Par Nathalie Viet-Depaule
Né le 7 février 1914 à Saint-Étienne (Loire) ; prêtre du diocèse de Lyon, prêtre-ouvrier ; ajusteur d’entretien (1949-1964), puis ouvrier du bâtiment (1969-1974) ; membre du bureau de la Fédération des Métaux CGT de l’Union départementale de la Loire, secrétaire du comité d’entreprise puis du comité d’entreprise central des usines Schneider (1954-1964).
Issu d’une famille de gros commerçants stéphanois, fils d’un dessinateur sur rubans qui trouva la mort sur le chemin des Dames en 1915, Maurice Combe fut élevé par sa mère dans le souvenir de la guerre de 1914. Cette dernière, employée de commerce au moment de sa naissance, ne semble pas avoir travaillé longtemps. Son enfance se déroula à Saint-Étienne « entre Dieu et la patrie, le sabre et le goupillon, sans que ça fasse l’ombre d’un problème », dira-t-il en 2000. Il fut scolarisé dans une institution tenue par un frère des écoles chrétiennes, puis, disposant d’une bourse en tant que pupille de la Nation, au collège Saint-Thomas d’Aquin à Oullins (Rhône) tenu par des prêtres diocésains. Il y fit du scoutisme, ce qui l’amena à rencontrer Maurice Montuclard*, aumônier de troupe, qui préconisait déjà la nécessité de renouveler l’Église. Il entra au grand séminaire Saint-Irénée à Francheville en 1931, enseigna un an à l’école Saint-Charles (1934-1935) puis fut incorporé en 1935, à Saint-Étienne, dans un peloton d’élèves sous-officiers jusqu’au moment où on le déclara tuberculeux. Il fut envoyé au sanatorium militaire de Vannes pendant six mois, puis fit plusieurs séjours à la campagne et à la montagne grâce à une pension militaire. Il occupa pendant quatre ans son temps à lire et à réfléchir. Lecteur assidu de Mounier*, Bernanos, Duhamel, Mauriac, d’Esprit, de Sept (dont il fut l’un des premiers souscripteurs et l’un des premiers diffuseurs), puis de Temps présent, il se sentait de plain-pied avec ce progressisme chrétien qu’il découvrait dans ces lectures. Il avait été notamment très choqué par le rôle de l’Église, favorable à Franco, dans la guerre d’Espagne.
Très rétif à l’idée d’exercer un sacerdoce traditionnel, il hésita à être ordonné prêtre. Il s’en ouvrit à Maurice Montuclard qui l’y encouragea et l’invita à faire partie, à Lyon, de « la communauté de la rue Pizet » qu’il avait créée avec Marie Aubertin* et Jeanne-Marie Allemand-Martin et qui allait être connue sous le nom de Jeunesse de l’Église. Ordonné prêtre en 1941, Maurice Combe compta parmi les premiers membres de la communauté, obtint une licence de lettres à la faculté catholique de Lyon puis fut nommé, en 1943, professeur au collège des Minimes à Lyon où il exerça pendant trois ans. Il était en même temps aumônier du lycée de jeunes filles Saint-Just de Lyon et d’un groupe de la Jeunesse indépendante chrétienne féminine (JICF). En 1946, il tomba à nouveau malade. Maurice Montuclard lui proposa de venir à Paris pour participer aux activités de Jeunesse de l’Église qui venait de s’installer dans le domaine de Clairbois au Petit-Clamart. Il accepta et, tout en devant se reposer, vécut en région parisienne les débuts de Jeunesse de l’Église qui s’affirmait comme un véritable centre de recherche. Ces quelques mois lui firent comprendre qu’il ne voulait pas lui-même s’engager de façon intellectuelle.
De retour à Saint-Étienne, toujours malade, Maurice Combe fit la connaissance de Marie-Thérèse Isnard, la fondatrice de l’aide aux mères de famille nombreuse avec plusieurs jeunes femmes de la paroisse missionnaire Saint-Alban à Lyon. Elle l’incita à venir les rejoindre aux Houches, à La Flatière, pour achever sa convalescence. Ce fut non loin de là, aux Gets, qu’il rencontra plusieurs membres de la Mission de Paris venus se reposer comme Jean-Claude Poulain*, Geneviève Schmitt*, François Laporte et des séminaristes de Lisieux saisonniers à Morzine, le temps d’un stage, comme Jean-Marie Huret*. Il prit alors la décision de « passer au travail ». Une fois rétabli, il refusa le poste de vicaire à Firminy auquel Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, voulait le nommer, et obtint de Mgr Ancel*, évêque auxiliaire, l’autorisation de faire une formation d’ajusteur au centre de formation professionnelle pour adultes de la Manufacture de Saint-Étienne.
