formation d’un nouveau parti » (Arch. I.M.Th., bobine 158). Une circulaire du secrétariat datée du 3 mars 1927, indiquait que Lucie Colliard appartenait à la « droite » du Parti et qu’elle avait signé, le 26 février, une déclaration protestant contre l’exclusion de Victor Engler et de Germaine Goujon. À la fin du mois de mars 1927, Pillot, dans une lettre à la section d’organisation annonçait : « un travail de désagrégation est fait par la camarade Lucie Colliard qui diffuse La Révolution Prolétarienne », et, le secrétariat la blâma le 18 mai 1927, en dénonçant son « travail fractionnel ». Cette sanction avait « pour but de l’inciter à examiner de plus près et à apprécier plus objectivement la politique du Parti communiste et de sa direction ». Elle n’en poursuivit pas moins son activité oppositionnelle en participant à la création de la revue Contre le Courant, dont le premier numéro parut le 20 novembre 1927. Le comité de rédaction originel comprenait : Lucie Colliard, Maria Cotton, Henri Delfosse, Clément Delsol, René Dionnet, Marcel Hasfeld, André Juin, Fernand Loriot, Magdeleine Marx,-Mosès (ce nom disparut dès le numéro 2-3, 2 décembre 1927), Maurice Paz et Marcel Roy. S’y ajoutèrent les noms de Charles Berthier (n° 7, 22 janvier 1928), Georges Briard (n° 2-3), Maurice Embe (n° 7), Albert Lemire (n° 8). Elle signa l’appel au XVe congrès du Parti communiste russe pour la réintégration des oppositionnels (2 décembre 1927), la pétition contre les déportations et en particulier celle de Léon Trotsky (6 mars 1928) et la lettre ouverte à Henri Barbusse contre l’exil de Trotsky (25 février 1929). Sa fiche de police situe son exclusion du Parti communiste au début de l’année 1929 mais, aucun autre document ne confirme cette date (Arch. Jean Maitron). Elle fut en réalité exclue du PC le 2 février 1928. En septembre 1929, elle collaborait à la revue oppositionnelle Contre le courant. Elle fréquentait les milieux dissidents, les syndicalistes révolutionnaires, les surréalistes. Daniel Guérin la décrit comme une "sorte de nonne laïque, jaune, osseuse, émaciée, au service de la trésorerie du Cri du peuple", le journal animé par Pierre Monatte.

Son nom apparut le 9 novembre 1930, parmi ceux des vingt-deux signataires de la déclaration - dite des 22 - pour la reconstruction de l’unité syndicale (voir Pierre Monatte). La commission exécutive de la CGTU répliqua dans l’Humanité du 15 novembre 1930 : faisant allusion aux conditions de sa réadmission dans l’administration, l’article évoquait les « obligations contractées envers le pouvoir par les transfuges de la lutte des classes ». Joseph Rollo, secrétaire général du syndicat unitaire de l’enseignement, protesta : il rappela qu’après la victoire du Bloc des gauches aux élections législatives de 1924, le syndicat avait obtenu la levée des sanctions mais Lucie Colliard, jadis chargée d’école à Meillerie, n’était plus qu’adjointe dans un poste de montagne (l’École émancipée et Le Cri du Peuple, 10 décembre 1930).

