COUETTE Marie [née BLUET Marie, Jeanne]

Par Slava Liszek

Née le 14 juillet 1898 à Onzain (Loir-et-Cher), morte le 5 octobre 1974 à Vineuil (Loir-et-Cher) ; employée des PTT ; résistante ; militante communiste ; syndicaliste CGT, membre du bureau de la Fédération des PTT, membre de la commission administrative confédérale (1945), déléguée de la CGT à l’Assemblée consultative provisoire (1944-1945), membre du bureau confédéral (avril 1946-novembre 1949), fondatrice de la commission féminine confédérale.

Manifestation en 1936. De gauche à droite : Maria Rabaté, ?, Cilly Vassart, Bernadette Cattanéo, Luce Langevin, ?, Marie Couette
Manifestation en 1936. De gauche à droite : Maria Rabaté, ?, Cilly Vassart, Bernadette Cattanéo, Luce Langevin, ?, Marie Couette
Collection Cattanéo

Fille d’un facteur des postes, Marie Bluet naquit à Onzain, dans le Loir-et-Cher. À l’âge de neuf ans, elle perdit sa mère et fut recueillie par un oncle, receveur des postes. À treize ans, elle revint chez son père mais, malgré son goût pour la lecture et les études, elle dut arrêter l’école pour commencer à gagner sa vie comme ouvrière dans une ganterie. Néanmoins, grâce au soutien et à l’aide de son oncle, elle put passer le brevet. Son oncle, qui était militant communiste, semble avoir joué un rôle important dans sa vie, sa formation intellectuelle et aussi politique.

En 1919, munie du brevet, Marie Bluet entra aux PTT. Deux ans plus tard, l’administration la fit « monter » aux Chèques Postaux, à Paris. Elle s’était mariée le 3 juij 1922 à Cellettes (Loir-et-Cher) avec Louis, Charles Couette.
En 1924, elle adhéra à la CGTU et (probablement au même moment) au Parti communiste. Elle signa la Lettre des 250, par laquelle 250 militants communistes critiquaient la direction du PC et la bolchevisation (« Couette, postière (Paris) », signature dans le Bulletin communiste, 22 janvier 1926, p. 215). Elle révéla très vite ses qualités de militante. Dès 1925, elle fut élue membre de la commission exécutive de la Fédération postale unitaire, et l’année suivante, membre du bureau fédéral. Déléguée par la fédération au congrès confédéral de Bordeaux, en 1927, elle y fut élue membre de la commission féminine confédérale unitaire. Elle mit en place, également, une commission féminine dans sa fédération.

La question des femmes, de leurs droits et de leur place dans l’organisation syndicale était, dès cette époque, une de ses principales préoccupations. Ainsi, entre 1927 et 1935, elle mena une bataille obstinée, souvent de concert avec La Ligue des Dames des PTT (confédérée), pour l’égalité des traitements féminins et masculins aux PTT, une lutte qui fut finalement couronnée de succès. À la même période, elle faisait aussi partie du comité central de l’Union des femmes contre la guerre.

Louis Couette* assumait les fonctions de secrétaire à l’organisation. De deux ans son cadet, il était alors employé au ministère des Finances comme secrétaire auxiliaire. Ils n’eurent jamais d’enfants. À en croire les commentaires ultérieurs des Renseignements généraux, Louis Couette n’était guère brillant et ne devait « toute son importance dans le Parti qu’à l’intelligence de sa femme et au rôle particulier que jouait cette dernière ».
Dès octobre 1939, ses activités syndicales et politiques valurent à Marie Couette d’être déplacée à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) puis, par le gouvernement de Vichy, en janvier 1940, à Châteauroux (Indre). Dans son exil, déjouant la surveillance dont elle était l’objet, elle prit aussitôt contact avec d’autres militants et s’employa à organiser la résistance sur le plan local, voire au-delà, car à plusieurs reprises les services de police signalèrent son passage à Toulouse. Finalement, elle réussit à monter à Paris où elle rejoignit le groupe communiste clandestin des PTT. Révoquée de l’administration en octobre 1940, fichée par la police comme une « communiste dangereuse », Marie Couette vécut désormais, jusqu’à son arrestation, dans une clandestinité totale, hors de son domicile, insaisissable. Elle déploya une activité inlassable au sein des PTT d’abord, où elle fit partie de la rédaction du journal clandestin Le Travailleur des PTT, participa à la reconstitution du groupe PTT-Austerlitz, joua un rôle important dans l’évasion du postier Gouzien d’un hôpital parisien. Elle dirigea aussi le travail clandestin dans plusieurs secteurs des services publics, puis au sein de l’Union départementale des syndicats de la Région parisienne.

