TANG Guifen 汤桂芬

Par Alain Roux

Née en 1918 à Shanghai, morte e 18 février 1964 ; militante ouvrière.

Une authentique militante ouvrière qui chercha, non sans mal, à concilier son obéissance aux consignes du PCC et son engagement auprès des ouvrières dont elle avait longtemps partagé la vie.
Née en 1918 à Shanghai dans une famille d’artisans, elle fut à 10 ans une « ouvrière-enfant » dans une usine de snow-boots (taoxie). Devenue ouvrière à la cotonnière Yong’an n°3, elle participa aux luttes ouvrières de 1939, tout en suivant les cours du soir organisés par la YWCA : elle y apprit à lire et à écrire ainsi qu’à rédiger de courts essais où elle décrivait sa vie quotidienne. En octobre 1940, elle se fit embaucher à la cotonnière Tongyi et adhèra au PCC. C’est à la demande du Parti qu’elle travailla en 1942 à l’usine Tongxing qui confectionnait des uniformes pour l’armée d’occupation. De retour en 1945 à la Tongyi, elle fut très engagée dans les luttes ouvrières des lendemains de la victoire sur le Japon pour la réouverture des usines puis pour l’indexation des salaires sur le coût de la vie. Elle était membre du comité du PCC pour Shanghai-ouest. Très populaire, elle fut élue le 28 avril 1946 parmi les 8 membres du collège ouvrier qui faiaient partie des 180 conseillers du sénat municipal de Shanghai (Shanghaishi canyi hui). Pour y parvenir, elle avait dû adhérer au GMD. Elle y avait été autorisée par le PCC qui, dans le cadre de sa stratégie de Démocratie Nouvelle, participa durant quelques mois aux combats démocratiques dans une société civile qui faisait alors une fragile apparition. Tang Guifen devint ainsi, suite à des élections de délégués ouvriers en assemblée générale, la présidente du syndicat ouvrier de la cotonnière Tongyi fort de 3.100 membres et homologué par les autorités. Toutefois sa participation à la manifestation organisée par le PCC et leurs alliés de la Ligue démocratique le 23 juin 1946 pour s’opposer à la reprise de la guerre civile attira sur elle l’attention de la police qui, dans un rapport du 17 décembre 1946, la signala comme « un élément communiste ». Désormais, les enquêteurs de la police ou du BAS répétent dans leurs notes sur le mouvement ouvrier shanghaien entre 1946 et 1948 qu’il s’agissait d’une militante communiste clandestine particulièrement dangereuse. On est d’autant plus surpris de l’impunité dont elle bénéficia, malgré la répression qui s’abattit bientôt sur les membres du « parti-traitre » et leurs sympathisants. Sans doute cette situation renvoie-t’elle aux relations difficiles, non seulement entre la Clique CC et le Corps de la Jeunesse des trois Principes du Peuple (voir à *Wu Shaoshu), mais au sein même de la clique CC, entre *Lu Jingshi, partisan d’une ligne dure, et *Wu Kaixian, désireux de préserver de bonnes relations entre le GMD et le monde du travail. On en a de nombreux exemples, notamment lors de la fusillade du 4 avril 1947 à la cotonnière Dakang (voir à *She Jingcheng). À la cotonnière Dongfang n°3, le président du syndicat, *Zhu Huiyin (朱 彙濥) , un « gourdin ouvrier » lié à la clique CC et au monde des voyous, fit intervenir longuement Tang Guifen lors d’un meeting qu’il avait organisé le 17 mai 1947 pour exiger la rétablissement intégral de l’indexation des salaires sur le coût de la vie, supprimé quelque mois plus tôt par un ministère contrôlé par la même clique CC ! Sans doute y avait-il dans ce jeu trouble la volonté de capter quelquechose de la popularité de l’oratrice. À moins que Lu Jingshi et ses amis du GMD n’eussent l’espoir de la retourner, comme cela avait réussi avec *Cai Hijin. Tang Guifen, par contre, pousuivit son parcours contre vents et marées : le 4 mai 1947 elle organisa et dirigea une manifestaion d’ouvrières du quartier de Putoo pour obtenir le rétablissement de l’indexation des salaires. Lors de la grève de la Shenshin n°9, elle se montra prudente et ne poussa pas à une grève gènérale de solidarité sur le modèle du 30 mai 1925 mais elle orienta son action vers une aide