Retraitée à partir de 1930, elle participa à quelques congrès de la Fédération de l’Enseignement en 1931 à celui de la CGTU où elle fit un beau discours sur le décalage entre la vie des institutrices et des ouvrières, mais rappelant leur rôle pendant la Première guerre mondiale et montrant que dans les centres ouvrières elles peuvent rendre de grands services aux syndicats, créer des commissions femmes, organiser les manifestations, prendre des risques qui ne sont pas permis aux ouvrières.
En 1932, elle fut attirée par l’analyse que faisait Gaston Bergery du fascisme. Elle entra au comité exécutif de Front commune et au comité politique du journal la Flèche de Paris. On la découvre en 1933 dans les mobilisations contre le racisme (Emmanuel Debono, "Aux origines de la LICA") ; contre la guerre, contre la terreur en Bulgarie. Lorsque Front commun devint Front social, elle en fut secrétaire et organisa la soutien aux victimes de la répression en Espagne. Mais elle s’opposa à la dérive droitière de Bergery et donna sa démission en mars 1935 avec Jean Bernier. Dans le même temps, elle dénonça le nouveau cours du Parti communiste : "Défendons la politique de paix de l’URSS". Il n’y a qu’à supprimer un mot pour comprendre la raison qui a mû les dirigeants de l’URSS lorsqu’ils ont donné l’ordre de faire l’unité d’action".
Elle fut, en juin 1935, trésorière du Comité provisoire d’organisation du Rassemblement contre la guerre et l’union sacrée qui eut lieu à Saint-Denis (Seine), les 10 et 11 août 1935. En mars 1936, elle rédigea avec Georges Bataille et Jean Bernier, un tract renvoyant dos à dos les nationalismes, intitulé "Travailleurs vous êtes trahis".
Elle soutint le peuple espagnol contre le fascisme. Le 17 décembre 1936, participant à un meeting dénonçant les procès de Moscou et en janvier 1937 elle anime avec Pierre Monatte et André Breton une mobilisation contre les procès staliniens. Elle se fait de plus en plus dure contre ceux qu’elle appelle les "soi-disant" communistes, "je ne méprise personne plus qu’eux dit-elle dans une lettre à Marcel Martinet.
Était-elle alors membre du Parti socialiste SFIO ? Domiciliée à Clichy en 1936, elle militait à la 17e section socialiste de la Seine, et, sympathisait avec les thèses de Marceau Pivert qu’elle suivit au Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) en 1938. Au congrès de la Pentecôte 1939, Lucie Colliard proposa un texte (adopté par la Fédération Rhône-Loire) qui affirmait que la double appartenance au PSOP et à la franc-maçonnerie, « organisation secrète à sens contre-révolutionnaire imprégnée d’esprit bourgeois », constituait un danger pour l’avenir du Parti et demandait au congrès d’interdire l’adhésion de ses membres à la franc-maçonnerie.
On ignore presque tout de sa vie pendant l’Occupation. Philippe Duret, Dominique Miffon, écrivent : elle semble être restée fidèle à l’esprit lutte de classes et avoir sympathisée avec la Résistance.
Elle réadhéra au Parti socialiste pendant la guerre, et avec d’anciens militants du PSOP conquit la direction de la Fédération de la Seine. Dans une lettre du 9 janvier 1945. Marceau Pivert - qui de Mexico hésitait à choisir entre les partisans du retour au Parti socialiste SFIO et ceux du maintien du PSOP - écrivait : « Je me réjouis de tout cœur de l’arrivée de Charles Lancelle, Marius Fritscher ; cette brave et fidèle Lucie Colliard à la tête de la Fédération » (cité par J.-P. Joubert, p. 238).
Elle figura sur la liste socialiste présentée à l’élection de l’Assemblée nationale constituante, le 21 octobre 1945, dans la 5e circonscription de la Seine (banlieue Nord) : sur 408 204 inscrits, les socialistes avec 82 263 voix eurent deux élus. Lucie Colliard arrivait en sixième position. Elle fit partie de la même liste le 2 juin 1946 : sur 417 965 inscrits, les socialistes avec 76 489 obtinrent deux députés ; elle était en troisième position. Enfin, le 10 novembre 1946, la liste conduite par Albert Gazier, seul élu, regroupa 49 965 voix sur 431 875 inscrits. Lucie Colliard était alors secrétaire fédérale adjointe.
Elle entra au conseil municipal de Clichy-la-Garenne (Seine) en 1947 et fut maire adjointe (5e) à l’Enseignement jusqu’en 1951. En fait, les socialistes n’avaient que deux élus, elle-même et l’instituteur Jean Berthelot. La municipalité était dirigée depuis 1945 par le communiste Jean Mercier. À la séance du 26 octobre 1947, les deux élus socialistes votèrent, comme dans les autres municipalités de la Seine, contre les communistes, et élirent Georges Louis Levillain, représentant de commerce, membre du groupe MRP, qui devint maire. Elle démissionna en juin 1951 pour raison de santé. Elle avait en effet soixante-quatorze ans et se disait "bousculée, surmenée, obsédée". (Duret, Miffon, op. cit). Elle ne resta que Déléguée cantonale de l’Enseignement publique.
Elle participa au Cercle Zimmerwald créé par Pierre Monatte en 1951 et présida la conférence d’octobre 1955 marquant le 40e anniversaire de la Conférence de Zimmerwald, en présence d’Angelica Balabanov, d’Alfred Rosmer et de Pierre Monatte.
Les événements de mai 1958 lui firent quitter le Parti socialiste SFIO. Elle survécut trois ans à Marceau Pivert dont elle avait partagé l’itinéraire pendant un quart de siècle. Elle mourut à 84 ans, le 12 août 1961 à Clichy où elle fut inhumée avec des obsèques civiles "grandioses" dit un témoin.
Le syndicaliste de l’enseignement Roger Hagnauer la décrivit ainsi , en 1984, lors de l’émission "Les nuits de France culture : Lucie Colliard :

