GODARD Pierre

Par Jean-Paul Salles

Né le 20 août 1951 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; employé municipal et éboueur à Marseille ; militant syndical à la CGT puis à la CFDT et au SDU (FSU). Militant de la LC/LCR et du NPA de 1970 à 2013.

Pierre Godard naquit à Marseille dans une famille de six enfants. Son père, de tradition catholique, était professeur, syndiqué à la Fédération de l’Éducation nationale (FEN). Ses parents, proches du groupe Vie nouvelle, faisaient partie de ces chrétiens de plus en plus hostiles à une guerre menée en Algérie par des gouvernements français qui systématisèrent l’usage de la torture. Ils évoluèrent vers la gauche. Ayant été appelés par la Préfecture pour aider au retour d’Algériens au pays en 1962, ils se coupèrent du milieu catholique. Sa mère se rapprocha du MLF et travailla pour les Éditions des Femmes (Antoinette Fouque).
Par l’intermédiaire de sa sœur aînée, Pierre Godard côtoya, à partir de 1966, des communistes critiques, les « Italiens ». Ainsi les appelait-on car ils admiraient le Parti communiste italien, plus enclin à se détacher du modèle stalinien que le Parti communiste français. Élève de Seconde au Lycée Puget en 1968, il vécut les événements de Mai 68 à Marseille comme « une vraie merveille » (février 2013). Malgré la brièveté de ces événements, il en fut fortement marqué, à la fois par le brassage entre garçons et filles et entre milieux différents. Ainsi, il alla à la rencontre des ouvriers d’un chantier proche de son domicile. Très choqué par l’invasion de Prague et de la Tchécoslovaquie par les chars du Pacte de Varsovie en août 1968, à la rentrée lors d’une réunion publique il interpella Lucien Sève, professeur de philosophie et membre du comité central du PCF. Contacté par la Ligue communiste à l’issue de ce meeting, il s’engagea dans cette organisation au cours de l’hiver 1970.
De 1971 à 1973, après un court passage en classe prépa Agro, il devint étudiant en Sciences à la Faculté Saint-Charles. Pour gagner sa vie, en 1973 il s’embaucha comme éboueur à la ville de Marseille : « un boulot d’une intensité énorme vécu comme légitime. On aime ce métier parce qu’on est libre et on se sent utile » (Interview, La Marseillaise, 2014). Il fut éboueur pendant 23 ans puis employé au Samu social. Dès son embauche il adhéra à la CGT, très minoritaire chez les éboueurs, un syndicat que Gaston Defferre avait anéanti. Face à un syndicat FO très lié au pouvoir municipal depuis des décennies, que le maire ait été Gaston Defferre ou Jean-Claude Gaudin, il joua un rôle important dans la reconstruction de la CGT. Plus tard, il s’employa, avec le sociologue André Donzel, à décrypter dans un livre des méthodes de gestion des personnels très particulières qui ont ravagé le service public, un véritable « clientélisme collectif », que Michel Samson décrit comme « un échange de faveurs contre vote et soutien à la campagne électorale » (2017, p.74). La mise à pied de Pierre Godard, en février 1976, pour avoir distribué un tract syndical, fut à l’origine d’une grève unitaire, longue. Les autorités municipales durent avoir recours, en juin, à l’armée pour ramasser les ordures. La population ayant été solidaire, la grève se termina par une victoire, Gaston Defferre ayant cédé sur les primes revendiquées. Le syndicat de Pierre Godard, la CGT, vit ses effectifs passer de 20 à 600 membres. La grève ne se conclut pas toujours par une victoire. Ainsi, en 1983, le maire récemment réélu Gaston Defferre refusa d’intégrer les primes de nuit dans les salaires. Il fit de nouveau appel à l’armée et la grève se termina par une défaite (Rouge, 1983).
Parallèlement, Pierre Godard participa avec ses camarades de la LCR aux campagnes internationales de son organisation, notamment contre l’intervention américaine au Vietnam dans le cadre du Front Solidarité Indochine (AD13) ou contre la dictature chilienne, dans le cadre du Comité de Soutien à la lutte révolutionnaire du peuple chilien. Avec son organisation, « en position de dirigeant avec Yves Salesse », comme l’indique une note des Renseignements généraux, il participe aux manifestations antiracistes unitaires des années 1973-75, à la suite d’une série de crimes racistes commis à Marseille, comme celui de Laïd Moussa en 1975 (voir Rachida Brahim et alii, « L’antiracisme politique à Marseille, 1968-83 », in Marseille années 68, 2018, p.360). Il se solidarisa également avec les luttes des femmes pour leurs droits et il fut candidat de la LCR contre Gaston Defferre aux élections législatives de mars 1978.
Cependant, le soutien que la CGT apporta au coup d’État du Général Jaruzelski contre le syndicat Solidarność en Pologne, l’amena – avec plusieurs dizaines de camarades – à animer un courant ouvertement opposé à cette orientation qui eut un grand écho. Par ailleurs l’Appel de Marseille, lancé à l’occasion des élections présidentielles de 1981 par deux cents syndicalistes du département, fut repris par des dizaines de structures syndicales. Contre la position du Parti communiste qui se limitait à appeler à voter pour Georges Marchais au premier tour, il appelait à se saisir de ces élections pour se débarrasser enfin de Giscard d’Estaing au deuxième tour. Relayé dans de nombreuses autres régions, ce fut certainement le plus fort mouvement critique depuis la Libération (Hamel, 1982). La CGT des Municipaux perdit dans cette aventure la majorité de ses militants et syndiqués. Le dernier carré, dont Pierre Godard, fut exclu. La plupart d’entre eux se retrouvèrent à la CFDT. Avec d’autres il contribua à la montée en puissance de ce syndicat qui détrôna bientôt FO parmi les éboueurs, chauffeurs et cantonniers. Encore militant du NPA en 2010, il dirigea la liste de cette organisation aux élections régionales en ¨Provence-Alpes-Côte d’Azur, au mois de mars 2010.
Très engagé avec ses camarades territoriaux et la majorité des militants CFDT des Bouches-du-Rhône contre le plan Juppé de réforme des retraites, à l’automne 1995, ils se trouvèrent en désaccord avec la secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat. Plusieurs syndicats parmi les plus importants quittèrent la CFDT. Le syndicat des Territoriaux 13 fit ce choix à 90% de ses adhérents. Ils fondèrent le Syndicat démocratique unitaire (SDU) affilié à la FSU. Le livre qu’il a co-écrit avec André Donzel, Éboueurs de Marseille, ayant eu un écho important, Pierre Godard désormais retraité apparaît comme un expert sur ces questions. Il répond à de nombreuses demandes d’entretiens sur une question toujours sensible à Marseille.
Il est marié avec Yamina Benchenni née en 1960 à Cannes (Alpes-Maritimes). Militante contre le racisme et pour les droits des femmes, elle travaille dans un centre social. Après la mort de Lahouari ben Mohamed en 1980, elle créa le Collectif des familles victimes des crimes racistes à Marseille, puis s’impliqua dans la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Elle fut à l’origine aussi de l’Association des femmes maghrébines en action (AFMA). Membre du collectif du 1er juin 2014, elle poursuit son militantisme contre le racisme et contre les violences dans les quartiers Nord de Marseille.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article209025, notice GODARD Pierre par Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 20 novembre 2018, dernière modification le 20 novembre 2018.

