COLOMBEL Jeannette [née PRENANT Jeannette, Andrée, Jacqueline ]

Par Claude Liscia, André Robert

Née le 30 décembre 1919 à Paris (XVe arr.) ; morte le 12 avril 2016 à Caluire-et-Cuire (Rhône) ; philosophe ; résistante, militante du Parti communiste (jusqu’en 1968), de l’Union des femmes françaises et du Secours rouge.

Jeannette Colombel était issue d’une famille d’intellectuels engagés. Biologiste, son père, Marcel Prenant adhéra au Parti communiste dès le congrès de Tours. Professeur de philosophie, sa mère fut directrice de l’École normale supérieure de jeunes filles. Tous deux combattirent, dans les années trente, la montée du fascisme, puis abritèrent des juifs réfugiés d’Europe centrale. En 1944, chef d’état-major aux Francs-Tireurs et partisans (FTP) où il secondait Charles Tillon, Marcel Prenant fut déporté au camp de Neuengamme dont il revint malade.

En classe de khâgne au lycée Henri-IV, Jeannette Colombel rencontra un étudiant lié au mouvement d’extrême droite, l’Action française, et l’épousa. Un an plus tard, la guerre survint, révélant leurs dissensions politiques. Jeannette Colombel rejoignit le mouvement d’opposition à l’occupant, participant à la manifestation du 11 novembre 1940, diffusant le journal L’Université libre, distribuant des tracts en faveur de la libération du physicien Paul Langevin. Elle s’éprit alors de son futur deuxième mari (elle divorça en 1938 et se remaria en 1951), un communiste. Tandis qu’elle travaillait à la Bibliothèque nationale dans une équipe de soutien clandestin à un réseau de résistance, Jean Colombel partit enseigner dans les Hautes-Alpes et y dirigea des maquis FTP. Seule à Paris avec deux enfants en bas âge, la jeune femme s’affrontait aux difficultés de ravitaillement, aux queues, aux pénuries provoquant la malnutrition des enfants, la mortalité des bébés. Désireuse de s’engager sur ces questions, elle prit contact avec Maria Rabaté, responsable du Mouvement international des femmes françaises, lié au Parti communiste. Elle fut envoyée sur les marchés de banlieue et aux portes des dispensaires où elle haranguait rapidement les femmes avant que la police n’intervienne. C’est alors qu’elle décida de prendre sa carte du Parti communiste. Lors de l’établissement de son mandat de déléguée au congrès du PCF en 1945, plusieurs dates apparaissaient-elles concernant la date de son adhésion entre 1935 et 1943

Après la libération de Paris, elle rejoignit Jean Colombel à Briançon et y fonda des comités rattachés à l’Union des femmes françaises que venait de susciter le Parti communiste. Elle fut ensuite envoyée à Lyon pour conduire l’organisation dans le département du Rhône, et fut nommée membre de la direction fédérale du Parti communiste. En cette époque où le vote des femmes venait d’être instauré, elle mena, le 8 mars 1945, la manifestation de la journée internationale de la femme aux cris de : « Nos gosses ont faim ! » En janvier 1946, elle revint à Paris, Jeannette Vermeersch-Thorez lui ayant proposé d’assister Marie-Claude Vaillant-Couturier au secrétariat de la Fédération démocratique internationale des Femmes. Peu après, nommé ministre du Ravitaillement, Yves Farge, qui avait été commissaire du gouvernement à Lyon, l’invita à intégrer son Cabinet. En mai 1947, les communistes étant désormais dans l’opposition, Maurice Thorez incita Jeannette Colombel à préparer l’agrégation de philosophie : il prévoyait un retour au pouvoir par la voie démocratique et la nécessité de disposer de cadres compétents. Elle s’inclina et réussit le concours. Affectée pour son premier poste à Nancy, elle se joignit aux grèves qui se développèrent dans le pays autour de la misère endémique imputée au plan Marshall, elle participa aux actions des communistes visant à bloquer les péniches chargées de tonnes de sucre envoyées aux Allemands par les Américains ; elle considérera plus tard que ce fut là un objectif rétrograde.

De 1948 à 1951, Jeannette Colombel fut détachée au CNRS pour mener une enquête sur les ouvrières du textile dans le Nord de la France. Elle entreprit plusieurs séjours à Lille et à Roubaix, en profitant pour recueillir des signatures pour l’appel de Stockholm réclamant l’interdiction de toute arme atomique. Elle s’employa également à monter des comités de paix dans son arrondissement. Prenant la parole sur un marché de la porte de Saint-Cloud contre la « sale » guerre d’Indochine, elle fut inculpée d’« atteinte au moral de la nation et de l’armée. » En avril 1950, elle fut déléguée au nom de la Fédération de la Seine au XIIe congrès national du Parti communiste, au cours duquel son propre père ne fut pas reconduit au comité central : biologiste de renom, il s’était montré réservé à l’égard de Lyssenko dont les théories sur l’hérédité prévalaient en Union soviétique.

