COMOTTO Fedro, Spartacus. Richard dans la Résistance

Par Jean-Pierre Besse, Didier Alvarez

Né le 7 août 1921 à Borgofranco (Italie), mort le 9 juillet 2007 ; tourneur domicilié à Chennevières-sur-Marne (Seine-et-Oise, Val-de-Marne) ; résistant FTP dans la région parisienne, déporté.

Monument aux déportés, Place de la Paix Chennevières
Monument aux déportés, Place de la Paix Chennevières

La famille de Fedro Comotto arriva en France en 1928. Son père, Jules Comotto, communiste, lisait l’Humanité, et sa mère Maria Casanova, habitaient à Ormesson-sur-Marne, ville voisine de Chennevières-sur-Marne (Seine-et-Oise, Val-de-Marne). Il était titulaire du CEP (Certificat d’Études Primaires) et avait une formation de tourneur.
Fedro Comotto milita aux Jeunesses communistes d’Ormesson à partir de 1934 (13 ans). Il diffusa L’avant-garde et fit le coup de poing contre les jeunesses fascistes de Saint-Maur-des-Fossés. Déjà à l’école en Italie, « il refusait de faire le salut fasciste vers les effigies du Pape et de Mussolini ».
Il fut naturalisé Français en 1938 et habita au 58 avenue Jeanne à Chennevières-sur-Marne avec sa femme Hermine (Révélant). Le couple eut un fils, Marcel.

