ALCANTARA Joseph [alias « PAUL » dans la clandestinité]

Par André Balent

Né le 15 décembre 1921 à Limoux (Aude), mort le 26 juillet 1944 en action de combat à Lairière (Aude) ; cuisinier ; résistant de l’Aude (maquis « Vincent-Faïta » des FTPF)

Joseph Alcantara alias
Joseph Alcantara alias "Paul" (1921-1944) Cliché André Balent à partir de la photographie publiée dans Lucien Maury, op. cit., 1980, tome 2, p. 254.

Joseph Alcantara naquit au 46 rue Paussifile dans le centre historique de Limoux, sous-préfecture de l’Aude, dans la vallée du fleuve du même nom. Il habita ensuite avec sa famille au 8 de la rue Malcousinat, toujours dans le centre-ville. Cette rue fut nommée, après la Libération rue Gaston-Prat, du nom de son camarade du maquis « Vincent-Faïta » des FTPF de l’Aude qui périt lors du même affrontement armé que lui. Ses parents, Joseph (José] Alcantara, cultivateur, et sa mère Placide Mancilla étaient respectivement âgés de trente-et-deux et vingt-sept ans à la fin de 1921.

Fils de Joseph, cultivateur et de Placide Mancilla, de nationalité espagnole, il était l’aîné d’une fratrie de neuf enfants.

Très jeune, il manifesta de l’intérêt pour la cuisine. Il eut la chance, après la fin de scolarité primaire obligatoire, d’effectuer son apprentissage dans la maison la plus prestigieuse de Limoux, l’Hôtel Moderne et Pigeon dont le propriétaire était un chef cuisinier réputé, Victor Eupherte. Il compléta sa formation professionnelle en travaillant occasionnellement à la pâtisserie-confiserie de Mme Luguel, rue Saint-Martin.

En 1936, il partit travailler à Marseille (Bouches-du-Rhône) avec l’objectif d’ouvrir son propre établissement. Dans cette ville, sensibilisé par la guerre civile espagnole, il s’investit dans la militance anti-franquiste. Ce fut sans doute à Marseille qu’il acquit ses idées de gauche qui le rapprocha des militants communistes. Nous ignorons toutefois s’il adhéra à ce moment-là à une organisation communiste (PC ou JC).

En 1940 (?), il aurait refusé de servir des Allemands de la commission d’armistice (?) dans l’établissement où il travaillait. Appelé aux Chantiers de jeunesse dans les Landes, il le quitta à la fin de 1941. Il revint à Limoux où il se fit « oublier » tout en nouant des liens avec le PC clandestin. Le 16 mars 1943, il fut requis du STO et partit en Allemagne avec d’autres jeunes Limouxins. Il fut affecté à Glan-Münchweiler, un bourg rural du Palatinat, dans l’actuel land de Rhénanie-Palatinat. Lui qui avait amené avec lui ses impeccables costumes de professionnel de la restauration haut de gamme, fut employé à son arrivée en Allemagne à la réfection de voies ferrées. Il quitta clandestinement l’Allemagne à la faveur d’une permission. Il revint à Limoux et il entra immédiatement dans les FTPF et intégra les formations armées du Kercorb et de la « haute » vallée de l’Aude, autour de Limoux et Quillan à partir de la petite ville de Limoux et du Kercorb, autour de Chalabre. Celles-ci furent commandées par Joseph Loupia et Louis Tisseyre alias « Papa » (de Carcassonne), Louis Bahi alias « Lecler » et Eugène Sagui alias « Robespierre » domicilié à Axat (Aude), évadé du STO comme Alcantara. Elles appartenaient à la R3 (Aude-Hérault), subdivisée en deux « secteurs : A — Aude — et B — Hérault —) de l’Interrégion de Montpellier (Hérault) des FTPF. Le secteur A de la région Aude-Hérault des FTPF était dirigé, à partir de sa création pendant l’été 1943, par un « triangle » comprenant un commissaire aux opérations (CO), Loupia, remplacé après son évasion par Victor Meyer alias « Jean-Louis », puis en janvier 1944, par Louis Bahi, un communiste expérimenté venu récemment de la Haute-Garonne et précédemment clandestin dans le Lot, ancien des Brigades internationales ; un commissaire aux effectifs (CE), Pierre Lantenois alias « Julian » ; un commissaire technique (CT), Edmond Pagès. Bahi, en sa qualité de CO des FTPF audois avait sous son autorité l’ensemble des maquis FTPF du département (il y en eut quatre, dont deux provenant de la division d’un maquis initial) et les groupes de FTPF « légaux » de Limoux, Carcassonne et Narbonne. Parmi les maquis audois, ceux des FTPF étaient nettement en minorité, en comparaison de ceux de l’AS (Armée secrète). Le choix des FTPF par Alcantara s’explique par son engagement communiste probable, antérieurement. Mais la présence active de Loupia à Limoux a facilité son incorporation.