Elle épousa Jean Colombel le 2 juin1951 à la mairie du XVIeme arrondissement de Paris.

En 1951, Jeannette Colombel s’installa avec sa famille à Lyon. Professeur de philosophie au lycée Saint-Just, elle se heurta à la prégnance d’un catholicisme des plus conservateurs. Le journal catholique L’essor (édition de Lyon, n° du 27 mars 1955, p. 4) participa en ces termes à une campagne contre son enseignement : « Voilà trop longtemps, par exemple, que la classe de philosophie d’un lycée de jeunes filles de Lyon est devenue un foyer de propagande communiste pour que les parents aient enfin le droit de se demander si la neutralité de l’école publique peut se concilier avec de tels agissements. On y recrute très officiellement pour les groupements de jeunesses communistes et les conférences ‘culturelles’ du Parti y apparaissent comme le prolongement de l’enseignement donné au lycée ».

 Néanmoins, après de bonnes inspections de l’inspecteur général Bridoux (en 1953 et 1954), elle fut mutée sur sa propre demande en 1957 au lycée de jeunes filles Edgar Quinet (bientôt rebaptisé Edouard Herriot), affectée sur le poste de lettres supérieures (hypokhâgne). A la rentrée 1959, elle fut officiellement nommée sur le poste de philosophie de la classe de première supérieure (khâgne), et devint professeur de chaire supérieure à compter du 1er janvier 1967. Elle fut admise à faire valoir ses droits à la retraite à l’issue de l’année scolaire 1982-83.

Dès 1955, elle lutta contre la guerre d’Algérie. Seule communiste avec une dizaine de militants issus d’autres mouvances politiques et confessionnelles, elle co-fonda en 1957 le Comité lyonnais de défense des libertés et droits individuels pour dénoncer la torture en Algérie. Ce Comité collabora avec celui de Pierre Vidal-Naquet, créé pour obtenir la vérité sur la mystérieuse disparition de Maurice Audin, probablement assassiné par ses tortionnaires à Alger.

Dans ses notes du bureau politique du 25 avril 1963, Maurice Thorez la citait de façon critique, avec Maurice Mouillaud, à propos du débat chez les philosophes.

La rupture de Jeannette Colombel avec le Parti communiste eut lieu alors qu’elle se joignait au mouvement de mai 1968. Peu avant, elle avait déclenché une polémique en écrivant dans La Nouvelle critique l’article « Y a-t-il une morale communiste ? » qui dénonçait les positions de Roger Garaudy ; si le philosophe Louis Althusser l’en avait félicité, elle avait été huée à la Conférence fédérale du parti. A cette conférence fédérale tenue les 20 et 21 avril 1968 à Oullins, en présence de Roland Leroy, membre du Bureau politique, secrétaire du Comité central, Jeannette Colombel axa son intervention sur la lutte pour la paix au Vietnam. Elle contesta le caractère « pacifiste » de la politique mise en œuvre antérieurement par le Parti, trop dépendante du Mouvement de la Paix, ne permettant pas d’établir une ligne de partage suffisante à son gré entre réformistes et révolutionnaires : « L’unité requise contre la guerre du Vietnam était subordonnée à l’unité globale recherchée avec la FGDS, mais l’unité de la Gauche ne peut se faire en masquant ou en estompant les différences ». Elle estima aussi que la nouvelle ligne exprimée dans la création du Comité national d’action « pour le soutien et la victoire du peuple vietnamien » était politiquement plus juste et s’en félicita, réclamant l’effort théorique et idéologique nécessaire pour que les adhérents se mettent à la hauteur de ce nouveau mot d’ordre. Malgré ce qui était devenu finalement un accord, cette critique faite devant les 300 délégués lui valut une désapprobation marquée (elle en garda un souvenir douloureux exprimé notamment dans la série d’émissions radiophoniques « A voix nue » qui lui fut consacrée par France-Culture en juillet 2011). Alors que Roland Leroy avait appelé l’assemblée houleuse à écouter la militante, Edmond Fanjat, membre du bureau fédéral du Rhône, secrétaire de la section de Vénissieux sud, fut chargé de lui répondre, déclarant : « nos mots d’ordre étaient justes et adaptés à une réalité concrète […] Ce n’est pas un changement de politique du Parti qu’il faut voir dans sa décision de créer des comités d’action, mais une étape nouvelle, plus élevée, imposée par la situation ». A la même conférence fédérale, la veille, l’historien Maurice Moissonnier termina son intervention en souhaitant « un large développement des Comités d’action du Parti » et en critiquant « l’action de diversion des Comités Vietnam de base » (un rassemblement communiste à Lyon avait été perturbé le 13 février 1968 par des militants prochinois se réclamant de ces comités, la position dissidente de Jeannette Colombel se rapprochant de ceux-ci).

