LIANG Yongzhang 梁永章

Par Alain Roux

Syndicaliste de Shanghai.

Syndicaliste dont l’opposition affichée à la dérive répressive de la politique ouvrière de la clique CC fit espérer aux labour attachés britannique et américain qu’il existât une troisième force entre le GMD de Chiang Kaï-sheck et les communistes de Mao Zedong.
Sa biographie confirme plutôt l’ambiguïté de ses relations avec un régime qu’il soutint malgré tout jusqu’au bout : en effet, s’il dénonça le contrôle de plus en plus étouffant de Lu Jingshi* et des agents du juntong ou du zhongtong sur le monde syndical, il ne chercha jamais à construire une quelconque alternative à l’hégémonie de ces réseaux maffieux et collabora en définitive avec eux après les avoir combattus. Liang Yongzhang était le président du syndicat des employés de la compagnie du téléphone (电 话) de Shanghai, une société américaine. Ce syndicat a été enregistré auprès des autorités le 13 avril 1946 et comptait 1281 adhérents. Liang Yongzhang, dont le nom est transcrit en Y.C.Liang dans la presse de Shanghai en langue anglaise, est né à Fuzhou. Diplômé du lycée de cette ville, il entra comme employé de bureau au service de la compagnie du téléphone dont il présida le syndicat dès sa création. À ce titre, il participa le 23 janvier 1946 à un meeting de soutien à la grève des travailleurs de la Shanghai Power, une autre société américaine qui fournissait l’essentiel de l’électricité de Shanghai. Cette action ouvrière s’incrivait dans un mouvement multiforme, dont une grève fort suivie dans les cotonnières, qui finit par aboutir à la décision gouvernementale d’indexer les salaires sur le coût de la vie. Les grévistes, massés dans le hall de la centrale thermique située à l’extrême-est de Yangshupu, protestaient contre des licenciements et revendiquaient une hausse subtantielle des salaires à l’occasion du nouvel an lunaire afin de faire face à une inflation galopante. Liang Yongzhang fut un des dix syndicalistes des entreprises d’utilité publique de Shanghai qui s’adressèrent aux manifestants, dont deux autres reponsables de son syndicat, deux responsables de la compagnie des eaux, deux responsables de la compagnie du gaz, un responsable de la compagnie anglaise des tramways et deux responsables de la compagnie française de l’eau et de l’électricité (la Fadian, 法电). La tribune était ornée d’un drapeau chinois et ….d’un drapeau soviétique, entre le V de la victoire et…. un portrait de Staline. Si presque tous ces orateurs avaient été à un moment de leur carrière syndicale plus ou moins des protégés de *Zhou Xuexiang, le « labor boss » qui dominait Yangshupu, ce n’était pas le cas de Liang Yongzhang. De plus, le président du syndicat de la Shanghai Power, Ouyang Zhuren*, ainsi que celui de la Fadian, Zhu Junxin*, étaient soupçonnés avec raison par la police d’être des communistes. D’ailleurs la décoration de la tribune du meeting envoyait un message dépourvu d’ambiguïté ! La présence de Liang Yongzhang à ce meeting, au moment précis où, dans son propre syndicat, il s’opposait à des militants communistes (voir à Lu Wenda* et Fan Mengqing*) sans trop regarder sur les moyens employés pour les éliminer, constitue une affirmation d’indépendance par rapport aux hommes de Lu Jingshi* et de la clique CC qui cherchaient depuis l’automne précédent à refouler les communistes des directions syndicales que ces derniers avaient conquises. Cette position fut rapidement inconfortable : élu parmi les neuf membres de l’éxécutif du Syndicat Général de Shanghai lors de son 5° congrès à l’automne 1946, Liang Yongzhang était le seul à ne pas être un protégé de Lu Jingshi ou de la clique CC. Il prenait ainsi le risque de servir à dissimuler la main-mise sur les syndicats de gens qu’il dénonçait par ailleurs comme des « fascistes ». Lors de la crise de 1947, survenue quand le gouvernement décida de geler l’indexation des salaires sur le coût de la vie, il dit au « labor attaché » américain Etter le 26 février 1947 sa crainte que cette décision ne causât des troubles graves , « avec le risque d’une grève générale, de violences et d’un bain de sang ». D’après le rapport n°6 de février 1948 du