POBLETE GARCÉS Sergio.

Par Elie Teicher

Santiago de Chile (Chili), 18 novembre 1918 – Liège (pr. et arr. Liège), 25 novembre 2011. Ingénieur, militaire, militant socialiste et secrétaire d’État de Salvatore Allende, exilé en Belgique en 1975.

Le père de Sergio Poblete est un avocat qui a réalisé en 1920 le premier Code du travail du Chili avant d’être représentant du pays à la Société des Nations à Genève. C’est dans la capitale suisse que Sergio Poblete effectue ses études secondaires à l’Institut Jean Calvin. À l’approche de la guerre, son père et lui quittent ensuite l’Europe et Poblete, après un an dans un internat de l’État où il améliore son espagnol et apprend l’histoire et la géographie chiliennes, s’inscrit à l’Université laïque du Chili pour y effectuer des études d’ingénieur. Au sein de l’université, il milite contre les groupes nazis chiliens, d’abord avec le groupe communiste puis parmi les socialistes.

Dans les années 1940, Sergio Poblete entre dans la Force aérienne chilienne. Il part ensuite vivre dix ans aux États-Unis. Durant cette période, il étudie à l’Université de Yale (New Haven, Connecticut), où il obtient un diplôme d’ingénieur en aéronautique. De retour au Chili, il poursuit sa carrière militaire et est nommé aide de camp du Premier ministre belge, le social-chrétien Théo Lefèvre, lors de la visite officielle en 1964 de celui-ci au Chili gouverné par le leader de la démocratie chrétienne, Eduardo Frei. L’année suivante, il est une fois de plus aide de camp lors de la visite officielle de la reine Fabiola et du roi Baudouin.

En 1969, Sergio Poblete devient général de l’aviation chilienne. Toutefois, à partir de 1970, l’opposition au Front populaire régnant dans l’armée ainsi que l’admiration portée par Poblete pour le socialiste Salvatore Allende compliquent sa carrière militaire. Il décide alors de quitter celle-ci le 4 janvier 1973 pour rejoindre le gouvernement où il obtient le poste de secrétaire général de la Commission d’aide à la production dans l’industrie lourde (CORFO).

Au moment du coup d’État de septembre 1973, Sergio Poblete doit vivre une semaine dans la clandestinité chez des amis mais, inquiet que les putschistes s’en prennent à ses deux fils qui sont respectivement capitaine d’aviation et lieutenant dans les carabiniers, il préfère se rendre. Il est alors conduit devant le général Lutz, chef des services de renseignements de l’armée de terre. Celui-ci l’accuse d’avoir récolté des fonds pour fomenter une action révolutionnaire. Poblete est enfermé et torturé pendant deux ans. En prison, il partage sa cellule avec le général Alberto Bachelet, père de la future présidente du Chili, Michèle Bachelet. Celui-ci décède d’une insuffisance cardiaque suite aux mauvais traitements qu’il avait reçus. Poblete a plus de chance : l’opinion internationale voit d’un mauvais œil la détention et la torture d’un ancien général. La junte songe alors à l’expulser.

En Belgique, la mobilisation en sa faveur a déjà débuté. En effet, le secrétaire du Parti socialiste chilien, Carlos Altamirano, s’était réfugié à Bruxelles suite au coup d’État. Il y rencontre les deux coprésidents du PSB (Parti socialiste belge)-BSP (Belgische socialistische partij), André Cools* et Josse Van Eynde*. Les socialistes belges demandent à Altamirano ce qu’ils peuvent faire pour aider le Chili. Le militant leur explique le cas de Poblete et propose de lui venir en aide. Jean-Marie Roberti, rédacteur au journal Combat, est chargé par Cools de faire le maximum de publicité pour le cas de Poblete. Il prend également contact avec l’ambassadeur de Belgique au Chili, René Panis. Ce dernier travaille à l’ambassade avec un jeune conseiller démocrate-chrétien, Monsieur Mineur, qui va alors régulièrement prendre des nouvelles de Sergio Poblete en prison. En Belgique, J.-M. Roberti expose le cas de Poblete auprès d’André Molitor, chef de cabinet du roi Baudouin. Le Roi et la Reine sont alors touchés par la situation de l’ancien général et rédigent chacun une lettre plaidant sa cause auprès du général Pinochet. Petit à petit, la junte se rend compte que l’État belge va faire son possible pour sauver Poblete et décide d’expulser celui-ci en Belgique. Il arrive à Zaventem (aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Hal-Vilvorde) à la fin de l’année 1975.

Installé à Liège, Sergio Poblete bénéficie de la solidarité belge pour obtenir un emploi au service informatique de l’Université de Liège. Il s’inscrit également au Parti socialiste et obtient successivement un poste au cabinet ministériel de Guy Mathot puis celui de Jean-Maurice Dehousse.