Fedro Comotto s’engagea dans les FTPF en janvier 1942 (Seine-et-Oise) recruté par « L’enfant » (Roger Leroy), et devint permanent en juin 1942. Il était alors rémunéré 2500 francs par mois par le Parti communiste clandestin qui le chargea de la récupération de matériel, principalement de produits chimiques. En juillet 1942, alors qu’il s’était fait embaucher pour la société S.A.B. à La Varenne, il fut désigné pour partir travailler en Allemagne et dut passer dans la clandestinité totale.
Recherché par la police, la BS2, il alla chez son père à Ormesson-sur-Marne. Fedro Comotto avait quitté son domicile de Chennevières pour habiter à Paris rue de Fondary, sous le pseudonyme de « Lefèvre  », du nom de la société où il avait été apprenti. Ses faux papiers lui étaient fournis par le Parti communiste. Il avait pour contact un certain « Paul » responsable de la région P4. Il fut ensuite présenté à « Dupré », en fait Rousseau Victor, chef des groupes spéciaux, qui lui assigna le travail de récupération des cartes d’alimentation.
En région P4 ( Est de Paris) « Claudoche » et « Colas » seront ses pseudos dans la Résistance.
Fedro Comotto était alors inclus dans un groupe dont le chef était Michelle Paul, « Laroux », chef du GSR, Groupe Spécial de Récupération, qui le mit en contact avec André Lemercier, « Robert  » et René Lozivit, « Jacques Godot  » et enfin Jean Lucas, « Grombert ».
C’est avec eux qu’il fit sa première action de récupération de cartes de rationnement à la mairie de Vigneux-sur-Seine (Seine-et-Oise, Essonne). Se succédèrent plusieurs actions dans les mairies pour récupérer des tickets d’alimentation. Le cambriolage suivant se fit à la mairie de Maisons-Alfort (Seine, Val-de-Marne), avec les mêmes personnes citées précédemment et un certain Rouch Auguste, « Ricard », le chef des GSE, Groupe Spécial d’Exécution, qui était venu les attendre dans une voiture. Dans cette affaire, Lozivit avait été blessé et gardé à l’hôpital communal de Créteil, d’où ses camarades ne purent pas le délivrer. À la suite de cette action manquée, Fedro fut versé dans le groupe de Rouch. Dans le 4e groupe du triangle directeur interrégional, il y avait aussi un certain Debrais, Jean, Roger, « Moulin » chef de GSD, Groupe Spécial de Destruction.
Fedro Comotto participa ensuite à une action à la mairie d’Écouen (Seine-et-Oise) pour la récupération de tickets d’alimentation. Et avec « L’enfant », Roger Leroy, a des actions telles :
- incendie d’entreprises travaillant pour les nazis à Savigny-sur-Orge (Seine-et-Oise), à Vincennes (Seine) et Charenton-le-Pont (Seine).
- incendie à l’usine de bois, la CIB, (Compagnie Internationale du Bois) rue du Moulin Bateau au port de Bonneuil-sur-Marne le 2 juillet 1942. Cette action aurait été citée sur « Radio Moscou ».
- usine de filets de camouflage à Villiers-sur-Marne et entrepôt de filets de camouflage à Charenton, attaque d’un poste allemand à Charenton.
- actions à main armée contre des officiers et soldats allemands, dont celle de Charenton et celle du pont de Chennevières.
- il dressa un drapeau tricolore sur le fort de Champigny-sur-Marne (Seine), le 14 juillet 1942.
- incendie d’une ferme à Chennevières-sur-Marne en septembre 1942.
- récupération cachets et sceaux en lieu et place des tickets d’alimentation à la Mairie de Chennevières, en novembre 1942.
- participation à des récupérations d’armes et d’explosifs , à Flers, en Normandie , en compagnie de Roger Leroy et de deux militants FTP militant dans ce cette région, Pedro Peregort et José Espeletta.
Fedro Comotto passa ensuite à la région P1 (Paris rive droite), sous le pseudo de « Richard » avec un nouveau chef nommé Fongarnand Henri, « Rolland », responsable militaire de l’inter-région.
Fedro Comotto fut associé à un attentat contre un militaire allemand à Paris XVe, une tentative d’incendie d’une usine de bois toujours dans ce même arrondissement et au cambriolage de la mairie de Guyancourt pour ces fameuses cartes de ravitaillement. Mais aussi : vol de voiture, type Citroën traction.
Suite à l’arrestation d’Auguste Rouch à la station de métro « Belleville », le 10 janvier 1943, les policiers de la BS2 (brigade spéciale, police française antiterroriste) entreprirent une fouille dans l’appartement où vivait Rouch et y découvrit une facture de location d’une remise au 65 rue Fessard à Paris XIXe arrondissement. Ils y trouvèrent une voiture Citroën remplie d’armes diverses. Ils « planquèrent » donc et arrêtèrent, le 12 janvier 1943, Fedro Comotto et son ami Lemercier qui s’apprêtaient à récupérer une voiture en vue d’attaquer une colonne allemande à Vincennes. Il fut questionné par la BS2 puis interné à Fresnes.
La police tenait les responsables d’un organisme spécial dépendant directement du triangle directeur interrégional des FTP. Cette formation qui portait le nom de groupe spécial comprenait en principe quatre groupes : le GSR chargés de récupérer ce dont les clandestins avaient besoin, les GSE chargés supprimer les individus suspects ou collaborateurs dont Rouch était le chef, le GSD chargés des attentats sur les voies ferrées dont Jean Debrais était le chef et les GSM (mobile), en formation, qui devaient renforcer les autres groupes en cas de besoin.
Dans un pavillon de Draveil où Comotto et Lemercier étaient hébergés, les BS arrêtèrent aussi d’autres responsables et remontèrent par la suite jusqu’au responsable politique interrégional Roger Linet qui fut arrêté.
Fedro Comotto fut déporté le 11 juillet 1943, au départ de la gare de l’Est à Paris vers Natzweiller en même temps que tous les autres résistants arrêtés dans cette affaire. Il s’agissait d’un convoi de résistants classés « NN » , composé de 56 personnes, dont 23 militants FTP (20 appartenant au FTP de la Seine et Seine-et-Oise) ,dont faisait partie Commotto Fedro et, avec entre autres, Roger Leroy « l’enfant » ( Matricule 4486) arrêté alors qu’il se rendait chez Fedro Comotto grâce à une planque mise en place par la police, et Roger Linet « Rivière » (Matricule 4487) , le chef de l’inter-région parisienne qui se fit prendre dans sa maison de Clamart. Fedro Comotto avait le Matricule 4470 .
Tout le réseau de la résistance de ces départements était arrêté.
Arrivé au camp de concentration du Struthof, il se déclara coiffeur, ce qui lui permit d’éviter les travaux pénibles et aussi de recueillir les informations des nouveaux arrivants.
Le 4 septembre 1944, devant l’avancée des troupes alliées, il fut évacué vers le camp de Dachau, Matricule 100865, puis affecté au KL Allach, banlieue de Munich (Allemagne), dans la division moteur BMW, puisque les nazis avaient noté qu’il était tourneur. Il attrapa le typhus et fut libéré le 29 avril 1945 par l’armée américaine. Il rentra en France le 14 mai 1945 et fut pris en charge à l’hôtel Lutetia.
Il fut reconnu déporté politique no 11751523 puis DIR (déporté interné résistant) . Il resta donc 29 mois privé de liberté dont deux ans en camp de concentration.

