Par Jacques Debesse
Né le 14 mai 1935 à Paris (Xe arr.), mort le 21 mars 1979 à Chambéry (Savoie) ; ajusteur, technicien aéronautique, directeur d’un village de vacances ; syndicaliste CGT (1955-1959), puis CFTC, CFDT à la SNECMA Melun-Villaroche (Seine-et-Marne), secrétaire général du SPIAS-CFDT, permanent (1966) puis secrétaire général de l’UPSM (1971-1974).
Fils de Justin Dumas, employé au métropolitain, et de Berthe Aldegonde Aubonnet, concierge, domiciliés au 85 rue Duhesme à Paris (XVIIIe arr.), Roger Dumas reçut une éducation catholique dans la mouvance progressiste de l’après Seconde Guerre mondiale. Après sa réussite au baccalauréat et un séjour de quelques années en sanatorium et postcure où il connu René Chilin, militant CFDT à la SNECMA, avec lequel il se lia d’amitié, il fut embauché en 1955 à la SNECMA de Melun-Villaroche comme ajusteur, sur recommandation de son épouse, Ginette Suzanne née Fadin, salariée à la SNECMA depuis 1952. Il devint technicien au service de mise au point des prototypes des statoréacteurs, notamment du projet expérimental « Coléoptère ».
Syndiqué à la CGT dès son entrée dans l’entreprise, mais sollicité par Roger Mullié*, secrétaire de la section syndicale CFTC, Roger Dumas démissionna de la CGT pour se syndiquer à la CFTC en 1959, après avoir obtenu satisfaction sur la condition d’une rupture de la CFTC avec le cartel électoral constitué avec FO, les indépendants et la CGC. Il accepta également de figurer comme candidat aux élections de délégués du personnel en 1959 sur la liste CFTC qui, pour la première fois, présenta sa propre liste. Avec 18 % des suffrages exprimés sur l’ensemble des collèges, la CFTC pouvait ainsi se targuer d’une réelle légitimité.
L’attitude de Roger Dumas, aux côtés de Roger Mullié, René Chilin et Simone Coutor*, fut déterminante pour la fondation d’une nouvelle CFTC à la SNECMA Villaroche qui se fixa comme objectif un réel développement, la formation syndicale de ses militants, l’action revendicative, particulièrement celle des travailleurs horaires et sa participation aux instances syndicales professionnelles et interprofessionnelles. En outre, il œuvra pour faire de l’Inter SNECMA-CFTC (organisme de coordination des sections CFTC des établissements de l’entreprise) une véritable structure d’intervention et d’action vis-à-vis de la direction générale du groupe SNECMA. L’Inter SNECMA fut opérationnelle en 1960 et se dota de statuts et d’un règlement intérieur en 1962.
C’est à Roger Dumas que revint le mérite d’avoir engagé les militants CFTC de l’établissement sur la piste d’une démarche idéologique. Pour susciter une dynamique collective avec les adhérents et les sympathisants et leur fournir l’ossature de l’argumentaire auprès de leurs collègues, la section syndicale avait érigé en principe la formulation des revendications sociales : « Le statut unique du manœuvre à l’ingénieur » et proclamait « qu’être libre, c’est être responsable ». Dès 1959, une convergence s’établit entre la section « refondée » de Villaroche et celle de la SNECMA Kellermann à Paris (XIIIe arr.) où de nombreux militants issus pour la plupart de la JOC et de l’ACO étaient activement engagés dans la réflexion sur la déconfessionnalisation et l’évolution de la CFTC, comme Georges Petit*, Jacques Pince, Michel Marcon, Jacques Mosnier, Jean Ruel*... Une assemblée générale des adhérents de la section syndicale de Villaroche fut convoquée en décembre 1963, où Roger Dumas présenta le projet d’orientation du bureau de la section, favorable à la déconfessionnalisation de l’organisation. Environ 20 % des adhérents refusèrent l’abandon de la référence à la morale sociale de l’Église dans les statuts confédéraux, tandis que la majorité approuvait la position proposée, tout en affirmant l’incompatibilité absolue entre les mandats politiques et syndicaux. La répartition des positions de la section fut scrupuleusement respectée lors des votes dans les différentes instances professionnelles et interprofessionnelles qui décidaient de la position à adopter au congrès confédéral extraordinaire de novembre 1964. La section perdit 9 adhérents et enregistra 5 adhésions. Il n’y eut aucune tentative de création d’une section syndicale CFTC maintenue.