Joseph Loupia alias « Blücher », militant communiste expérimenté, avait donc entrepris, dès l’été 1943, de regrouper dans les FTPF les jeunes réfractaires de la « haute vallée » de l’Aude, dans le secteur de Chalabre. Le maquis « Gabriel-Péri » avait vu le jour. Il a été scindé en deux groupes, le premier établi initialement ans le Donezan (Ariège), dans la vallée de l’Aude cependant, dans la commune de Mijanès ; l’autre, dans le Kercorb, dans le le secteur de Courtauly–Sonnac-sur-l’Hers–Chalabre. Ces deux groupes se scindèrent en deux maquis distincts. Le premier — qui prit le nom de « Jean-Robert » le 14 octobre 1943 — quitta les rigueurs de la haute montagne (Mijanès) et se replia au nord d’Axat, au Bousquet (Aude), puis, en mai 1944, à Salvezines (Aude), à proximité des Pyrénées-Orientales (Voir : Meyer Victor qui, venant de l’Aveyron en prit la direction ; Melich Henri). Le second dirigé initialement par Loupia prit le nom de « Vincent-Faïta ». Il changeait constamment de cantonnement.

Alcantara fit preuve d’initiative et de sang-froid lorsqu’il organisa l’évasion de Loupia. Ce dernier fut arrêté et emprisonné à Limoux à la caserne et Alcantara, accompagné de quelques hommes de son maquis, l’en fit sortir, avec d’autres détenus après y avoir pénétré.

Après le départ de Loupia (octobre 1943), d’abord vers le Tarn et l’Aveyron puis le Lot-et-Garonne où il intégra l’état-major départemental des FTPF, ce fut Alcantara, en dépit de son jeune âge et de son peu d’expérience militaire qui, « commissaire aux effectifs » prit la direction de ce maquis, avec comme adjoint André Riffaud alias « Michel Gabin », cuisinier comme lui, « commissaire technique » encore plus jeune que lui . Pour accéder à de telles responsabilités, ces deux jeunes étaient forcément membres du PC clandestin et avaient la confiance de militants plus âgés et communistes ayant la confiance de la hiérarchie régionale du parti. Se trouvant dans le Kercorb, autour de Chalabre, le maquis « Vincent-Faïta » finit par se stabiliser à la ferme des Roudiès, dans la commune de Montjardin (Aude). Mais, après une attaque (23 mai 1944) d’Allemands amenés à pied d’œuvre par des miliciens (René Bach, l’interprète alsacien de la Sipo-SD de Carcassonne, tortionnaire redouté, était présent), le maquis « Faïta » fut sauvé grâce au jeune Auguste Cathala, de la ferme de Vinsous, qui, invité à conduire la colonne jusqu’à la ferme des Roudiès, préféra être torturé et périr d’une balle dans le dos.

Alcantara, Riffaud et leurs hommes parvinrent à déjouer le piège qui leur était tendu et s’implantèrent dans le secteur de Courtauly. Mais leur situation devenait précaire dans le Kercorb. Il attaqua depuis ce cantonnement une compagnie allemande qui traquait le maquis de la 5e brigade de l’AGE (Agrupación de gerrilleros españoles). Cette intervention signala encore davantage sa présence.

