TINCLER Valentin Jacques .

Par José Gotovitch

Montignies-sur-Sambre (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi), 26 février 1898 – Camp de Concentration de Mauthausen (commune de Mauthausen-Gusen, Autriche), 7 août 1942. Ouvrier métallurgiste, militant communiste, dirigeant fédéral du Parti communiste de Belgique, volontaire en Espagne, conseiller communal de Couillet (aujourd’hui commune de Charleroi), conseiller provincial du Hainaut, sénateur représentant l’arrondissement de Charleroi-Thuin.

Fils de Louis Joseph Tincler, journalier, né à Couillet le 19 novembre 1867, et de Marie Broodcoorens, née à Grammont (Geraardsbergen, pr. Flandre orientale, arr. Alost-Aalst) le 4 septembre 1877 (mariage à Montignies-sur-Sambre le 9 décembre 1893), Valentin Tincler achève des études primaires et entre à treize ans comme apprenti mouleur dans une fonderie de Farciennes (pr. Hainaut, arr. Charleroi). De 1917 à 1924, période interrompue par son service militaire qu’il effectue au 2ème Chasseurs à cheval en occupation en Allemagne de la fin de 1920 à janvier 1922, il est chauffeur sur générateur à vapeur à l’Usine métallurgique du Hainaut à Couillet. De 1924 à 1930, il travaille comme ouvrier spécialiste pour les générateurs à vapeur au Congo, successivement à l’Union Minière au Katanga et à la Sucrerie congolaise dans le Bas Congo.

En février 1922, Valentin Tincler épouse Adolphine Sambre (née en 1901), fille de commerçants, sans engagement politique. Leur fille, Simone, naît le 11 février 1928. Le ménage s’établit à Couillet en mars 1930.

Lecteur de L’Humanité, Valentin Tincler trouve le chemin du Parti communiste de Belgique (PCB) en janvier 1932 et devient membre de la section de Couillet. Il participe aux grèves à Marchienne (aujourd’hui commune de Charleroi) et à Charleroi. Il effectue un travail intense de recrutement dans le secteur de Couillet, Marchienne et Mont-sur- Marchienne. Il est intégré au Comité fédéral de Charleroi. Exclu du syndicat socialiste en 1932, il fait partie du Comité régional de la Centrale révolutionnaire des mineurs.
Sur le plan politique, le 4 décembre 1932, Tincler est élu au Conseil provincial du Hainaut , il y représent le edistrict de Charleroi ; il forme, avec Alexandre André, un métallurgiste de La Hestre (aujourd’hui commune de Manage, arr. Charleroi), et François Dupont, électricien de Jumet (aujourd’hui commune de Charleroi), le trio communiste du Conseil provincial du Hainaut.

La rapidité de cette ascension témoigne du manque criant de cadres communistes dans cette région où, par ailleurs, les trotskistes sont relativement bien implantés dans la classe ouvrière. Avec Désiré Desellier, Henri Glineur*, Emmanuel Willems, Valentin Tincler fait désormais partie du noyau dirigeant permanent de la région. Il n’a plus retrouvé de travail depuis mai 1932. En septembre-octobre 1933, il est pendant deux mois et demi à Moscou où il rédige une première biographie. Mais nous ignorons tout de ce séjour qui n’a laissé de trace ni à l’École léniniste internationale, ni dans les archives du Kominterm si ce n’est deux biographies, la seconde, quasi identique à celle mentionnée plus haut, étant datée de juillet 1935. Y figure également une note succincte de Henri De Boeck datée de 1936. Aucun de ces documents n’évoque une affectation quelconque à Moscou.

Valentin Tincler intervient relativement peu au Conseil provincial du Hainaut. Au cours de ce premier mandat allant de 1933 à 1936, le rôle d’animateur est exercé par François Dupont. En juillet 1933 cependant, Tincler propose au vote une motion de soutien aux mineurs borains en grève et le versement d’un subside de 250 000 francs pour les familles, demandant la réduction de 50 % des jetons de présence des conseillers à verser immédiatement aux grévistes. Dans la foulée, il présente au nom du groupe une demande de subside pour le monument Louis Tayenne (jeune gréviste tué par la gendarmerie pendant la grève de 1932 lors d’une manifestation à Roux) qui sera inauguré le 9 juillet à Marchienne. Demandes non prises en considération mais il aura plus de succès avec le vœu qu’il propose au Conseil d’émettre en faveur de l’amnistie pour faits de grèves.