Le VIIIe congrès de l’UPSM, les 25 et 26 novembre 1961, ayant voté la dissolution des syndicats catégoriels de la métallurgie en région parisienne pour les remplacer par des syndicats régionaux d’industrie, toutes catégories confondues, le syndicat parisien des industries aéronautiques (SPIA-CFDT) fut créé le 6 octobre 1962, avec la totale approbation de la section de Villaroche. Roger Dumas y représenta la section syndicale. Il fit partie de la délégation du syndicat au congrès de la FGM-CFDT (Fédération générale de la métallurgie) à Paris en avril 1965 et intervint sur le rapport concernant la nouvelle organisation de la fédération, présenté par Louis Zilliox. Candidat au conseil fédéral au nom du SPIA, il fut élu avec le soutien de l’ensemble des syndicats de l’UPSM. Il devint également membre du conseil national de l’Union fédérale des industries aérospatiales (UFIA). Il resta membre du conseil fédéral jusqu’au début 1974, ayant été réélu aux congrès de Rouen en 1968, puis de Dijon en 1971.
Sur sollicitation de Claude Michelot, Roger Dumas quitta l’entreprise pour devenir permanent de l’UPSM en janvier 1966. Dans sa nouvelle fonction de secrétaire de l’UPSM, lui fut attribuée la responsabilité de la formation syndicale. Le 11 février 1966, il devint secrétaire général du syndicat de l’aéronautique devenu SPIAS en novembre 1965 (syndicat des industries aéronautiques et spatiales), remplaçant François Geoffroy, militant de l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales).
Au sein de l’UFIA, avec René Chilin, il rédigea un rapport Place et rôle de l’aérospatiale qui abordait les exigences du syndicalisme dans cette industrie pour la construction de la paix, pour un développement technologique au service des besoins de l’humanité et optait pour une coopération européenne dans le cadre d’un développement orienté vers la démocratisation du transport aérien. Le rapport fut adopté au conseil national de l’UFIA à Toulouse en 1967.
Pressentant les questionnements et évènements majeurs qui allaient bientôt survenir en France, Roger Dumas proposa la constitution d’une « commission idéologique » dans le SPIAS, chargée de rédiger un rapport traitant d’un projet de société. L’idée fut acceptée par le conseil syndical du 10 février 1967. Le groupe de travail, animé par Roger Dumas avec Jacques Mosnier comme rapporteur commença ses travaux le 22 avril 1967 et se réunissait au rythme d’un soir tous les quinze jours et d’un samedi chaque mois. La réflexion aboutit à un document intitulé Rapport idéologique qui proposait les contours d’une société socialiste, précisait la conception et le rôle du syndicalisme dans cette société, avec les voies de passage vers ce projet, la stratégie de transformation de la société actuelle incluant la responsabilité spécifique du syndicalisme. Ce rapport, largement débattu dans toutes les sections du syndicat, fut adopté lors d’un congrès extraordinaire du SPIAS, les 30 et 31 mars 1968. Deux slogans ornaient la tribune de ce congrès : « Remettre en cause le capitalisme, c’est se remettre en cause soi-même » et « On ne demeure libre qu’en acceptant d’être responsable. » Eugène Descamps, invité au congrès fit une déclaration qui situait l’action du SPIAS dans le cadre de la stratégie confédérale.
