COURTADE Henri, Albert

Par Madeleine Singer

Né le 6 janvier 1914 à Russange (Moselle), mort le 14 mars 1986 à Strasbourg (Bas-Rhin) ; agrégé d’allemand ; membre du comité national du Syndicat général de l’éducation nationale (SGEN) de 1951 à 1970.

Henri Courtade portait le prénom de son père, employé aux chemins de fer, qui avait épousé Anne Kolb. Il était l’aîné de leurs trois enfants. Après avoir fréquenté l’école primaire de Salmbach dans le Bas-Rhin, il entra en 1926 à l’EPS de Lauterbourg ; admis l’année suivante à l’École préparatoire à l’École normale d’Obernai, il devint normalien en 1929, passa le brevet supérieur en 1932 et fut nommé instituteur à Mothern où il exerça jusqu’à son départ au service militaire en 1935. À son retour il enseigna à Rosteig et se maria en 1937 avec Élisabeth Weber, institutrice, qui obtint un poste dans la même commune. Mobilisé, puis prisonnier, il fut libéré comme Alsacien-Lorrain en septembre 1940. Il dut alors faire un stage de trois mois à Mannheim car le régime hitlérien imposait à tous les enseignants « l’Umschulung », c’est-à-dire l’apprentissage des méthodes nazies. Mais il refusa en janvier 1941 une nomination à Dertingen, en Allemagne, et remit aux autorités allemandes sa démission de ses fonctions d’instituteur. Sans ressources il vécut quelques mois avec sa femme chez ses beaux-parents, puis en août 1941 ils réussirent à se réfugier dans l’Indre car ils avaient pu passer les lignes de démarcation grâce à un réseau de cheminots. L’inspection des écoles primaires d’Alsace et de Lorraine, repliée à Périgueux, leur donna un poste double à Néons-sur-Creuse, dans l’Indre. Henri Courtade reprit alors ses études par correspondance en s’inscrivant l’année suivante à la faculté des lettres de Toulouse ; il fut admis en novembre 1944 à la licence ès lettres d’enseignement technique.

En mars 1945, Henri Courtade revint à Strasbourg avec sa femme qui obtint un poste dans cette ville. Lui-même fut nommé à titre provisoire à l’École de perfectionnement des industries techniques qui devint par la suite lycée technique industriel. Il obtint en 1946 la licence-ès-lettres d’enseignement classique et fut reçu l’année suivante à la deuxième partie « pratique » du CAPET « langues vivantes » des collèges techniques. Il fut maintenu dans son poste en qualité de titulaire et fit toute sa carrière dans cet établissement où il prit sa retraite en 1978. Il avait été auparavant nommé agrégé par promotion interne car depuis 1973 il était possible d’accéder à ce grade par décision de la Commission administrative paritaire (CAP).

Adhérant au SGEN dès 1946, il lança aussitôt la section des collèges techniques avec, dit-il, l’appui du secrétaire académique Robert Walter*. La mise en place, ajoutait-il, fut pénible malgré le terrain a priori favorable car le SNET était omniprésent. Les élections aux CAP académiques leur donnaient jusqu’à 40 % des voix dans les catégories les plus nombreuses (agrégés et certifiés), 30 % chez les PTA. Élu lui-même à la CAPA des certifiés, il s’y fit remplacer en 1973. Le rapport sur l’organisation académique qu’il présenta au congrès national de 1952, exposait « les résultats d’une expérience de quatre ans » et nous donne une idée de toutes les tâches qu’il accomplissait. Dans l’académie, il était un agent de liaison avec le secrétaire du second degré et le secrétaire du Syndicat national des centres publics d’apprentissage (CFTC). Il était par ailleurs en relation avec le bureau national-Enseignement technique qu’il informait de l’opinion des adhérents et auquel il transmettait les affaires personnelles qu’il n’avait pu résoudre au niveau de l’Inspection principale de l’Enseignement technique. Il était en même temps en contact avec les adhérents, s’efforçant d’avoir dans chaque établissement un responsable sérieux qui affiche les circulaires et réponde aux enquêtes. Lui-même tenait à jour le fichier des adhérents, organisait chaque année une ou deux réunions académiques, assistait à quelques réunions locales. Élu au comité national dès 1951, il allait y siéger jusqu’en 1970. Candidat à la CAPN des certifiés lors de l’élection de 1952, il le resta jusqu’à la fusion en 1965 des CAP de l’Enseignement technique avec celles du deuxième degré.