Les 26 et 27 juillet, le maquis « Vincent-Faïta » fut décapité (mais non entièrement détruit) par les Allemands. Dénoncée, sa présence à Courtauly était connue, sans doute initialement, par la Milice. Il était pourchassé par les militaires allemands et la Milice dans la région de Chalabre (Aude). Le commandement allemand du groupe d’armées G , installé à Rouffiac-Tolosan (Haute-Garonne), donna l’ordre, après le 6 juin 1944, d’attaquer tous les maquis susceptibles d’entraver les communications militaires le long de l’axe Toulouse-Nîmes. L’anéantissement de « Vincent-Faïta », comme celui d’autres maquis indépendamment de leur affiliation, fut donc un des objectifs allemands.

Se sentant traqué dans le Kercorb, Alcantara et son adjoint Riffaud « commissaire technique » du maquis, prirent la décision de déplacer le maquis dans les Corbières. Un groupe de cinq FTPF de ce maquis — Joseph Alcantara, André Riffaud qui conduisait l’automobile du maquis, une puissante Ford V8, Gaston Prat, Attilio Donati et Bourges — franchit donc l’Aude et se rendit en reconnaissance dans les Corbières, sur l’autre rive de l’Aude, dans la vallée de l’Orbieu. Ils prospectèrent d’abord le secteur de Villebazy (Aude), puis se dirigeaient plus vers l’est, à Mouthoumet (Aude). Mais les Allemands parcouraient cette partie des Corbières, à la recherche du maquis de Villebazy, de l’AS (le corps franc « Lorraine » commandé par Arnaud). Ils tombèrent donc sur la Ford des FTPF du maquis « Vincent-Faïta ». L’accrochage eut lieu vers 11 heures/11 heures 30, sur les lacets du col de la Loubière au lieu-dit Founroubado à 1 kilomètre au dessus du village de Lairière qu’ils venaient de traverser. Les villageois de Lairière qui venaient d’assister à un enterrement à l’église entendirent les coups de feu. Le véhicule des FTPF fut surpris par un détachement motorisé allemand d’environ quarante hommes. Donati et Prat furent immédiatement fauchés par les balles allemandes. Riffaud, grièvement blessé à la jambe fut capturé. Il resta trois jours sans soins à Carcassonne et fut finalement amené à la clinique du docteur Delteil de cette ville où le chirurgien Pierre Roueylou ne put juguler la gangrène qui l’a terrassé. Bourges, caché sous la voiture, fut aussi amené à Carcassonne. Il parla sous la torture et, incarcéré à la maison d’arrêt de Carcassonne, il ne trouva la liberté que grâce à la Libération de la ville, le 19 août 1944.

Quant à Joseph Alcantara, il tint tête aux Allemands pendant une dizaine de minutes : depuis un ravin, il ne cessa de tirer contre les Allemands ; blessé, il finit par recevoir une balle qui le tua.. Les Allemands s’acharnèrent contre lui. On retrouva son cadavre avec la mâchoire écrasée, le corps percé de coups de baïonnette, une balle dans la poitrine et une autre dans la jambe. Ses dents en or lui furent dérobées. Le lendemain, le 27 juillet, à la recherche de « Vincent-Faïta », dans la région de Chalabre, trois cent Allemands avaient été dépêchés avec quinze camions depuis Foix (Ariège) afin d’accrocher et d’anéantir le maquis « Vincent-Faïta » qui se trouvait encore dans le secteur avant de s’installer dans le nouveau cantonnement des Corbières. Finalement le maquis réussit à gagner Salvezines où ses effectifs vinrent renforcer ceux du maquis « Jean-Robert » commandé par Victor Meyer.

Les trois corps d’Alcantara, Donati et Prat furent inhumés le jour même dans le cimetière de Lairière. Ils furent ré-inhumés lors de funérailles solennelles à Limoux, le 11 novembre 1945. Joseph Alcantara s’était fiancé avec la soeur de l’un des maquisards de "Vincent-Faïta". Il lui avait offert des bijoux qu’elle donna au père de Joseph Alcantara après le combat du 26 juillet 1944.

