FRY Varian

Par Charles Jacquier et Jean-Kely Paulhan

Né le 15 octobre 1907 à New York (États-Unis), mort le 13 septembre 1967 à Easton (Connecticut, États-Unis) ; journaliste américain ; fondateur du Centre américain de secours à Marseille à la fin d’août 1940.

Fils de Arthur Varian Fry et de Lilian Rachel Mackey, Varian Fry naquit à New York dans une famille aisée et passa son enfance dans le New Jersey. En 1927, il entra à Harvard (université de Cambridge, Massachussetts) et reçut son BA (Bachelor of Arts) en 1931. Le 2 juin de la même année, il épousa Eilen Avery Hugues et voyage en Europe durant tout l’été avant de poursuivre ses études à l’université de Columbia (New York) en histoire, journalisme et relations internationales. Il obtint son premier poste dans la vie professionnelle comme directeur du Scholastic Magazine. Spécialisé dans les relations internationales, il dirigea ensuite le mensuel The Living Age. Également rédacteur pour plusieurs quotidiens et magazines, il fut en reportage à Berlin, en 1935, où il assista à un pogrom, le 15 juillet, auquel il consacra aussitôt des articles dans The New York Post, puis The New York Times. À son retour, quelques jours plus tard, il poursuit son témoignage dans une série d’articles du New York Times, ce qui entraîna la saisie de plusieurs éditions du journal en Allemagne car « certains articles parus […] ont déplu au régime nazi ». En 1937, il devint éditeur chez Headline Books. Il s’engagea par ailleurs dans une association d’aide aux républicains espagnols, le North American Committee. L’année suivante, il participa à l’action des American Friends of German Freedom (AFGF), une association fondée par Paul Hagen, de son vrai nom Karl Frank (voir DBMOI-Allemagne) pour soutenir le combat antinazi du groupe socialiste de gauche Neu Beginnen (Nouveau Départ).
Ce dernier fut, avec sa compagne Anna Caples, le premier des dédicataires du témoignage sur son action à Marseille, Livrer sur demande. C’est également en 1938 qu’il fut employé par la Foreign Policy Association et rédigea The Peace that Failed : How Europe Sowed the Seeds of War, qui parut l’année suivante.
Après la défaite de la France et la signature de la convention d’armistice avec l’Allemagne, le 22 juin 1940, une grande partie de l’opinion publique américaine s’indigna de l’article 19 de ladite convention qui stipule : « Le gouvernement français est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants désignés par le gouvernement du Reich. » Trois jours plus tard, les AFGF organisèrent un banquet à l’hôtel Commodore (New York) pour dénoncer cet article et, dans la foulée, fut créé l’Emergency Rescue Committee (ERC). Celui-ci décida d’envoyer un représentant à Marseille, où se pressèrent les réfugiés, avec une liste de personnalités à sauver. Varian Fry se porta volontaire pour cette mission de sauvetage.
Jeune journaliste, germanophone, francophone, il avait déjà été remarqué pour des livres ou des rapports de qualité sur les questions internationales, sa connaissance précise de la situation européenne durant les années trente, sa conviction que les États-Unis avaient le devoir de tout faire pour soutenir les démocraties européennes, et que ce devoir correspondait aussi à leur intérêt, bref que l’isolationnisme n’était plus une option envisageable. Ces milieux, très marqués à gauche mais anticommunistes (le pacte germano-soviétique était dans tous les esprits), le plus souvent francophiles, perçurent l’urgence de la situation. Ils mettaient alors en œuvre « une des dernières actions de solidarité internationale du vieux mouvement ouvrier », qui se situaient dans le prolongement des actions antifascistes du mouvement syndical (juif et américain), d’une partie de l’émigration antifasciste aux États-Unis et de milieux intellectuels progressistes. Ainsi, les réseaux américains qui allaient financer l’action de l’ERC comprenaient des institutions universitaires prestigieuses, telle la New School for Social Research de New York, aptes à organiser l’accueil de professeurs invités, les milieux d’immigrés juifs socialistes et syndicalistes venus d’Europe centrale aux États-Unis (en particulier dans le sillage du Bund polonais), de grands syndicats américains, l’American Federation of Labor (AFL), en rapport étroit avec l’AFGF. Déterminante, l’influence du Jewish Labor Committee (JLC), créé à New York en 1934, dont l’argent finança les opérations de sauvetage en France, incita l’AFL à « se mobiliser contre la destruction des mouvements ouvriers et socialistes européens ». C’est l’AFL qui fut l’interlocuteur du département d’État et du président des États-Unis en 1940-1941.
