QI HUAIQIONG 戚怀琼

Par Alain Roux

Syndicaliste communiste dont le parcours illustre la difficulté des relations entre le PCC et les ouvrières de Shanghai à la veille de la « libération » de cette ville fin mai 1949.

Comme la plupart de la petite dizaine de militantes communistes de la cotonnière Shenxin n°9 (voir à Yang Guangming*), cette jeune ouvrière du département de filature, où elle était bobineuse, avait suivi les cours du soir de la Young Women Christian Association (YWCA) où elle s’était liée d’amitié à une militante clandestine du PCC qui l’avait fait adhérer au parti. Cachant cette appartenance, elle avait été élue à la commission de contrôle du syndicat de la Shenxin n°9. Durant la grève de janvier-février 1948, elle fut très active : vêtue d’une robe rouge, et montée sur une table, elle avait harangué ses camarades d’atelier pour les mettre en grève et leur avait appris des chansons révolutionnaires (dont l’Internationale). Elle avait lancé des tracts du haut des toits pour inciter les ouvriers des usines proches à rejoindre le mouvement. Désarmant le policier qui voulait l’arrêter lors de l’assaut qui mit fin au conflit, elle avait réussi à s’enfuir. Elle apparaît plus comme une activiste que comme une dirigeante d’un mouvement qui nous est présentée dans les sources accessibles comme dirigé du début à la fin par les jeunes hommes des services techniques et de la maintenance. Toutefois, un texte rédigé en 1982 par des historiens locaux (Shenjiu er er douzheng jiyao – « Compte-rendu des luttes du 2 février à la Shenxin n°9 ») ainsi que les souvenirs (Shanghai gongyun jishi- « Chroniques du mouvement ouvrier à Shanghai »), écrits en 1991 par Zhang Qi, un vétéran communiste, donnent une image très différente de cette « passionaria de la Shenxin ». Le « jiyao » précise en effet que Qi Huaiqiong était une des trois femmes, dont Ye Yuzhen*, qui, en octobre 1946 avaient créé une cellule communiste à la Shenxin n°9, dont Qi était la secrétaire. Très impliquée dans la célébration de la journée des femmes le 8 mars 1947, elle était très populaire et animait une sororité très influente (jiemeihui). Sur ordre du parti qui voulait exploiter son influence, elle avait transmis ses responsabilités politiques à une militante plus obscure et adhéré au GMD, ce qui lui avait permis de devenir membre de la commission de contrôle du syndicat officiel et de la direction du Fulihui géré par le BAS de Wu Kaixian*. Toutefois quand, à l’automne 1947, le PCC avait demandé au comité ouvrier de Shanghai (shi gongwei), dirigé par Zhang Qi*, de lancer des grèves dans la métropole du bas Yangzi pour aider sa contre-offensive militaire qui commençait en Mandchourie, ce fut la cellule des ouvriers masculins (nangong zhibu), dirigée par Yang Guangming* secondé par Mao Helin*, qui reçut cette mission. Quand le mouvement de grève éclata le 30 janvier 1948, ce sont quatre ouvriers mâles qui furent les porte-parole des grévistes, même si l’on comptait plusieurs femmes parmi les membres du comité de grève. Seule une des neuf revendications des gravistes présentées le 1° février à la direction concernait spécifiquement les ouvrières – la réembauche des femmes au retour de leur congé de maternité-. Cependant, sur le terrain, Qi Huaiqiong s’était affirmée comme un véritable leader, d’autant plus que les porte-parole officiels des grévistes étaient déroutés par le refus opposé par la direction à toute négociation et que Wu Kaixian* et Fan Caikui* avaient réussi à convaincre Wang Zhongliang* de prendre ses distances avec un mouvement manipulé par le « parti traitre ». Une partie des membres du Corps de la Jeunesse des Trois Principes du Peuple avait retrouvé l’anticommunisme virulent qui avait présidé à sa création par Chiang Kaï-shek. Un tract (kuaibao) distribué aux premières heures de la matinée par le comité de grève invitait les ouvriers en lutte à retrouver leur unité, signe d’un certain désarroi. Cependant, Qi Huaiqiong et ses amies venues de l’YWCA, fortes de leur expérience dans l’animation des mouvements sociaux, avaient pris en main l’organisation de la cafeteria et des corvées nécessaires à la vie d’une communauté de plusieurs milliers de personnes. Ces jeunes femmes avaient monté une chorale et une petite troupe de théâtre : une petite pièce satirique dénonçait les patrons « qui font du lard » et avaient l’« âme noire comme le charbon » , alors que les ouvrières manquaient de tout. Pis, quand des émissaires du BAS, introduits par les bons offices de Wang Zhongliang, vinrent à