À Liège, Sergio Poblete et d’autres Chiliens, soutenus à la fois par Jean-Marie Roberti et le professeur d’université Léon-Ernest Halkin, créent les Communiqués du Chili en lutte pour collaborer à la résistance de l’extérieur. Avec ce périodique, les exilés espèrent, en fournissant des informations venant de diverses sources, permettre aux lecteurs d’être mieux informés sur la situation chilienne. Ils cherchent ainsi à élargir la solidarité qui se manifeste envers le Chili en Belgique. Selon eux, cette solidarité belge peut être très efficace en entraînant le sauvetage de milliers de vies, voire peut-être en contribuant au renversement de la dictature et à la construction d’une société chilienne démocratique. Par l’intermédiaire de ce bulletin, ils appellent les journalistes à répercuter le plus largement possible les évènements du pays. Le bulletin fournit également aux parlementaires de gauche des informations suffisamment précises pour s’opposer à la dictature chilienne à la Chambre. Il s’adresse aussi aux responsables syndicaux afin qu’ils conscientisent les travailleurs belges et les appellent à soutenir leurs camarades chiliens. Enfin, il en appelle aux membres du corps diplomatique afin que la solidarité atteigne la plus grande ampleur internationale. Les témoignages de Sergio Poblete et leurs publications mènent notamment à une opposition farouche à la nomination du nouvel ambassadeur du Chili en Belgique, le général Nuño, un des protagonistes du coup d’État chargé de l’épuration des opposants à Santiago. Suite à la campagne menée par Poblete et les exilés, la question est portée à la Chambre des représentants où les députés Marcel Levaux et Jean-Maurice Dehousse interpellent le ministre des Affaires étrangères, Renaat Van Elslande, à ce sujet. La presse en fait écho et l’affaire retentit. Poblete obtient gain de cause, l’ambassadeur est finalement renvoyé en 1976.

En 1977, Sergio Poblete est déchu de sa nationalité chilienne par la junte. Il trouve un emploi d’ingénieur et fonde définitivement sa vie à Liège avec sa femme et sa fille. Cela ne l’empêche pas de continuer à dénoncer les crimes de la dictature par l’intermédiaire de conférences, d’articles et d’interviews dans la presse. Il témoigne d’ailleurs devant la Commission des droits de l’Homme à l’ONU et se joint aux plaignants qui réclament l’arrestation et le jugement de Pinochet. En 1983, dix ans après le coup d’État, il organise la venue à Liège de la veuve d’Allende, Hortensia Bussi.

En 1988, Sergio Poblete retourne pour la première fois au Chili comme membre de la délégation du Parti socialiste pour mener campagne contre le plébiscite organisé par le général Pinochet. Revenu en Belgique, il continue à plaider pour l’arrestation du dictateur tout en militant au sein de l’association ATTAC (Association pour une taxation sur les transactions financières et l’action citoyenne). En 2008, il revient une dernière fois dans son pays d’origine comme invité d’honneur lors de la prestation de serment du premier mandat de présidente Michelle Bachelet. Il meurt à Liège le 25 novembre 2011 à l’âge de 93 ans. Citoyen d’honneur de la ville, la cité ardente lui rend hommage en 2013 en inaugurant une voirie à son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article205038, notice POBLETE GARCÉS Sergio. par Elie Teicher, version mise en ligne le 10 juillet 2018, dernière modification le 14 janvier 2020.

Par Elie Teicher

SOURCES : Communiqués du Chili en lutte, Liège, Comité de coordination Solidarité, 1976 – CRÉMER G. et SCHILLINGS P., « ‘Je ne veux pas oublier’, Sergio Poblete, général et camarade », Cahiers de l’Éducation permanente : Chili, l’autre 11 septembre des Amériques, n°20, (2003), p. 21-27 – VAUTE P., « « Entretien : un général antiputschiste témoigne » », La Libre.be, 12 décembre 2006 − Communiqué du collège communal de Liège du 30 août 2013, dans Site de la commune de Liège [en ligne] − GIOT M., « Liège : décès de Sergio Poblete, le général qui avait tenu tête à Pinochet », dans Site de RTBF Info, mis en ligne le 21 novembre 2011 − « JJean-Marie Roberti évoque son ami le général chilien Sergio Poblete », dans Site de Liège 28 − Interview de Jean-Maurice Dehousse, député socialiste réalisée par E. TEICHER ET G. FRANCOIS, Palais des Congrès de Liège, 26 mars 2014 – Interview de Jean-Marie Roberti, militant socialiste et rédacteur au journal Combat, réalisée par E. TEICHER, Chênée, 5 mai 2014.

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