Par André Balent
Né le 11 décembre 1907 à Canet (Pyrénées-Orientales), mort le 4 février 1981 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; ouvrier du bois, puis commerçant de meubles à Perpignan ; militant du Parti socialiste SFIO (1934-1937), du PSOP (1938-1939), puis du PCF à partir de 1942 ; résistant, organisateur des FTPF dans les Pyrénées-Orientales puis dans la Haute-Garonne ; conseiller municipal de Perpignan (1947-1958).
Fernand Cortale passa toute son enfance dans son village natal. Ses parents (François Cortale et Thérèse Soulier), paysans, possédaient une petite exploitation. Son instituteur du cours supérieur, Sicre, l’influença profondément : certes, il parlait à ses élèves de la Révolution française, mais il évoquait également la Commune de Paris et stigmatisait les crimes des Versaillais.
Après avoir passé le certificat d’études primaires, il fit son apprentissage dans l’industrie du bois. À l’âge de dix-huit ans, il était acquis aux idées de « gauche », mais, indécis, ne savait à quel parti adhérer. Il fit son service militaire dans les chasseurs alpins à Antibes (Alpes-Maritimes). À son retour de l’armée, il travailla comme ouvrier dans diverses petites entreprises d’ébénisterie de Perpignan et des environs. Dans ces entreprises artisanales qui n’employaient que quelques ouvriers, le mouvement syndical était peu implanté : Fernand Cortale, d’ailleurs, n’adhéra jamais à un syndicat. Par la suite, il devint représentant de commerce dans l’ameublement ; puis il fonda un commerce de meubles à Perpignan. Il épousa Jeanne, Rose, Catherine Sales (décédée le 30 août 2007, à l’âge de 94 ans). Un de leurs fils, Claude Cortale, milita plus tard (années 1960) au PCF et fut candidat à divers scrutins locaux.
Les événements de février 1934 précipitèrent l’engagement politique de Fernand Cortale qui adhéra alors à la section socialiste SFIO de Perpignan. Celle-ci se réunissait tous les premiers vendredis du mois à la salle des Variétés de Perpignan. Les débats étaient dominés par l’écrasante personnalité de Jean Payra* qui menait, au plan local, une politique très « personnelle » et soutenait, dans les instances nationales de la SFIO, la majorité Léon Blum - Paul Faure. Toutefois, les tendances minoritaires, la « Bataille socialiste », mais aussi, à partir d’octobre 1935, la « Gauche révolutionnaire », commençaient à s’organiser au sein de la section de Perpignan et contestaient de plus en plus vivement les méthodes de direction de Jean Payra et de ses amis.
Fernand Cortale, d’abord séduit par Jean Zyromski, le chef de file de la « Bataille socialiste », participa, avec de nombreux jeunes socialistes en rupture de ban avec le réformisme, à la création de la « Gauche révolutionnaire » dans les Pyrénées-Orientales. Selon son témoignage, il vota au premier tour des élections législatives de 1936, pour Léopold Roque, candidat du Parti communiste. Il expliqua son attitude au cours d’une réunion de la section de Perpignan : son refus de voter pour Louis Noguères, candidat de la SFIO dans la circonscription de Perpignan, était motivé par le fait que ce dernier, ainsi que Jean Payra, sachant que le candidat communiste serait le mieux placé des candidats de Front populaire, à l’issue du premier tour, avaient décidé de faire élire un radical hostile au Front populaire et par ailleurs soutenu par l’ensemble de la droite perpignanaise, François Delcos. Comme par ailleurs le Parti socialiste SFIO des Pyrénées-Orientales s’était scindé, puisque Joseph Rous avait fait dissidence, la section de Perpignan entama une procédure d’exclusion contre Fernand Cortale ainsi que contre autres militants perpignanais de la « Gauche révolutionnaire », Georges Delcamp et Isidore Forgas. Fernand Cortale assura plus tard (1974) qu’il démissionna de la SFIO avant même d’en être exclu.