Il entra le 31 août aux Forges et ateliers de la Chaléassière, qui faisaient partie du groupe Schneider, comme ouvrier P1, et commença à travailler à l’entretien, puis au service des compresseurs. Il vécut dès lors comme la majorité des ouvriers stéphanois célibataires, habitant sans confort dans une pièce située au sous-sol d’un immeuble et prenant ses repas au café. Il se réunissait régulièrement avec les prêtres-ouvriers de la région lyonnaise et suivait attentivement les menaces qui peu à peu pesèrent sur leur sacerdoce. Lorsque Rome demanda aux prêtres-ouvriers de quitter le travail au 1er mars 1954, il prévint sa famille, dit sa dernière messe et choisit de rester à l’usine comme la plupart des prêtres-ouvriers de Lyon et de Saint-Étienne. Il alla aux rencontres de prêtres-ouvriers insoumis qui, jusqu’à la fin de 1955, tentèrent de faire comprendre à l’Église la signification de leur choix. À partir de 1957, il rejoignit quelques prêtres insoumis qui avaient décidé de se retrouver autour de Bernard Chauveau*.
Maurice Combe avait adhéré à la CGT en décembre 1949. Il s’occupa d’abord du Mouvement de la paix chez Schneider après avoir créé un comité dans son quartier et, dans le même esprit, s’engagea dans la lutte contre le franquisme. Il avait aussi adhéré à Amitié-Nature, une association de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), et pratiquait avec ses « copains » de travail des activités de plein air. Il eut progressivement diverses responsabilités syndicales importantes : il entra au bureau de l’Union départementale de la Fédération des Métaux, fut successivement membre du bureau du CE, secrétaire du CE puis secrétaire du comité central d’entreprise qui réunissait toutes les usines Schneider. Membre de nombreuses commissions (logement, prêts, etc.) au sein du syndicat, il se préoccupa beaucoup de la culture et fit en sorte que les ouvriers puissent aller au théâtre. Il était lié à Jean Dasté* qui, dans le cadre de la comédie de Saint-Étienne, menait une action culturelle dans les quartiers populaires.
En juillet 1964, Maurice Combe fut licencié en même temps que 600 personnes. C’était l’un des tout premiers licenciements collectifs qui déclencha une vive émotion à Saint-Étienne. Aucune action syndicale n’eut gain de cause. Trop connu du patronat pour retrouver du travail, il dut partir. Il prit contact avec Paul-Henri Chombart de Lauwe* qu’il avait connu à Jeunesse de l’Église, au Petit-Clamart, qui lui proposa de faire une thèse à l’École pratique des hautes études sur le comité central d’entreprise de Schneider puisqu’il en avait été pendant dix ans le secrétaire et qu’il avait amassé une grosse documentation. Il soutint sa thèse en 1969 et la publia sous le titre L’Alibi (où il montre comment le patronat voit dans le comité d’entreprise un alibi d’une participation qui n’en est pas une). Mais, las de s’adonner aux seuls travaux intellectuels, Maurice Combe revint à Saint-Étienne et se fit embaucher dans une entreprise du bâtiment qui le licencia après avoir lu un article qu’il avait publié dans l’Express. Il retrouva du travail après quelques mois de chômage chez Pailleron, puis chez Leschel et Millet, une boîte de Roanne où il fut affecté au ferraillage de poutres métalliques, puis d’escaliers, jusqu’à sa retraite en 1974.
