COTTIN Jean, François, Marie

Par Louis Géhin, Nathalie Viet-Depaule

Né le 29 avril 1910 à Pommerit-le-Vicomte (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor), mort le 25 novembre 1997 à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) ; prêtre du diocèse de Saint-Brieuc, prêtre-ouvrier, insoumis en 1954, professeur de mathématiques, puis ouvrier ; syndicaliste CGT au Havre (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) dans les industries du pétrole, du bois et de ses dérivés et des produits chimiques.

Issu d’une famille d’artisans bretons en milieu rural, Jean Cottin, troisième enfant d’une fratrie de neuf, fréquenta l’école primaire tenue par des religieuses dans son village natal puis le collège Notre-Dame à Guingamp (Côtes-du-Nord). Songeant à devenir prêtre (il avait trois grands-oncles prêtres), il prit une année de réflexion pour approfondir ce désir, année qu’il mit à profit pour travailler dans la petite entreprise de menuiserie que son père avait fondée. Il entra au grand séminaire de Saint-Brieuc en 1928 et fut ordonné prêtre en 1934.

Jean Cottin souhaitait un ministère axé sur les problèmes économiques et sociaux. Il avait fait en effet la connaissance de l’abbé Armand Vallée*, aumônier fondateur du secrétariat social de son diocèse, qui l’avait convaincu qu’il fallait exercer son sacerdoce sur le terrain social et avait projeté qu’il fût rattaché au dominicain Louis-Joseph Lebret*, comme aumônier de la mer. Ce projet ne put voir le jour, car son évêque lui demanda de devenir professeur, le collège Notre-Dame de Guingamp voulant absolument le recruter. Il choisit alors, de 1935 à 1939, de suivre des cours à la Sorbonne et à l’Institut catholique de Paris, pour obtenir une licence de sciences physiques. Le hasard lui fit rencontrer l’abbé Rodhain qui venait voir sa mère, hébergée chez les Bénédictines de la rue Monsieur où lui-même avait gîte et couvert. Il découvrit, par son intermédiaire, la JOCF, plus exactement les dirigeantes de la JOCF. L’abbé Rodhain, qui était responsable fédéral de Paris-Sud de la JOCF et submergé par d’autres occupations, lui demanda de le seconder. Ce fut une expérience décisive. Jean Cottin fit office, pendant deux ans, d’adjoint de Rodhain. Il se passionna, au détriment de ses études (dira-t-il plus tard) pour ces jeunes filles qui lui firent découvrir un monde méconnu (celui de la jeunesse ouvrière) et témoignaient d’un militantisme à toute épreuve.

Revenu à Guingamp en juin 1939, il fut mobilisé à la déclaration de la guerre et affecté à un régiment de Vendéens et de Morbihanais. Après avoir passé l’hiver au front, son régiment fut évacué dans l’Aisne d’où il put s’échapper en juin 1940. Il entama, dès la rentrée suivante, sa carrière de professeur de mathématiques au collège Notre-Dame de Guingamp où il inaugura la classe de mathématiques élémentaires. Il n’allait pas se contenter de cette seule activité. Fort de son expérience parisienne, il devint aumônier de JOC et en vint, assez rapidement, à s’occuper plus de l’Action catholique spécialisée et des enseignants laïcs que de ses élèves. Lecteur des Cahiers de Jeunesse de l’Église qu’avait initiés le dominicain Maurice Montuclard*, il monta deux « groupes Jeunesse de l’Église », l’un à Guingamp l’autre à Saint-Brieuc, où l’on étudiait la Bible et parlait d’actualité. Il fit venir le père Montuclard à Saint-Brieuc (avec la permission de l’évêque) et annonça que sa conférence était ouverte à tout le monde, ce qui lui valut des reproches de son évêque qui avait reçu des lettres s’insurgeant contre le « progressisme chrétien ». Ces lettres dénonçaient aussi les relations qu’il entretenait avec des enseignants laïques car, depuis 1944, il était aumônier du collège moderne de jeunes filles de Guingamp et participait aux sessions d’équipes enseignantes issues du mouvement « Paroisse universitaire », fondé par le père Pierre Dabosville.
Ces rencontres avec des laïcs furent déterminantes. Elles l’amenèrent à reconsidérer sa vie professionnelle, à penser qu’il ne pouvait pas exercer son métier de professeur toute sa vie. Ayant entendu parler du séminaire de la Mission de France à Lisieux à partir du livre des abbés Daniel* et Godin*, La France pays de mission ? connaissant l’article « Monde ancien, monde moderne » d’André Depierre* paru dans Esprit (août 1946, p. 321-344), il rendit visite à Louis Augros* en 1949 pour lui exprimer son désir d’une vie plus missionnaire. Son évêque, qui ne désirait pas ce type d’apostolat dans son diocèse, l’autorisa en 1950 à rejoindre une équipe de la Mission de France, mais ne le laissa partir qu’en 1952. Louis Augros l’affecta à Alfortville (Seine, Val-de-Marne). Pendant un an, à partir de la paroisse, il observa et découvrit la vie des habitants de la banlieue parisienne qui était implacablement rythmée, conditionnée par le travail en usine. Son orientation se renforça : c’était bien par le partage du travail qu’il fallait rejoindre les ouvriers.