Trésorier fédéral en 1934, Valentin Tincler participe à la Conférence nationale du PC de 1935. En juin 1936, il figure à nouveau en tête de liste pour le district de Charleroi aux élections provinciales. Et cette fois, il fait partie d’une fraction communiste de dix conseillers emmenés par Georges Cordier, élu de Boussu (pr. Hainaut, arr. Mons), et aux côtés de François Dupont. Réélu, Tincler, après avoir réitéré ses convictions républicaines au moment de sa prestation de serment, intervient immédiatement à propos de la catastrophe minière du Grand Trait (36 mineurs tués) à La Bouverie (aujourd’hui commune de Frameries, pr. Hainaut, arr. Mons).
Mais la Guerre d’Espagne fait irruption et Valentin Tincler, dirigeant fédéral, est directement mobilisé par l’action en faveur des républicains et, à partir d’octobre, par le recrutement en direction des Brigades internationales. Lui-même se rend en Espagne à un moment et avec une mission que ne précisent pas les sources connues. Au Conseil provincial, contrant une intervention rexiste qui s’oppose violemment au vote d’une motion dénonçant les bombardements des populations civiles, présentée par le groupe communiste, Tincler revendique sa présence sur le terrain « pour la défense de la démocratie » (20 octobre 1938). Le vœu est adopté à l’unanimité moins les voix rexistes. Cependant les listes de présences du Conseil provincial indiquent que Tincler n’a pu s’absenter longuement (peut-être entre octobre 1936 et juin 1937 ?). Il intervient encore pour le soutien financier de la Province aux enfants espagnols accueillis en Belgique. Faisant rapport au Komintern en juin 1939, Xavier Relecom, secrétaire national du PCB, mentionne Tincler « qui a été en Espagne et s’occupait de l’aide à celle-ci ». D’ailleurs, prêchant par l’exemple, le ménage Tincler héberge de 1937 à novembre 1939 Valère, un enfant espagnol de sept ans, neuvième enfant d’une famille de dix dont le père mineur est décédé des suites de blessures encourues lors des grèves insurrectionnelles de 1934. Cinq de ces enfants sont accueillis en Belgique, vraisemblablement, d’après les souvenirs transmis à sa famille, via le Home Émile Vandervelde à Oostduinkerke (pr. Flandre occidentale, arr. Furnes-Veurne).

C’est dans le cadre du recrutement pour l’Espagne, interdit par la loi du ministre de la Justice, le libéral François Bovesse, que Valentin Tincler fait l’objet d’une provocation qui tournera court. Le 2 novembre 1937 en effet, le conseiller provincial est arrêté et emprisonné ! Le matin même, trois hommes sont interpellés sur un quai de la gare de Charleroi dans un train en partance pour Paris. Ils ont été désignés à trois gendarmes présents « par hasard » par d’autres personnages qui houspillaient les partants ! Emmenés à la gendarmerie puis à la police judiciaire, les trois « voyageurs » déclarent avoir été sollicités le matin même pour partir en Espagne ! Ayant aussitôt accepté, ils sont conduits à La Fraternelle, le local du PC, dont ils décrivent l’agencement et le décor avec minutie, puis ils sont reçus par un responsable qui leur remet l’argent du voyage et l’adresse où se présenter à Paris. Confrontés aux photos de responsables communistes locaux, ils désignent Valentin Tincler comme leur interlocuteur. Son domicile est aussitôt perquisitionné, lui-même est incarcéré. C’est par la protestation qu’élève aussitôt son camarade, le docteur Louis Bourguignon*, alors sénateur communiste de Charleroi, qu’on apprend que Tincler est atteint de tuberculose. Il comparaît dès le 13 novembre devant le tribunal correctionnel de Charleroi. Chargé de sa défense, l’avocat Maurice Beublet, avocat du Secours rouge et militant communiste, va démonter le tissu de contradictions que présentent les dépositions des trois « volontaires ». La provocation est patente et le tribunal va le suivre en statuant qu’il s’agit d’un piège tendu à Valentin Tincler ! Mais là où Maurice Beublet s’inscrit dans la militance communiste d’alors, c’est dans le réquisitoire violent et longuement « argumenté » qui dénonce les instigateurs : les trotskistes « avant-garde de la bourgeoisie contre-révolutionnaire… au service du fascisme ». ! Il désigne nommément leur dirigeant carolorégien, Léon Lesoil*, comme maître de la manœuvre ! L’annonce de l’acquittement de Tincler fait le titre de La Voix du Peuple du 16 novembre 1937, qui renchérit en sous-titrant « la provocation trotskiste destinée à paralyser l’aide à l’Espagne est reconnue par le jugement du tribunal ».