A son retour des camps, il déposa une plainte le 21 novembre 1945 contre plusieurs policiers qui l’avaient, dit-il, « frappé à coups de poing, à coups de pied, à coups de nerf de bœuf lors d’interrogatoires ». Il expliqua aussi le vol, dans son logement du 10 rue Fondary, Paris (Xe arr.) de linge de corps, d’outils , chaussures et bleu de travail.

Domicilié à Chennevières-sur-Marne , puis Villiers-sur-Marne (Seine-et Oise, Val-de-Marne), il reprit son travail, à la Snecma ; il eut un deuxième fils qu’il appela Richard.
Il n’oublia pas de parler de son parcours et de la déportation dans les écoles.
Il mourut le 9 juillet 2007 et fut enterré en Italie.

Son nom figure sur le monument de la paix de Chennevières-sur-Marne avec tous les autres déportés de la ville.

Document

Dachau le 9 Mai 1945
 
Maman chérie,
Pour la première fois depuis deux ans et demi que tu peux penser que je suis rayé du nombre des vivants, aujourd’hui je prends le crayon avec beaucoup d’émotions pour te donner de mes nouvelles !
D’abord je veux espérer que la bas vous êtes tous en bonne santé et que vous ne vous êtes pas fait trop de mauvais sang pour moi. J’espère aussi que ma petite famille va bien et que tu as des nouvelles de papa (je voudrais bien qu’il soit rentré pour mon retour).
Maintenant que voilà posées les questions qui me préoccupent le plus, je m’excuse de ne pas écrire très bien, mais tu sais maman chérie depuis le temps que je n’ai pas écrit ; de plus je sors il y a quatre jours d’une maladie où j’ai bien failli encore une fois y laisser mes os, ça s’appelle le typhus, ce n’est pas trop grave il n’en meurt que 80 sur 100 et sur le reste il n’y en a que la moitié qui sont fous ou paralysés.
Enfin moi je m’en suis très bien tiré, je suis bien vivant et tu sais pas si maigre que ça.
Sur tous les copains de FTP que tu connaissais, il ne reste plus que « l’enfant ».
Après le départ de la préfecture ces salauds m’ont livré à l’ennemi, à la gestapo et j’ai séjourné 6 mois à Fresnes tout seul dans une cellule au secret.
Un jour j’ai vu ma femme à la fenêtre dans la prison d’en face, j’ai pu lui parler, mais le lendemain, désespoir, elle était partie soit disant pour une autre prison.
J’espère qu’elle n’y est pas restée trop longtemps et qu’elle a pu retrouver bien vite notre petit Marcel (qui va avoir bientôt 3 ans).
Ensuite j’ai été envoyé dans un camp d’extermination en Alsace, ça s’appelle « l’enfer d’Alsace » et pas pour rien je te jure.
Sur 173 que nous sommes arrivés dans ce camp (dont je te raconterai quelques petits détails qui donnent la chair de poule), près de 150 sont morts ?!
Ton fils maman chérie, il a tenu le choc !! Puis un jour les Américains approchent du camp. Nous avons évacué à la fin Août 44 : pour venir dans le plus grand (en réputation) camp d’Allemagne, c’est-à-dire Dachau, surement que vous en avez entendu parler à la radio.
Je suis de là allé travailler en usine d’aviation comme tourneur et nous rentrions chaque soir au camp. Le travail était mauvais et de plus les bombardements et 28 °C sous zéro.
Moi j’ai été heureux quand même car je n’ai jamais fait de pièces pour la guerre, j’ai toujours fait des petits boulots pour les civils allemands, ce qui me rapportait toujours de quoi manger à ma faim.
Puis un beau jour on m’a dit qu’en qualité de NN (je t’expliquerai) je ne devais plus travailler avec les civils, ce qui fait que depuis le 21 janvier j’ai été enfermé dans une baraque ou nous étions environ 1800 !
Chaque jour il en mourait 100 ou 150 (épidémie du typhus et de la dysenterie)
Dans ces baraques nous étions infestés de puces et punaises et couverts de poux.
Tu vois la tête que je pouvais faire avec cette vermine ?! Moi aussi un beau jour j’ai attrapé cette affreuse maladie qui m’a donné jusqu’à 41 ° de fièvre. Enfin je m’en suis très bien tiré et il ne me reste absolument rien.
Deux jours avant que les Américains arrivent, le commandant du camp a reçu l’ordre de nous massacrer tous. Nous, à l’infirmerie, nous devions être empoisonnés.