aux victimes et à leur famille ainsi qu’aux grévistes emprisonnés et aux 400 ouvrières licenciées dès la réouverture de l’usine. Ce fut d’ailleurs lors d’une manifestation du début mars 1948 pour obtenir la libération des 230 grévistes encore emprisonnés que Tang Guifen fut prise au piège auquel l’ambiguité de son comportement l’exposait. Le commissaire GMD à la sécurité avait accepté de la recevoir ainsi qu’une délégation des manifestants dont elle avait pris la tête, mais il avait exigé comme préalable qu’elle lui présente avec respect un fanion brodé sur lequel était écrit de wei hua min (德 威 化民)= « l’autorité de la vertu transforme le peuple » . Ce qui signifiait que la répression exercée par les autorités le 2 février était légitime (« l’autorité de la vertu... ») et que c’était cette répression qui avait amené les ouvrières rebelles de la Shenxin à se soumettre (= la transformation du peuple....). En cas de refus, Tang Guifen aurait confirmé les soupçons qui pesaient sur elle de son appartenance au « parti rebelle », ce qui aurait entrainé son arrestation ! Mais accepter le geste de soumission demandé revenait à désavouer la grève de la Shenxin n°9. Tang Guifen avait estimé que la libération de ses camarades valait bien le prix exigé par le GMD. Le presse reproduisit une photo où on la voyait présenter respectueusement le fanion. Cette affaire rebondit lors du 6° Congrès du Travail à Harbin en août 1948. En effet, après l’affaire du fanion, la direction du PCC à Shanghai estima qu’il était temps de faire passer Tang Guifen dans la clandestinité. Pendant de longs mois, on ne parla plus d’elle : au début mai 1948, elle était réfugiée au nord du Jiangsu dans une zone controlée par l’APL, d’où elle se rendit à Harbin comme représentante des ouvriers de Shanghai dans une délégation dirigée par *Liu Changsheng. Elle y présenta un rapport assez terne sur les luttes ouvrières dans cette ville depuis 1946 dont l’idée dominante était que les ouvriers de Shanghai devaient désormais préparer l’accueil de l’APL tout en protégeant leur outil de production. Toutefois, un malaise avait accompagné cette réapparition de Tang Guifen : divers délégués shanghaiens lui reprochaient la faiblesse de la réplique à la répression lors de la tragédie de la Shenxin n° 9 et, surtout, l’affaire humliiante du fanion. Le résultat fut que l’on ne trouve que 7 Shanghaïens sur les 73 responsables nationaux élus à la tête du Syndicat National Panchinois, soit moins d’un dixième du total, alors qu’un ouvrier d’usine sur 3 travaillait alors à Shanghai. Pis : Tang Guifen, la plus connue des militantes ouvrières communistes de Shanghai, ne fut élue que très difficilement. Finalement, Li Lisan l’avait convoquée pour critiquer son comportement, dont on peut penser qu’il avait pourtant été approuvé par ceux là même qui lui en faisaient mainenant le reproche.
La suite de la carrière de Tang Guifen fut sans éclat. Elle était à la tribune dans les meetings qui accompagnèrent la « libération » de Shanghai à la fin mai 1949. Elle fut élue présidente du syndicat des ouvriers du textile de Shanghai puis du syndicat national. En 1950, elle était membre du Bureau pour le mouvement ouvrier de la région militaire et administrative de Chine orientale. Elle fut élue vice- présidente du Syndicat général de Shanghai ainsi que du Syndicat Panchinois lors des 7° et 8° congrès de cet organisme. Elle mourut d’un cancer à 45 ans le 18 février 1964.
Ainsi, après le temps des luttes courageuses face au GMD où Tang Gufen avait fait preuve d’audace et de prudence, était venu celui des honneurs et du conformisme, alors même que le mouvement ouvrier chinois traversait de graves crises (voir *Lai Ruoyu et *Li Lisan).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article207269, notice TANG Guifen 汤桂芬 par Alain Roux, version mise en ligne le 10 octobre 2018, dernière modification le 14 novembre 2022.

Par Alain Roux

SOURCES : Roux, 1991 et Dicomo p 859.

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