Mis ainsi en lumière, Valentin Tincler est élu conseiller communal de Couillet en 1938 et sénateur représentant l’arrondissement de Charleroi-Thuin en avril 1939. Il est élu au Comité central du parti en août de la même année. Émile Bourotte, suppléant en 1936, le remplace au Conseil provincial du Hainaut. En juin 1939, Tincler consacre son « maiden speech » sénatorial à l’exploitation charbonnière et use de ses expériences au Congo pour intervenir le même mois, longuement, durement, sur l’exploitation brutale des populations congolaises. Il dénonce les bénéfices plantureux des sociétés coloniales mais sonne par ailleurs l’alerte sur les appétits hitlériens envers les richesses congolaises à la faveur d’une guerre menaçante. Il faut cesser de brimer la population congolaise afin de gagner sa sympathie au lieu de produire leur haine.

En juin 1939, un incident très violent oppose Valentin Tincler au sénateur catholique réactionnaire, Pierre Nothomb, quand, plaidant pour l’adoption d’une loi d’amnistie en faveur des combattants d’Espagne, il se fait accuser par ce dernier « d’avoir du sang sur les mains ». Tincler aura beau jeu de lui opposer la sentence rendue par les juges en 1937 mais il renonce à développer son discours car le président du Sénat, Robert Gillon, qui rappelle cependant le baron à l’ordre, refuse au communiste d’évoquer le contexte de l’agression contre la République espagnole. Le 7 février 1940, une demande d’interpellation urgente de Tincler au ministre de la Justice, le socialiste Eugène Soudan, pour protester contre une perquisition menée à son domicile en son absence est refusée par le Sénat : nous sommes en plein dans la crise consécutive au Pacte germano-soviétique d’août 1939 et dans la chasse aux journaux communistes interdits. Le caractère obsidional de la position communiste s’exprime encore mieux le 27 février quand, provoquant l’indignation des socialistes, Tincler dénonce les dirigeants syndicaux « au service des patrons ». Mais le 7 mai 1940, ignorant qu’il s’agit de son chant du cygne, il dénonce une fois encore, de manière détaillée, le système colonial belge. Il oppose les bénéfices plantureux des grandes sociétés aux salaires de misère concédés aux travailleurs noirs, par ailleurs écrasés par des impôts à payer sous peine de prison. Il souligne la mortalité due à la pneumonie, mais aussi les prix discriminatoires auxquels est achetée la production indigène. Il élargit le champ de ses critiques et, s’appuyant sur de multiples lettres reçues, il dénonce le sort fait au petit colonat blanc, écrasé de taxes. Il use d’ailleurs de formules qui sonnent étrangement aujourd’hui. Opposé à la politique de peuplement, il affirme : « La colonisation massive du Congo condamnerait nos compatriotes à devenir des nègres blancs ». Aussi conclut-il : « Les exploités blancs et noirs du Congo seront certainement d’accord avec notre parti quand nous affirmons qu’ils sont les victimes d’un régime d’exploitation, d’une politique de classe et ils nous donneront raison de voter contre le budget ». Pourquoi en effet faire peser sur l’ensemble des travailleurs de Belgique un déficit public d’un territoire dont les sociétés coloniales tirent de plantureux bénéfices ? Et il termine : « Le parti communiste revendique le Congo aux Congolais ».

