SLAMA Béatrice, Annetta, Fortunata, née SAADA

Par Élise Abassade

Née le 2 juin 1923 à Tunis (Tunisie), morte le 19 septembre 2018 à Paris (XVe arr.) ; professeure des universités ; militante communiste en Tunisie puis en France, militante féministe.

A l’ambassade de Tunisie en 2016

Fille d’une riche famille juive de Gabès (sud de la Tunisie), Béatrice Saada (surnommée « Bice » par ses ami-e-s) grandit dans une atmosphère dénuée de sentiment religieux et où les filles étaient encouragées à faire des études. Son père, tunisien, était franc-maçon ; sa mère, italienne, avait fréquenté le lycée. Élève du lycée Armand-Fallières à Tunis, Béatrice Saada obtint le baccalauréat en 1941. La même année, elle adhéra au Parti communiste de Tunisie, clandestin, dont elle avait déjà rencontré quelques militant-e-s en 1936. Elle rédigea une autobiographie « jugée trop enthousiaste » d’une quarantaine de pages et y milita immédiatement. Elle y fit la connaissance d’Ivan Slama, né en 1913, jeune médecin, qui s’était engagé dans l’aide en faveur des républicains espagnols à l’appel du journal Ce Soir. Béatrice milita activement au sein du PC dont elle ravitailla les dirigeants passés dans la clandestinité. Elle épousa Ivan en février 1943, trois jours après une perquisition à leur domicile par des agents de la Gestapo. Son époux fut alors assigné au camp militaire de Bizerte où il exerçait sa profession dans le cadre du travail obligatoire. Ils eurent un fils et une fille : Pierre et Pierrette. Sa cousine, Juliette Saada épouse Bessis, historienne, née en 1925 et décédée en 2017, milita également au Parti communiste.

Béatrice Slama estimait que les « barrières » entre groupes sociaux et ethniques de la société coloniale tombèrent au sein du Parti communiste à partir de la « Libération » de la Tunisie en 1943. Y militaient femmes et hommes de tout âge et de toute condition sociale, « israélite », « musulman-e-s », « Européen-ne-s ». Une grande solidarité et une grande amitié s’y forgèrent dans la lutte contre l’impérialisme.

Après la fin de l’Occupation allemande en 1943, elle participa à la création de l’Union des Jeunes Filles de Tunisie et en fut la dirigeante (1944-1948) et l’une des rédactrices de son organe de presse Filles de Tunisie (1945-1946). Son engagement communiste lui permit de prendre conscience du problème national et influença ses choix professionnels. Elle reprit ses études à Paris et obtint une licence d’Italien à la Sorbonne lui permettant de devenir professeur d’Italien au collège Alaoui à Tunis, de 1948 à 1961. Syndiquée de l’enseignement, elle fut secrétaire de la cellule communiste « Liberté » de la section Centre de Tunis à partir de 1950. Elle contribua également à la création de près de trente cellules d’entreprises. Militante active, elle était connue des services de renseignement qui la considéraient comme une « habituée » des assemblées communistes. Elle participa à nombre de manifestations et fut, au cours de certaines d’entre elles, molestée par les forces de l’ordre.

À partir des années 1950 elle s’engagea dans la lutte pour l’indépendance. Selon elle, les rapports privilégiés avec ses élèves, son intervention à leurs côtés lors de l’entrée de la police dans l’établissement en 1952, les pétitions, les grèves, qui la lièrent avec certains collègues, notamment destouriens, n’auraient pas été les mêmes si elle n’avait pas été communiste.

C’est aussi en raison de son engagement communiste qu’elle désira mieux connaitre l’histoire de la Tunisie. Elle se passionna ainsi pour l’insurrection de 1864 d’Ali ben Ghdahom, à laquelle elle consacra son mémoire de diplôme d’études supérieures sous la direction de Charles, André Julien. En 1956, elle se réjouit de l’indépendance de la Tunisie.

Reçue à l’agrégation de lettres modernes en 1961, elle enseigna au département de Français de la jeune université tunisienne, de 1961 à 1965, et participa à en créer le programme.

En raison d’une atmosphère délétère dont pâtissaient les juives et les juifs et de l’interdiction du PCT en 1963, elle et son mari finirent par quitter la Tunisie en 1965. Pour Béatrice Slama, leur départ fut une véritable « déchirure ».

Installée en France dans le XXe arrondissement de Paris, elle enseigna à l’Université de Paris X (Nanterre). Elle obtint la naturalisation française en 1968, alors qu’elle participait activement au mouvement de mai. À la création du centre universitaire de Vincennes en 1970, elle fit partie du corps enseignant puis occupa un poste de professeure en Littérature comparée à l’Université de Paris 8 jusqu’à sa retraite en 1993.
Spécialiste de littérature féminine, elle participait aux luttes féministes auprès de son amie Hélène Cixous. Elle anima l’un des premiers séminaires d’études féminines de France à partir des années 1970. Son féminisme n’avait, selon Gérard Haddad, « rien de grincheux », mais était « l’affirmation souriante et ferme […] que la femme a les mêmes droits que l’homme ».

En 2011, elle se réjouit de la révolution en Tunisie. Elle reçut la distinction de l’ordre national du Mérite tunisien à l’ambassade de Tunisie à Paris, en avril 2016, en compagnie de plusieurs personnalités françaises du monde de la politique, du journalisme et de la culture.

Elle témoigna sur sa formation et son engagement communiste dans l’article « La déchirure » de la revue Confluences Méditerranée, en 1994. Béatrice fit l’objet d’un film sous le titre « Béatrice, un siècle » d’Hajer Charef, terminé en septembre 2018 et projeté au cinéma de la rue Saint-André des Arts à Paris (VIe), peu de temps avant son décès qui fut annoncé notamment dans le carnet de l’Humanité du 25 septembre 2018.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article208290, notice SLAMA Béatrice, Annetta, Fortunata, née SAADA par Élise Abassade, version mise en ligne le 4 novembre 2018, dernière modification le 24 mars 2021.

Par Élise Abassade

Béatrice Slama
Premier congrès du Parti communiste tunisien en 1944.
A l’ambassade de Tunisie en 2016

Œuvre : Le fichier de la BNF comprenait en 2018 une référence :
L’Insurrection de 1864 en Tunisie, avant-propos de Charles-André Julien, Maison tunisienne de l’édition, 1967. — « Quand nous travaillions sur les femmes à Vincennes dans les années 70 », in Avenirs et avant-gardes en France XIXe-XXe siècles, La Découverte, 1999.
Elle participa aussi à divers colloques historiques portant notamment sur les questions juives.

SOURCES : Notice biographique de Béatrice Slama par Habib Kazdaghli dans Mohamed Ennafaa, Chronique Saharienne, co-éditions Attariq Al jadid-MC-Editions, Tunis, 2011.— Habib Kazdaghli, « Slama, Ivan », in Encyclopedia of Jews in the Islamic World, Executive, Editor Norman A. Stillman. — Gérard Haddad, La Revue pour l’intelligence du monde, 26 septembre 2018. — Nadia Gallico-Spano, Mabruk. Ricordi di un’inguaribile ottimista, AM&D Edizioni, Roma, 2005. — Entretiens réalisés en 1994 par Habib Kazdaghli—Entretien réalisé en 1996 par Leila Adda et Claude Nataf — Entretiens réalisés entre 2015 et 2018 par Élise Abassade. — Archives personnelles de Béatrice Slama. — Notes d’Alain Dalançon et de Jacques Girault.

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