Elle finit par être arrêtée le 1er juin 1943, au cours d’une réunion à l’hôpital Saint-Antoine. Elle fut battue, puis enfermée à la Petite-Roquette. Condamnée le 25 mai 1944, par la Cour d’appel de Paris, à dix-huit mois de prison et 1 200 francs d’amende « pour activités communo-gaullistes », elle resta emprisonnée jusqu’au 17 août 1944, où elle fut libérée par les forces de la Résistance. Dès le lendemain, elle prenait part à l’organisation de la grève insurrectionnelle et aux combats pour la libération de Paris.
Elle donna elle-même un récit de son arrestation du 1er juin 1953 : "Arrêtée avec quelques papiers relatifs au travail que j’effectuais, j’ai pu avaler le papier le plus important ; j’avais également deux trousseaux de clefs sur moi. Je fus battue, giflée à la Sûreté Nationale qui m’avait arrêtée. Ils ne purent jamais savoir ni ce que je faisais, ni où j’habitais. J’avais chez moi papiers et machines, je ne donnais aucune indication ni sur mon travail ni sur mon domicile". (Maryse Dumas, "Marie Couette", op. cit.)

Son action et son rôle dans la Résistance avaient considérablement accru l’autorité de Marie Couette parmi ses camarades de la CGT et du Parti communiste. Dès le 7 octobre 1944, au congrès de l’Union des syndicats de la Région parisienne, elle fut élue membre du bureau provisoire de l’Union. En novembre, elle fut désignée par la CGT parmi les douze délégués de la confédération à la deuxième Assemblée consultative provisoire qui allait siéger à Paris jusqu’aux élections législatives d’octobre 1945. En mars 1945, Marie Couette fut élue à la commission administrative (provisoire) de la CGT, ce qui portait à trois le nombre de femmes parmi les quarante membres de cette instance. Les deux autres femmes étaient Marcelle Delabit, secrétaire générale de la fédération des Tabacs (membre sortant), et Georgette Bodineau, secrétaire générale de la fédération de l’Habillement. En juin 1945, elle fut l’une des neuf fondatrices de l’Union des femmes françaises. Elle est parfois présentée comme élue au comité central, en tant que membre de la commission de contrôle financier, au Xe congrès du Parti communiste français (juin 1945), mais elle ne figure pas sur les listes officielles. Elle fut élue en 1947 et siégea jusqu’en 1950.

Paris à peine libéré, Marie Couette s’attela, comme ses camarades, aux tâches immenses et exaltantes de la reconstruction du pays, de l’édification d’une société nouvelle, plus juste, plus égalitaire, conformément au programme élaboré par la Résistance. Parmi ces tâches, elle se fixa d’emblée comme priorité la lutte pour l’égalité et les droits des femmes, tant dans la société en général que dans le cadre de l’organisation syndicale elle-même. Sur ce terrain, elle se retrouva tout naturellement animatrice et chef de file de tout un groupe de militantes cégétistes dont la plupart avaient déjà à leur actif leur action avant la guerre et leur engagement dans la Résistance et dont beaucoup assumaient d’importantes responsabilités dans la CGT. Toutes étaient déterminées à faire entendre leur voix dans l’organisation syndicale.

Dès septembre 1944, les commissions féminines commencèrent à se multiplier dans les fédérations, les unions départementales, parfois dans les syndicats. C’était le moyen de permettre aux militantes de se regrouper entre elles, de se concerter, de mettre au point leurs revendications et de s’encourager à les défendre, afin que l’organisation les prenne en charge. À l’automne 1945, sur décision du comité confédéral national, une commission féminine confédérale fut instituée, comprenant des déléguées de chaque fédération. Marie Couette en fut désignée, à l’unanimité, secrétaire.