Par Jean-Paul Salles

Œuvre : avec André Donzel, Éboueurs de Marseille. Entre luttes syndicales et pratiques municipales, Syllepse, 2014.

SOURCES : -Archives départementales des Bouches-du-Rhône (AD13) : 135w124 et 126, Surveillance des mouvements gauchistes et 135w125, lettre des Renseignements généraux de Marseille à la Direction générale des RG Paris, le 2 décembre 1971, à propos de l’agitation gauchiste dans les lycées de Marseille (consultés le 15 septembre 2003). — Fiche biographique de Pierre Godard, in Olivier Fillieule, Isabelle Sommier, dir., Marseille années 68, Presses de la Fondation nationale de Science politique, 2018. Cette fiche (p.209-211) reprend notamment des extraits d’un entretien conduit avec Pierre Godard en février 2013. — Michel Morel, Interview de Pierre Godard, in Rouge n° 1071, 8-14 juillet 1983, p.6. — Claude Hamel, La CGT 1947-1981, PUF, Collection Que Sais Je ?, n° 2031, 1982. — Sophie Béroud, Jacques Capdevielle « Le mouvement social marseillais au prisme du face à face FO-CGT », in Sophie Béroud, René Mouriaux, dir., Le souffle de décembre 1995, Syllepse, 1997. — Christine Cathiard, « Clientélisme. Quand un chercheur et un éboueur co-écrivent sur le service propreté de Marseille », in La Lettre du cadre territorial.fr, 24 novembre 2014. — Mireille Roubaud, « Interview de Pierre Godard : le clientélisme détruit le service public », La Marseillaise, 7 octobre 2014. -Nicolas Maisetti, « Les gars de la propreté et le pouvoir municipal à Marseille », Métropolitiques, 17 novembre 2014 https///www.metropolitiques.eu -Benoît Gilles, « La ville de Marseille censure sa propre exposition sur Mai 68 », in Marsactu, 5 mai 2018. — Michel Samson, Marseille en procès. La véritable histoire de la délinquance marseillaise, La Découverte et Wildproject, 2017.
https://www.reseau-canope.fr/notice/entretien-avec-yamina-benchenni.html
Deux entretiens téléphoniques (les 16 et 19 novembre 2018) avec Pierre Godard, que nous remercions pour sa disponibilité.

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