Lorsque l’archevêque de Rouen, Mgr Martin, accueillit en 1952 au Havre une nouvelle équipe de prêtres de la Mission de France (il n’avait jamais été question de prêtres-ouvriers), Jean Cottin fut désigné comme chef d’équipe. Ils étaient trois au départ : Joseph Lafontaine*, du diocèse de Bayonne, Joseph Aulnette, séminariste, et lui qui avaient pris la décision de passer au travail et de faire partie de l’équipe nationale des prêtres-ouvriers. En 1954, ils choisirent de ne pas obtempérer aux décisions romaines et de rester fidèles à leur engagement dans la vie ouvrière. Ce fut après l’interdiction des prêtres-ouvriers que Jean-Marie Huret* les rejoignit (été 1954).

De 1952 à 1986, Jean Cottin fut un prêtre-ouvrier dont la vie fut mouvementée, à la fois comme ouvrier et comme prêtre. Il débuta sa vie d’ouvrier comme manutentionnaire chez un négociant en bois puis fut embauché en janvier 1953 comme opérateur à la Compagnie française de raffinage (CFR) où il vécut son premier conflit social en 1955, avec huit jours d’occupation de l’entreprise. À la reprise du travail, la répression patronale s’abattit lourdement : sur les dix licenciements, il y avait quatre délégués syndicaux dont Jean Cottin. Il fut successivement docker-charbonnier occasionnel, manutentionnaire dans le bâtiment, puis, en 1956, OS aux presses, en travail posté, dans une usine de fabrication de contre-plaqués, Multiplex. Il resta onze ans dans cette entreprise composée de trois cents personnes dont la moitié de femmes et l’autre moitié majoritairement d’immigrés. Il accepta à nouveau des responsabilités syndicales et devint secrétaire du comité d’entreprise jusqu’à la fermeture de l’usine en novembre 1967. De nouveau en chômage, il devint, en mai-juin 1968 la cheville ouvrière du comité local d’entraide et de solidarité, créé pour ravitailler les familles démunies. En août-septembre 1968, Jean Cottin retrouva du travail à l’usine Nickel, au laboratoire du centre de recherche comme OS, puis OP2 et agent technique, tout en restant syndicaliste de base et membre du comité d’hygiène et de sécurité. En 1972, le laboratoire étant délocalisé à Trappes, il opta pour la préretraite. Il s’investit alors, bénévolement, dans la formation des militants syndicaux (CGT), à Tourisme et Travail au parc de loisirs de Valmont, proposant des activités culturelles aux comités d’établissement : stages, sorties, etc., mais aussi dans un travail de réflexion sociologique, notamment, avec Fabienne Notalle*, ouvrière à Limoges, qui s’était engagée au nom de ses convictions religieuses comme les prêtres-ouvriers.

Jean Cottin avait vécu douloureusement l’incompréhension de l’Église et les sanctions qui lui ont été signifiées en 1954. Il avait été l’objet de pressions diverses pour se soumettre de la part de la hiérarchie de l’Église, de jocistes, de personnes engagées liées à La Quinzaine ou de la part de membres du Parti communiste. Il était resté au travail à cause de Joseph Lafontaine et de sa conviction que l’appareil ecclésial institutionnel était totalement archaïque et sclérosé. Il avait rallié, dès 1957, le groupe informel des prêtres-ouvriers insoumis qui s’étaient rassemblés autour de Bernard Chauveau* et avait été un de ceux qui en avaient assuré la pérennité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20781, notice COTTIN Jean, François, Marie par Louis Géhin, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 23 janvier 2022.

Par Louis Géhin, Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Articles parus dans la Lettre, « Mars 1954... mars 1964. Réflexions sur un anniversaire », n° 67-68, mars-avril 1964, p. 47-49 ; « Réflexions naïves d’un demandeur d’emploi », n° 115, mars 1968 ; « Un témoignage », n° 158, octobre 1971 ; « Le temps de travailler et le temps de vivre », n° 180-181, septembre 1973 ; « Culture et vie ouvrière », n° 186, février 1974 ; « Marxisme vivant, pratiques et réflexions de militants », n° 233-234, janvier-février 1978, p. 9-16. — « Les OS, esclaves de notre temps », Les Études, décembre 1973, p. 695-708. — « Ouvrières aux pièces », Esprit, n° 6, juin 1976, p. 1089-1104. — « Lettre de Jean Cottin à Mgr Duval », Les Cris du cœur, Mgr Jacques Gaillot, Albin Michel, 1994, p. 130-133.

SOURCES : ANMT, 1993002/003-008. — Fonds personnel Jean Cottin. — Oscar L. Cole-Arnal, Prêtres en bleu de chauffe, Éd. ouvrières, 1992. — Jean-Marie Huret, Prêtre-ouvrier insoumis, Le Cerf, 1993. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004. — Thierry Keck, Jeunesse de l’Église 1936-1955. Aux sources de la crise progressiste en France, Karthala, 2004. — Entretien avec Jean Cottin, décembre 1996.

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