LETESSIER Mathurin, François, Joseph [Dictionnaire des anarchistes]

Par Dominique Petit, Rolf Dupuy

Né le 18 août 1858 à Nantes (Loire Atlantique). Célibataire, journalier. Anarchiste de Nantes.

Au début des années 1890 Mathurin Letessier (parfois orthographié Leteyssier ou Tessier) était l’un des vendeurs à la criée du Père Peinard à Nantes où il demeurait 8 rue Perelle.
Il était tatoué sur le bras gauche de deux guirlandes avec, écrit au milieu, Souvenir du Tonkin.
La veille et le jour même du 1er mai 1891, c’était devant Cails et Letessier, que Régis Meunier, se serait écrié : « alea jacta est, ... Le sort en est jeté, les bourgeois y passeront jusqu’au dernier ; puisque nous ne pouvons rien ouvertement, agissons à la sourdine et discrètement à cause des faux frères qui peuvent se glisser parmi nous ».
Membre semble-t-il de la commission exécutive de la Bourse du travail, Letessier fut l’un des promoteurs et organisateurs de la grève générale de fin avril-début mai 1893.
Il participait à toutes les réunions publiques où il prenait la parole pour « exposer ses idées subversives ». Il avait été condamné à 4 reprises à des peines de 1 à 6 mois de prison pour « outrages, rébellion, coups et blessures ».
Il était alors considéré comme l’un de responsables du mouvement anarchiste à Nantes.
Le 16 décembre 1893, il fut arrêté et poursuivi pour menaces verbales, voies de fait, tapage injurieux.
Le propriétaire de la chambre que Letessier habitait alors rue des Olivettes, lui ayant donné congé, il avait bousculé une des personnes de la maison et avait vociféré, dans la rue, en état d’ivresse, de nombreuses injures à l’égard de son propriétaire. Il avait crié à plusieurs reprises : « Je ferai sauter ta maison avec une bombe, comme a fait Vaillant à la Chambre des députés ! ».
Arrêté par la police, il fut emmené au parquet ; après avoir été interrogé, il fut incarcéré et déféré en flagrant délit devant le tribunal correctionnel qui le condamna le 22 décembre 1893 à 6 jours de prison pour coups et 5 jours pour tapage injurieux.

En août 1894, la commission exécutive de la Bourse de Nantes lui demanda de s’expliquer sur ses liens supposés avec la Police. Letessier raconta qu’un agent lui avait proposé de rencontrer chez lui, clandestinement, le commissaire central de Nantes. Curieux, il s’y était rendu et bien vite le commissaire lui avait mis le marché en mains : prendre des notes lors des réunions et « si vous découvrez un complot – nous
en avertir illico – nous voulons à tout prix savoir avant la presse ce qui se passe » ; avant d’ajouter : « Je suis fils d’ouvrier, je suis plus communiste que vous. Je vous demanderai aussi les noms des anarchistes étrangers venant à Nantes ». Puis le commissaire lui avait glissé deux pièces de cent sous et lui avait promit de le faire sortir de la misère. « J’avais envie de les lancer par-dessus le parapet, raconta alors Letessier, mais je me suis dit : mieux vaut me moquer d’eux et me servir de leur galette ». Bien vite les cent sous lui servirent à payer son loyer, une chemise et
quatre litres de vin. Satisfait de ces explications, « le citoyen Guérin [demanda] à la commission de féliciter le Camarade Letessier pour sa conduite »… et elle le fit, à l’unanimité. Fin de l’histoire ? Non pas !
A l’automne 1895, Letessier fut dénoncé avec moults détails par un dénommé Carré qui disait tenir ses renseignements d’un parent travaillant à la Préfecture. La Bourse du travail mena son enquête et découvrit que Carré disait vrai : Letessier était un mouchard. Mais, en poursuivant ses investigations, elle découvrit que Carré l’était tout autant. Pourquoi alors avoir dénoncé Letessier ? Parce que son contact à la police était en conflit avec celui de Letessier. Ainsi c’est la guerre des polices qui avait
permis au mouvement ouvrier nantais de se débarrasser de deux indicateurs.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article208289, notice LETESSIER Mathurin, François, Joseph [Dictionnaire des anarchistes] par Dominique Petit, Rolf Dupuy, version mise en ligne le 4 novembre 2018, dernière modification le 30 novembre 2019.

Par Dominique Petit, Rolf Dupuy

SOURCES : Le Père Peinard, année 1892 — Arch. Nat. BB18 6448, 6449 et 6455 — ; — Maurice Dommanget, Le Chevalerie du Travail française 1893-1911, Editions Rencontre, 1967, p. 349 — Claude Willard, La correspondance de Charles Brunellière socialiste nantais 1880-1917, Klincksieck, 1968 — Procès-verbaux de la Bourse du travail de Nantes (1894-1895), notes de Bernard Duval (CHT Nantes).

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