Par le bulletin syndical, il tenait l’ensemble de la France au courant des problèmes du technique dans les trois départements de l’Est. Ainsi lorsqu’en novembre 1951, la Chambre des métiers d’Alsace discuta de l’introduction de la loi Astier dans ces départements, il exposa la situation de l’apprentissage dans la région, préconisant une synthèse de la loi Astier et du statut local ; cette loi ne fut d’ailleurs étendue aux trois départements que par le décret du 20 mai 1955. En 1954 H. Courtade signalait que dans son académie, il y avait des postes réservés aux maîtres auxiliaires, ce qui leur assurait une certaine stabilité dans l’emploi. En 1963 il donnait les résultats d’une enquête sur la situation de l’Enseignement technique dans les trois départements : effectif des classes trop lourd, locaux souvent exigus et vétustes, qualification du personnel insuffisante vu le tiers d’auxiliaires.

Sans pouvoir nous étendre sur toutes ses informations relatives à la situation locale, signalons toutefois qu’en 1959, Henri Courtade vécut, dit-il, « le moment le plus marquant de (ses) 25 ans de vie militante ». Les établissements techniques, ayant été créés après le retour à la France des trois départements, ne bénéficiaient pas du statut scolaire confessionnel issu de la loi Falloux, statut que l’Allemagne avait conservé après l’annexion de 1870 et qui fut maintenu lors des deux libérations de 1919 et de 1944. À la suite des démarches des trois conseils généraux, le Ministre y avait autorisé en 1950 l’enseignement religieux pour les élèves de moins de quatorze ans, soumis à l’obligation scolaire, et pour les plus âgés, la création d’un service d’aumônerie du type de ceux qui existaient dans les autres départements. Les représentants des quatre cultes reconnus réclamèrent l’application intégrale du statut scolaire local à l’Enseignement technique. Ils eurent gain de cause devant le tribunal administratif de Paris dont la décision fut confirmée par le Conseil d’État le 23 mai 1958 car le Ministre avait fait appel.

Or l’application pratique était malaisée en raison notamment des « horaires démentiels » de l’enseignement technique, spécialement dans les sections industrielles. Le statut scolaire local prévoyait en effet des cours de religion, obligatoirement inclus dans l’horaire de l’enseignement, pour les catholiques, les protestants et les israélites. Une circulaire du recteur prescrivit donc que, là où les horaires des élèves atteignaient au moins 40 heures, les cours de religion aient lieu pendant les heures d’atelier. Dans un magistral article paru dans Syndicalisme universitaire le 13 février 1959, H. Courtade rappela sa lettre au recteur du 17 décembre 1958, lettre dans laquelle il protestait contre cette circulaire et demandait qu’en attendant l’instauration d’une autre organisation de l’enseignement religieux, les séances d’atelier soient provisoirement supprimées pendant ces heures d’enseignement, sans qu’il y ait ni suppression de postes, ni mutation de professeurs d’atelier. Le recteur renonça d’ailleurs très vite à appliquer cette mesure absurde sous la pression unanime des syndicats et des parents d’élèves. Les deux heures d’enseignement religieux s’ajoutèrent donc aux 40 heures. Dans un premier temps, les chefs d’établissement les placèrent le samedi après-midi ; ensuite ils les partagèrent entre le jeudi et le samedi de 11 à 12 heures.

Dans le même article, Henri Courtade rappelait que le SGEN avait toujours été guidé dans son action « par la ferme conviction que le prestige et le rayonnement de l’École publique demande l’acceptation de son statut par une majorité aussi large que possible ». Par conséquent le problème scolaire ne relevait pas des seuls enseignants : H. Courtade ne pouvait donc suivre les responsables du SNET qui envisageaient alors la création d’une association de parents d’élèves destinée à lutter contre le statut scolaire confessionnel. Il ajoutait : « Décidés à rester dans les strictes limites de notre compétence syndicale, nous nous refusons à vouloir peser de notre autorité de professeur sur la décision que doivent prendre les parents au début de l’année scolaire en répondant au questionnaire de l’administration » qui demandait si l’enfant devait suivre un enseignement religieux et si oui, lequel. Cette décision, disait-il, « relève de leur seule conscience ». D’après Le travailleur de l’Enseignement technique d’octobre 1958, le SNET avait en effet envoyé à ce sujet une lettre aux parents. Bien entendu la position nuancée du SGEN lui valut de nombreuses attaques auxquelles Henri Courtade dut faire face.

