YANG Guangming 杨光明 [YANG Kwei-ming]

Par Alain Roux

Né en 1926 à Gaoyou (Jiangsu) ; militant communiste, leader ouvrier de la grève de la Shenxin n°9 à Putuo (Shanghai).

Yang Guangming 杨 光明 (transcrit en Yang Kwei-ming dans la presse en langue anglaise de Shanghai ).
Né à Gaoyou (Jiangsu), au nord du Yangzi (Jiangbei ou Kompo) en 1926, il travaille d’abord comme aide-mécanicien avant d’être embauché à la cotonnière Shenxin n°9 en janvier 1946 comme magasinier. Il avait adhéré à l’Association Chinoise du Travail de Zhu Xuefan* à l’automne 1945 et il s’y était lié d’amitié avec un militant communiste qui l’avait fait adhérer au PCC. Son affiliation au cercle de la Ligue de la jeunesse des Trois Principes du peuple de la Shenxin n° 9 lui servait de couverture. En effet, il était un militant du PCC de première ligne, ouvertement engagé dans les combats révolutionnaires, tandis que d’autres communistes, comme Mao Helin* et He Yuzhen* – une femme- formaient la deuxième ligne, moins exposée. Jeune, dynamique, il était très populaire. Il fut un des principaux acteurs de la grève de la Shenxin n° 9 qui se termina par « la tragédie du double deux », le 2 février 1948.
Cette vaste usine était située à Putuo, à Shanghai -ouest, non loin du Temple du Bouddha de jade, entre la rivière de Suzhou, la rue de Macao (Aomenlu) et la rue Moganshan. Elle était mitoyenne de la cotonnière Tongyi, séparée elle-même par une rue de la cotonnière Xinhe. Non loin de là, on trouvait la cotonnière Shenxi n°2 et les cotonnières nationalisées Zhongfang N°1 et n°2. La Shenxin n°9 employait à la fin 1947 7 450 ouvriers, doit 85,5% étaient des femmes. Elle appartenait à la famille Rong (荣) de Wuxi, qui était une des familles les plus notoires du « capitalisme national ». La plus grande partie du personnel était logée sur place dans des dortoirs. Un important poste de police surveillait ce quartier remuant oùtravaillaient et résidaient 40.000 ouvriers dont la moitié était employée dans les cotonnières : le 8 mai 1947 une grosse manifestation ouvrière s’y était formée. Conduite par *Tang Guifen, une militante communiste clandestine qui était la présidente du syndicat de la cotonnière Xinyu et avait été élue parmi les huit conseillers GMD du collége ouvrier du Sénat municipal (canyihui) de Shanghai, elle avait défilé jusquà la Mairie, non loin du Bund, en passant par Nanjinglu (ex Nanking-road), pour dénoncer la suppression par le gouvernement de l’indexation des salaires sur l’indice officiel du coût de la vie.
À la veille du nouvel an lunaire qui tombait cette année-là un 10 février, une vive tension était perceptible dans les ateliers de la Shenxin n°9. La guerre civile semblait s’éterniser et l’atmosphère politique était de plus en plus lourde, marquée à Shanghai en janvier 1948 par une brutale intervention de la police contre les étudiants de l’université Tongji qui manifestaient contre la cherté de la vie ainsi que contre l’arrestation de sept d’entre eux accusés de communisme. On avait assisté aussi à la mise à sac des bureaux du BAS le 31 janvier par 3.000 « sing-song girls » (= entraineuses) et leurs « protecteurs » qui protestaient contre la fermeture des dancings par des autorités saisies par une fièvre puritaine hypocrite. L’indice officiel du coût de la vie était passé de 68.200 en décembre 1947 à 90.260 en janvier 1948 avant d’atteindre 151.000 en février. Travaillant dans une usine privée, les ouvriers de la Shenxin n’avaient pas reçu le secours de deux boisseaux (entre 16 et 17 kilos) de riz bon marché et de 50 kilos de briquettes de charbon distribué seulement aux travailleurs des usines nationalisées, comme les deux usines Zhongfang toutes proches. De plus, on venait de licencier deux cent ouvrières de l’usine « pour travail insuffisant » et le bruit courait d’un renvoi de 1600 autres ouvrières à cause d’une productivité inférieure de 37,65% à celle des autres cotonnières. L’accélération rapide de l’inflation avait fait demander par les ouvriers dans de nombreuses entreprises que la traditionnelle prime de nouvel an fut calculée en l’indexant non pas sur l’indice du mois précédent mais sur celui du mois courant et en portant son montant d’un mois de salaire à deux. Cette revendication avait été souvent satisfaite. Quand on apprit à la Shenxin n°9 que cette prime ne serait au contraire que de 80% de celle de 1947 et qu’elle serait versée en deux fois, la colère monta d’un cran. Un incident fortuit suffit à provoquer l’explosion : une panne dans le circuit électrique, peut être provoquée, survenue dans la matinée du 30 janvier entraina un arrêt progressif des machines. Yang