Ils ont commencé par les Juifs et les Russes, ils en ont emmené 8000 à 3 kilomètres du camp, et là ils les ont passés à la mitrailleuse. D’autres qui arrivaient au camp –un train complet- des Juifs, ils les ont tous empoisonnés ?!
Nous et moi particulièrement (je t’expliquerai), je dois ma peau à une trentaine de camarades Espagnols qui se sont évadés et qui se sont joints au mouvement de résistance Allemand et qui ont attaqués le camp (ils sont tous morts mais nous nous sommes vivants) et ce qui a permis une diversion qui nous a sauvés.
Le lendemain les alliés étaient là ! Nous avons eu chaud.
Maintenant il y a beaucoup d’améliorations, ce qui est du reste normal puisque la guerre est à présent finie. Nous mangeons beaucoup mieux mais malgré tout nous sommes extrêmement impatients, nous voulons retourner en France. Il y a trop longtemps que nous souffrons, nous voulons être rapatriés immédiatement.
Mais l’Etat-Major allié qui commande le camp n’est pas pressé, alors nous les Français on s’incline. Les Français sont toujours des poires. Devant cet état de chose on grogne bien un peu, mais pour faire quelque chose de concret, on ne fait rien, ou presque.
On vous a dit à la radio que nous restions 4000 Français au camp, on vous a dit que l’arrivée du Général Leclerc a envoyé 20 tonnes de vivres, que la Croix Rouge en a envoyé 54, mais ce que l’on ne vous a pas dit c’est que nous étions ici dans le camp plus de 33 Mille et que les vivres des Français étaient distribuées à tous. Ce qui fait que malgré que nous soyons beaucoup mieux, on n’est pas encore bien et des fois on va encore se coucher (cinq pour deux lits) avec la faim.
Malgré tout je pense être à la maison à la fin du mois et pouvoir tous vous serrer dans mes bras, pouvoir revoir ma femme, mon gosse, mon frère qui doit être un homme maintenant (je ne rappelle plus son âge).
Je sais que tous vous êtes impatients de nous revoir, mais ne désespérez pas, encore un peu de patience, nous arrivons ! J’aurais bien voulu vous écrire à tous, mais ce n’est pas possible. J’espère que vous vous êtes bien entendu toi et mimi. J’espère que le bébé que j’ai laissé est maintenant un petit bonhomme.
J’espère aussi que Bruno a bien travaillé en classe et que maintenant il doit avoir passé son certificat .Si tu m’écris, dis-moi tout cela, dis-moi aussi ce que sont devenus mes copains.(dis bonjour de ma part à Marcel Bertier ainsi qu’à sa famille si tu les vois, bonjour aussi à tous les voisins, Boffa, Cottin, Largna et sa petite famille, va voir également Limpens et dit lui que Blouet est venu me rejoindre à Natzweiler, qu’il donne des nouvelles à sa femme qu’il est en bonne santé.
Je voudrais t’en mettre encore mais on vient de venir me prévenir que le courrier part dans dix minutes, alors je me dépêche pour pas le rater.
De plus, il faut également que je m’arrête, car s’il fallait t’écrive tout ce que j’ai à te raconter, premièrement je ne sais pas assez bien tenir la plume pour que tu me crois et ensuite ce n’est pas une lettre qu’il faudrait c’est un dictionnaire ?!
Avant de le faire moi-même je te charge donc encore une fois d’embrasser bien fort ma femme, mon petit Marcel et aussi papa s’il est rentré.
Pour cela reçoit maman chérie Mille bons gros baisers.
Ps : Je te préviens pour quand je rentre, cela fait deux ans et demi que je n’ai pas mangé un biffteck avec des frites ou de la purée ?!!
Mon adresse : Comotto Fredo
Délégué Français
Block 6/3 Dachau Bavière All

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20488, notice COMOTTO Fedro, Spartacus. Richard dans la Résistance par Jean-Pierre Besse, Didier Alvarez, version mise en ligne le 23 juillet 2020, dernière modification le 18 novembre 2022.

Par Jean-Pierre Besse, Didier Alvarez

Monument aux déportés, Place de la Paix Chennevières
Monument aux déportés, Place de la Paix Chennevières
Arch. PPo. Fedro Comotto ; FRAPP-GB175-210

SOURCES : Arch. PPo, Activités communistes pendant l’Occupation, carton 3. — La Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Le Livre mémorial, op. cit.

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