Entre 1937 et 1938, Fernand Cortale demeura dans l’expectative. Il eut des discussions avec des militants du Parti communiste, mais il gardait d’étroits contacts avec la « Gauche révolutionnaire », la tendance « pivertiste » (du nom de son chef de file, Marceau Pivert) de la SFIO. Il adhéra au PSOP dès sa fondation, après l’exclusion de la « Gauche révolutionnaire » par le congrès de Royan de la SFIO tenu à Royan en juin 1938. Il participa aux diverses activités de ce parti dans les Pyrénées-Orientales. Il eut l’occasion d’assister à des réunions que les militants catalans du PSOP tenaient au bar Continental, à Perpignan, place Arago, avec leurs camarades du POUM, alors clandestins et traqués depuis les tragiques événements de mai 1937 à Barcelone.
La désagrégation du PSOP après la déclaration de guerre laissa Fernand Cortale déçu et amer. Mobilisé à Istres dans l’aviation, il fut d’abord affecté à Châteauroux puis sur une base aérienne de Haute-Marne. À Châteauroux, il fit la connaissance d’un militant communiste cérétan, Jean Paloma, avec qui il eut des discussions politiques. Les arguments du Cérétan, qui prit la défense du pacte germano-soviétique et de la nouvelle politique du PC récemment dissous, ébranlèrent les convictions de Fernand Cortale qui, jusque-là, avait été anti-stalinien. Dès son retour à Perpignan, pendant le courant de l’été 1940, Fernand Cortale essaya de prendre contact avec le parti communiste clandestin qui manifestait sa présence par la distribution de tracts et la rédaction d’inscriptions murales. Mais il fut éconduit par les militants du PC et notamment parJulien Dapère : pour les staliniens de l’époque, le fait d’avoir milité dans les rangs du PSOP le rendait suspect de « trotskysme » et ils se méfiaient de lui. Fernand Cortale était en contact avec deux anciens militants du PSOP, Georges Delcamp et Émile Masnou, désireux comme lui, de participer à la lutte que le PC intensifia, en modifiant le contenu, après l’entrée des troupes allemandes en territoire soviétique (22 juin 1941).
En 1942, ces trois anciens pivertistes étaient en contact avec un maçon communiste du quartier Saint-Jacques de Perpignan à qui ils demandèrent de pouvoir intégrer le PC clandestin. Ce militant les mit alors en contact avec Marie (« Mimi ») Sicart qui avait alors des responsabilités dans l’appareil clandestin du PC. Leur demande d’adhésion fut acceptée. Tenus de faire leurs preuves, on leur confia, en mai 1942, la mise en route du groupe départemental des FTPF. Fernand Cortale (« Lapeyre » puis « Gravas » dans la clandestinité) devint le « commissaire technique régional » des FTPF des Pyrénées-Orientales. Il les dirigea de concert avec son ami Georges Delcamp, le « commissaire régional aux opérations ». Ils participèrent à des distributions de tracts ; mais bientôt (fin 1942, début 1943), dans leur tâche de reconstitution des FTP, ils durent réorganiser le petit et éphémère maquis de Caixas (dont s’était par ailleurs occupé le Thuirinois Émile Lassalle) ainsi que le premier maquis du Canigou (baptisé « Henri Barbusse ») et implanté près de Cassagnes et qui n’a rien à voir avec le maquis organisé plus tard par les frères Panchot (Julien Panchot) que son responsable, Antoine Tomas, retrouva un jour « vidé » des personnes qui l’avaient initialement intégré. Un Biterrois, Manuel Serra, renforça le groupe de FTP au sein duquel agissait Fernand Cortale. Avec ses camarades, il orienta l’action de propagande et de recrutement en direction de la jeunesse scolarisée. Bientôt fut constitué par des élèves du collège de garçons de Perpignan un groupe « militaire » dont Fernand Cortale assura la direction. En quelques mois, ce groupe, dit « groupe du lycée », réalisa de nombreuses opérations à Perpignan : des bombes furent posées au bureau de placement allemand, au siège perpignanais du PPF (Fernand Cortale y déposa lui-même, en juin 1943, la bombe qu’il avait fabriquée et fit sauter le local), à la librairie allemande de Perpignan ; des déraillements de trains furent réalisés près de Perpignan ; des wagons sautèrent à la gare de triage de Perpignan et aux entrepôts ferroviaires de l’usine Chefdebien. Fernand Cortale et ses trois camarades, Georges Delcamp, Émile Masnou et Manuel Serra, réussirent à nouer des contacts avec des mineurs du Conflent (Sahorre, Vernet-les-Bains, Fillols) et un groupe de FTPF fut constitué dans cette région. Les mineurs fournirent de la dynamite pour diverses actions de sabotage : Fernand Cortale lui-même alla chercher près de Prades un sac tyrolien rempli de dynamite que lui portait un mineur de Fillols, Sébastien Rius, alias « Constantin ». Les rapports entre, d’une part le Front national et les FTPF et d’autre part, les MUR et l’AS, furent, au plan départemental, assez tendus (sauf dans le Vallespir où les résistants des deux tendances formèrent de fait un groupe unique). Jusqu’au mois de mars 1944, aucune action ne fut entreprise en commun entre les FTP et l’AS.