En 1969, avec André Acquier, il fit partie d’un groupe de travail du Comité Métal européen sur les négociations et conventions collectives et, dans le cadre de l’UFIA, avec André Soulat, il participa le 24 mars 1969, à Bruxelles, à une rencontre aéronautique avec les syndicats hollandais, allemands et belges. Dans le domaine interprofessionnel, il reçut mandat de l’UPSM de siéger au bureau de l’Union régionale parisienne (URP-CFDT) à l’issue de son congrès de Paris, les 21-23 mars 1969, qui définissait de nouvelles règles de représentation des unions professionnelles. Ces réformes structurelles de l’URP, critiquées par des syndicats, notamment ceux de l’UPSM, au motif d’une amorce de dépossession des syndicats professionnels de la conduite de l’action syndicale dans les entreprises au profit des Unions départementales et locales, aboutirent à une coalition de syndicats (métallurgie, chimie, EDF-GDF, cheminots, PTT, assistance publique, commerces et services), dont Roger Dumas était un des animateurs. Cette alliance présenta Claude Michelot, alors secrétaire général de l’UPSM, comme candidat au poste de secrétaire général de l’URP en remplacement de Robert Duvivier, lors du comité régional du 23 janvier 1971. Claude Michelot fut battu, c’est Guy Gouyet candidat soutenu par l’URP qui fut élu. Claude Michelot ayant prévu son retrait de l’UPSM, quel que soit le résultat du scrutin à l’URP, ce fut Roger Dumas qui lui succéda à la responsabilité de secrétaire général de l’UPSM.
L’animation de l’UPSM par Roger Dumas se fondait sur l’analyse collective des réalités politiques, sociologiques et industrielles en mouvance en ce début de décennie 1970, après les évènements de 1968. Au sein de toutes les structures de la CFDT, cette période se caractérisait par des débats intenses sur les « objectifs et moyens de transformation de la société », où la planification démocratique et l’autogestion étaient au cœur des discussions et controverses. Roger Dumas eut à cœur d’aider aux synthèses des orientations et positions des syndicats de l’UPSM afin de consolider l’unité politique de l’union dans ce foisonnement.
Le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne publiée en 1965 qui avait pour conséquence le dégraissage industriel de Paris vers les départements de l’Ile-de-France, avec le développement de zones industrielles, incluant nombre de petites et moyennes entreprises, suscita une profonde réflexion de l’UPSM. De plus, les Unions départementales CFDT dans la région parisienne, qui avaient été créées après le congrès de Cachan de l’URP de décembre 1966, faisaient pression pour la constitution de syndicats départementaux de la métallurgie dissidents de l’UPSM. Sous l’impulsion de Roger Dumas, la pertinence d’une organisation en syndicats régionaux d’industrie (automobile, aéronautique, mécanique générale, construction électrique et électronique) mise en place au début des années 1960, fut mise en question. L’orientation vers des syndicats départementaux de la métallurgie, toutes branches confondues se dessina, se révélant plus conforme aux nouvelles réalités industrielles de la région et mieux adaptée au développement syndical ainsi qu’aux solidarités nécessaires entre sections syndicales des grosses et petites entreprises. La mise en place de syndicats départementaux de la métallurgie se réalisa à partir de 1974, initiée par l’élan décentralisateur impulsé par Roger Dumas.
La CFDT prenait de l’ascendant et parfois devenait majoritaire dans nombre de comités d’établissement ou d’entreprise. L’idée de créer une association de conseil juridique au service des salariés, assurant dans les locaux des CE des permanences tenues par les juristes de l’UPSM, fut émise par Roger Dumas. Elle reçut l’aval du conseil des syndicats de l’UPSM le 29 septembre 1972. L’association de conseil juridique des travailleurs (ACJT) déposait ses statuts le 6 décembre 1972 et développa ses services dans plusieurs dizaines d’entreprises. Sur le plan de la syndicalisation, l’engouement pour la CFDT après les grèves de 1968 commençait toutefois à s’essouffler. Le secrétaire général proposa de lancer une vaste campagne de syndicalisation dans les entreprises du champ d’activité de l’UPSM. Cette campagne qui fut menée du 13 novembre au 9 décembre 1972 s’intitulait « objectif 2000 ». Elle illustrait cinq thèmes revendicatifs par tracts, y compris en trois langues étrangères, distribués à plus de 100 000 exemplaires, accompagnés d’affiches pour les panneaux syndicaux. Ce type de campagne, porteuse des orientations fondamentales de la CFDT auprès des salariés, fut renouvelée sous l’égide des successeurs de Roger Dumas à la tête de l’UPSM.