Dès septembre 1944, également, la première bataille pour les droits des femmes fut engagée, presque par hasard. En effet, la « prime insurrectionnelle » octroyée par le gouvernement provisoire aux militants salariés qui avaient participé aux combats de la libération de Paris fut amputée de 10 % de son montant en ce qui concernait les femmes. C’était conforme à l’usage et à la loi qui autorisait un abattement sur les salaires féminins. Mais Marie Couette et ses compagnes se saisirent de l’incident pour réclamer la suppression définitive de cette règle. La mobilisation fut immédiate : pétitions, délégations, articles incessants dans la presse syndicale, et notamment dans La Vie ouvrière qui, chaque semaine, offrit une large place à l’expression des militantes. Leader incontesté, Marie Couette apportait à ce combat l’arme de ses démonstrations rigoureuses et de ses arguments inattaquables contre les idées reçues et les préjugés millénaires dont les femmes, en particulier les femmes salariées, étaient victimes. La bataille dura presque deux ans, mais aboutit à une victoire fondamentale : la signature par Ambroise Croizat, ministre du Travail, de l’arrêté du 30 juillet 1946 portant la suppression de tout abattement sur les salaires féminins, c’est-à-dire, selon l’expression de Marie Couette, la suppression du « salaire féminin ». Enjeu essentiel, l’égalité des salaires, n’était cependant pour Marie Couette qu’un des objectifs dans son combat pour l’égalité et les droits des femmes. Dans ses nombreuses interventions comme déléguée de la CGT à l’Assemblée consultative provisoire, elle élargissait le débat, réclamant notamment, au-delà du droit de vote qui venait d’être acquis, une égalité totale dans le travail et dans la société, l’ouverture aux femmes de toutes les professions, de toutes les écoles, la révision du Code civil qui faisait toujours de la femme, du moins mariée, une mineure, et même une légère modification à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui devrait dorénavant s’exprimer ainsi : « Les hommes et les femmes naissent libres et égaux en droits », plaçant ainsi sur un pied d’égalité les hommes et les femmes.

Au XXVIe congrès de la CGT (8-12 avril 1946), Marie Couette fut élue au bureau confédéral, première femme à siéger dans cette instance (qui comptait alors douze membres). Avant elle, seule Marie Guillot avait accédé à cette fonction, c’était en 1922, à la CGTU. Outre Marie Couette, cinq femmes furent élues parmi les trente-cinq membres de la commission administrative confédérale : Rose Étienne*, de la Fédération des fonctionnaires ; Angèle Grousset, de celle du Textile ; Marcelle Delabit, de la Fédération des Tabacs ; Alice Brisset de l’Habillement et Olga Tournade*, des Métaux. Malgré cette avancée, Marie Couette souligna que bien des progrès restaient à accomplir, puisque notamment on ne comptait que trente-sept femmes parmi les 1 100 délégués au congrès.

La victoire concernant l’égalité des salaires fut d’abord suivie d’un fléchissement dans la mobilisation des militantes, mais celle-ci reprit, paradoxalement, après les grèves de 1947 et la scission syndicale. Mais le contexte était plus difficile. L’euphorie, l’optimisme de la Libération n’étaient plus là pour les soutenir. Plus que pour de nouvelles conquêtes, les femmes devaient se battre à présent contre la remise en cause des acquis, en premier lieu celle de l’égalité des salaires. Et aussi, dans le cadre syndical, contre l’inertie, voire la mauvaise volonté des camarades hommes. L’accès des femmes aux responsabilités restait ardu, d’autant qu’elles-mêmes manquaient souvent de confiance en elles. Les militantes dénonçaient ces blocages et ces barrages, souvent avec virulence. Marie Couette préféra chercher à y remédier, par un effort de pédagogie et des pratiques concrètes immédiates. Ainsi, un Bulletin confédéral des femmes, outil pédagogique pour aider la formation des militantes, fut publié à partir de juillet 1948. Ainsi, en remplacement des commissions féminines souvent trop formelles sans lien avec les travailleuses, donc sans efficacité, elle proposa de mettre sur pied, dans les entreprises, des « sections de femmes », ouvertes à toutes les salariées, fonctionnant démocratiquement et ayant même un certain droit de regard sur le travail des instances syndicales. Dans le même esprit, elle eut l’idée de faire instituer un système de délégués suppléants au congrès confédéral. L’objectif était de permettre à certaines catégories de militants qui par ailleurs ont fait leurs preuves mais ne sont pas assez « représentatifs », pas assez connus pour que leur syndicat les choisisse comme délégués titulaires, de participer au congrès, y faire leur apprentissage de la vie syndicale, et prendre de l’assurance.