En février ou en mars 1944, Fernand Cortale, dont la tête était mise à prix tant par la police vichyssoise que par la Gestapo, dut quitter le Roussillon. À cette date, le nombre des FTP dans les Pyrénées-Orientales se chiffrait à environ 200.
En mars 1944, Fernand Cortale s’installa à Carcassonne : on lui confia des responsabilités à la tête des FTP de l’Aude et de l’Hérault où il fut amené à se déplacer, muni d’une fausse identité. Il échappa de peu à la Milice, alors qu’il s’entretenait, dans un restaurant de Narbonne avec l’« oncle René », instituteur et organisateur des FTPF dans la haute vallée de l’Aude.
À la suite de cet épisode, il quitta l’Aude pour Toulouse. Il réussit très rapidement à renouer le contact avec les FTP locaux et devint responsable départemental des FTPF de la Haute-Garonne (commissaire aux opérations régional de la R4 des FTPF, la Haute-Garonne).
Alors que son prédécesseur avait mis en place un appareil FTP et MOI (Main-d’œuvre immigrée) important, il œuvra pour sa part au renforcement des maquis (FTPF) du département, en fait, pour l’essentiel de la 3401e compagnie des FTPF, implantée dans le Comminges (Il y eut un deuxième petit maquis des FTPF de la Haute-Garonne, implanté près de Boulogne-sur-Gesse, aux confins du Gers et des Hautes-Pyrénées, le 3403e compagnie des FTPF).
Cette 3401e compagnie, connue aussi comme "maquis de Betchat", commandée par Jean Blasco alias "Max", âgé seulement de 20 ans, posa maints problèmes du fait de l’activisme, de l’impétuosité et du manque de sens tactique de son chef qui, cependant, bénéficia du soutien constant de Cortale (qui, toutefois, désavoua Max pour la conduite de son action à Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, le 27 juillet 1944 : voir en particulier Tamasy Adalbert). Cortale savait-il qu’en "couvrant" un chef aussi irresponsable que "Max", il donnait carte blanche à un homme qui s’était permis de "liquider" des résistants ou des civils innocents qu’il accusait sans preuves d’être des miliciens ou des collaborationnistes ? Rien ne le prouve, mais, dans le Comminges, le prestige des FTPF fut , pour le moins, terni, même si la plupart des combattants de la 3401e compagnie n’eurent rien à se reprocher et combattirent valeureusement. Henri Soum (op. cit., 1995) reproduit plusieurs "communiqués" manuscrits de "Gravas", évoquant les exécutions de traitres, réels ou imaginaires par "Max" et son petit groupe d’hommes de main issus du maquis de Betchat.
Sous sa direction les FTP toulousains entreprirent diverses actions : destruction de convois allemands, de pylônes de lignes à haute tension et ils provoquèrent sept déraillements de trains en un mois. Fernand Cortale participa à l’organisation militaire de l’insurrection de Toulouse (dont la date fut fixée le 16 août 1944) avec Ravanel, le responsable régional des FFI. Peu après que l’insurrection eût triomphé à Toulouse, Fernand Cortale eut une altercation avec Pierre Bertaux, commissaire de la République désigné par Alger. Cet incident est relaté de façon très polémique par ce dernier dans son livre, Libération de Toulouse et de sa région.