Guangming et quelques ouvriers qu’il influençait, des membres de la Ligue de la Jeunesse des Trois Principes du Peuple (voir à *Wu Shaoshu) et divers petits caids d’atelier proches de confréries plus ou moins secrètes, saisirent spontanément l’occasion pour appeler les ouvriers à se mettre en grève à l’heure de la pause déjeuner de midi et demie pour obtenir la hausse de la prime de nouvel an et le versement de rations d’aide contre la vie chère alignées sur celles des ouvriers des usines Zhongfang. Les ateliers débrayèrent l’un un après l’autre. À 18 heures, à la relève des équipes de jour par les équipes de nuit, les équipes descendantes décidèrent de rester sur place pour appeler à la grève les équipes montantes : à 21 heures 6.000 ouvriers occupaient l’usine et tenaient un meeting dans le hall. Un comité de grève de 140 personnes fut élu à mains levées et 9 revendications hâtivement rédigées furent adoptées. Vers minuit un « état-major » (zong zhihui) de quatre membres fut désigné pour rencontrer la direction. Yang Guangming fut le seul des quatre à chercher vraiment à entamer une négociation. Les trois autres ne jouèrent qu’un rôle effacé. Il s’agit de *Wang Zhongliang, un caïd ouvrier au profil douteux, de Mao Helin*, né à Nantong, au nord du Fleuve, et âgé de 24 ans, qui avait fondé le syndicat en 1946. Membre du Corps de la Jeunesse des Trois Principes du Peuple, il avait adhéré clandestinement au PCC après la mise à l’écart par la clique CC de Wu Shaoshu*. Le quatrième leader de la grève était Guan Miaofu* : lui aussi était un jeune homme de 24 ans. Né à Nanxiang, non loin de Shanghai, il travaillait dans un atelier de tissage. C’était un ami de Yang Guangming. Entre temps, les grévistes avaient envahi le club de l’entreprise, pris le contrôle du standard téléphonique et fermé toutes les portes. Le directeur Wu Shikui s’estimait donc séquestré et refusait de négocier sous la contrainte. Il est vrai que les revendications des grévistes ne furent transmises à la direction que le 1er février. En effet, les 140 délégués qu’ils avaient élus voulaient négocier tous ensemble, de peur que leurs porte-parole ne soient achetés, intimidés par la direction capitaliste, voire jetés en prison. De leur côté, des femmes, militantes de l’Young Women Christian Association (YMCA), exigèrent d’être entendues lors d’éventuelles négociations, car un seul point susceptible de les concerner – l’exigence de retrouver leur poste après un congé maternité - avait été retenu dans la liste des revendications. Il semble d’ailleurs, d’après une analyse de 1982 présentée par des historiens de Chine Populaire qu’il y eut, durant la première nuit d’occupation de l’usine, des incidents entre de jeunes ouvriers et des jeunes femmes qu’ils avaient cherché à effrayer. De plus, les membres du Corps de la Jeunesse des Trois Principes du Peuple se divisèrent entre eux sur la pousuite de la grève dès qu’il apparut qu’il n’y aurait pas de négociation, tandis que la majorité d’entre eux s’opposait de plus en plus à une action où les communistes jouaient un rôle grandissant, ce qu’ils ne pouvaient admettre.
Le 2 février les forces de l’ordre pénétrèrent de force dans l’usine occupée en suivant deux automitrailleuses qui avaient enfoncé le portail pincipal. Trois ouvrières furent tuées, dont deux par balle. 37 ouvriers et 33 policiers furent blessés. 2 500 ouvrières furent conduites au poste de police de Putuo, puis relachées après vérification d’identité. On procéda à 199 arrestations fermes et au transfert des détenus à la garnison. Dans les jours qui suivirent, la police arrêta 26 des 78 suspects en fuite : on garda finalement 236 personnes en prison pendant quelques semaines, tandis que seuls 5.000 ouvriers furent repris quand l’usine rouvrit ses portes le 15 février. Finalement 38 ouvriers dont 6 femmes seront jugés et condamnés à des peines de prison. Parmi eux Yang Guangming : Zhang Qi*, un des principaux dirigeants clandestins du Parti à Shanghai, le fit libérer dès le 27 mai 1949 lors de l’entrée de l’Armée Populaire de Libération dans Shanghai.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article207284, notice YANG Guangming 杨光明 [YANG Kwei-ming] par Alain Roux, version mise en ligne le 10 octobre 2018, dernière modification le 5 novembre 2022.

Par Alain Roux

SOURCES : Roux 1991 pp 1694-1728. — Alain Roux « La tragédie du 2 février 1948 à la Shenxin n°9 : une grève de femmes ? » in Marie-Claire Bergère : Aux origines de la Chine contemporaine : en hommage à Lucien Bianco , Paris, L’Harmattan. 2002, pp 47-81.

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