C’est à partir de 1973 qu’il faut situer un approfondissement de la réflexion de Roger Dumas sur une nouvelle expérience à la fois professionnelle et militante. Il quitta l’UPSM le 30 juin 1974 pour se consacrer à temps plein à une nouvelle activité dans le tourisme social. Habitué depuis longtemps des maisons familiales et de la pratique de la montagne, il multipliait les contacts avec la Fédération française d’associations de loisirs de vacances et de tourisme (LVT), et visita plusieurs sites. Il participa à deux stages de direction de villages de vacances, l’un de deux cents lits, l’autre de plus petite taille. Des contacts furent également établis avec des institutions propriétaires de centres. La philosophie de Roger Dumas et de son épouse était établie sur un choix de gestion au sein d’une maison dans laquelle l’implantation et son aménagement étaient à définir, plutôt que d’atterrir en un lieu déjà configuré avec une expérience acquise. Avec son épouse Ginette, il jeta son dévolu sur un projet de construction à Longefoy-sur-Aime (Savoie), sur le site dit du « Dou de la Ramaz », lancé par une association familiale de Dunkerque (Nord), liée à la Caisse d’allocations familiales (CAF). Mais ce qui était également important, était la constitution d’une équipe composée d’un noyau dur en harmonie avec ses convictions profondes et du personnel recruté parmi les habitants du pays. Les premiers embauchés participèrent à l’aménagement du centre et au lancement des activités. L’inauguration du centre et son ouverture eut lieu à Noël 1974, avec l’appui de deux autres maisons familiales à proximité. Les réunions hebdomadaires avec le personnel permettaient de déléguer le plus possible les responsabilités, mais dès les premiers mois d’activités, l’effectif embauché et salarié par l’association s’avéra insuffisant, et le personnel déjà soudé se mettait en grève et imposait des embauches. Une section syndicale fut crée regroupant la majorité des salariés et Roger Dumas, directeur du village de vacances adhérait, quant à lui, à la section encadrement du même syndicat.
La volonté de Roger Dumas était d’intégrer le plus possible le centre aux activités du village, ses fêtes, son patrimoine culturel et environnemental, notamment la relance de son four à pain. Les élus locaux furent rapidement contactés et « l’équipe du Dou », ainsi appelée, s’inséra très vite dans les réunions et la vie locale, y joignant par la même occasion les deux autres centres voisins. Une équipe d’accompagnateurs en moyenne montagne, constituée de bénévoles, fut formée lors d’un stage d’une semaine, animé par des montagnards qualifiés, qui lui donnèrent des bases de topographie, d’orientation, de secourisme, d’histoire de la région, de connaissances sur la flore et la faune, etc.
Cette riche expérience militante fut brutalement interrompue par le décès de Roger Dumas le 21 mars 1979 au centre hospitalier de Chambéry, 7 square de Massalaz, survenu à la suite d’un accident de voiture sur la commune de Queige (Savoie). Roger Dumas s’était marié le 26 mars 1955 à Presles-en-Brie (Seine et Marne), avait eu deux filles et un garçon devenu guide de haute montagne qui se tua en montagne quelques années après le décès de son père. Il avait été domicilié à Melun (Seine-et-Marne), puis à Queige, au lieu-dit Molliessoulaz.
Par Jacques Debesse
SOURCES : Archives UPSM-CFDT. — René Chilin et Roger Mullié, Pages d’histoire syndicale, la CFTC-CFDT SNECMA-Villaroche 1947-1980, Paris, L’Harmattan, 2000. — Jo Bibard, Faire l’histoire ensemble. La CFDT en région Ile-de-France 1887-1990, Beaune, La Toison d’Or, 2007. — Entretiens avec Ginette Dumas recueillis par Rémy Allanos, 23 novembre 2010. — État civil de Chambéry (Savoie) EH08187, 3 mai 2012.