Après la Libération de Toulouse, Fernand Cortale devint responsable des FFI de la Haute-Garonne. Il succéda à ce poste à Jean-Pierre Vernant. Rapidement intégré dans l’armée régulière, il fut promu au grade de lieutenant-colonel : on lui confia la responsabilité de la subdivision militaire de l’Ariège. On l’envoya ensuite à Castres (Tarn) suivre des cours dans une école pour officiers supérieurs. Mais ce stage fut rapidement suspendu et il fut démobilisé et versé dans le cadre de réserve sans qu’aucune explication ne lui ait été fournie (12 mars 1946). En fait, son appartenance au PCF le rendait suspect aux autorités militaires. Par la suite, Fernand Cortale apprit que le motif de son renvoi aurait été l’intérêt particulier avec lequel il aurait étudié les combats de rue. Mais, ce thème n’était pas au programme de l’école de Castres...
Revenu à la vie civile après son bref passage dans l’armée d’active, Fernand Cortale s’installa à Toulouse où il résida jusqu’au début de 1947. Pendant toute la durée de son séjour dans cette ville, il fut secrétaire de la section de Toulouse Nord du PCF.
De retour à Perpignan, il reprit son magasin de meubles au boulevard Clemenceau (« Mobilia ») et milita fort activement au PCF. Peu de temps après son installation définitive en Roussillon, il accéda au secrétariat de la Fédération communiste des Pyrénées-Orientales (conférence fédérale de Prades), en même temps que Léon Bourrat, et Léopold Roque. Au sein du secrétariat fédéral, il fut chargé de l’organisation. Il demeura à ce poste jusqu’en 1953.
Fernand Cortale fut conseiller municipal de Perpignan de 1947 à 1959. (municipalités à direction SFIO de Félix Mercader et Félix Depardon). Il fut à trois reprises candidat du PCF aux élections sénatoriales dans les Pyrénées-Orientales (1952, 1958, 1965). En dépit du fait que le PCF soit devenu, après la Libération, le parti le plus important des Pyrénées-Orientales, il ne fut jamais élu. Suppléant d’André Tourné, candidat du PCF aux élections législatives de novembre 1962, dans la circonscription de Perpignan-Prades, il fut élu. Il demeura le suppléant du député des Pyrénées-Orientales jusqu’en mars 1967.
Fernand Cortale, retiré à Perpignan, continua de militer dans les rangs du PCF où il n’exerçait plus aucune fonction de direction. Atteint d’un cancer, il mourut le 4 février 1981.
Par André Balent
SOURCES : Arch. com. Perpignan, registre de l’état civil. — André Balent, « Perpignan la résistante », in Michèle Ros, Raymond Sala (dir.), Perpignan une et plurielle, Perpignan, Éd. du Trabucaire et Ville de Perpignan, 2004, p. 523-549. — André Balent & Yvette Lucas, « L’ordre d’opérations donné par Fernand Cortale, dit Gravas (de Perpignan), à Toulouse le 15 août 1944 », Le Midi Rouge, bulletin de l’Association Maitron Languedoc-Roussillon, 34, 2020, p. 34-37. — Roger Bernis, Roussillon politique du réséda à la rose, t. 1 : Le temps de Quatrième (1944-1958), Toulouse, Privat, 1984, 286 p. — Pierre Bertaux, Libération de Toulouse et de sa région, Hachette Littérature, 1974. — Gérard Bonet, Les Pyrénées-Orientales dans la Guerre, 1939-1944, Le Côteau, Horvath1, 1992, 176 p. — Ramon Gual, Jean Larrieu, « Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane », II a : « Iconographie : documents, photos, presse... Els Alemanys fa (pas massa) temps », Terra Nostra, 91-92, Prades 1996, 424 p. ; II b : « Iconographie : documents, photos, presse... De la résistance à la Libération », Prades, 1998, 687 p. — Jean Larrieu, « Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane », t. 1 : « Chronologie des années noires », Terra Nostra, 89-90, Prades 1994, 400 p. — Georges Sentis, Les Archives des FTP catalans (hiver-printemps 44), Lille, Marxisme-Régions, 1984, 72 p. — Georges Sentis, Les Communistes et la Résistance dans les Pyrénées-Orientales, Lille, Marxisme-Régions, 2 volumes, 1983, 1985. — Henri Soum, La mort en vert-de-gris. Le maquis de Cazères, Toulouse, Signes du Monde, 1994, 280 p. [p.205-207]. — Henri Soum, Ceux de Balesta, Toulouse, Signes du Monde, 1995, 341 p. [p. 88-127]. — Le Travailleur Catalan, Perpignan, 1944-1981 et 31 août 2007. — Entretien avec Fernand Cortale (Perpignan, 11 octobre 1974).