OUYANG ZURUN 欧阳 祖潤

Par Alain Roux

Né en 1923 à Canton ; militant syndical communiste très actif à Shanghai entre 1946 et 1948 dont on peut suivre la carrière jusqu’à sa retraite dans les années 1980.

Ouyang Zurun était un ouvrier mécanicien qualifié, comme l’étaient de nombreux travailleurs de cette spécialité à Shanghai. Au lendemain de la « libération » de Shanghai en 1945 il travaillait à la Shanghai Power (Dianli), la puissante centrale thermique située à Yangshupu, qui était à cette date une propriété américaine (Edison). Il était un des disciples préférés (menshou) de Zhou Xuexiang*, le puissant « caid ouvrier » de Yangshupu et avait sans doute, comme son maitre, des affinités avec la « Bande Rouge » (Hongbang), une filiale de la Triade. Durant l’hiver 1945,il a jeté les bases avec 105 travailleurs de la Shanghai Power d’un syndicat des travailleurs de l’électricité du 4e arrondissement (Yangshupu). Comme l’indique un rapport de police du six janvier 1946 il cherchait alors à voler de ses propres ailes et à s’affranchir de ses tutelles initiales. Le même rapport comportait une lettre du directeur de l’entreprise qui demandait d’enquêter sur cet « insolent jeune homme » (il n’avait que 23 ans) qui avait présenté les revendications des travailleurs en menaçant de lancer une grève à l’occasion du nouvel an lunaire si l’on n’accordait pas aux travailleurs une prime annuelle, un réajustement des salaires à la hausse du coût de la vie et la reconnaissance du syndicat. Le patron américain voudrait savoir :1°« S’il ne recevait pas ses ordres de l’extérieur pour lancer un mouvement xénophobe (paiwai) » 2° S’il ne travaillait pas pour son maitre Zhou Xuexiang ? 3°S’il ne cherchait pas un profit immédiat ? » Cette grève de 1.000 travailleurs s’inscrivait dans un mouvement plus général des entreprises d’utilité publique de Shanghai, avec les deux compagnies de tramways, la compagnie des autobus, la compagnie de l’eau et celle du gaz. Elle prit la forme d’une occupation du bâtiment central de Yangshupu où se tint le 5 janvier un meeting des cinq syndicats concernés présidé par lui-même et par Zhou Weixing*, un homme de Lu Jingshi*. Une intervention de voyous locaux pour mettre fin à l’occupation entraîna une descente de police et l’arrestation de Ouyang Zurun. Mais le succès du mouvement revendicatif à la CFTE ( Fadian) relança la grève à la Shanghai Power, qui reçut le soutien du Syndicat Général de Shanghai : on était alors en plein conflit entre Lu Jingshi* et Wu Shaoshu* qui venait d’aboutir à la destitution de ce dernier par Chiang Kai-shek : pendant quelques semaines les gens de Lu Jingshi avaient relayé l’agitation sociale pour faire tomber leurs adversaires accusés d’être incapables d’assurer la paix sociale. Zhou Xuexiang* avait d’ailleurs affirmé que la grève de la Shanghai Power était exemplaire. Le 13 février un accord fut signé : le syndicat était reconnu, la prime annuelle obtenue, et des négociations étaient ouvertes pour une indexation des salaires sur le coût de la vie.
Président d’un syndicat désormais bien implanté, Ouyang Zurun avait adhéré en juin 1946 (ou en septembre) au PCC. Il suivit une ligne étroitement revendicative, qui rappelait celle menée jadis par Xu Amei* à la CFTE ; Mais, à la différence de ce qui s’était passé en 1930 pour ce dernier, la ligne du PCC ne dénonçait plus cette attitude comme « corporatiste ». Le syndicat soutint cependant la manifestation du 23 juin 1946 contre la guerre civile lancée par le PCC et la Ligue Démocratique contre la guerre civile, mais en veillant à lui garder un caractère syndical. Il fut plus à l’aise dans le mouvement de grèves et de manifestations de rue d’avril- mai 1947 pour le rétablissment de l’indexation des salaires sur le coût de la vie que les autorités venaient de geler. En septembre 1947, Lu Jiangshi* et ses réseaux du juntong, inquiets de leur perte de contrôle sur le mouvement ouvrier, passèrent à l’offensive contre les syndicats « rouges », alors que le sort des armes, jusque-là favorable aux nationalistes dans la guerre civile contre les communistes, commençait à s’inverser. Le 23 septembre le syndicat de la Shanghai Power fut « réorganisé », avec exclusion des communistes connus. Quelques jours plus tôt, Ouyang Zurun était passé à la clandestinité. Wang Xiaohe*, un communiste de seconde ligne, non repéré comme tel par la police, était le nouveau président du syndicat « réorganisé ».
Ouyang Zurun adressa en juin 1948 une lettre à ses anciens camarades de travail pour dénoncer la vague répressive qui venait de s’abattre une nouvelle fois depuis la fin mars sur les dirigeants du syndicat dont certains étaient accusés d’actes de sabotage, ce qui avait entrainé l’arrestation de Wang Xiaohe*. Deux mois plus tard, en août, il intervint lors du 8° Congrès panchinois du travail, organisé par les communistes à Kharbin ( Heilongjiang). Il fut élu à la CA du Syndicat Général Panchinois qui fut ressuscité à cette occasion. Son intervention trancha par sa lucidité ave celle de Tang Guifen*, qui dirigeait la délégation des ouvriers de Shanghai. Loin du triomphalisme de cette dernière, il estimait « que le mouvement ouvrier dans la zone contrôlée par la Guomindang s’était affirmé dans les faits comme un puissant groupe d’intérets capable de mettre en échec l’autorité gouvernementale tout en opérant dans le cadre de cette autorité ». Ne suggérait-il pas de la sorte que ce mouvement, dont Tang Guifen* vantait le caractère révolutionnaire, était, avant tout, corporatiste ? D’ailleurs, ce passage ne se retrouve pas dans la version officielle de son discours, mais dans une publication contemporaine en langue anglaise parue à Hong Kong.
Après la « libération » de mai 1949, Ouyang Zurun fut membre de l’exécutif du Syndicat Général Panchinois, puis il disparut des tablettes pour reparaître comme président du bureau de gestion du comité du PCC de l’aciérie n°5 de Shanghai et il prit sa retraite aux Aciéries de Jiangyou, petite ville du Sichuan au nord-est de Chengdu. Une modeste fin de carrière pour un flamboyant syndicaliste révolutionnaire.

Alain Roux.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article207265, notice OUYANG ZURUN 欧阳 祖潤 par Alain Roux, version mise en ligne le 10 octobre 2018, dernière modification le 5 novembre 2022.

Par Alain Roux

SOURCES : Roux, 1991, p 1515-19, 1779-1782. — Archives Municipale de Shanghai : 1.7.48 pièce 1113 fiche de police du 6/01/1946.Annuaire du Travail de Shanghai 1948 pp 63-64. Shanghai gongren renwu shengping (« Biographies de personnalités du mouvement ouvrier shanghaien ») Académie de Sciences Sociales de Shanghai,1987 (tapuscrit). — China Digest 4 n°12, 19 octobre 1948 p 5 à 8, Hong Kong. 01561 Actes du 8° Congrès Panchinois du Travail (en chinois), Août 1948.

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