"Lucie, c’était une montagnarde, une savoyarde et elle avait le physique de la montagnarde. Elle était plutôt maigre, elle avait une tête avec un front énorme, très buriné. Elle était d’une vivacité absolue, extraordinaire. Étant déjà d’un âge assez avancé, elle avait toujours la même rigueur. Elle n’était pas très grande [...] Elle était sous des apparences un peu rudes, une personne qui était très facilement sociable, qui avait même des politesses qui pouvaient étonner de la part d’une militante."

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20365, notice COLLIARD Lucie [née PARMELAND Lucie, Claudine] par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 6 novembre 2022.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Lucie Colliard (1921)
Lucie Colliard (1921)
cc Agence Meurisse
Lucie Colliard au congrès de Tours en décembre 1920. Agence Meurisse.

ŒUVRE : Une belle grève de femmes : Douarnenez, librairie de l’Humanité, 1925, 45 p. — « Mon cas », dans Les Femmes dans la mêlée (Bulletin édité par la Société d’édition et de librairie de l’Avenir social à Epône, Seine-et-Oise), s.d.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13021, F7/13090, F7/13093, F7/13586, F7/13744. — Arch. Jean Maitron. — Arc. I.M.Th., bobines n° 52, 98, 158, 181, 193, 222, 226 et 295. — Le Populaire normand. — L’Ouvrière, 1922-1923. — Cahiers du Bolchevisme, n° 65, 1er février 1927. — Contre le courant, 1927. — Le Cri du Peuple, 1930-1931. — Bulletin communiste, 4 novembre 1920, 4 août 1921 et 2 mai 1925. — Le Monde, 7 septembre 1961. — Ch. Billy et J. Quinette, Le Mouvement, ouvrier dans le Calvados, 1884-1922, mémoire de maîtrise, Caen, 1971. — M. Simon, Le Mouvement ouvrier dans le Calvados, 1919-1931, mémoire de maîtrise, Caen, 1973. — Comptes rendus des congrès nationaux du Parti socialiste. — A. Kriegel, Aux origines du Parti communiste français, op. cit. — Le Congrès de Tours : édition critique, op. cit. — Max Ferré, Histoire du mouvement syndicaliste révolutionnaire chez les instituteurs, des origines à 1922, SUDEL, 1955. — A.-M. Sohn, Féminisme et syndicalisme, thèse, op. cit. — Charles Tillon, On chantait rouge, 1977. — J.-P. Joubert, Révolutionnaires de la SFIO, 1977. — Interview de Lucie Colliard par Justinien Raymond, à Larringes (Haute-Savoie), le 5 août 1959. — Renseignements fournis à A.-M. Sohn par R. Hagnauer. — Renseignements sur les activités de Lucie Colliard en Haute-Savoie recueillis par Justinien Raymond, sur les activités dans le Calvados par G. Désert. — Notes de Jacques Girault. — Théo Bernard, La grève des "sardinières et des manœuvres des usines métallurgiques et des fabriques de conserves de Douarnenez (1924-1925), Mémoire de Master d’histoire, IEP de Paris, 2015. — Philippe Duret, Lucie Colliard. Une institutrice féministe et syndicaliste (1877-1961), en cours de parution. — Julien Chuzeville, Un court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, Libertalia, 2017. — Les nuits de France culture, Les inconnus de l’histoire. Lucie Colliard, 1er diffusion 1984, rediffusée en août 2018. — Bertrand Hamelin Le Parti communiste dans le Calvados des origines à 1946, Université de Caen, 1994. — Philippe Duret, Dominique Miffon, Lucie Colliard, à paraître (travail le plus approfondi sur cette institutrice savoyarde).

ICONOGRAPHIE : Un court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, op. cit.

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