l’usine pour exiger une reprise du travail sans conditions, alors que des forces policières d’intervention commençaient à se masser devant les portes de l’usine, Qi Huaiqiong les fit encercler puis séquestrer par de jeunes ouvrières en colère. Or la direction du Parti avait, depuis le 31 janvier à midi, décidé que « la situation avait changé et qu’il fallait mettre fin à la grève et ne pas chercher à l’étendre à d’autres usines ». Cette consigne mit du temps à atteindre les communistes de l’usine, car le cordon mis en place par les autorités pour isoler le mouvement et en empêcher l’extension avait été difficile à franchir. Le 1° février, Qi Huaiqiong et une partie des dirigeants de la grève avaient encore comme vision stratégique de faire renaitre un mouvement de masse analogue à celui du 30 mai 1925 contre l’impérialisme britannique ou à celui de février 1946 contre la vie chère. Mais la ligne du Parti avait changé durant ces derniers mois : dans le cadre de la stratégie de Démocratie Nouvelle qui ménageait les intérêts des capitalistes nationaux dont la famille Rong, propriétaire des usines Shenxin, faisait partie, il fallait mettre fin à la grève au plus vite. L’obstination de Qi Huaiqiong à s’en tenir à la stratégie antérieure du parti et son rôle grandissant dans la direction du mouvement entrainèrent la colère d’un groupe de jeunes communistes qui s’emparèrent d’elle le 1° février en fin de matinée, l’enfermèrent dans un réduit sans électricité où ils la frappèrent et l’étranglèrent à moitié. Elle fut secourue par des ouvrières alertées par ses cris ainsi que par Yang Guangming qui dénonça l’agression dont elle avait été victime : mais Qi Huaiqiong fut aphone pendant quelques jours et mise, par la même, hors jeu dans un conflit où les porte-voix jouaient un rôle décisif. Dans l’après-midi, un débat houleux opposa entre eux les communistes, tandis que, parmi les grévistes, les partisans de l’ouverture des grilles et de la fin de l’occupation étaient de plus en plus nombreux. Zhang Qi confirme dans sa chronique (jishi) qu’un profond malaise s’était développé parmi les communistes de Shanghai durant l’année qui précéda l’entrée de l’APL dans la ville. Il nous décrit une école de deux mois pour les cadres du parti de cette ville organisée à Hong Kong par Ma Jungu* entre la mi-novembre 1948 et le nouvel an lunaire de 1949. Les stagiaires avaient été réunis sous la responsabilité de Liu Changsheng* pour étudier les directives de Mao Zedong découlant de son rapport d’octobre 1948 intitulé : « La situation actuelle et nos tâches ». Ils devaient procéder aussi à une analyse critique de la conduite des luttes ouvrières à Shanghai depuis 1945. Zhang Qi précise « que l’on avait notamment procédé à la critique de certains camarades du comité ouvrier de Shanghai pour avoir fait preuve d’impatience dans les six premiers mois de 1948 ». On signale parmi les stagiaires Qi Huaiqiong, dont on a vu qu’elle avait été durement rappelé à l’ordre et un certain Wang Zhongyi dont l’imprudence - ce membre du comité ouvrier avait sur lui lors de son arrestation une liste des militants communistes de la Shanghai Power- permettra un peu plus tard l’arrestation de Wang Xiaohe*, et qui avait visiblement mal assimilé les règles de la vie clandestine : l’un et l’autre avaient surement servi d’« exemples négatifs » durant cette école de deux mois. On n’entendit plus parler de Qi Huaiqiong par la suite. Elle fut interviewée à Shanghai par Elisabeth Perry à la fin des années 1980.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article207267, notice QI HUAIQIONG 戚怀琼 par Alain Roux, version mise en ligne le 10 octobre 2018, dernière modification le 5 novembre 2022.

Par Alain Roux

SOURCES : 1° Zhang Qi : Shanghai gongyun shi. Shanghai. Zhongguo dabai kequanshu chubanshe. 1991. 2° Shenjiu er er douzheng jiyao : rapport manuscrit de 33 pages conservé au musée de la cotonnière n°22 (l’ancienne Shenxin n°9) et consulté par Elizabeth Perry (voir son livre : Shanghai on Strike : The Politics of Chinese Labor. Stanford University Press. 1993. pages 213-214 et 307 note 159), qui a eu l’obligeance de me communiquer ses notes. Visitant moi-même ce petit musée en 1995 j’ai eu confirmation de l’existence de ce « compte-rendu » : rédigé en 1982 par « le groupe d’histoire du mouvement ouvrier de la cotonnière n°22 » il s’agissait d’une version qui, m’a t’on assuré, avait encore besoin d’être « unifiée » et corrigée. Elle ne m’a pas été communiquée.

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