labour attaché britannique Hunt, il tint à ce dernier des prois qui éclairent son attitude : « C’est très difficile dans les syndicats. Nous n’aimons pas les communistes, mais nous n’aimons pas non plus les fascistes (de la clique CC). Nous essayons de nous placer en dehors de la politique, mais c’est difficile à doser ». L’imbroglio syndical de juillet 1947, durant lequel Liang Yongzhang joua un rôle central, nous révèle la complexité de ce « dosage ». Le 1° juillet, alors que le gouvernement avait reculé à la fin mai et rétabli l’indexation des salaires sur le coût de la vie devant l’ampleur de l’opposition ouvrière, Liang avait convoqué une réunion de trente délégués de 18 syndicats. L’ordre du jour de cette réunion était : « Unissons les forces ouvrières et éliminons les syndicalistes-racketteurs » (tuanjie gongren liliang, suqing gonggun fenzi). Liang présenta divers conflits en cours en dénonçant le rôle joué par des « gourdins ouvriers » « dont les agissements nuisaient aux intérêts des ouvriers ». Il exigea notamment la destitution d’un « commissaire » du dangbu nommé auprès du syndicat des ouvriers du tricot du 2° arrondissement (une partie de l’ancienne concession française et de la vieille ville) : ce Zhang Dongquan, membre de la CA du Fulihui, était un agent de Lu Jingshi. Le lendemain 2 juillet, le Li Bao, ce journal « moustique » qu’avait acheté Lu Jingshi, parut avec un bandeau qui barrait sa page 4 : « Colère ouvrière à propos du bavardage organisé la veille par quelques individus au nom du Syndicat Général ». Liang Yongzhang y était dénoncé, sans être nommé, dans un article sur un meeting de 119 représentants de 56 syndicats qui demandaient que l’on sanctionnât son usurpation du nom du Syndicat Général et qui prenait la défense des syndicalistes racketteurs (gonggunzi) dénoncés la veille ainsi que de Zhang Dongquan. Tout serait clair dans cet incident si, lors de ce meeting du 1° juillet, Liang Yongzhang n’avait pas donné la parole... à des « gourdins ouvriers » comme *Lin Chunting ou à des créatures de *Zhou Xuexiang comme Yao Ligen* guère plus recommandables ! Ou s’il n’avait pas désigné comme des « gourdins ouvriers » la fraction communiste de son propre syndicat. Délégué au congrès du travail, réuni à Nankin du 18 au 22 avril 1948 pour mettre sur pied un Syndicat Général Panchinois face à celui que les communistes se préparaient à inaugurer à Karbin, Liang Yongzhang dit à Hunt sa déception devant les manipulations de Lu Jingshi qui avaient abouti à une totale main-mise de la clique CC sur cet organisme, tout en acceptant une place dans son exécutif où il n’était qu’un otage. Il en fut de même à l’occasion du 6° congrès du Syndicat Général de Shanghai réuni le 21 novembre 1948 sous la présidence de Zhou Xuexiang. Liang Yongzhang en était le vice-président, tandis que les 700 délégués s’empressèrent dans les semaines qui suivirent soit de partir pour des missions sans retour à Hong-Kong ou à Taiwan soit de rendre vissite à leur famille en province sans se presser de regagner Shanghai. En mai 1949, alors que l’Armée Populaire de Libération entrait dans Shanghai, Liang Yongzhang se trouvait à New Delhi où il assistait aux côtés de *Shui Xiangyun et de Lu Jingshi à la Conférence Mondiale Asiatique de l’Organisation Internationale du Travail. Il est vrai que la publication communiste Laodong Tongxun (« Informations du Travail »), dans son numéro 26 du 31 mars 1949 l’avait listé parmi les « gonggun tewu » (工棍特务), les « syndicalistes espions et racketteurs », ce qui ne lui laissait que peu d’illusion sur le sort qui l’attendait s’il rentrait à Shanghai. Le même article précisait d’ailleurs qu’il avait cédé le pas de porte de l’appartement qu’il louait à Shanghai contre 25 onces d’or et envoyé sa famille à Fuzhou, en préparation d’un départ pour Taiwan.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article207035, notice LIANG Yongzhang 梁永章 par Alain Roux, version mise en ligne le 1er octobre 2018, dernière modification le 5 novembre 2022.

Par Alain Roux

SOURCES : Roux, 1991, et les labo(u)r reports de Hunt et de Etter.

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