Le 30 mai 1968 la philosophe intervint devant le théâtre de la Cité à Villeurbanne lors d’un meeting organisé par l’Assemblée générale des étudiants lyonnais, affiliée à l’UNEF), absolument interdit à ses militants par le Parti communiste français parce que « cautionné par tous les gauchistes ». Le 31 mai après-midi, Jeannette Colombel fut convoquée par le secrétaire fédéral Jean Capievic et un autre membre du bureau fédéral pour s’expliquer de cette participation. Son attitude fit l’objet d’une sévère critique dans l’hebdomadaire communiste La Voix du Rhône en date du 2 juin, à propos duquel elle demanda un rectificatif. Cet épisode marqua une rupture définitive avec le PCF.

L’année suivante, elle co-fonda le Secours rouge ; destiné à s’opposer à la répression s’abattant sur les militants maoïstes, il s’élargit à d’autres causes : l’affaire Thévenin autour de ce jeune ouvrier décédé au commissariat de Chambéry, le soutien aux travailleurs immigrés, la solidarité avec les paysans du Larzac. En 1984, elle participa à la création d’un Comité Fraternité Justice d’abord formé contre le Front national et le négationnisme à l’Université de Lyon III, s’étendant ensuite à d’autres sujets : les banlieues, l’Algérie. De 1983 à 1989, elle se rendit à Prague dans le cadre du Comité Derrida-Vernant chargé d’aider les dissidents. En 1995, elle se rallia à la dénonciation de la guerre de Tchétchénie.

Intellectuelle engagée, Jeannette Colombel s’exprima beaucoup par l’écriture. Dès la sortie du Deuxième sexe en 1949, elle avait été heurtée par le refus de la maternité prôné par Simone de Beauvoir, et y avait répondu dans La Nouvelle critique. Elle publia de nombreux articles dans cette revue communiste, puis dans Les Temps Modernes : ainsi, en février 1971 N’oubliez pas la lutte de classes, en mars 1975 Lip, Larzac refoulés, en février 1976 Aléria : crime d’État dans lequel elle s’insurgeait contre le jacobinisme sur le continent de la droite, de la gauche et de l’extrême gauche, contre leur indifférence à l’égard de l’inculpation en vertu de la loi anti-casseur d’Edmond Siméoni, meneur de l’occupation en Corse de la cave d’un viticulteur d’origine pied-noir. Elle écrivit également de nombreux articles sur l’école, Pour rouvrir le Front scolaire autour de l’incendie du lycée Pailleron, Les Murs de l’école, Peut-on enseigner la philosophie aujourd’hui ? Enfin elle a consacré plusieurs livres aux deux philosophes qui ont marqué en France la seconde moitié du XXe siècle de leur pensée et de leurs prises de position politiques, Jean-Paul Sartre et Michel Foucault.

Elle était la mère de Françoise Villette, l’épouse d’André Glucksmann et la grand-mère de Raphaël Glucksmann.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20412, notice COLOMBEL Jeannette [née PRENANT Jeannette, Andrée, Jacqueline ] par Claude Liscia, André Robert, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 12 août 2021.

Par Claude Liscia, André Robert

SOURCES : Arch. Dép. Rhône : 4296 W 223 ; 4434 W 328 ; 4434 W 266.Arch. comité national du PCF (notes de Jacques Girault). — Entretien avec Jeannette Colombel. — Podcast de l’émission de France-Culture « A voix nue » consacrée à Jeannette Colombel du 18 au 22 juillet 2011, émission n° 3 du 20 juillet. — Jeannette Colombel, Brumes de mémoire, Stock 1980. — Les Amants de l’ombre, Flammarion, 1990. — La Nostalgie de l’espérance, Stock, 1997. — Jeannine Verdès-Leroux, Au service du parti. Le Parti communiste, les intellectuels et la culture, éd. Fayard-Minuit, 1983. — L’Humanité, 14 avril 2016. — Libération, 2 mars 2016, "Jeannette Colombel, la philosophe pasionaria".

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