Le 11 mai 1940, Valentin Tincler apprend via l’Institut national de radiodiffusion (INR) l’arrestation de plusieurs dirigeants communistes par les autorités belges, dont la sienne ! Il se met dès lors à l’abri à Solre-sur-Sambre (aujourd’hui commune d’Erquelinnes, pr. Hainaut, arr. Thuin) puis passe en France mais rentre à son domicile le 21 mai. Absent à la séance du conseil communal de Couillet du 18 mai, il est présent à celle du 22.
Il s’attelle à réorganiser la Fédération du Centre (pr. Hainaut) mais est très rapidement réaffecté à Charleroi où il participe à la mise en place des structures clandestines.

En octobre 1940 paraît le premier numéro du journal clandestin, L’Étincelle, édité par la Fédération de Charleroi du PCB. Membre du secrétariat fédéral, Valentin Tincler est aux commandes avec Henri Glineur et Désiré Desellier. Il échappe à l’opération Sonnewende et plonge dans la clandestinité. En charge de constituer les premiers groupes de Partisans armés dans le secteur de Charleroi, il est dénoncé puis arrêté, lors d’un rendez-vous en pleine rue devant l’Université du travail à Charleroi le 28 octobre 1941. Il est tombé, victime des dénonciations multiples d’un militant communiste « retourné » qui sera condamné à mort à la Libération.

Le cheminement carcéral de Valentin Tincler le mène de la prison de Charleroi à celle de Mons en janvier 1942, à Breendonk (commune de Willebroek, pr. Anvers-Antwerpen, arr. Malines-Mechelen) début mai d’où il sera déporté à Mauthausen le 11 mai.
Il meurt de maladie à Gusen le 7 aout 1942. En mars 1942, à Mons, il témoignait encore d’un certain optimisme quant à son sort et avait reçu linge et ravitaillement de sa femme. Il prodiguait aussi des conseils à sa fille quant à son travail scolaire ! Mais peu après, conscient de son avenir incertain suite aux dénonciations dont il a fait l’objet, il réussit à faire parvenir à sa femme un message indiquant les origines probables de son arrestation et l’informe de l’indemnité sénatoriale dont elle pourra disposer s’il disparaît. Il lui recommande également : « Élèves bien la petite, fais en sorte qu’elle soit toujours honnête et loyale et qu’elle ne m’oublie pas. Je te suis reconnaissant pour tout ce que tu as fait pour moi, toutes les difficultés que je t’ai créées ».

En sa séance du 11 août 1945, le conseil communal de Couillet rend un bref et discret hommage à Valentin Tincler. Il est reconnu Prisonnier politique et Résistant armé depuis le 1er novembre 1940. En 1976 ( !), il est nommé à titre posthume lieutenant-colonel de la Résistance. En 2018, il est question de donner son nom à la rue Ry Oursel où il demeurait, ce qu’avait refusé la commune en 1945.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article208987, notice TINCLER Valentin Jacques . par José Gotovitch, version mise en ligne le 18 novembre 2018, dernière modification le 20 septembre 2023.

Par José Gotovitch

SOURCES : RGASPI, 495/193/529 ; 495/74/67 – Conseil provincial du Hainaut, procès-verbaux des séances, 1932-1939 – Annales Parlementaires, Sénat, session 1939-1940 – Archives du Sénat, dossier BSEN/WWII/QUAE 681/8/1385 – Archives générales du Royaume, Direction générale des victimes de la guerre, dossier Prisonnier politique – Archives communales de Charleroi – Papiers personnels de Francis Drugman – La Voix du peuple, 1936-1937 – Le Drapeau rouge, 1er juin 1945 – LEEMANS J., Le procès de Valentin Tincler. L’histoire d’une provocation au service du fascisme, Bruxelles, CDL, 1937 – GOTOVITCH J., Du rouge au tricolore. Résistance et Parti communiste, Bruxelles, CArCoB, 2018 – Renseignements et documents fournis par ses petits-enfants et la famille de Valère en Espagne et en France.

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