Le nom de Joseph Alcantara figure sur plusieurs plaques, stèles ou monuments : il a été gravé sur la stèle commémorative initialement implantée sur les lieux du combat du 26 juillet 1944, sur le bord de la RD 40. Cette stèle porte l’inscription suivante : « Les amis des FTP de Limoux à leurs camarades [suivent les quatre noms] assassinés par les Boches le 25 (sic) juillet 1944. Ils sont morts pour la France ». la municipalité de Lairière n’admit pas l’inscription « Assassinés par les Boches » (rappelons qu’un membre du maquis « Faïta », Thomas Helmut un Allemand anti-nazi, déserteur du Heer, fut abattu le lendemain par ses compatriotes sous uniforme à Courtauly). Cette stèle dut donc transférée au pied de l’église du village. Elle fut remplacée, toujours sur le lieu du combat, par un monument où figurent les noms des quatre victimes, dont Joseph Alacantara. Ce monument porte les inscriptions suivantes : « Les amis des FTP de Limoux à leurs camarades assassinés par les nazis et la milice française le 26/7/1944 » ; « Passant va dire au monde qu’ils sont morts pour la liberté » . Sur ce monument sont scellées quatre plaques avec le nom des quatre morts. Enfin, à Limoux, le nom de Joseph Alcantara est gravé sur la plaque commémorative des morts des conflits du XXe siècle. Cette plaque est fixée sur un mur du premier étage de la mairie de la ville.

L’odonymie limouxine honore également la mémoire de Joseph Alcantara. Une grande place de l’hyper-centre de la ville, l’ancienne place au Bois, est devenue la place Joseph-Alcantara. À proximité existe un passage Joseph-Alcantara

Le site MemorialGenWeb indique par erreur le 28 juillet 1944 comme étant la date de son décès.

Déclaré « mort pour la France », Joseph Alcantara a été homologué lieutenant des FFI. Il fut décoré de la Légion d’honneur à titre posthume et de la Croix de guerre avec palmes. Ses proches et ceux qui l’ont connu et côtoyé ont gardé de lui le souvenir d’un homme de convictions et d’action aux traits de caractère contrastés. Issu d’une famille très modeste, il était très à l’aise dans les milieux bourgeois et huppés de la restauration de luxe à qui il avait emprunté son goût pour les beaux costumes et l’élégance mondaine. Son engagement communiste fut pour lui un signe de fidélité à ses origines. À Marseille, s’il côtoya le "milieu", il sut résister à l’attrait de la vie facile et de la corruption. Rien ne laissait soupçonner son destin de clandestin, chef d’un groupe de lutte armée. Homme policé et distingué, il sut aussi être un homme d’action prêt à sacrifier sa vie pour défendre les idéaux dans lesquels il croyait.

Voir Lairière, Source de Founroubado (26 juillet 1944)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article205783, notice ALCANTARA Joseph [alias « PAUL » dans la clandestinité] par André Balent, version mise en ligne le 14 août 2018, dernière modification le 5 avril 2022.

Par André Balent

Joseph Alcantara alias "Paul" (1921-1944) Cliché André Balent à partir de la photographie publiée dans Lucien Maury, op. cit., 1980, tome 2, p. 254.
Joseph Alcantara alias "Paul" (1921-1944) Cliché André Balent à partir de la photographie publiée dans Lucien Maury, op. cit., 1980, tome 2, p. 254.
Lairière (Aude). Lieu du combat du 26 juillet 1944. Monument commémorant les résistants victimes de l'affontement
Lairière (Aude). Lieu du combat du 26 juillet 1944. Monument commémorant les résistants victimes de l’affontement
Plaque au nom de Joseph Alcantara
Cliché : André Balent, 11 novembre 2018

SOURCES : Arch. com. Limoux, état civil, acte de naissance de Joseph Alcantara et mentions marginales. — Julien Allaux, La 2e Guerre mondiale dans l’Aude, Épinal, Le Sapin d’or, 1986, 254 p. [pp. 179-181]. — Serge Fournié, « Maquis du Kercorb », site chalabremetaitconte.pagesperso-orange.fr, consulté le 11 août 2018. — Lucien Maury, La Résistance audoise (1940-1944), tome II, Carcassonne, Comité de l’histoire de la Résistance audoise, Carcassonne, 1980, 441 p. [pp. 151-155, 255-256, p. 395]. — Site MemorialGenWeb consulté le 12 août 2018. — Site maquisftp-jean robert-faita.org consulté le 9 août 2018.

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