Arrivé à Marseille le 13 août 1940, Varian Fry s’installa à l’hôtel Splendide et fonda quelques jours plus tard le Centre américain de secours, une association de droit français qui agit comme la filiale locale de l’ERC. Pour Myriam Davenport, il s’agissait « d’envelopper les réfugiés politiques dans le drapeau américain pour leur sauver la vie », tandis qu’Albert O. Hirschmann, qui participa aussi aux premiers temps de l’aventure, estima que « le drapeau américain allait couvrir une multitude de péchés » dans la mesure où, dès le départ, le CAS combine actions légales et illégales. Fry recruta une petite équipe, très dévouée : des Français (dont la plupart entrèrent dans la Résistance active après son départ), des Américains résidant en France depuis longtemps, bons connaisseurs du terrain et décidés à aider financièrement le centre en cas de coup dur. Le CAS mit en place des filières de départ vers l’étranger qui incluaient des passages clandestins vers l’Espagne depuis les Pyrénées-Orientales, notamment avec l’aide d’un couple d’antinazis allemands, Hans et Lisa Fittko. Début octobre, le CAS installa ses bureaux 60 rue Grignan et recruta peu après Daniel Bénédite. Militant de la Gauche révolutionnaire, puis du PSOP, proche de Victor Serge, ce dernier mit ses compétences en matière de droit des étrangers – il travaillait avant-guerre à la préfecture de police de Paris – et ses anciens réseaux professionnels et militants au service du CAS, devenant le bras droit de Fry tandis que son épouse, Théo, d’origine anglaise, devint la secrétaire du journaliste américain. À la fin du mois, le CAS loua la Villa Air-Bel, dans le quartier de la Pomme, où Fry résida, en compagnie notamment de plusieurs surréalistes, du couple Bénédite, de Victor Serge qui la rebaptise le « Château Espère-Visa ». Elle devint une sorte de phalanstère surréaliste où l’on créa le « Jeu de Marseille » et organisa plusieurs expositions. Lors de la visite du maréchal Pétain à Marseille, Fry et les habitants d’Air-Bel furent détenus à titre préventif durant 3 jours sur le Sinaia, un bateau à quai. En janvier 1941, le CAS installa ses bureaux 18 boulevard Garibaldi. C’est ce mois-là que le Département d’État ordonna au consulat de Marseille de ne pas renouveler le passeport de Fry lorsqu’il arrivera à expiration.
En effet, très vite, l’action de Fry, efficace, trop efficace (plusieurs milliers de départs), se heurta à une double opposition. Il gênait Vichy et son intendant de police, Maurice Rodellec du Porzic, qui obtint son départ ; il gênait aussi le gouvernement américain, le département d’État et son représentant local, le consul des États-Unis : les enquêtes sur les camps d’internement qu’il voulait présenter aux autorités de Vichy, ses interventions incessantes en faveur de telle ou telle personnalité exposée indisposaient l’équipe du président Roosevelt, attachée à maintenir les meilleurs rapports possibles avec le maréchal Pétain.
La sensibilité libérale d’Eleanor Roosevelt fut alors impuissante contre la loi des quotas de 1924, toujours en vigueur, peu favorable aux personnes expulsées par des régimes totalitaires, et contre l’influence de Breckinridge Long, sous-secrétaire d’État chargé de l’immigration et des problèmes des réfugiés, persuadant Roosevelt que « l’émigration risqu[ait] d’amener aux États-Unis des éléments de la « cinquième colonne » ou des communistes ».
De plus, assurer la relation entre les groupements américains aux buts très divers qui finançaient le centre et le département d’État, voulant tout contrôler et s’intéressant surtout à « un programme traditionnel de récupération des cerveaux » devenait de plus en plus difficile.
Arrêté le 29 août 1941 à Marseille, Fry fut expulsé de France à Perpignan, passa par l’Espagne et arriva à Lisbonne le 14 septembre. Il y resta six semaines afin d’assurer la liaison entre l’ERC et son équipe de Marseille, vérifier le fonctionnement d’une filière clandestine par l’Espagne en lien avec Emilio Lussu et resserrer les relations de son groupe avec l’Unitarian Service Committee. En effet, après son départ, le CAS poursuivit son action sous la direction de Daniel Bénédite, au grand jour jusqu’en juin 1942, puis dans la clandestinité, en association avec la Résistance intérieure, jusqu’à la Libération. Parvenu fin octobre à New York, Fry anima une réunion publique sur le sort des réfugiés en France et « la stupide politique » du Département d’État. Il publia dans The New Leader de mai 1942 un article sur « la politique [d’immigration] à courte vue du gouvernement américain », privant son pays de l’aide et des compétences des réfugiés antifascistes. Il dénonça dans The New Republic de décembre 1942 la passivité américaine face au « massacre des juifs » en Europe. Il mit aussi les points sur les i en mai 1943 à propos de l’action en Algérie du général Giraud, l’allié que le gouvernement américain préférait à de Gaulle, Giraud refusant de revenir sur l’abolition du décret Crémieux par le régime de Vichy.
« Brûlé » dans son propre pays, inquiété par la Commission des activités antiaméricaines en 1950, il se remaria cette année-là avec Annette Throth Riley après le décès de sa première épouse. En 1964, il revint en Europe à la demande de l’International Rescue Committee (une suite de l’ERC) : il fut en effet chargé de publier un volume de lithographies afin de commémorer le sauvetage des artistes et des intellectuels durant la Seconde Guerre mondiale. En 1966, après avoir rencontré André Malraux, alors ministre de la Culture, à la demande de ce dernier il fut fait chevalier de la Légion d’honneur par la France. Sa décoration lui fut remise le 12 avril 1967 au consulat de New York. Il décéda quelques mois plus tard.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article205816, notice FRY Varian par Charles Jacquier et Jean-Kely Paulhan, version mise en ligne le 18 août 2018, dernière modification le 15 juillet 2019.