Depuis 1969, Maurice Combe avait fondé avec Marie-Paule Ziegler un groupe de sociologie sous l’égide du groupe d’ethnologie sociale et de psychologie sociale de Montrouge que dirigeait Paul-Henri Chombart de Lauwe. Ce groupe, composé de sociologues et d’ouvriers, se réunissait tous les vendredis soirs et aboutit à la publication de plusieurs rapports qui donnèrent deux livres, Nous, travailleurs licenciés, publié en 1975, et Le Mur du mépris, en 1978. Parallèlement, Maurice Combe donna des cours de français aux filles de l’hôtel maternel que dirigeait Marie Gouttebarge*, la femme de Joseph Gouttebarge qui avait été prêtre-ouvrier à Saint-Étienne en même temps que lui.
Maurice Combe participait toujours aux réunions du groupe animé par Bernard Chauveau, il en fut un membre actif, tâchant d’initier des confrontations entre leurs convictions et les évolutions de la société. Avec Jean-Marie Huret, il accepta d’être interviewé en 1993 à l’Arbresle, au couvent des dominicains, pour montrer comment, tout au long de leur itinéraire, ils étaient restés fidèles à leur engagement premier. Cet entretien donna un livre, Fidèle insoumission, publié en 1999. En 2004, il cosigna une déclaration pour le cinquantième anniversaire de la condamnation des prêtres-ouvriers, pour rappeler non seulement la mémoire de ceux de la première heure, mais aussi que leur rupture avec le sacerdoce traditionnel donnait au prêtre-ouvrier un rôle d’écoute de la classe ouvrière en lutte, dont les valeurs étaient considérées comme « évangéliques », donc profondément humaines.
Le 21 mars 2005, il rédigea avec deux prêtres-ouvriers insoumis survivants de leur groupe, Aldo Bardini et Jean Olhagaray*, un texte qu’ils appelèrent testament pour dire leur dernier message : « Il n’existe pour nous aujourd’hui en aucune façon quelque lien ou quelque relation avec l’Église catholique. Nous n’avons pas le moindre regret de lui avoir désobéi. Nous avons eu la chance de trouver mieux vécu que dans l’Église, ce qui nous semblait l’originalité de l’évangile, par exemple entre autres : "Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice." Lorsque l’interdiction de Rome est tombée sur nous, elle était un tel bouleversement de nos vies qu’elle nous laissa sans voix. Ce silence, nous l’avons gardé en même temps que mûrissait (sic) en nous les effets du choc que nous avions reçu. Nous sommes passés de la situation de ceux "qui restaient au travail" à celle du stade accepté d’être insoumis. [...] Nous demandons à tous de respecter notre refus des dogmes et de faire une distinction entre ce qui relève ou de l’amitié ou de nos convictions essentielles. Toutes les critiques, que nous pouvons faire, tombent devant ce simple fait en découvrant et en essayant de vivre l’évangile qui est vécu par les plus humbles : nous avons retrouvé une foi plus profonde et plus ouverte que celle qui est suggérée aujourd’hui par ce même mot. »
Par Nathalie Viet-Depaule
ŒUVRE : L’Alibi, Gallimard, 1969. — Deux ouvrages qu’il impulsa, mais dont les auteurs sont un groupe d’ouvriers : Nous, travailleurs licenciés, Union générale d’éditions, coll. 10-18 n° 1015, 1975, et Le mur du mépris, Stock, 1978. — Fidèle insoumission, Le Cerf, 1999. — La Lettre, 305-306, mars-avril 1984. — Golias, 26, été 1991.
SOURCES : Fonds d’archives personnelles. — CAMT, fonds des prêtres-ouvriers insoumis, 1993002. — Émile Poulat, Naissance des prêtres-ouvriers, Tournai, Casterman, 1965. — Luc Héritier, Une expérience de prêtre-ouvrier, Mémoire de l’Institut d’études politiques de Paris sous la direction de Gérard Adam, avril 1984. — Oscar L. Cole-Arnal, Prêtres en bleu de chauffe, histoire des prêtres-ouvriers (1943-1954), Éd. ouvrières, 1992. — Samuel Bouteille, Les Prêtres-ouvriers à Saint-Étienne (1949-1964), mémoire de maîtrise d’histoire, Université Jean Monnet, Saint-Étienne, 1997. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004. — Thierry Keck, Jeunesse de l’Église. Aux sources de la crise progressiste en France 1936-1955, Karthala, 2004. — Entretiens avec Maurice Combe, 17 février et 2 octobre 2000. — Renseignements fournis par André Caudron.