Mais il ne se laissait pas absorber par les problèmes locaux. Lors du congrès national de 1958, il fut le rapporteur de questions corporatives : maximum de service et travaux supplémentaires (calcul des moyennes pour les bulletins, etc.) ; inspection, notation administrative et promotions. Il intervenait également sur les questions pédagogiques, par exemple en 1953 à propos du nouveau brevet élémentaire industriel. Il soulignait à un comité national de 1955 certains cas d’inadaptation de l’Enseignement technique aux conditions de l’industrie locale ou nationale, évoquait plus tard les problèmes de carte scolaire ou les conditions des examens. Il ne négligeait pas pour autant les problèmes d’organisation, demandant par exemple que chaque responsable académique reçut plusieurs numéros du bulletin syndical pour la propagande et qu’on envoyât un numéro supplémentaire à chaque responsable d’établissement. Aussi se félicita-t-il en 1961 de la parution hebdomadaire de Syndicalisme universitaire car cela permettait, dit-il, à tous les adhérents de connaître rapidement les positions du SGEN ; cela permettait en outre de renouveler chaque semaine l’affichage dans les établissements. Devenu en 1964 secrétaire académique des lycées lorsque les sections SGEN du second degré et du technique fusionnèrent, sa tâche fut encore plus lourde. On comprend qu’en 1970, il ait jugé bon de se faire remplacer tant au comité national qu’au plan académique.

Il avait d’ailleurs d’autres activités car depuis 1962 il bénéficiait d’une demi-décharge afin de préparer des émissions d’allemand pour la radio scolaire à l’ORTF. À cette époque les cours complémentaires se développaient ; or les instituteurs qui y enseignaient, avaient en langue une formation qui s’était souvent arrêtée au baccalauréat. Par la suite cette décharge fut consacrée, dans le cadre du CRDEP, à la production de supports pédagogiques pour l’enseignement de l’allemand au CM1 et au CM2 en Alsace et en Moselle : l’inspecteur général Georges Holderith - dont H. Courtade était un ami d’enfance - avait obtenu de G. Pompidou l’autorisation de faire cette expérimentation, généralisée à partir de 1972. Le SGEN soutint assez vite cette réalisation et inspira plus tard, en 1982, la circulaire du recteur Deyon sur « la langue et la culture régionales en Alsace ».

En outre G. Holderith ayant été amené à produire chez Nathan une série de livres scolaires d’allemand pour le collège et le lycée, H. Courtade y collabora à titre privé. On retrouve par exemple son nom sur la série « Wir lernen deutsch » des années 1972-1973. À cette époque la collection Holderith représentait, semble-t-il, près de 60 % des livres scolaires d’allemand en France. Il travailla également avec G. Holderith à une anthologie Poètes et prosateurs d’Alsace, parue en 1978, laquelle commence par « Les serments de Strasbourg entre Louis-le-Germanique et Charles le Chauve », le 14 février 842, premier document officiel bilingue. G. Holderith étant mort très rapidement avant la mise sur le marché de ce livre, H. Courtade participa à la rédaction des derniers volumes de la collection Holderith, bien qu’il fut à la retraite : en janvier 1980, il s’excusait de son retard à me répondre car il avait dû envoyer à Nathan un manuscrit pour le 15 janvier et devait penser déjà la suite du cours. Il participa également à la rédaction, pour le lycée, d’une grammaire allemande, faite sous la direction de l’inspectrice générale Madame Trometer. Cette grammaire était si fouillée qu’elle fut surtout achetée par les étudiants du DEUG.

Henri Courtade fut ainsi actif toute sa vie car il avait encore emmené, à l’hôpital où il devait décéder, des dossiers sur l’identité alsacienne, le bilinguisme, etc. Il fut jusqu’à sa mort membre de la Commission administrative de la section MGEN du Bas-Rhin. Il était chevalier des Palmes académiques depuis 1964, le proviseur du lycée technique ayant proposé en même temps les secrétaires du SNET et du SGEN.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20923, notice COURTADE Henri, Albert par Madeleine Singer, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 24 novembre 2008.

Par Madeleine Singer

SOURCES : M. Singer, Le SGEN 1937-1970, Th. Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. dép. Nord, J 1471) ; Histoire du SGEN., 1987, PUL. — École et Éducation (1951-1955). — Syndicalisme universitaire (1955-1970). — Lettres de H. Courtade à M. Singer, 18 janvier 1980. — Lettres de Léon Weber (neveu de H. Courtade) à M. Singer, 15 mai 1997, 22 mai 1997, 9 juin 1997, 20 juin 1997 (avec un curriculum vitae rédigé par H. Courtade vers 1948), 11 septembre 1997 (AP).

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