Par Charles Jacquier et Jean-Kely Paulhan

SOURCES : Varian Fry, Livrer sur demande…, éd. Charles Jacquier, présentation, notes, annexes, index. Marseille, Agone, 2017 (1e éd. US 1945). — Jean Rabaut, Tout est possible ! – Les « gauchistes » français, 1929-1944, Libertalia, 2018 (1e éd. 1974). — Daniel Bénédite, Un chemin vers la liberté sous l’Occupation, Éditions du Félin, 2017. — Catherine Collomp, Résister au nazisme. Le Jewish Labor Committee, New York, 1939-1945, CNRS Editions, 2016. — Jean Malaquais, Planète sans visa, Phébus, 2009 (1947, rééd.). — Collectif, Varian Fry – Mission américaine de sauvetage des intellectuels antinazis, Marseille 1940-1942, Arles, Actes Sud, 1999. — Collectif, Varian Fry du refuge à l’exil (Actes du colloque des 19-20 mars 1999-Marseille), 2 vol., Arles, Actes Sud, 2000 ; — Doris Obschernitzki, « L’intendant de police à Marseille, Maurice Rodellec du Porzic, et le camp des Milles », Cahiers d’études germaniques, printemps 1997, n° 32. — Albert O. Hirschman, Un certain penchant à l’autosubversion, Fayard, 1995. — Lisa Fittko, Le Chemin des Pyrénées – Souvenirs 1940-1941, Maren Sell & Cie, 1987. — « Varian Fry, le journaliste américain qui sauva des milliers d’opposants au nazisme », The Conversation France, 26 février 2018, https://theconversation.com/varian-fry-le-journaliste-americain-qui-sauva-des-milliers-dopposants-au-nazisme-89832
Écouter :
Martine Lusardy, « Varian Fry », L’humeur vagabonde, France Inter, 19 septembre 2007, https://www.franceinter.fr/emissions/l-hu – Les « gauchismeur-vagabonde/l-humeur-vagabonde-19-septembre-2007
Voir :
Natacha Perez, Varian Fry, passeur d’artistes, diffusé sur Arte, le 19 août 1998, https://www.dailymotion.com/video/x2atfme
Propositions de mots clefs : American Federation of Labor - American Friends of German Freedom –Bénédite (Daniel) - Bund - Centre américain de secours – Commission des activités antiaméricaines - Emergency Rescue Committee – Fittko (Hans et Lisa) - Foreign Policy Association - International Rescue Committee - Jewish Labor Committee – Long (Breckinridge) – Lussu (Emilio) - Marseille - Neu Beginnen – New School for Social Research - North American Committee –Rodellec du Porzic (Maurice) - Serge (Victor) – Surréalisme - Unitarian Service Committee

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