Le XXVIIe congrès confédéral, en octobre 1948, témoigna du succès de cette politique. La représentation des femmes augmenta sensiblement : le nombre des déléguées titulaires doubla par rapport au congrès précédent ; et il y eut 274 femmes parmi les délégués suppléants, soit plus du quart du total. Mais dans le contexte de la guerre froide qui se durcissait et monopolisait les énergies, l’action en faveur des femmes commença à être reléguée à l’arrière-plan. Le fonctionnement des sections de femmes en pâtissait. Des critiques de plus en plus nombreuses se faisaient jour. Finalement, au comité confédéral national du 19 novembre 1949, le bureau confédéral annonça officiellement leur suppression, en « appelant les syndicats à prendre directement en main l’organisation et la défense des femmes dans le mouvement syndical. »

Lors de ce même CCN, à la surprise et à la consternation générales, Marie Couette demanda à être déchargée de ses fonctions de secrétaire confédérale. « La lutte devient chaque jour plus dure, et je n’ai plus la force d’assumer les lourdes tâches qui incombent aux militants », expliqua-t-elle. Des rumeurs circulèrent attribuant sa démission à un désaccord au sein de la direction confédérale. Marie Couette les démentit avec indignation. En tout cas, dans la CGT, un hommage ému et unanime lui fut rendu.

Après sa démission, Marie Couette séjourna plusieurs mois en maison de repos, sur prescription médicale. Peu de temps après, elle quitta Paris et retourna s’installer dans son Loir-et-Cher natal, où elle continua de militer à la CGT et au Parti communiste. Elle mourut à Vineuil le 5 octobre 1974.
Grâce à l’obstination des militantes, et notamment d’Olga Tournade* qui remplaça Marie Couette au bureau confédéral, le principe de l’organisation des femmes dans la CGT ne fut pas modifié fondamentalement. Certes, la formule des « sections de femmes » fut bien supprimée, mais les commissions féminines furent maintenues, à tous les niveaux. Pour les militantes il ne s’agissait que d’une question de terminologie... Après quelques années de flottement dû aux difficultés de la guerre froide, l’organisation des femmes continua à progresser. La promotion des femmes dans les responsabilités syndicales également, entre autres grâce à l’institution de membres suppléants à la commission administrative confédérale. L’action de Marie Couette, son influence, avaient marqué de façon décisive et durable la politique de la CGT en ce qui concerne les femmes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20828, notice COUETTE Marie [née BLUET Marie, Jeanne] par Slava Liszek, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 23 novembre 2020.

Par Slava Liszek

Manifestation en 1936. De gauche à droite : Maria Rabaté, ?, Cilly Vassart, Bernadette Cattanéo, Luce Langevin, ?, Marie Couette
Manifestation en 1936. De gauche à droite : Maria Rabaté, ?, Cilly Vassart, Bernadette Cattanéo, Luce Langevin, ?, Marie Couette
Collection Cattanéo
Marie Couette dans <em>La Vie ouvrière</em>
Marie Couette dans La Vie ouvrière
.Emmanuel Fleury, La remontée, p.

SOURCES : RGASPI, 495 270 21, autobiographie, 04/10/1933. — Arch. Nat., F/7 15534, dossier 6747. — Arch. PPo. Paris. — Notice biographique, Le Peuple, 19-24 novembre 1949. — « Marie Couette est morte », L’Humanité, 8 octobre 1974. — Le Peuple, 1948-1950. — La Vie ouvrière. 1944-1949. — Journal officiel, Débats à l’Assemblée consultative provisoire, 1944-1945. — Congrès confédéraux de la CGT de 1946 à 1948, comptes rendus in extenso. — Comité confédéral national du 19 novembre 1949, compte rendu sténo, Arch. de l’Institut CGT d’histoire sociale. — Madeleine Vignes, Le Journal des Dames des PTT éd. M. Vignes, 1992. — Notice DBMOF. — Slava Liszek, « 1944-1946, La Bataille pour la suppression du "salaire féminin" », in La CGT et la défense des femmes salariées, de 1944 à 1968, DEA, Paris VII, 1997. — Slava Liszek, « La Bataille des militantes de 1944 à la fin des années 1950 », in Élyane Bressol, Michel Dreyfus, Joël Hedde et Michel Pigenet, La CGT dans les années 1950, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 157-168. — Maryse Dumas, "Marie Couette : Une militante acharnée pour les droits des femmes et les conquêtes sociales", Le Relais, mars 2019.

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